Rapport global du BIT: Plus insidieux et moins visible - Tel est le nouveau visage de la discrimination au travail

Sur le lieu de travail, où toutes sortes de gens cohabitent, une chose reste inchangée: malgré tous les progrès réalisés en matière de lutte contre la discrimination, le déficit de travail décent dont souffrent les groupes exposés à la discrimination persistent fermement et continuent à affecter des millions de personnes partout dans le monde. Le nouveau rapport du BIT, «L’égalité au travail: relever les défis», constitue l’étude la plus complète réalisée à ce jour sur la question de la discrimination au travail. Il expose ce qui a été accompli et ce qui reste à faire pour éliminer cette pratique insidieuse. De même, il évalue l’efficacité des politiques classiques et nouvelles à introduire davantage de diversité et d’égalité au travail.

GENÈVE – Quatre ans après la publication de son précédent rapport global sur la discrimination, le bilan du BIT sur la lutte mondiale pour l’égalité au travail – qui se caractérise par un mélange de progrès majeurs et de reculs – est mitigé (Voir note 1).

D’un côté, les Etats membres de l’OIT ont fait d’importants efforts pour éradiquer la discrimination dans les entreprises. Fin 2006, neuf dixièmes d’entre eux avaient ratifié deux des principales conventions sur la discrimination – la convention sur l’égalité de rémunération (n° 100), 1951, et la convention concernant la discrimination (Emploi et profession) (n° 111), 1958 – s’engageant ainsi à mettre en place des législations et des politiques antidiscriminatoires.

Certaines initiatives nouvelles – telles que le Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail – ont profondément changé l’approche des secteurs public et privé en matière de lutte contre le sida dans le monde du travail. Et de plus en plus de pays se sont dotés d’institutions spécialisées pour lutter contre cette maladie sur le lieu de travail.

Cependant, le déséquilibre entre les inégalités et les égalités persiste. La loi reste mal appliquée. Et, dans beaucoup de pays, les organismes créés pour lutter contre la discrimination manquent de personnel et de fonds. Tandis que les efforts en matière de lutte contre la discrimination se poursuivent dans le secteur formel, les politiques publiques doivent supprimer les obstacles à l’égalité des chances qui affectent des centaines de millions de personnes dans le secteur de l’économie informelle, vaste secteur en pleine croissance et en mutation.

Dans certaines sociétés et cultures, les formes de discrimination depuis longtemps reconnues – fondées sur le sexe, la nationalité, la race ou l’origine ethnique, l’âge pour les personnes jugées trop âgées ou trop jeunes, le handicap, la santé pour les personnes atteintes du VIH/sida ou l’orientation sexuelle – perdurent. Parallèlement, de nouvelles formes de discrimination apparaissent, notamment la discrimination à l’encontre des personnes ayant une prédisposition génétique à certaines maladies ou la discrimination envers les personnes dont le mode de vie est considéré comme malsain – par exemple les fumeurs, même s’ils fument en dehors du lieu de travail. Ces nouvelles discriminations configurent la nouvelle frontière des discriminations au travail.

Le message clé du rapport global est que, pour combattre efficacement la discrimination au travail, il faut faire de l’avènement de sociétés plus équitables l’objectif central des paradigmes et politiques de développement, en promouvant à cette fin l’égalité des chances et le travail décent pour tous, femmes et hommes, sans distinction liée à la race, à la religion, au handicap, à l’âge ou à l’orientation sexuelle.

Si pour certains, la discrimination signifie ne pas avoir accès au travail de son choix, celui pour lequel ils sont qualifiés, pour d’autres, elle implique ne pas avoir de travail du tout. Une telle discrimination peut se traduire par des inégalités économiques et sociales et peut engendrer une «instabilité politique et des bouleversements sociaux qui nuisent à l’investissement et à la croissance économique».

De tels obstacles à l’égalité risquent, selon le rapport, de priver les sociétés de réaliser tout le potentiel qu’offre l’actuelle économie mondialisée.

«La discrimination au travail est une forme de ‹violation des droits de l’homme› qui conduit littéralement à gaspiller des talents humains au détriment de la productivité et de la croissance économique», souligne le Directeur général du BIT, Juan Somavia, qui présentera le rapport à la 96e session de la Conférence internationale du Travail qui se tiendra au mois de mai. «La discrimination, source d’inégalités socio-économiques, affaiblit la cohésion sociale et la solidarité et compromet la réduction de la pauvreté.»

Le rapport s’inscrit dans le cadre d’études publiées tous les ans par le BIT, portant sur les questions fondamentales en matière de travail en vertu de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1998. Celle-ci porte sur quatre principes et droits fondamentaux: la liberté d’association, l’élimination du travail des enfants, l’élimination de toute forme de travail forcé et la discrimination en matière d’emploi et de profession, chacune d’entre elles devant faire l’objet d’un rapport global tous les quatre ans.

