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Observation (CEACR) - adoptée 2022, publiée 111ème session CIT (2023)

Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 - Türkiye (Ratification: 1967)

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La commission prend note des observations de la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK), reçues le 1er septembre 2021, et de la réponse du gouvernement à ces observations, reçue le 19 novembre 2021. Elle prend également note des observations de la Confédération turque des associations d’employeurs (TİSK), reçues le 7 septembre 2021. En outre, la commission note que les observations de la Confédération des syndicats turcs (TÜRK-IS) transmises par le gouvernement avec son rapport sont identiques à celles communiquées avec son précédent rapport, qui ont été traitées dans les commentaires de 2019 de la commission.
Articles 1 et 4 de la convention. Discrimination fondée sur l’opinion politique. Activités préjudiciables à la sécurité de l’État. La commission note que, en réponse à sa demande concernant l’application pratique de la loi antiterroriste et du Code pénal dans les affaires impliquant des journalistes, des écrivains et des éditeurs, le gouvernement se contente de renvoyer aux dispositions légales existantes garantissant la protection contre la discrimination antisyndicale, figurant dans la Constitution, le Code pénal et la législation du travail. Selon le gouvernement, il n’existe aucune restriction ou interdiction à l’exercice des droits syndicaux, et la détention et la condamnation judiciaire de certains syndicalistes ne devraient pas être associés à leurs activités syndicales. Le gouvernement ajoute que les procédures judiciaires sont menées dans le cadre des droits de l’homme et qu’il continue de lutter de manière efficace et décisive contre les organisations terroristes qui menacent la sécurité nationale et l’ordre public, en visant la sécurité de la vie et des biens de ses citoyens. La commission prend note de ces informations mais constate également que le gouvernement ne répond pas à son précédent commentaire. Tout en comprenant parfaitement la nécessité de mesures visant à protéger la sécurité de l’État et en rappelant qu’elles existent dans presque tous les pays, la commission est préoccupée par le fait que, en fonction de leur application dans la pratique, de telles mesures pourraient être utilisées pour limiter la protection que la convention cherche à garantir contre la discrimination fondée sur l’opinion politique. Par conséquent, la commission prie une nouvelle fois instamment le gouvernement de fournir des informations sur les affaires portées devant les tribunaux contre des journalistes, des écrivains et des éditeurs en vertu de la loi antiterroriste et du Code pénal, en indiquant le nombre d’affaires et les charges retenues ainsi que leur issue. La commission prie le gouvernement d’indiquer comment il s’assure que l’application dans la pratique de la loi antiterroriste et du Code pénal dans les affaires impliquant ces travailleurs n’entraîne pas de discrimination fondée sur l’opinion politique.
Article 1, paragraphe 1a). Discrimination fondée sur l’opinion politique. Secteur public. Procédure de recrutement. Examens oraux et enquête de sécurité. La commission note que la KESK, dans ses observations de 2021, réitère ses graves préoccupations concernant la discrimination fondée sur l’opinion politique soulevées dans ses observations précédentes et réaffirme qu’il existe une interprétation large et vague du Code pénal turc et de la loi antiterroriste en ce qui concerne le recrutement de nouveaux fonctionnaires et la carrière des fonctionnaires. En outre, la KESK: 1) réitère ses inquiétudes quant à l’impartialité, la neutralité et l’indépendance des personnes qui siègent dans les comités chargés de prendre des décisions sur l’aptitude des nouveaux fonctionnaires à être employés dans le secteur public, depuis l’introduction d’une phase d’entretiens oraux; 2) allègue que les examens oraux sont utilisés pour sélectionner ceux qui sont loyaux envers le gouvernement plutôt que ceux qui sont éligibles à la fonction publique, et