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Observation (CEACR) - adoptée 2023, publiée 112ème session CIT (2024)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Venezuela (République bolivarienne du) (Ratification: 1964)

Autre commentaire sur C105

Observation
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La commission prend note des observations conjointes de la Confédération des syndicats autonomes (CODESA), la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), la Fédération des associations de professeurs d’université du Venezuela (FAPUV), la Centrale des travailleurs Alliance syndicale indépendante (CTASI), l’Union nationale des travailleurs du Venezuela (UNETE), et la Centrale unitaire des travailleurs du Venezuela (CUTV) reçues le 30 août 2023. La commission prie le gouvernement de faire part de ses commentaires à cet égard.
Article 1 a) de la convention. Imposition de peines de prison impliquant l’obligation de travailler en tant que sanction de l’expression d’opinions politiques ou de la manifestation d’une opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. La commission rappelle que plusieurs dispositions de la législation nationale peuvent donner lieu à l’application de peines privatives de liberté (presidio ou prisión) – qui comportent l’obligation de travailler en vertu des articles 12 et 15 du Code pénal et de l’article 64 du Code organique pénitentiaire – pour des infractions qui pourraient être liées à des activités à travers lesquelles les personnes expriment des opinons politiques ou manifestent une opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi, à savoir plus particulièrement:
  • Code pénal: articles 147 et 148 (offense ou manque de respect à l’égard du Président de la République ou d’un certain nombre d’autorités publiques); article 149 (dénigrement public de l’Assemblée nationale, du Tribunal suprême de justice, etc.); articles 222 et 225 (offense à l’honneur, la réputation ou le prestige d’un membre de l’Assemblée nationale ou d’un fonctionnaire public, ou d’un corps judiciaire ou politique); article 226 (preuve de la véracité des faits n’étant pas admise); et articles 442 et 444 (diffamation); et
  • Loi constitutionnelle contre la haine et pour la coexistence pacifique et la tolérance (loi no 41.274 du 8 novembre 2017): articles 20 et 21 (incitation à la haine, l’appartenance réelle ou supposée à un groupe politique déterminé constituant une circonstance aggravante de l’infraction).
La commission note que le gouvernement déclare, dans son rapport, rejeter catégoriquement toute allégation concernant une quelconque atteinte au droit à la liberté d’expression au sein de son territoire et précise qu’il n’existe aucune criminalisation des mouvements sociaux visant à exprimer des opinions politiques opposées à l’ordre politique, social ou économique établi. Il affirme que les vénézuéliens sont pleinement libres d’exercer leur droit à la liberté de pensée, au libre développement de leur personnalité et leur droit de manifester tel que cela est garanti par la Constitution. Il souligne que l’État est toutefois également tenu de veiller au respect des droits d’autrui et que certaines limitations aux droits susvisés sont prévues par la législation à cette fin. Il revient au juge de sanctionner les comportements interdits par la législation et d’imposer une peine proportionnelle au délit constaté et au dommage causé, dans le cadre d’un procès juste équitable. S’agissant du travail obligatoire pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté, la commission note que le gouvernement fournit des informations détaillées sur la possibilité de bénéficier de peines alternatives à l’emprisonnement. Le gouvernement ajoute par ailleurs que, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution en 1999, aucune peine de presidio n’a été prononcée. La commission prend note de cette information, et observe qu’aucune référence n’est faite par le gouvernement à la peine de prisión, qui comme la peine de «presidio» est une peine privative de liberté impliquant l’obligation de travailler. Elle note, par ailleurs, une nouvelle fois avec regret l’absence d’informations du gouvernement sur l’utilisation dans la pratique des dispositions de la législation nationale mentionnées ci-dessus et des sanctions imposées dans ce contexte.
À cet égard, la commission note que, dans leurs observations conjointes, la CODESA, la CTV, la FAPUV, la CTASI, l’UNETE et la CUTV soulignent le caractère purement normatif des informations fournies par le gouvernement qui se contente de faire référence à la procédure pénale existante sans évoquer une quelconque mesure prise pour mettre fin à la violation des dispositions de la convention. Les organisations syndicales indiquent que la criminalisation des protestations sociales pacifiques et de l’expression d’opinions politiques autres que celles du parti gouvernemental s’est poursuivie, le Centre pour la justice et la paix (CEPAZ) ayant documenté 523 cas de persécution et de criminalisation pour la seule année 2022. Les organisations syndicales ajoutent que de nombreux syndicalistes et dirigeants syndicaux, ainsi que des travailleurs, notamment dans le secteur public, ont été arrêtés, poursuivis et condamnés pour avoir organisé ou participé pacifiquement à des manifestations visant à la défense de leurs droits au travail, notamment pour «trahison», «terrorisme» et «incitation à la haine». De l’avis des organisations syndicales, les lois susvisées sont utilisées de manière arbitraire pour criminaliser les actions syndicales légitimes et l’exercice du droit à la liberté d’expression et de protestation pacifique.
