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Observation (CEACR) - adoptée 2023, publiée 112ème session CIT (2024)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Rwanda (Ratification: 1962)

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La commission note que le rapport du gouvernement n’a pas été reçu. Elle se voit donc obligée de renouveler ses précédents commentaires.
Répétition
Article 1 a) de la convention. Sanctions impliquant une obligation de travailler en tant que punition pour avoir exprimé des opinions politiques ou manifesté son opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. La commission a précédemment noté que plusieurs articles du Code pénal (loi organique no 01/2012/OL du 2 mai 2012) prévoient des peines d’emprisonnement, qui impliquent du travail obligatoire, dans des circonstances relevant du champ d’application de la convention (articles 116, 136, 451, 462, 463, 468 et 469). La commission a noté avec préoccupation les informations selon lesquelles des personnalités politiques d’opposition, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme avaient été poursuivis pour les dissuader d’exprimer leurs opinions. La commission a prié le gouvernement de s’assurer qu’aucune sanction pénale comportant l’obligation de travailler en prison ne peut être imposée à des personnes pour avoir exprimé pacifiquement des opinions politiques.
En ce qui concerne le travail pénitentiaire obligatoire, la commission prend note de l’indication du gouvernement dans son rapport selon laquelle un projet de loi réglementant les services correctionnels est en cours d’adoption. Ce projet de loi abrogerait l’obligation pour les détenus d’exercer les activités génératrices de revenus pour le pays, pour eux-mêmes et pour la prison, prévue à l’article 50(8) de la loi no 34/2010 du 12 novembre 2010 portant création, fonctionnement et organisation du Service correctionnel du Rwanda, afin d’éviter tout abus qui pourrait résulter de son application. Tout en prenant note de ces informations, la commission observe que l’article 35 de la loi no 68/2018 du 30 août 2018 déterminant les infractions et les peines en général, qui a remplacé le Code pénal, prévoit que les juridictions peuvent décider que le condamné accomplira une peine de travaux d’intérêt général à titre de peine principale, en lieu et place de l’emprisonnement, lorsqu’une infraction est passible d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans. La commission constate que la législation en vigueur continue de prévoir que les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement ont l’obligation d’accomplir des activités.
Législation relative aux libertés publiques et politiques. Se référant à ses précédents commentaires, la commission note avec intérêt que, conformément à la loi no 69/2019 du 8 novembre 2019 modifiant la loi no 68/2018, la diffamation à l’encontre du Président de la République et l’outrage envers les autorités du pays ont été dépénalisées. Elle note toutefois qu’en vertu de plusieurs dispositions de la loi no 68/2018, des sanctions comportant un travail obligatoire peuvent encore être imposées pour des actes liés aux libertés publiques et droits politiques et par lesquels des personnes expriment des opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. Ces dispositions sont les suivantes:
  • l’article 161 concernant l’injure publique;
  • l’article 164 concernant le crime d’incitation à la division;
  • l’article 194 qui interdit de répandre des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’état rwandais;
  • l’article 204, qui concerne l’incitation au soulèvement ou aux troubles de la population; et
  • l’article 225, paragraphes 1 et 2, qui interdit de tenir une manifestation ou une réunion de façon illégale, ou de tenir une manifestation sur le lieu public sans autorisation préalable (lorsque la sécurité, l’ordre public ou la santé ne sont pas menacés).
Législation relative aux libertés de la presse et des médias. La commission note en outre qu’en vertu de la loi no 02/2013 du 11 mars 2013 régissant les médias, «la liberté d’opinions et d’information ne doivent pas nuire à l’ordre public et aux bonnes mœurs [...]». À cet égard, la commission note que plusieurs législations adoptées ces dernières années prévoient également des sanctions comportant un travail obligatoire pour les actes par lesquels des personnes expriment des opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. Il s’agit plus particulièrement des lois suivantes:
  • la loi no 60/2018 du 22 août 2018 portant prévention et répression de la cybercriminalité prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende pour la publication des «rumeurs pouvant provoquer la peur, [...] ou pouvant faire perdre la crédibilité d’une personne» (article 39); et
  • la loi no 24/2016 du 18 juin 2016 régissant les technologies de l’information et de la communication qui interdit l’envoi de messages «gravement offensants» ou «indécents» ainsi que l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour «provoquer la nuisance, les inconvénients, ou une anxiété inutile» (article 60), et dispose que toute personne qui, sciemment ou volontairement, «publie, transmet ou fait publier sous la forme électronique n’importe quelle information d’attentat à la pudeur commet une infraction punie conformément aux dispositions du Code pénal.» (article 206).
