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Observation (CEACR) - adoptée 2023, publiée 112ème session CIT (2024)

Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 - Pérou (Ratification: 1994)

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La commission prend note de la réponse du gouvernement aux observations de la Confédération nationale des institutions des entreprises privées (CONFIEP), reçues en 2021. Elle prend également note des nouvelles observations de la CONFIEP, reçues le 31 août 2023, ainsi que des observations de la Centrale autonome des travailleurs du Pérou (CATP), reçues le 15 septembre 2023. La commission prie le gouvernement de transmettre ses réponses à leur sujet.
Article 3 de la convention. Droits de l’homme et droits fondamentaux. 1. Procédure judiciaire concernant l’assassinat de dirigeants indigènes de l’Alto Tamaya-Saweto. Depuis plusieurs années, la commission demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des enquêtes soient menées et des sanctions imposées à l’encontre des responsables des violents assassinats de quatre dirigeants de la communauté indigène ashaninka du village de Saweto (département d’Ucayali), survenus en septembre 2014, après qu’ils eurent dénoncé la coupe illégale de bois dans leur communauté. La commission prend note que le gouvernement indique dans son rapport que le 23 février 2023, le tribunal pénal collégial d’Ucayali a rendu une décision et condamné cinq auteurs des assassinats à 28 ans de prison pour homicide qualifié avec préméditation.
La commission note que dans ses observations, la CATP indique que: 1) le 29 août 2023, le collège de la première chambre d’appel pénale de la Cour Supérieure de Justice d’Ucayali, statuant sur un appel interjeté par les défendeurs, a décidé d’annuler le jugement du tribunal pénal condamnant les auteurs présumés du crime et d’ordonner la tenue d’une nouvelle procédure orale; 2) dans son arrêt, la Cour supérieure a établi que le jugement du tribunal de première instance n’avait pas respecté les conditions de l’appréciation des preuves indiciaires et contenait une motivation apparente qui devait être confirmée dans le cadre d’une procédure orale; 3) la Cour supérieure a en outre souligné que la procédure avait pâti de la faiblesse de l’enquête du ministère public qui n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour établir un lien entre les accusés et les faits visés par l’enquête; 4) des retards excessifs ont été enregistrés dans l’enquête sur les crimes qu’a menée le ministère public et les mesures nécessaires n’ont pas été prises pour localiser tous les auteurs des homicides malgré les informations fournies par des témoins; et 5) le ministère public a divulgué des informations relatives aux poursuites sans qu’une procédure administrative n’ait été engagée contre les procureurs en charge de l’affaire.
Enfin, la CATP réaffirme que le mobile de l’affaire était le trafic illicite de bois, favorisé par la pratique de l’«habilitación» en vigueur dans la région, qui consiste à soumettre des membres des communautés indigènes à du travail forcé et à les obliger ainsi à fournir du bois à la personne bénéficiaire de cette pratique dans le cadre d’un système générant une dette continue en échange de la fourniture de denrées alimentaires. Elle affirme également que: les auteurs des crimes n’ont pas été appréhendés, mais se trouvent toujours dans des zones proches de la communauté et continuent à se livrer des activités illicites sur le territoire de la communauté de Saweto, ce qui crée une situation d’insécurité constante pour la famille des victimes et la communauté tout entière; et certains proches des victimes qui ont déménagé en ville continuent d’être menacés et le principal porte-parole des familles des dirigeants assassinés a été victime de reglaje (représailles) dans la ville de Pucallpa.
La commission déplore profondément que dix ans après les assassinats des dirigeants indigènes de l’Alto Tamaya-Saweto, les procédures pénales pour sanctionner tous les auteurs matériels et/ou intellectuels de ces meurtres soient toujours en cours. Elle rappelle combien il est important que les procédures judiciaires soient menées à bien rapidement car la lenteur de la justice risque de constituer un déni de justice. De plus, la commission prend note avec préoccupation des nouvelles allégations relatives aux menaces et aux atteintes à l’intégrité physique visant des personnes proches des victimes. La commission rappelle qu’un climat de violence et d’impunité constitue un sérieux obstacle à l’exercice des droits des peuples indigènes inscrits dans la convention, et prie à nouveau instamment et fermement le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires et urgentes pour: i) protéger la vie et l’intégrité physique et psychologique des proches des dirigeants indigènes assassinés; et ii) mettre à disposition tous les moyens nécessaires pour que tous les auteurs matériels et/ou intellectuels de ces assassinats soient poursuivis et effectivement sanctionnés.
