COVID-19: Protéger les travailleurs sur le lieu de travail

Les travailleuses de la santé toujours à pied d’œuvre, à l’hôpital comme à la maison

A l’échelle mondiale, les femmes représentent plus de 70 pour cent des travailleurs de la santé, en particulier ceux qui travaillent dans les institutions de soins. Elles sont en première ligne de la lutte contre le COVID-19. En raison de la pandémie, elles doivent faire face à une double charge en assumant à la fois des heures de travail plus longues et le travail de soins à domicile.

Editorial | 7 avril 2020
Umberto Cattaneo, Économiste, et Emanuela Pozzan, Spécialiste principal, Service du genre, de l’égalité et de la diversité & OITSIDA
A l’échelle mondiale, les femmes représentent plus de 70 pour cent des travailleurs de la santé, en particulier ceux qui travaillent dans les institutions de soins. Elles sont en première ligne de la lutte contre le COVID-19, et ces dernières semaines ont été les plus difficiles de leur vie. En raison de la pandémie, elles doivent faire face à une double charge en assumant à la fois des heures de travail plus longues et le travail de soins à domicile.

Prenons l’exemple d’Alberta Delle Grazie. Elle est infirmière en chef d’une unité de soins intensifs dans un hôpital situé au nord de l’Italie. Elle effectue de longues heures de travail, travaille parfois de nuit et a beaucoup de responsabilités. «C’était déjà difficile avant», explique-t-elle, «mais maintenant, après trois semaines en situation d’urgence à cause du COVID-19, nous sommes à bout, inquiets et épuisés émotionnellement. Bon nombre d’entre nous ont contracté la maladie, et certains en sont morts.»

Alberta a trois jeunes enfants à la maison. Elle ne les voit que deux heures par jour quand elle rentre du travail, et quand elle les voit, ce n’est pas facile pour elle. «C’est une épreuve insoutenable que de devoir mettre le corps d’une personne dans un sac, et de rentrer ensuite chez soi en faisant comme si tout allait bien», explique-t-elle.

Ce n’est là qu’un exemple des pressions émotionnelles et mentales auxquelles sont soumis jour après jour de nombreux travailleurs de la santé, hommes et femmes.

Un travailleur médical met un masque de protection en Belgique lors de la pandémie de COVID-19.
© Kenzo Tribouillard / AFP
Pour les quelque 100 millions de femmes dans le monde qui travaillent dans des institutions de santé et de soins, concilier responsabilités professionnelles et familiales a toujours été un défi. La pandémie a mis en lumière des inégalités entre les sexes qui ne datent pas d’aujourd'hui. Elle a aussi révélé et exacerbé une crise mondiale des soins de santé déjà existante.

En temps normal, les femmes effectuent en moyenne chaque jour 4h25 d’activités de soins non rémunérées, contre 1h23 pour les hommes. La pandémie, qui s’est accompagnée de la fermeture des écoles, des services de garde d’enfants et autres structures de soins, a considérablement accru le temps consacré chaque jour aux tâches domestiques non rémunérées.

Cela est particulièrement vrai pour les travailleuses de la santé qui assument seules la responsabilité de chef de famille et n’ont pas forcément d’autre choix que de s’occuper elles-mêmes de leurs enfants ou leurs de parents âgés lorsqu’elles rentrent du travail, avec le risque de leur transmettre le COVID-19.

Après trois semaines en situation d’urgence à cause du COVID-19, nous sommes à bout, inquiets et épuisés émotionnellement. Bon nombre d’entre nous ont contracté la maladie, et certains en sont morts.»

Alberta Delle Grazie, Infirmière en chef 
On dit souvent qu’en période difficile, on peut faire des choses qui auraient été inconcevables auparavant. C’est pourquoi certains gouvernements ont pris des mesures pour soutenir les travailleurs, en particulier ceux des secteurs impliqués dans les interventions d’urgence, qui n’ont pas toujours la possibilité de travailler depuis chez eux.

Ainsi, en Italie, une «prime à la garde d'enfants» pouvant atteindre jusqu’à 1 000 euros (1 104 dollars E.-U.) est allouée pour permettre aux travailleurs du secteur de la santé de payer des services de garde d’enfants à domicile. En Allemagne, en Autriche, en France et aux Pays-Bas, où les crèches, les garderies et les écoles ont en règle générale été fermées, certaines structures restent ouvertes avec un personnel minimal pour s’occuper des enfants des travailleurs des services essentiels. L’Allemagne a aussi élargi l’accès aux allocations de garde d’enfants pour les parents à faible revenu, tandis que la Corée du Sud a émis des bons à hauteur de 2 400 milliards de wons (2 milliards de dollars E.-U.) pour les ménages à faible revenu, qui, faute de crèches, doivent désormais faire appel à des services de garde d’enfants à domicile.

Il convient d’encourager d’autres mesures de ce type pour pouvoir continuer à aider les travailleuses de la santé à faire face à la tâche surhumaine qui consiste à la fois à lutter contre le COVID-19 et à prendre soin de leur famille une fois rentrées chez elles. Mais des solutions à long terme sont également nécessaires.

Cette pandémie a mis en lumière l’importance des services à la personne, qu’ils soient rémunérés ou non. Elle nous offre une occasion unique de donner la priorité aux investissements dans le secteur de la santé et des soins. Les politiques à courte vue concernant la redistribution des activités de soins non rémunérées entre hommes et femmes ainsi qu’entre les familles et l’Etat ne sont plus une solution viable ni durable.

Si nous voulons parvenir à une société plus équitable au sortir de cette crise, il faut que les femmes soient pleinement associées au processus consistant à repenser et à réorganiser le monde du travail dans la période d’après-COVID-19.