Nouveau recul de l'emploi dans le tourisme et les voyages

En janvier 2002, le BIT indiquait que les difficultés économiques et les préoccupations sécuritaires causées par les événements du 11 septembre 2001 avaient entraîné de très nombreuses suppressions d’emplois dans le secteur du tourisme et des voyages. Aujourd’hui, ce secteur se trouve de nouveau affaibli par l’épidémie de SRAS qui l’oblige à sacrifier d’autres emplois. Dirk Belau, expert au BIT, répond aux questions de Travail sur les problèmes du secteur.

Article | 17 septembre 2003

Travail: Le tourisme a déjà été victime de suppressions d’emplois considérables en 2001-02. La situation est-elle en train de s’aggraver?

Belau: Selon notre dernière analyse, l’inquiétude suscitée par la pneumopathie atypique SRAS conjuguée à la persistance du ralentissement économique, pourrait provoquer cette année la disparition de 5 millions d’emplois supplémentaires dans une industrie mondiale du tourisme et des voyages qui est déjà très ébranlée. Rappelons que celle-ci avait déjà perdu 6,5 millions d’emplois lors de la crise de 2001-02.

Travail: Quelle sera la gravité de cette nouvelle crise?

Belau: On peut d’ores et déjà dire qu’en tout, 11,5 millions d’emplois sont condamnés. Cela signifie qu’un emploi sur sept a été supprimé depuis 2001 et aucune amélioration n’est en vue. En effet, notre dernier rapport * indique que les perspectives d’une reprise ne sont guère encourageantes, car l’évolution récente de la situation semble avoir gravement compromis la capacité de l’industrie du tourisme et des voyages à créer des emplois. Les dernières estimations ne font que refroidir l’optimisme du début de l’année 2003, époque à laquelle le secteur pensait que les séquelles les plus graves du 11 septembre étaient derrière lui. Il venait de vivre une année de croissance pratiquement nulle, aggravée par les attentats commis contre des touristes en 2002

Travail: La baisse d’activité est-elle imputable au SRAS?

Belau: Le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) est en grande partie responsable du nouveau recul de l’emploi dans l’industrie du tourisme et des voyages, surtout en Asie et dans les autres régions concernées. Mais il vient s’ajouter au marasme mondial et à d’autres facteurs tels que les préoccupations sécuritaires, qui avaient déjà fait chuter le nombre d’emplois l’année dernière.

Travail: L’Asie est-elle la région la plus touchée?

Belau: Les pays ou régions directement touchées par le SRAS (Chine, Hong-kong, Singapour, Taïwan et Viet Nam) pourraient voir l’emploi reculer de plus de 30% dans le secteur du tourisme et des voyages, et leurs voisins de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie (Australie, Fidji, Indonésie, Kiribati, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Thaïlande et autres) d’environ 15%. En Thaïlande, un emploi sur neuf est menacé lorsque les voyages et le tourisme entrent en récession. Les Philippines n’ont été que modérément touchées jusqu’ici, les arrivées de l’étranger ayant diminué de 4% entre le premier trimestre 2002 et le premier trimestre 2003 malgré un bond de 13% en janvier par rapport au mois de décembre. La Malaisie, en revanche, est frappée de plein fouet : les réservations d’avion ont baissé de 40% et le taux de remplissage des hôtels de 30%, ce qui est énorme.

Travail: Et dans le reste du monde ?

Belau: Pour les régions autres que l’Asie, le BIT prévoit une baisse moyenne de 5% de l’emploi dans le tourisme, mais surtout à cause des préoccupations sécuritaires et de la lenteur de la reprise de l’économie mondiale dans son ensemble. L’industrie mexicaine du tourisme fait état d’un recul de 17,1% des réservations depuis le début de la guerre en Iraq et les États-Unis s’attendent à une baisse de 7% des recettes du secteur en 2003. En Europe, les réservations d’hôtel à Rome, Florence et Venise, villes habituellement assaillies par les touristes au printemps, auraient diminué de 50% par rapport à l’année dernière.

Travail: Et pour l’avenir, peut-on s’attendre à un rebond?

Belau: Nous prévoyons que l’emploi dans le secteur sera durablement perturbé. Plus le déclin du commerce des voyages et du tourisme se prolongera et plus la suppression définitive de certains emplois sera probable. Toutefois, le secteur pourrait peut-être s’en sortir en changeant ses méthodes de travail pour pallier la baisse des recettes. Ainsi, des stratégies de survie - reclassement, assouplissement des horaires et « formation polyvalente » - pourraient bien se mettre rapidement en place, une seule personne effectuant alors les tâches qui correspondaient auparavant à deux postes.

Travail: Qui sont les principales victimes de la baisse d’activité?

Belau : Généralement, la catégorie la plus touchée est celle du personnel le moins qualifié ou le moins bien intégré, car les employeurs s’efforcent de conserver leurs éléments les plus solides et les plus qualifiés pour traverser la crise. Les travailleurs à temps partiel, les femmes, les migrants et les jeunes sont ceux qui risquent le plus de perdre leur source de revenu tant que les affaires ne reprennent pas, et aussi d’avoir le plus de mal à trouver un autre emploi.

Travail: Que peut faire l’OIT pour remédier au déclin de l’emploi?

Belau : Les gouvernements, les employeurs et les syndicats des pays concernés devraient mettre en œuvre ou développer les solutions tripartites préconisées lors de la Réunion informelle sur les retombées des événements du 11 septembre 2001 dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme. En effet, les entreprises en difficulté trouveront dans le dialogue social tripartite l’aide et l’appui dont elles ont besoin pour pouvoir réduire temporairement leurs dépenses et ainsi se maintenir en vie tout en préservant le plus grand nombre d’emplois possible.


* - New Threats to Employment in the Travel and Tourism Industry - 2003. Dirk Belau, BIT, Genève, mai 2003.