que les enquêtes de sécurité et le filtrage des antécédents (qui sont étendus aux membres de la famille) sont utilisés pour bloquer ceux qui ne sont pas jugés aptes au service public; 3) indique que jusqu’en 2016, seules quelques professions entrant dans la catégorie des postes sensibles et de haut niveau nécessitaient des mesures supplémentaires, à savoir des enquêtes de sécurité et des vérifications d’antécédents; et 4) souligne qu’à la suite de l’état d’urgence, ces mesures de sécurité supplémentaires ont été appliquées à tous les secteurs et que des douzaines de personnes n’ont pas été recrutées au motif qu’une enquête judiciaire avait été ouverte contre elles dans le passé, même si elles ont été acquittées. La commission regrette de constater que le rapport du gouvernement ne contient pas d’informations sur l’adoption et l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation, suite à l’annulation par la Cour constitutionnelle du règlement sur les «enquêtes de sécurité» et les «vérifications d’antécédents». La commission prie le gouvernement de veiller à ce que, lors du recrutement dans le secteur public, toute nouvelle législation prévoyant une enquête de sécurité et des examens oraux n’entraîne pas de discrimination fondée sur les motifs énoncés dans la convention, en particulier une discrimination fondée sur l’opinion politique. Elle prie également le gouvernement: i) de décrire toute nouvelle procédure d’«enquête de sécurité» et de «vérification des antécédents» établie par la loi; et ii) de veiller à ce que les personnes alléguant une discrimination en matière de recrutement et de sélection dans le secteur public aient effectivement accès, dans la pratique, à des procédures adéquates et rapides de réexamen de leur cas et à des voies de recours appropriées.
Devoirs de loyauté, d’impartialité et de neutralité. La commission note que, dans son rapport, le gouvernement souligne que, conformément à l’article 7 de la loi no 657 sur les fonctionnaires, intitulé «Impartialité et loyauté envers l’État», les fonctionnaires ne doivent pas s’affilier à des partis politiques, ni se comporter d’une manière visant à procurer un avantage ou porter tort à un parti politique, une personne ou un groupe, et qu’ils ne doivent en aucun cas faire des déclarations et mener une action à des fins politiques et idéologiques ou participer à de telles actions. Il ajoute que les fonctionnaires sont, dans tous les cas, tenus de protéger les intérêts de l’État et ne doivent pas exercer d’activités contraires à la Constitution et aux lois nationales, qui portent atteinte à l’intégrité et à l’indépendance du pays, et qui mettent en danger la sécurité de la République de la Türkiye. La commission rappelle que, en vertu de l’article 1, paragraphe 1 a), de la convention, la discrimination fondée sur les opinions politiques est interdite. La protection des opinions politiques s’applique aux opinions exprimées ou manifestées, mais ne s’applique pas lorsque des méthodes violentes sont utilisées. En outre, les distinctions, exclusions et préférences ne sont pas toutes considérées comme des discriminations au sens de la convention; c’est le cas par exemple des mesures justifiées par la sécurité de l’État (article 4 de la convention) ou des critères exigés pour un emploi déterminé (article 1, paragraphe 2). La commission rappelle qu’il est essentiel que de telles restrictions ne dépassent pas certaines limites à évaluer au cas par cas et, à cet égard, elle renvoie le gouvernement aux paragraphes 801, 805 et 831 de son Étude d’ensemble de 2012 sur les conventions fondamentales. À la lumière de ce qui précède, la commission prie le gouvernement d’envisager: i) de définir plus précisément les devoirs d’impartialité et de loyauté des fonctionnaires et de limiter les restrictions concernant les activités politiques à des postes déterminés, établissant ainsi des règles de conduite claires, par exemple par l’adoption d’un code de conduite en consultation avec les organisations de fonctionnaires; et ii) d’adopter une liste limitée d’emplois dans la fonction publique pour lesquels les opinions politiques seraient considérées comme un critère exigé.
