Coup de sifflet final contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle

Alors que la Coupe du monde de football 2006 bat son plein, une ONG allemande a lancé une campagne contre la traite des êtres humains perpétrée à des fins de travail forcé et de prostitution. Même si l'arrivée de dizaines de milliers de femmes victimes de ce fléau pendant les jeux n'a pas eu lieu selon la police allemande, les organisateurs sont convaincus qu'une seule victime de la traite est une victime de trop.

Article | 15 juin 2006

Alors que la Coupe du monde de football 2006 bat son plein, une ONG allemande a lancé une campagne contre la traite des êtres humains perpétrée à des fins de travail forcé et de prostitution. Même si l'arrivée de dizaines de milliers de femmes victimes de ce fléau pendant les jeux n'a pas eu lieu selon la police allemande, les organisateurs sont convaincus qu'une seule victime de la traite est une victime de trop. À l'occasion d'une rencontre organisée la semaine dernière à Berlin, l'OIT s'est penchée sur la situation globale de la traite. Reportage de Nicola Liebert, depuis le bureau de l'OIT à Berlin.

BERLIN (BIT en ligne) - C'est une histoire rebattue. Deux femmes bulgares obtiennent une promesse d'emploi déclaré en Allemagne. Un homme leur demande de l'accompagner à un mariage et promet de leur trouver un emploi ensuite.

En lieu et place du mariage et de l'emploi qu'on leur avait fait miroiter, les jeunes filles se retrouvent prisonnières de proxénètes et violées. Leur passeport est confisqué, elles sont séparées puis enfermées dans une pièce où elles sont mises à disposition de clients. Si elles refusent d'obéir, elles sont battues.

Les histoires de ce type ne se comptent plus. En 2005, l'OIT a rendu public un rapport réalisé par Norbert Cyrus sur la traite perpétrée à des fins de travail et d'exploitation sexuelle en Allemagne. Ce document révèle que le public des pays industrialisés est encore très peu sensibilisé à la traite des êtres humains et au travail forcé. La Coupe du monde de football qui se déroule en Allemagne du 9 juin au 9 juillet 2006 est une bonne occasion de faire prendre conscience de ce fléau. A l'occasion d'autres manifestations similaires de grande envergure, une hausse de la demande a été observée dans l'industrie du sexe. Les organisations de femmes et de défense des droits de l'homme craignent donc que cet événement sportif n'entraîne une recrudescence de la traite d'êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle.

Il est difficile de recueillir des données sur la traite en raison de sa nature illégale. Selon la police, les craintes de voir arriver par dizaines de milliers des femmes victimes de ce fléau pendant les jeux n'ont pas été confirmées.

"Une seule victime de la traite est une victime de trop", proclame cependant Marion Steiner, qui préside la campagne "Coup de sifflet final contre la prostitution forcée", lancée par le Conseil allemand du statut de la femme (Deutscher Frauenrat) et co-organisée par l'OIT. "Toute forme de prostitution forcée constitue une violation des droits de l'homme", ajoute Me Steiner. "La Coupe du monde de football 2006 a servi de prétexte à cette campagne, mais nous n'entendons pas nous limiter à la durée de cet événement et à l'Allemagne."

Qui plus est, ce fléau n'existe pas que dans l'industrie du sexe. Des enquêtes de l'OIT révèlent l'existence de travailleurs forcés dans l'économie domestique, comme la garde d'enfants, l'agriculture, l'industrie agroalimentaire, la restauration, les ateliers clandestins, les fêtes foraines, le bâtiment, les transports et la distribution d'imprimés publicitaires.

Et d'après Matthias Kirchner, secrétaire général de l'Union européenne des travailleurs migrants, ce problème empire: "Sans l'agroalimentaire et dans la construction, nous sommes souvent confrontés à des cas de travail forcé, et nous constatons la dépendance totale de la victime vis-à-vis de celui qui l'exploite". Ces travailleurs reçoivent une rémunération très inférieure aux planchers fixés par la loi ou les conventions collectives, en particulier en fin de mission, où ils ne sont parfois plus payés du tout. Or ils ne sont que rarement en mesure de poursuivre leur employeur en justice.

M. Kirchner explique que "ces travailleurs n'ont personne vers qui se tourner, ne parlent pas la langue et n'ont pas un sou d'avance pour survivre. Ainsi, bien que protégés par des lois, ils ne peuvent ni revendiquer leurs droits ni retrouver leur dignité".

Répression et protection vont de pair

Au cours d'un atelier organisé au bureau de l'OIT à Berlin le 8 juin, le cas d'un cuisinier chinois a été soulevé pour illustrer ces difficultés. Recruté en Chine, cet employé détenait un permis de travail allemand. Mais arrivé à destination, ses papiers ont été confisqués, il a été enfermé et on l'a forcé à travailler de très longues journées en ne percevant presque aucun salaire. Il a fini par se rendre à un poste de police, où il a tendu un bout de papier sur lequel il avait inscrit le mot "HELP". Les policiers ont mis du temps avant de comprendre que cet homme était victime de la traite. Puis ils lui ont eux-mêmes trouvé un nouvel emploi lui permettant de rester en Allemagne pour pouvoir témoigner en justice.

Comme l'a exprimé Holger Bernsee, du bureau des enquêtes criminelles de Berlin, les fonctionnaires ministériels, agents de police, services de l'immigration, travailleurs sociaux, scientifiques et experts de l'OIT ayant participé à l'atelier ont reconnu que "la répression et la protection des victimes doivent aller de pair puisque les victimes jouent un rôle primordial pendant le procès. Nous devons recentrer notre action en nous plaçant davantage du côté des victimes".

Les victimes hommes ont beaucoup moins de programmes d'aide à leur disposition. Les participants ont donc suggéré la création d'un groupe de travail chargé de coordonner les activités menées par les autorités locales, fédérales et nationales, ainsi que les associations de la société civile, contre la traite des êtres humains et le travail forcé.

Un groupe de travail similaire oeuvre déjà contre la traite des femmes et la prostitution forcée. Le gouvernement soutient un large éventail de services tels que des formations continues spécialisées à l'intention des policiers et des magistrats. Des numéros téléphoniques d'appel d'urgence ont également été mis en service pour les victimes et les clients pendant la période de la Coupe du monde.

La campagne "Coup de sifflet final contre la prostitution forcée" recommande en outre aux gouvernements des pays de destination d'aider les pays d'origine à promouvoir l'autonomie financière des femmes et à développer l'assistance juridique et l'aide sociale. Il conseille également de mieux informer le public sur les moyens d'émigrer légalement et sans danger, ainsi que sur les procédés utilisés par les criminels pour piéger les victimes. En collaboration avec des États membres et des partenaires sociaux, l'OIT a mis sur pied des programmes de libération des travailleurs asservis dans le cadre desquels les victimes reçoivent une allocation et une assistance pour les aider à surmonter les difficultés économiques qui sont souvent à l'origine de la traite des êtres humains.

Dans le cas de nos deux femmes bulgares, l'histoire s'est bien terminée. Ces victimes ont toutes deux réussi à s'échapper. Elles sont allées à la police qui les a conduites à un centre d'aide. En tant que témoins dans une enquête de traite, elles ont reçu un hébergement et la possibilité de rester en Allemagne pendant la durée de l'enquête et du procès. Une fin relativement heureuse, mais qui aurait pu être dramatique. Beaucoup reste à faire pour empêcher que cela ne se reproduise.