De même, la commission note avec regret que le gouvernement n’a pas fourni les informations demandées sur les progrès réalisés dans les enquêtes concernant les plaintes relatives à l’abattage illégal de bois et aux cas de travail forcé dans le cadre de la pratique de l’«habilitación» dans le département d’Ulcayali. La commission prie instamment le gouvernement de fournir des informations détaillées à cet égard.
2. Protection des défenseurs des peuples indigènes. En réponse aux commentaires de la commission sur la nécessité de protéger l’intégrité des peuples indigènes et de leurs dirigeants lorsqu’ils défendent leurs droits, la commission note que le gouvernement fait part de l’adoption en 2022 du Protocole de procédure du ministère public pour la prévention et l’instruction des délits aggravés contre des défenseurs des droits de l’homme, qui vise à: i) mettre en place des procédures pour prévenir tout acte délictueux lié à une atteinte aux droits légaux des défenseurs des droits de l’homme; ii) formuler des directives pour enquêter sur des délits visant ces derniers; et iii) établir des procédures pour soutenir et protéger les défenseurs, y compris leurs proches et les témoins. Selon le protocole, les peuples indigènes sont considérés comme des défenseurs des droits de l’homme.
Le gouvernement indique également que, dans le cadre du mécanisme intersectoriel pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, un registre des situations de risque pour les défenseurs des droits de l’homme a été créé. Il permet de recueillir, d’examiner et de gérer les informations sur les zones où il est plus dangereux de mener des activités pour les défenseurs des droits de l’homme, ainsi que sur les types d’attaques les plus fréquentes et ce, dans le but d’appliquer des mesures de prévention et de protection. Le mécanisme intersectoriel peut être activé par une procédure d’alerte préalable qui permet l’adoption de mesures urgentes pour éliminer ou atténuer les risques encourus par les défenseurs des droits de l’homme. Par ailleurs, la commission note que le ministère de la Justice et des Droits de l’homme a encouragé la création de tables régionales pour la protection des défenseurs des droits de l’homme afin de tenir compte des risques que ces derniers courent lorsqu’ils dénoncent des activités illégales, comme le trafic de drogue, l’abattage illégal de bois et le trafic de terres, et d’assurer le suivi de ces situations de risque. En 2023, trois tables régionales ont vu le jour dans les régions de Madre de Dios, d’Ucayali et de San Martín. Le ministère de la Justice et des Droits de l’homme a aussi mené des visites de haut niveau dans des zones considérées comme à haut risque, notamment Ucayali, Huánuco, Piura et Madre de Dios. Dans ce contexte, des membres du ministère ont rencontré des représentants indigènes de la jungle péruvienne pour échanger sur les progrès réalisés en ce qui concerne la protection des défenseurs des droits de l’homme.
La commission note que, dans ses observations, la CONFIEP se déclare fortement préoccupée par l’augmentation des activités illégales et informelles, comme l’abattage illégal de bois et l’exploitation minière illégale sur des territoires de peuples indigènes du pays, notamment parce que les peuples indigènes sont menacés lorsque, dans ce contexte, ils défendent leur territoire et l’environnement. La CONFIEP ajoute que le gouvernement ne prévoit que des mesures réactives à l’égard des défenseurs des droits de l’homme, se contentant de lancer des alertes ou de soutenir les victimes une fois que les faits sont survenus.
De plus, la commission prend note des informations du Défenseur du peuple relatives à l’assassinat du dirigeant indigène Santiago Contoricón, en avril 2023, alors qu’il venait de dénoncer des activités illégales sur le territoire asháninca dans la province de Satipo. Elle note également que, dans un communiqué conjoint publié le 30 novembre 2023, quatre ministères ont fait part de l’assassinat du dirigeant indigène Quinto Inuma Alvarado, apu de la communauté indigène de Santa Rosillo de Yanayacu (région de San Martin) alors qu’il rentrait dans sa communauté. Quinto Inuma Alvarado était un défenseur indigène de l’environnement qui, selon le journal officiel El Peruano, militait contre l’abattage illégal de bois. Selon le communiqué, la police mène une enquête approfondie sur ce crime.
