Démarginalisation socio-économique des victimes de la traite des personnes après leur rapatriement, en Thailande et aux Philippines

En Asie du Sud-Est, la Thaïlande et les Philippines font partie des pays qui connaissent de graves problèmes de trafic d’êtres humains.

Généralités


La traite des enfants et des femmes constitue une grave violation des droits de l’être humain. La convention (nº 182) sur les pires formes de travail des enfants, 1999, mentionne la traite des enfants comme étant un domaine d’action prioritaire. Quant à la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, elle en appelle aux Etats pour qu’ils suppriment «tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré».

En Asie du Sud-Est, la Thaïlande et les Philippines font partie des pays qui connaissent de graves problèmes de trafic d’êtres humains. En effet, un grand nombre de femmes migrantes sont embauchées sans être averties des conditions de vie et de travail qu’elles devront supporter, ni du montant de la dette qu’elles devront rembourser. La tromperie est la méthode la plus fréquemment utilisée pour attirer les victimes auxquelles on fait des promesses fallacieuses concernant la nature de l’emploi, le revenu et les conditions de travail.

De toutes les étapes du processus de migration, ce sont le retour et la réinsertion dans le pays d’origine qui font le moins souvent l’objet d’une intervention au niveau politique et qui sont, à bien des égards, les moins étudiés et les moins bien compris. Or il devient tout à fait clair que ce retour et cette réinsertion ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. Les femmes rapatriées doivent faire face dans la plupart des cas:

  • à des effets psychosociaux, notamment dus dans certains cas au traumatisme causé par l’expérience de la traite et à des problèmes de santé ou médicaux, ce qui est particulièrement vrai dans le cas d’une victime de trafic à des fins d’exploitation sexuelle;
  • au problème de la réinsertion dans la famille et dans la société, en raison de la rupture des liens familiaux et du fait que leur conduite est stigmatisée et qu’elles sont rejetées par leurs familles et leurs communautés;
  • aux difficultés financières, soit parce qu’elles sont revenues au pays les mains vides, soit parce que leurs économies sont insuffisantes ou qu’elles ont été gaspillées;
  • aux problèmes liés à l’emploi et aux compétences lorsqu’elles ne trouvent pas d’autre emploi rémunérateur, que les débouchés locaux manquent et qu’elles ne bénéficient d’aucun soutien pour créer une entreprise viable et la garder; qu’elles n’ont pas de qualifications ou que leurs qualifications se sont dépréciées; et, dans le cas des moins de 18 ans, à la difficulté de se réinsérer dans un cadre scolaire normal en raison de l’interruption de la scolarité;
  • à la difficulté de porter plainte pour exploitation et mauvais traitements.

Il s’ajoute à tout cela le danger qu’une fois rapatriées les victimes de la traite deviennent la cible de représailles de la part de trafiquants ou de réseaux criminels, doivent faire face à des dettes impayées et même courent le risque de faire de nouveau l’objet d’un trafic. Certaines victimes ont affaire à la justice pour irrégularité de la migration, par exemple pour avoir fait usage de faux papiers, être sorties illégalement de leur pays ou avoir travaillé dans l’industrie du sexe.

Compte tenu de l’importance qui est donnée désormais, dans bon nombre de pays de destination en Asie, à l’application de la loi et aux changements de politique, les rapatriements devraient être plus fréquents qu’auparavant. Le BIT propose d’apporter son soutien à une réinsertion, à visage humain, des victimes de la traite des personnes dans leur pays d’origine qui vise clairement à leur assurer une démarginalisation socio-économique à long terme et les services sociaux de base. Eu égard au mandat de l’OIT dans le domaine du travail, il sera veillé particulièrement aux aspects économiques et professionnels de la réinsertion, compte dûment tenu de l’autonomie et de la capacité d’adaptation des rapatriés. Ce projet a pour objet de contribuer, en Asie, à la diminution de la traite des enfants et des femmes en vue de leur exploitation sexuelle ou au travail, grâce au soutien apporté à une réinsertion, à visage humain, des victimes de la traite des personnes dans leur pays d’origine. Le projet, axé sur la démarginalisation socio-économique des victimes et la fourniture des services sociaux de base, comportera les deux principaux volets suivants.

Démarginalisation socio-économique (Soutien direct aux rapatriés)


Les services d’assistance aux rapatriés consisteront en : une aide psychologique et des soins de santé, une assistance juridique et un enseignement en matière de droits, un accès à l’éducation, une aide à l’acquisition de compétences et une formation à l’entreprenariat, un accès au microfinancement et aux marchés du travail ou des produits en fonction du cas de l’individu et de ses besoins et aspirations. S’il y a lieu, l’assistance aux familles comportera des programmes de réorientation familiale, la mise en place de réseaux communautaires et des programmes de sensibilisation. Les questions d’éthique seront traitées en temps voulu. Une opération pilote suivra les principes directeurs établis par les agences ou services du gouvernement compétents et par les ONG.