Licenciements massifs: Fonctionnaires, enseignants et membres du pouvoir judiciaire. Eu égard à ses précédents commentaires, la commission note que le gouvernement se réfère à nouveau en détail au cadre juridique applicable aux licenciements pendant l’état d’urgence et à la procédure de recours contre ces décisions. En ce qui concerne les recours déposés et examinés par la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, créée en 2017, la commission note les informations suivantes, tirées du site internet de la commission d’enquête, auxquelles le gouvernement fait référence dans son rapport: 1) en application des décrets-lois pris dans le cadre de l’état d’urgence, 131 922 mesures, au total, ont été prises, dont 125 678 révocations de la fonction publique; 2) le nombre de demandes soumises à la commission d’enquête était de 126 783 au 31 décembre 2021; 3) 120 703 décisions ont été rendues par la commission et le nombre de demandes en attente était de 6 080; 4) parmi les 120 703 décisions rendues entre le 22 décembre 2017 et le 31 décembre 2021, 16 060 ont été acceptées (dont 61 liées au rétablissement d’organisations dissoutes, telles que des associations, des fondations, et des chaînes de télévision) et 104 643 rejetées; et 5) 95 pour cent des demandes, au total, ont fait l’objet d’une décision. Le gouvernement indique en outre que: 1) les demandeurs peuvent obtenir des informations sur l’état d’avancement des demandes déposées auprès de la commission d’enquête et sur le résultat de la décision («acceptation» ou «rejet») au moyen d’une application dédiée; 2) la commission d’enquête rend des décisions individualisées et motivées à la suite d’un examen rapide et approfondi; et 3) sur les 33 956 membres du personnel du ministère de l’Éducation nationale qui ont été licenciés de la fonction publique en vertu des décrets-lois d’urgence, 4 360 personnes ont été réintégrées dans la fonction publique.
La commission prend également note des allégations de la KESK selon lesquelles, bien que l’état d’urgence ait été levé le 19 juillet 2018, il subsiste encore des pratiques équivalant à un état d’urgence de facto, voire à la loi martiale, dans certaines provinces et à certaines périodes. La KESK rappelle également que 4 267 de ses membres figuraient parmi ces fonctionnaires licenciés et que, bien que près de cinq ans se soient écoulés, il y avait encore, au 28 mai 2021, 2630 cas en suspens concernant des membres de la KESK à examiner par la commission d’enquête. La KESK allègue donc qu’il y a un retard délibéré dans l’examen des demandes de ses membres et réaffirme que l’examen par la commission d’enquête ne repose pas sur des critères clairs. La commission prend note de la réponse du gouvernement selon laquelle l’opinion de la KESK sur la commission d’enquête (à savoir qu’elle n’est pas un organe juridique compétent et qu’elle ne constitue pas un recours efficace) est partiale et infondée et réaffirme que la commission d’enquête procède à ses examens en termes d’appartenance, d’affiliation, de connexion ou de contact avec des organisations ou structures/entités terroristes ou des groupes définis par le Conseil de sécurité nationale comme menant des activités contre la sécurité nationale de l’État. Il indique également que les décisions prises par les autorités judiciaires sont contrôlées au moyen du système informatique UYAP (e-Justice).
La commission prie le gouvernement de veiller à ce que le mécanisme d’examen (la commission d’enquête) poursuive ses travaux dans des délais convenables et de manière efficace sur la base de critères clairs, équitables et transparents. La commission prie le gouvernement: i) de continuer à fournir des informations sur le nombre total de recours examinés par la commission d’enquête ou par les tribunaux, et sur leur issue; ii) d’indiquer si, pendant la procédure, les employés licenciés ont le droit de présenter leur cas en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant; et iii) de fournir ses commentaires concernant les allégations de la KESK sur la durée des examens concernant ses membres.