Plus insidieuse et moins visible

La discrimination est souvent enracinée dans le mode de fonctionnement des lieux de travail et dans les valeurs et normes culturelles et sociales en vigueur. Elle s’exerce tant dans le secteur formel que dans le secteur informel, et parfois plus ouvertement dans ce dernier parce qu’il n’est pas assujetti à la législation du travail et qu’il échappe aux mécanismes de contrôle.

De nouvelles formes de discrimination voient le jour, comme «l’émergence de pratiques qui pénalisent les personnes génétiquement prédisposées à développer certaines maladies ou qui ont des modes de vie considérés comme malsains.» L’accélération des découvertes en matière génétique et le développement des nouvelles technologies dans ce domaine facilitent l’accès aux informations relatives au profil génétique des individus. Comme le souligne le rapport, les tests génétiques ont des conséquences importantes pour le lieu de travail, car les employeurs peuvent avoir un intérêt à exclure ou à licencier les travailleurs qui ont une prédisposition à contracter telle ou telle maladie. La discrimination génétique au travail est une réalité, dont l’existence a déjà été prouvée et contestée devant plusieurs tribunaux dans le monde entier.

La persistance des disparités salariales entre hommes et femmes et de l’inégalité de traitement entre les sexes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, ainsi que la nécessité de mettre en place un ensemble cohérent de politiques contre la discrimination sexuelle et de permettre aux travailleurs de concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles, fait partie des autres thèmes centraux du rapport. La participation des femmes à la population active et à l’emploi rémunéré a continué d’augmenter dans presque toutes les régions du monde, bien que le fossé entre chômeurs et chômeuses persiste. Le taux d’activité des femmes a continué de croître d’une façon significative, de sorte que l’écart avec les hommes s’est réduit de 3,5 pour cent. Cependant, malgré les incroyables progrès réalisés par les femmes en termes de réussite scolaire partout dans le monde, celles-ci continuent à gagner moins que les hommes.

Que peut-on faire?

Pour atteindre les objectifs fixés dans le plan d’action de l’OIT, le rapport global préconise un certain nombre de recommandations à suivre. Il s’agit notamment: de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes par une action globale du BIT plus intégrée et mieux coordonnée; de placer les principes de non-discrimination et d’égalité au cœur des Programmes par pays pour un travail décent (PPTD) du BIT en tenant compte des besoins spécifiques des différents groupes de personnes; d’améliorer les législations et d’en garantir une meilleure application; de prendre des initiatives autres que d’ordre réglementaire qui soient plus efficaces, notamment en ce qui concerne la passation des marchés publics et les stratégies de prêt et d’investissement; et d’aider les travailleurs et les employeurs, à travers l’adoption de conventions collectives et de codes de conduite, à faire de l’égalité une réalité sur le lieu de travail.

Pour parvenir à l’égalité au travail, le rapport préconise notamment de compléter les mesures classiques – l’adoption de lois complètes et de mécanismes de contrôle efficaces et la mise en place d’organismes spécialisés dotés de ressources suffisantes – par la mise en œuvre d’autres instruments, tels que les politiques actives du marché du travail et des politiques qui régissent les marchés publics axées sur la non-discrimination et l’égalité.

Les politiques actives du marché du travail incluent diverses composantes: recrutement et placement, formation, programmes de création d’emplois et services d’appui divers. Elles sont utilisées dans de nombreux pays, de différentes façons et avec des résultats variables. Elles peuvent, comme le montre le rapport, «manifestement offrir des possibilités importantes de réduire les inégalités».

L’OIT a une longue expérience en matière de lutte contre la discrimination. Celle-ci va du contrôle et de l’application des conventions (nos 100 et 111), à la recherche approfondie des causes et des manifestations de la discrimination, en passant par l’aide technique apportée aux gouvernements à l’élaboration de cadres réglementaires et le renforcement de la capacité des organisations d’employeurs et de travailleurs. Le rapport souligne, qu’une «meilleure prise en compte des principes et droits fondamentaux dans les accords économiques régionaux d’intégration et de libre-échange aiderait à faire reculer la discrimination au travail».

Le rapport salue l’adoption, en juillet 2006, par le Conseil économique et social des Nations Unies, du concept de travail décent en tant qu’objectif global. L’adoption, six mois plus tard, par le Conseil de l’Union européenne, d’un ensemble de conclusions sur la promotion du travail décent dans l’Union européenne et dans le monde, vient appuyer les efforts qui visent à faire de l’égalité au travail une réalité mondiale.

Le nouveau rapport global reconnaît que la lutte contre la discrimination exige des réponses aussi bien nationales que régionales et mondiales, et s’efforce d’inscrire cette lutte dans le cadre plus large de promotion du travail décent pour tous les hommes et les femmes que l’OIT s’est fixé. Enfin, le rapport conclut par une série de recommandations dans le cadre du suivi afin de garantir la promotion de l’égalité des chances pour tous dans l’univers du travail.