Le projet sera exécuté en étroite collaboration avec les organismes locaux qui fournissent une aide immédiate aux victimes rapatriées (assistance juridique, aide psychologique et orientation vers les services sociaux compétents). En particulier, le projet est destiné à soutenir:

  • des services d’orientation suffisants et efficaces grâce à des informations tenues continuellement à jour sur les types d’assistance et de soutien répondant aux besoins des migrants rapatriés, offerts aux niveaux gouvernemental et non gouvernemental;
  • des services sociaux comme l’aide sociopsychologique et les soins de santé pour aider les victimes à se remettre d’une expérience traumatisante et à surmonter des problèmes médicaux;
  • l’octroi d’une petite somme d’argent aux rapatriés qui ont de graves problèmes financiers.

Programme de réinsertion

Le second volet du soutien consiste en une aide à la réinsertion à long terme des victimes du trafic dans leur pays d’origine, selon leurs besoins et leurs aspirations personnelles. Les experts du BIT seront mobilisés pour veiller à une réinsertion économique à long terme des rapatriés visant à rendre ces derniers autonomes. Les services d’appui aux victimes de trafic consisteront en:

  • des services d’orientation permanents grâce à des informations sur les types d’assistance et de soutien offerts aux migrants rapatriés, notamment inscription à des programmes de formation au niveau local et autres services en matière d’emploi ;
  • des services sociaux permanents tels que l’aide sociopsychologique et les services de santé selon les besoins individuels compte tenu du fait que les victimes ont souvent besoin de beaucoup de temps pour se rétablir;
  • des conseils et des orientations professionnelles fondés sur la demande existant sur le marché du travail local et sur les aspirations et possibilités des rapatriés. Dans le cas où les victimes rapatriées ne souhaitent pas retourner dans leur communauté d’origine, il leur sera fourni une orientation et une formation professionnelles en ville;
  • plusieurs activités générant des revenus dont la mise en place permettrait aux rapatriés d’accéder à l’autonomie et de ne plus risquer d’être victimes de la traite des personnes. Il s’agira notamment de systèmes d’épargne et de crédit à petite échelle (par exemple, création et renforcement de groupes d’entraide ; création de petites entreprises), et d’une série de modules de formation professionnelle allant des mathématiques de base aux compétences entrepreneuriales en passant par des cours d’informatique 1. Les personnes sans diplôme de l’enseignement primaire bénéficieront d’un enseignement extrascolaire avant la formation professionnelle. Des services de placement seront offerts à ceux qui auront achevé avec succès les programmes de formation professionnelle grâce à l’instauration de réseaux et d’une collaboration avec les groupes d’employeurs. Pour ceux qui souhaitent créer leur propre petite entreprise, une petite mise de fonds initiale pourra être fournie selon que de besoin;
  • la possibilité de rencontrer d’autres victimes de la traite des personnes ayant connu les mêmes expériences et de bénéficier d’une entraide dans le processus de réadaptation et de réinsertion (mise en place de réseaux de pairs ou renforcement des réseaux existants);
  • une assistance juridique en vue du dépôt de plaintes pour exploitation et mauvais traitements, et un service d’appui à l’enregistrement d’enfants.

Si besoin est, le soutien peut se traduire par une assistance au retour des victimes dans leur famille ou communauté d’origine. Les services communautaires pour les victimes de la traite des personnes et leurs familles consisteront en l’instauration d’un programme de réorientation et de valorisation familiales visant à rétablir les liens familiaux et à éliminer la stigmatisation et le rejet par les familles et les communautés. Ce programme portera notamment sur l’acquisition de compétences pratiques comme la planification des constructions et les mathématiques de base. Un programme de sensibilisation au niveau communautaire servira à la prévention d’un nouveau trafic.

Développement institutionnel

Dans chaque pays, le projet vise à fournir des services de conseils techniques et de renforcement des capacités aux fins de l’organisation du système central d’orientation pour les victimes de la traite des personnes rapatriées dans leur pays d’origine, notamment la collecte systématique de données et l’établissement de documents se rapportant aux cas des victimes rapatriées et au suivi de ces cas, ainsi qu’une formation à l’intention des groupes de la société civile destinée à améliorer le processus de réinsertion des victimes et à le rendre durable.

Le projet fera intervenir aussi bien les autorités centrales que locales, les entreprises et les groupes d’employeurs, les ONG, et d’autres groupes de la société civile s’occupant des victimes de la traite et/ou des migrants en situation irrégulière, pour évaluer les besoins et garantir une assistance ciblée, en particulier dans le domaine du conseil en gestion de carrière, de la formation professionnelle et du placement.

Au cours de la première année d’exécution du projet, il sera mis au point un matériel de conseil en gestion de carrière et d’orientation professionnelle, et il sera dispensé une formation aux organismes concernés.

Pendant la mise en œuvre du projet, si un besoin urgent se fait sentir d’établir un réseau entre les deux pays cibles et/ou avec les principaux pays de destination en vue d’un nouveau renforcement des capacités des organismes concernés, des voyages d’étude seront organisés pour intensifier la collaboration et multiplier les interventions nécessaires en faveur des victimes de la traite.

Pendant toute la durée du projet, les cas des victimes de trafic et leur suivi seront consignés dans des dossiers à partir desquels les besoins en matière de réinsertion seront évalués et l’assistance ciblée de manière systématique.

1 Le matériel de formation professionnelle sera composé des guides sur la culture d’entreprise mis au point par SEED, du matériel de l’IPEC sur l’éducation extrascolaire et la formation professionnelle en milieu rural, ainsi que du matériel de formation de SEED «Gender and Entrepreneurship Together».