Articles 2 et 3. Non-discrimination et égalité entre hommes et femmes. Enseignement et formation professionnels et emploi. La commission accueille favorablement les statistiques détaillées fournies par le gouvernement concernant la représentation des femmes dans les professions exigeant une expertise et le nombre de femmes qui ont bénéficié de programmes de formation et de main-d’œuvre active entre 2002 et la fin mars 2021. Elle note l’indication du gouvernement selon laquelle des augmentations significatives ont été enregistrées dans les taux d’activité et d’emploi des femmes entre 2002 et 2019 et plusieurs dispositifs et programmes ont été mis en place pour encourager la participation des femmes à la formation et à l’emploi, tels que l’«Incitation supplémentaire à l’emploi», le «Soutien à la garde d’enfants», le «Projet mère au travail», le programme de conseil «Jobs Clubs» et l’«Allocation de travail à mi-temps» pour concilier travail et responsabilités familiales. Le gouvernement se réfère une fois de plus au document de stratégie et au plan d’action sur l’autonomisation des femmes (2018-2023) ainsi qu’à ses objectifs, tels que la lutte contre la ségrégation professionnelle entre les sexes. Il indique également que la phase II du Programme intitulé «Des emplois plus nombreux et de meilleure qualité pour les femmes (2019-2022)», financé par l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (SIDA) et mis en œuvre en collaboration avec le Bureau de l’OIT pour la Türkiye: 1) se concentre sur certains secteurs, notamment le textile, le commerce et les bureaux, l’alimentation, les services généraux, les travailleurs domestiques et les travailleurs à domicile; et 2) traite de la prévention de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, de l’écart de rémunération entre les sexes, de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et du leadership des femmes. Dans le cadre de ce programme, il est prévu d’organiser des formations, de réviser et de mettre en œuvre le plan d’action pour l’emploi des femmes, de réaliser une analyse pour identifier les obstacles à l’emploi des femmes, de fournir une formation au développement des entreprises et de soutenir les femmes chefs d’entreprise. La commission note que la KESK réitère ses observations concernant la diminution de la participation des femmes au marché du travail et «l’objectif du gouvernement de tenir les femmes à l’écart de la vie publique, sociale, économique et professionnelle». La KESK souligne également que le retrait de la Türkiye de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), le 1er juillet 2021, représente un problème extrêmement grave pour les femmes salariées. Dans sa réponse aux observations de la KESK, le gouvernement réitère les informations fournies sur les différents programmes visant à accroître l’emploi des femmes et fournit de nouvelles informations sur l’«Opération pour l’autonomisation des femmes au moyen des coopératives» qui a débuté en septembre 2021. Prenant note de toutes ces informations, la commission n’en observe pas moins que la participation des femmes à la population active a diminué, passant de 34,4 pour cent en 2019 à 30,8 pour cent en 2020 (ILOSTAT), et qu’elle est restée significativement faible par rapport à 68,2 pour cent pour les hommes. La commission prie le gouvernement de continuer à prendre des mesures proactives spécifiques pour: i) promouvoir l’accès effectif des femmes à un enseignement et une formation professionnels adéquats et à un emploi formel et rémunéré, y compris à des postes de niveau supérieur; et ii) permettre aux hommes et aux femmes de concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales, notamment en développant les structures d’accueil et de soutien aux enfants et aux familles; iii) de veiller à ce que les résultats des divers programmes et projets visant à autonomiser les femmes et à accroître leur participation à l’éducation, à la formation professionnelle et à l’emploi formel soient efficacement suivis, évalués et ajustés, si nécessaire.
La commission prie à nouveau le gouvernement de prendre et appliquer les mesures prises pour lutter contre les stéréotypes sexistes persistants, par exemple par des campagnes de sensibilisation et d’information, en coopération avec les partenaires sociaux, et de fournir des informations à cet égard. Elle le prie également de fournir des informations sur: i) les conclusions de toute étude évaluant le cadre législatif et les obstacles pratiques concernant l’emploi des femmes; ii) l’impact des pandémies du COVID-19 sur la participation des femmes à la population active; et iii) toute mesure corrective envisagée ou adoptée.
La commission prie à nouveau le gouvernement de fournir ses commentaires sur les allégations de licenciement ou de menaces de licenciement de femmes enceintes en raison de leur grossesse ou du fait qu’elles prennent un congé de maternité complet, et sur tout effet du congé parental sur l’emploi des femmes.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
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