Note 1 – «L’égalité au travail: relever les défis», Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail, Conférence internationale du Travail, 96e session 2007, Bureau international du Travail, Genève. Le Rapport peut être consulté sur le site Internet de l’OIT (www.ilo.org/declaration).

«L’égalité au travail: relever les défis» est le second rapport global du BIT sur la discrimination. Il examine la discrimination et les inégalités à l’œuvre sur le lieu de travail et s’intéresse aux mesures prises pour y faire face. Le rapport évalue également l’efficacité d’instruments politiques traditionnels et nouveaux, comme les politiques d’emploi actives et les marchés publics, à introduire davantage de diversité et d’égalité sur le lieu de travail. Il passe en revue les initiatives prises par les organisations d’employeurs et de travailleurs pour aborder des questions telles que l’égalité salariale dans les conventions collectives, les politiques de gestion des ressources humaines et la responsabilité sociale des entreprises. Enfin, le rapport met en avant les mesures capables de favoriser l’employabilité des personnes vulnérables à la discrimination et le placement des salariés dans les secteurs public et privé, tout en améliorant l’efficacité des marchés du travail.

Ce nouveau rapport global reconnaît que la lutte contre la discrimination exige des réponses aussi bien nationales que régionales et mondiales, et s’efforce d’inscrire cette lutte dans le cadre plus large de promotion du travail décent pour tous les hommes et les femmes que l’OIT s’est fixé. Il conclut par une série de recommandations dans le cadre du suivi afin de garantir la promotion de l’égalité des chances pour tous dans l’univers du travail.

Conventions de l’OIT

De plus en plus d’Etats s’engagent à combattre la discrimination et à promouvoir l’égalité des chances et de traitement au travail. En témoigne la ratification par la quasi-totalité des pays du monde des deux principaux instruments de l’OIT dans ce domaine, que sont la convention sur la discrimination — convention sur l’égalité de rémunération (n° 100), 1951, et la convention concernant la discrimination (emploi et profession) (n° 111), 1958. Seule une poignée d’Etats membres n’a pas encore ratifié ces conventions.

Pour consulter la liste des dernières ratifications des conventions de l’OIT, voir: www.ilo.org/public/french/standards/norm/index.htm

Mesures pour combattre la discrimination

  • Promouvoir l’égalité entre hommes et femmes par une action globale plus cohérente et mieux coordonnée.
  • Inscrire les principes de non-discrimination et d’égalité au cœur des Programmes par pays pour un travail décent (PPTD) du BIT en tenant en compte des besoins spécifiques de chaque catégorie de personnes.
  • Améliorer les législations et leur application.
  • Prendre des initiatives autres que d’ordre réglementaire plus efficaces, notamment la passation des marchés publics et les stratégies de prêt et d’investissement.
  • Aider les partenaires sociaux à faire de l’égalité sur le lieu de travail une réalité à travers la mise en place d’accords collectifs et de codes de conduite.

Points clés

  • La discrimination ancrée dans les valeurs et les normes en vigueur dans les sociétés doit être combattue et éliminée.
  • Il n’y a pas de définition unique de la discrimination, ni aucun indicateur pour en mesurer l’impact.
  • La loi seule n’a pas réussi à réduire la discrimination au travail.
  • L’égalité au travail implique la mise en place de politiques du marché du travail et de politiques antidiscriminatoires efficaces.
  • La réduction de la discrimination dans chaque pays doit pouvoir s’appuyer sur des politiques économiques et commerciales.
  • La discrimination entre hommes et femmes est la forme de discrimination la plus répandue.

Définitions

Qu’est-ce que la discrimination? Exercer une discrimination en matière d’emploi et de profession signifie que l’on traite des personnes différemment et moins favorablement en raison de caractéristiques qui n’ont pas de lien avec leur mérite, ni avec les exigences requises pour l’emploi concerné. Ces caractéristiques comprennent la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’origine nationale et l’origine sociale. La discrimination au travail est une violation d’un droit humain qui engendre un gaspillage de talent préjudiciable à la productivité et à la croissance économique, ainsi que des inégalités socio-économiques qui mettent en péril la cohésion sociale et la solidarité et font obstacle à la réduction de la pauvreté.

Quand peut-on dire qu’un traitement différent n’est pas discriminatoire? Les différences de traitement et les récompenses fondées sur les différents niveaux de productivité ne sont pas discriminatoires. Certains travailleurs et certaines professions sont plus productifs que d’autres, reflétant ainsi des compétences, des qualifications et des capacités différentes. Cela aboutit à différents résultats au travail, de façon équitable et efficace. Une différence de traitement fondée sur le mérite individuel, tel que le talent, les connaissances et les compétences, n’est pas discriminatoire. La différence de traitement visant à satisfaire les différents besoins de certains individus – et à s’assurer qu’ils bénéficient des mêmes chances – n’est pas discriminatoire. C’est ce que l’on qualifie habituellement de discrimination positive.