La commission note aussi que, comme cela a été récemment souligné dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies, plusieurs organes des traités et rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont continué à exprimer de graves préoccupations au sujet des poursuites engagées contre des personnalités politiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme dans le but de les dissuader d’exprimer librement leurs opinions (A/HRC/WG.6/37/RWA/2, 13 novembre 2020, paragr. 45; lettre du 30 mai 2018 du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression; et CAT/C/RWA/CO/2, 21 décembre 2017, paragr. 52-53). Dans le cadre de l’EPU, un certain nombre de recommandations formulées par le groupe de travail, recommandations qui ont recueilli l’adhésion du Rwanda, se sont référées à supprimer les dispositions de la législation qui portent atteinte à la liberté d’expression et à la protection des journalistes et des membres des médias et de la société civile contre le harcèlement et l’intimidation (A/HRC/47/14, 25 mars 2021, paragr. 134-136).
La commission note avec une profonde préoccupation ces informations. La commission observe que les dispositions susmentionnées de la loi no 68/2018 du 30 août 2018, de la loi no 60/2018 du 22 août 2018 et de la loi no 24/2016 du 18 juin 2016, sont libellées dans des termes suffisamment larges pour pouvoir sanctionner l’expression d’opinons politiques ou la manifestation pacifique d’une opposition à l’ordre politique, social ou économique établi. Étant donné que la violation de ces dispositions est passible de sanctions pénales qui impliquent du travail obligatoire, ces dispositions relèvent du champ d’application de la convention. La commission rappelle que les garanties juridiques qui entourent l’exercice des droits à la liberté de pensée et d’expression, du droit de réunion pacifique, de la liberté d’association, et du droit de ne pas être arrêté pour un motif arbitraire, constituent une protection importante contre l’imposition de travail obligatoire en tant que sanction de l’expression d’opinions politiques ou idéologiques (Étude d’ensemble de 2012 sur les conventions fondamentales, paragr. 302). La commission prie donc instamment le gouvernement de s’assurer que les personnes qui, par des méthodes ne recourant ni à la violence ni à l’incitation à la violence, expriment des opinions politiques ou manifestent leur opposition à l’ordre politique, social ou économique établi n’encourent pas de sanctions pénales comportant l’obligation de travailler. La commission exprime le ferme espoir que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour revoir les dispositions susmentionnées de la loi no 68/2018 du 30 août 2018 déterminant les infractions et les peines en général, de la loi no 60/2018 du 22 août 2018 portant prévention et répression de la cybercriminalité et de la loi no 24/2016 du 18 juin 2016 régissant les technologies de l’information et de la communication, par exemple en limitant clairement le champ d’application de ces dispositions aux situations impliquant un recours à la violence ou une incitation à la violence, ou en abrogeant les sanctions comportant l’obligation de travailler (telles que le travail pénitentiaire obligatoire ou le travail communautaire obligatoire). Dans cette attente, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur l’application de ces dispositions dans la pratique, notamment sur le nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées, ainsi que des informations sur les faits à la base de ces poursuites.
Article 1 d). Sanctions pour avoir participé à des grèves. La commission prend note de l’adoption de la loi no 66/2018 du 30 août 2018 portant règlementation du travail qui prévoit un certain nombre de restrictions à l’exercice du droit de grève. La loi considère qu’une grève n’est légale que lorsqu’un délai de quinze jours ouvrables s’est écoulé sans que le comité d’arbitrage ait donné sa conclusion, ou lorsque l’accord de conciliation du différend collectif ou le jugement rendu ayant acquis la force exécutoire n’a pas été mis en œuvre (article 105). La commission note que l’article 118 de la loi no 66/2018 prévoit des peines d’emprisonnement d’au moins six mois, comportant un travail obligatoire, pour les travailleurs qui font grève de manière illégale. La commission note en outre l’adoption de l’arrêté ministériel no 004/19.20 du 17 mars 2020 déterminant les services essentiels qui ne doivent pas être interrompus pendant la grève ou le lock-out, qui a abrogé l’arrêté ministériel no 4 du 13 juillet 2010. La commission observe que les services liés à la communication, au transport ou à l’éducation sont toujours considérés comme des services essentiels, et que l’article 6 de l’arrêté ministériel prévoit que d’autres services peuvent être considérés comme des services essentiels «pour l’intérêt public». En outre, il est interdit aux travailleurs de faire grève dans les dix jours qui précèdent ou suivent les élections à l’intérieur du pays (article 8). La commission souhaite attirer l’attention du gouvernement sur le fait que le droit de grève ne peut être restreint ou interdit que dans les services essentiels au sens strict du terme (c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé de l’ensemble ou d’une partie de la population), dans la fonction publique (uniquement pour les fonctionnaires exerçant une fonction d’autorité au nom de l’état), ou dans les situations de crise nationale aiguë (voir Étude d’ensemble, paragr. 314). La commission prie par conséquent le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, tant en droit que dans la pratique, pour qu’aucun travailleur qui participe pacifiquement à une grève ne soit passible de sanctions pénales comportant du travail obligatoire ni condamné à de telles sanctions.
La commission espère que le gouvernement fera tout son possible pour prendre les mesures nécessaires dans un proche avenir.
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