«Etre un homme plutôt qu’une simple machine»: l’OIT et l’évolution de la durée du travail

En 1930, John Maynard Keynes avait imaginé un monde dans lequel, cent ans plus tard, le travail serait dans une large mesure remplacé par les loisirs. Il pariait sur une semaine de quinze heures de travail par tranches de trois heures à l’horizon 2030.

En 1930, John Maynard Keynes avait imaginé un monde dans lequel, cent ans plus tard, le travail serait dans une large mesure remplacé par les loisirs. Il pariait sur une semaine de quinze heures de travail par tranches de trois heures à l’horizon 2030. Ce faisant, il incarnait simplement la prévision générale des économistes de cette période, à savoir que la hausse des revenus se traduirait à la fois par une élévation des niveaux de consommation et par une réduction des horaires de travail.

Mais le temps de travail s’est révélé beaucoup moins sensible aux revenus qu’on ne le croyait généralement, en particulier dans les pays développés. Malgré une tendance longue à la baisse de la durée moyenne de travail au cours des quatre-vingts dernières années dans la plupart des pays du monde, et même si vingt ans nous séparent encore de 2030, la vision de Keynes est clairement hors d’atteinte. Qui plus est, une recherche récente de l’OIT montre que 22 pour cent des travailleurs dans le monde effectuaient plus de quarante-huit heures par semaine au tournant du XXIe siècle, quatre-vingts ans après l’adoption de la première norme du travail de l’OIT – la convention (n° 1) sur la durée du travail (industrie), 1919 – qui fixait cette durée comme un maximum pour les travailleurs de l’industrie.

Ce n’est pas par hasard que la première convention de l’OIT fixe une limite à quarante-huit heures de travail par semaine dans l’industrie. La limitation du temps de travail avait été l’une des principales revendications du mouvement syndical international depuis de nombreuses années; elle était largement perçue comme légitime et comme un sujet idéal pour légiférer au plan international, non seulement pour décourager la concurrence entre pays et entreprises, mais aussi comme une concession aux demandes des travailleurs, contribuant à contenir l’influence de la Révolution bolchevique.

S’adressant à la Conférence internationale du Travail en 1921, lors de l’adoption de la convention (n° 14) sur le repos hebdomadaire (industrie), le délégué du gouvernement français, Arthur Fontaine, s’est exprimé en ces termes: «Il est essentiel que le travailleur puisse reprendre des forces après sa semaine de travail, qu’il ait du temps pour remplir ses devoirs de père et de citoyen, qu’il ait des distractions intellectuelles, pour qu’il soit un homme plutôt qu’une simple machine.» Si l’on remplace le terme de «père» par celui de «parent», cette citation visionnaire continue de résonner aujourd’hui encore.

La durée du travail a figuré sur l’agenda de l’OIT tout au long des années 1920 et 1930 et l’Organisation fut le principal forum de débat international sur ce thème, bien que l’impact de son action ait été essentiellement indirect. En pratique, la législation nationale a progressivement convergé vers les aspirations de la convention (n° 47) de l’OIT sur la semaine de quarante heures, 1935, comme le prévoit la recommandation (n° 116) sur la réduction de la durée du travail, 1962. Les résultats d’une collecte de données de 2005 confirment que la limite des quarante heures est aujourd’hui la norme dominante à travers le monde, au sens où c’est la norme à laquelle la plupart des pays adhèrent.

Pourtant, la durée du travail ne peut être analysée sans tenir compte du contexte économique et social du travail au sens large. Dans le monde, de nombreuses personnes travaillent de fait moins qu’elles ne le souhaiteraient: la recherche de l’OIT montre que de nombreuses femmes employées à temps partiel sont précisément dans cette situation et ce sous-emploi lié à la durée du travail s’est encore amplifié avec la crise économique. Quatre-vingt-dix ans après, le plus grand défi demeure la persistance d’horaires de travail lourds et inadaptés, en dépit de l’existence d’une réglementation nationale extensive du temps de travail. Par exemple, dans de nombreux pays en développement, plus d’un tiers des travailleurs effectue des horaires de travail excessifs – plus de quarante-huit heures par semaine.

Pour plus d’informations, consultez la base de données OIT-TRAVAIL des législations sur les conditions d’emploi et de travail sur /dyn/travail/travmain.home