Par ailleurs, la commission note que selon les observations sur la situation des droits de l’homme dans le contexte des manifestations au Pérou, publiées par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme le 19 octobre 2023, il existe plusieurs témoignages soulignant que, lors des manifestations nationales qui ont eu lieu entre décembre 2022 et septembre 2023: i) la police a fait un usage excessif de la force envers des peuples indigènes dans des régions autres que la capitale; et ii) des propos stigmatisants ont été diffusés et des actes de harcèlement raciste ont eu lieu, visant des manifestants appartenant à des communautés indigènes, surtout des femmes indigènes, et incitant à la violence. Elle note également que, d’après le rapport que la Commission interaméricaine des droits de l’homme a publié en 2023 sur la situation des droits de l’homme au Pérou dans le contexte des mouvements de protestation sociale, les participants aux manifestations qui ont débuté en décembre 2022 étaient majoritairement issus de peuples indigènes des régions d’Apurímac, d’Ayacucho, de Puno et d’Arequipa, où le plus grand nombre de victimes de violences a été enregistré.
La commission prend note avec une profonde préoccupation de ces informations qui révèlent la persistance d’actes de violence et d’atteintes à la vie des membres des peuples indigènes dans le cadre de la défense de leurs droits.
Tout en reconnaissant les différentes mesures prises par le gouvernement pour prévenir les actes de violence et mener des enquêtes à leur sujet, ainsi que pour protéger l’intégrité des défenseurs indigènes, y compris dans des zones reculées, la commission prend note avec une profonde préoccupation que ce type d’actes continue et prie par conséquent instamment le gouvernement de renforcer ses efforts pour garantir à tous les peuples indigènes et à leurs défenseurs un climat exempt de toute forme de violence. À cet égard, elle prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, enquêter sur et sanctionner l’usage excessif de la force publique contre des membres de peuples indigènes dans le contexte de manifestations organisées pour défendre leurs droits ainsi que la diffusion de propos racistes incitant à la violence. De même, la commission prie le gouvernement de renforcer le mécanisme intersectoriel pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, en particulier pour protéger les défenseurs indigènes qui dénoncent des activités illicites, comme l’abattage illégal de bois et l’exploitation minière illégale dans la région de l’Amazonie.
Article 6. Consultation. En réponse aux observations de la CONFIEP sur la nécessité de donner suite aux accords conclus à la suite de consultations, le gouvernement indique que la commission permanente multisectorielle pour la mise en œuvre du droit à la consultation, qui est rattachée au ministère de la Culture et à laquelle participent des organisations nationales de peuples indigènes, assure le suivi de tels accords. Le ministère de la Culture fournit également une assistance aux entités chargées de promouvoir la consultation sur les points essentiels d’un accord (bénéficiaires, activités à réaliser et calendrier de mise en œuvre, source de vérification, etc.). Jusqu’à septembre 2023, le secrétariat technique de la commission multisectorielle a comptabilisé un total de 1 155 accords, correspondant à 45 processus de consultation. Le gouvernement indique également qu’entre juillet 2021 et avril 2023, la Direction de la consultation préalable a formé 4 570 fonctionnaires et membres de peuples indigènes.
La commission note que le Défenseur du peuple du Pérou, dans l’annexe à son rapport qu’il a communiqué pour le quatrième cycle de l’Examen périodique universel (publiée le 28 septembre 2023), fait référence à l’absence de règlement pour mettre en œuvre la consultation des peuples indigènes en ce qui concerne des mesures législatives.
La commission encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts pour la réalisation effective des processus de consultation des peuples indigènes et le prie de fournir des informations sur les activités de la commission permanente multisectorielle pour la mise en œuvre du droit à la consultation, en expliquant de quelle façon elle assure le suivi des accords et en précisant les mesures prises en cas de non-respect des accords conclus dans le cadre des processus de consultation. Elle prie par ailleurs le gouvernement de communiquer des informations sur la procédure suivie pour consulter les peuples indigènes en ce qui concerne les mesures législatives qui pourraient les toucher directement.