La commission observe également que, depuis son dernier examen réalisé fin 2020, de nombreuses instances des Nations Unies ont exprimé leurs préoccupations croissantes quant aux allégations d’intimidation, de représailles et de criminalisation de personnes ayant des voix considérées comme dissidentes par rapport au gouvernement et à son programme (Rapports annuels du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCNUDH) sur la situation en République bolivarienne du Venezuela – A/HRC/53/54, 4 juillet 2023; A/HRC/50/59, 12 août 2022; et A/HRC/47/55, 16 juin 2021; Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste – communications VEN 4/2022, VEN 9/2021, VEN 7/2021, VEN 5/2020; organes conventionnels du HCNUDH et examen périodique universel). La commission note plus particulièrement que, dans son rapport sur le terrorisme et les droits humains, le Secrétaire général des Nations Unies a souligné qu’au Venezuela, le flou des définitions de certaines infractions pénales relevant de la criminalité organisée et du terrorisme a permis de stigmatiser et de criminaliser des représentants de la société civile et des médias (A/76/273, 6 août 2021). Elle note également que, dans ses observations finales de novembre 2023, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies s’est dit préoccupé par les multiples informations faisant état de graves restrictions à la liberté d’opinion et d’expression au sein de la République bolivarienne du Venezuela, en particulier de l’opposition politique au gouvernement, telles que, notamment le harcèlement, l’intimidation, la surveillance, la persécution, le recours excessif à des procédures de diffamation, les arrestations arbitraires et l’emprisonnement de journalistes, défenseurs des droits de l’homme et militants politiques considérés comme critiques à l’égard du gouvernement et de son programme et du recours à la loi no 41.274 susvisée pour restreindre la liberté d’expression (CCPR/C/VEN/CO/5, 3 novembre 2023).
La commission note également que, dans son rapport publié en septembre 2023, la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la République bolivarienne du Venezuela a indiqué que: 1) dans au moins 58 cas depuis 2020, des personnes ont été arbitrairement détenues dans le contexte d’une répression sélective d’opposants réels ou présumés au gouvernement; 2) les dirigeants syndicaux ont continué d’être persécutés, six dirigeants syndicaux ayant notamment été condamnés le 1er août 2023 à 16 ans d’emprisonnement pour terrorisme; 3) des proches des principaux suspects dans ces affaires, notamment des femmes, ont été soumis à des détentions arbitraires, sur la base d’accusations graves comme la trahison et le terrorisme; et 4) dans plusieurs cas, les personnes condamnées à des peines privatives de liberté sont restées en prison même après qu’un juge ait ordonné leur libération immédiate, cette tendance affectant de manière disproportionnée les personnes condamnées pour s’être opposées au gouvernement. La Mission internationale indépendante a également indiqué avoir des motifs raisonnables de croire que, dans le cadre de la crise économique et humanitaire persistante, le système de justice pénal vénézuélien a été utilisé pour criminaliser, faire taire et punir les critiques ou les opposants réels ou présumés du gouvernement, en particulier les journalistes, les syndicalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les militants politiques, en poursuivant ces individus sur la base d’accusations criminelles arbitraires et souvent graves, notamment sur la base de dispositions du Code pénal, de loi organique contre le crime organisé et le financement du terrorisme de 2012, et de la loi no 41.274 (A/HRC/54/57, 22 septembre 2023).
Enfin, la commission prend note des décisions et discussions tenues aux 344e, 345e, 346e et 347e sessions du Conseil d’administration (mars, juin et octobre-novembre 2022 et mars 2023) sur les développements concernant le Forum de dialogue social visant à donner effet aux recommandations adressées au gouvernement par la commission d’enquête concernant l’application de de la convention (n° 26) sur les méthodes de fixation des salaires minima, 1928, de la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 et de la convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, 1976. Elle espère que ces développements permettront également d’assurer des progrès dans l’application de la convention n° 105.
Tout en saluant les dialogues en cours, notamment dans le cadre du Forum de dialogue social, la commission déplore la poursuite de la criminalisation des mouvements sociaux et de l’expression d’opinions opposées à l’ordre politique, social ou économique établi, ainsi que l’absence répétée d’informations du gouvernement à cet égard qui nie l’existence de tels faits. Compte tenu de ce qui précède, la commission exhorte à nouveau le gouvernement à prendre sans délai des mesures efficaces, tant en droit que dans la pratique, pour mettre immédiatement fin à toute violation des dispositions de la convention, en s’assurant que toute personne qui exprime des opinions politiques ou manifeste pacifiquement son opposition à l’ordre politique, social ou économique établi ne puisse pas être condamnée à des sanctions impliquant un travail obligatoire. La commission prie à nouveau le gouvernement de fournir des informations détaillées sur l’application dans la pratique des dispositions du Code pénal, de la loi organique contre le crime organisé et le financement du terrorisme et de la loi no 41.274 susmentionnées, et de préciser le nombre de poursuites initiées sur la base de ces dispositions, la nature des sanctions imposées, et les faits ayant donné lieu aux poursuites judiciaires ou aux condamnations. Enfin, la commission prie instamment le gouvernement d’assurer la libération immédiate de toute personne condamnée à une peine de prison impliquant l’obligation de travailler pour avoir exprimé pacifiquement des opinions politiques ou s’être opposée à l’ordre politique, social ou économique établi et de fournir des informations sur tout progrès réalisé en la matière.
Enfin, se référant également à sa précédente observation, la commission prend dument note de l’adoption de la loi portant réforme partielle du Code organique de justice militaire, du 17 septembre 2021, qui prévoit qu’aucun civil ne peut être jugé devant les tribunaux pénaux ordinaires et que toute affaire les concernant doit être renvoyée devant les juridictions pénales ordinaires (art. 6 de la loi).
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