Articles 7 et 15. Consultation et évaluation de l’incidence. Projets miniers. La commission note que selon les informations du gouvernement, depuis l’adoption de la décision ministérielle no 254-2021-MINEM/DM, l’entité chargée de mettre en œuvre la consultation dans le secteur minier est la Direction générale de gestion sociale (OGGS) du ministère de l’Énergie et des Mines. En 2023, la Direction générale de gestion sociale avait mené 34 processus de consultation, dont 27 liés à des projets d’exploration minière et 7 à des projets d’exploitation. La commission note que, conformément à l’article 3 de la décision, le processus de consultation peut commencer une fois que le ministère de l’Environnement a émis la certification environnementale correspondante et se prolonger jusqu’à l’autorisation de la concession minière. La Direction générale de gestion sociale ne procédera à l’identification des peuples indigènes dont les droits pourraient être affectés qu’une fois que l’instrument de gestion environnementale approuvé aura été soumis; cet instrument doit inclure des informations de la part du titulaire du droit minier sur les possibles atteintes aux droits collectifs. En outre, la commission note que le rapport que le Défenseur du peuple a publié le 28 septembre 2022 à l’occasion du quatrième cycle de l’Examen périodique universel indique que le gouvernement n’a pas garanti la consultation des peuples indigènes au cours de la phase d’évaluation de l’incidence sur l’environnement des mesures qui affectent directement les peuples indigènes.
La commission rappelle que conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la convention, les gouvernements doivent faire en sorte que, s’il y a lieu, des études soient effectuées en coopération avec les peuples intéressés, afin d’évaluer l’incidence sociale, spirituelle, culturelle et sur l’environnement que les activités de développement prévues pourraient avoir sur eux. Elle estime que pour que le processus de consultation soit complet et que les peuples indigènes disposent de toutes les informations nécessaires pour prendre une décision en connaissance de cause, il convient de veiller à la coopération des peuples concernés, tant en ce qui concerne l’évaluation de l’incidence sur l’environnement que l’évaluation de l’incidence sociale, spirituelle et culturelle du projet en question.
Par ailleurs, la commission prend note des observations détaillées de la CONFIEP sur la mise en œuvre de la consultation préalable dans le secteur minier. À cet égard, elle note que, selon la CONFIEP, la méthode d’identification des peuples indigènes à consulter et la manière dont l’affectation est évaluée manquent de clarté. Du reste, il n’existe pas non plus de cadre précis sur la façon de procéder lorsque les peuples indigènes refusent de participer aux consultations.
La commission prie le gouvernement de prendre des mesures pour identifier et surmonter les difficultés qui continuent de se poser dans la mise en œuvre de processus de consultation dans le secteur minier, et le prie de fournir des informations sur:
  • la manière dont est envisagée la coopération des peuples indigènes lors de l’évaluation de l’incidence sociale, spirituelle, culturelle et sur l’environnement de projets d’exploration ou d’exploitation minière qui pourraient affecter leurs droits;
  • les critères que le ministère de l’Énergie et des Mines utilise pour déterminer les peuples indigènes à consulter dans le cadre d’un projet;
  • les mesures prises pour sensibiliser les peuples indigènes à l’importance de la consultation et encourager leur participation à ces processus.
Article 14. Terres. La commission note avec regret que le gouvernement n’a pas fourni d’informations sur les progrès réalisés dans les processus visant à identifier et délimiter les terres que les peuples couverts par la convention occupent traditionnellement, et à octroyer les titres de propriété correspondants.
La commission prend note que le Défenseur du peuple souligne dans son rapport du 28 septembre 2022 qu’environ 1 700 communautés, indigènes ou paysannes, attendent leur titre foncier et fait référence à la nécessité de simplifier les procédures administratives en vigueur pour la régularisation des terres des communautés. Elle prend également note des observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations Unies pour le Pérou dans lesquelles il fait part de sa préoccupation face à l’insécurité juridique quant à la délivrance de titres de propriété sur les territoires indigènes et au niveau élevé de pollution due aux hydrocarbures et à l’extraction de minerais (CCPR/C/PER/CO/6).
La commission prie une nouvelle fois le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire progresser les processus visant à identifier et délimiter les terres que les peuples couverts par la convention occupent traditionnellement dans les différentes régions du pays, et à octroyer les titres de propriété correspondants. Elle le prie aussi de fournir des informations détaillées à cet égard.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
[Le gouvernement est prié de répondre de manière complète aux présents commentaires en 2024 .]
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