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Rapport intérimaire - Rapport No. 408, Octobre 2024

Cas no 3451 (Venezuela (République bolivarienne du)) - Date de la plainte: 06-SEPT.-23 - Actif

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent la criminalisation et la judiciarisation de l’action syndicale par l’arrestation arbitraire et l’emprisonnement de plusieurs dirigeants syndicaux en dehors de toute procédure régulière

  1. 672. La plainte figure dans une communication de la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV) en date du 6 septembre 2023. La CTV et la Centrale des travailleurs et travailleuses Alliance syndicale indépendante (CTASI) ont fait parvenir de nouvelles allégations dans une communication en date du 13 juin 2024. La CTV, la CTASI et la Fédération des associations de professeurs d’université du Venezuela (FAPUV) ont envoyé des informations supplémentaires dans une communication en date du 19 septembre 2024. La FAPUV a envoyé des informations supplémentaires dans une communication en date 8 octobre 2024.
  2. 673. À sa réunion de juin 2024 [voir 407e rapport, paragr. 7], le comité a adressé un appel pressant au gouvernement indiquant que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration (1971), il pourra présenter un rapport sur le fond du présent cas, même si les informations ou observations demandées n’étaient pas reçues à temps. À ce jour, le gouvernement n’a pas envoyé d’observations.
  3. 674. La République bolivarienne du Venezuela a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 675. Dans sa communication en date du 6 septembre 2023, la CTV allègue l’arrestation arbitraire et l’emprisonnement à Carúpano, État de Sucre, de M. Robert Franco, secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’enseignement, Collège des professeurs du Venezuela (SINPRODO-CPV), qui est affilié à la CTV. L’organisation plaignante allègue que: i) l’arrestation a eu lieu dans la ville de Carúpano le 26 décembre 2020, à la suite d’une perquisition illégale effectuée dans la résidence familiale alors que M. Franco s’y trouvait, à la suite de quoi ce dernier a été porté disparu pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que l’organisation non gouvernementale Provea signale son transfert irrégulier de Carúpano à Caracas; ii) ce n’est qu’en mars 2021 que M. Franco a été déféré devant le quatrième tribunal national compétent en matière de terrorisme, qui l’a accusé de terrorisme, de haute trahison et de tentative d’homicide aggravée par ses liens supposés avec l’opération «Boycott», dont l’objectif était, selon le gouvernement, d’empêcher l’installation de l’Assemblée nationale élue en 2020; et iii) depuis lors, M. Robert Franco fait l’objet d’un procès truqué qui s’étire indéfiniment, sans qu’aucune preuve de sa culpabilité ne soit apportée, et croupit derrière les barreaux depuis plus de trois ans.
  2. 676. L’organisation plaignante allègue que la véritable raison des poursuites et de la privation de liberté dont M. Franco fait l’objet tient au fait qu’il a défendu, jusqu’au moment de son arrestation, les revendications de son syndicat dans toute la région orientale, en tant que secrétaire général du SINPRODO-CPV de Carúpano. Elle estime que l’action syndicale est ainsi criminalisée et judiciarisée et que les dirigeants syndicaux sont victimes de contraintes et d’actes d’intimidation, puisque, en détenant et en poursuivant de manière arbitraire M. Franco, on espère faire peur aux autres dirigeants syndicaux. L’organisation plaignante affirme que: i) au cours des audiences de jugement, le ministère public n’a produit aucune preuve du crime dont l’intéressé est accusé, ni démontré qu’il représente un danger pour la société justifiant son maintien en prison pendant la durée du procès; ii) le procès a été interrompu à sept reprises, dont deux fois déjà au stade des conclusions; et iii) les actions au pénal se prolongent indéfiniment du fait de la multiplication des annulations d’audience, des congés du juge, des changements de juge et autres chicaneries qui se répètent à l’infini, et M. Franco est actuellement détenu dans les geôles du quartier général de la Police nationale bolivarienne à Boleíta, commune de Sucre.
  3. 677. Dans une communication en date du 19 août 2024, la CTV, la CTASI et la FAPUV indiquent que Robert Franco a été condamné en première instance à trente ans de prison pour les crimes allégués de haute trahison, de tentative d’homicide aggravé et d’association de malfaiteurs. Les organisations plaignantes allèguent que cette condamnation pénale est injuste et constitue une violation flagrante de la liberté syndicale et affirment que: i) la sentence a été prononcée lors d’une audience publique le 9 août 2024 et publiée le 23 août; ii) M. Franco doit faire face à une sentence inhumaine, sans aucune base légale puisque la procédure pénale a été construite sur la base d’un «rapport de contre-espionnage» fabriqué de toutes pièces qui n’indique pas les actes prétendument accomplis par les personnes condamnées, et dans l’acte d’accusation, il n’y a pas d’individualisation des faits, de sorte que l’on ne sait pas quel comportement les accusés ont eu pour qu’ils puissent être poursuivis pour ces crimes; il n’y a aucune référence au moment, à la manière et au lieu où les actes criminels auraient été accomplis, ni aux ressources matérielles et humaines disponibles ou utilisées à cette fin; iii) les poursuites et la condamnation au pénal pour des crimes dont il n’existe pas la moindre trace dans le dossier, inventés dans un rapport de police et traités de manière superficielle par le ministère public, sont invraisemblables et tragiques; iv) Robert Franco est un homme qui se consacre à l’enseignement et qui a vingt-quatre ans d’activité ininterrompue dans le monde syndical; v) la condamnation de Robert Franco intervient à un moment difficile pour le pays; au 19 septembre 2024, l’ONG Foro Penal a dénombré l’arrestation de 1 834 personnes, dont des adolescents, des indigènes, des personnes handicapées et des femmes; et vi) la condamnation de Robert Franco met une fois de plus en évidence le réseau étatique identifié par la commission d’enquête, dans ce cas avec l’action combinée de la police, du ministère public et des tribunaux chargés du cas, dirigés par des juges spéciaux compétents pour les cas liés aux crimes associés au terrorisme.
  4. 678. Dans leur communication en date du 13 juin 2024, la CTV et la CTASI allèguent l’arrestation arbitraire, le 2 juillet 2021, de M. Javier Tarazona, professeur d’université et militant, spécialisé dans l’éducation, directeur de l’organisation de défense des droits de l’homme Fundaredes et président, entre 2010 et 2018, du Collège des professeurs du Venezuela, section de l’État de Táchira. Les organisations plaignantes allèguent que M. Tarazona a été arrêté alors qu’il se rendait au bureau du procureur de Coro, capitale de l’État de Falcón, pour signaler qu’il était harcelé et persécuté par des policiers de cet État. Elles précisent que l’enseignant a été accusé de terrorisme, d’incitation à la haine et de haute trahison.
  5. 679. Les organisations plaignantes allèguent également que le 11 juin 2023 M. Leonardo Azócar, secrétaire pour les questions de travail et les plaintes du Syndicat unique des travailleurs de l’industrie sidérurgique et similaires (SUTISS), et M. Daniel Romero, délégué syndical du SUTISS, ont été arrêtés et sont détenus depuis lors. Selon elles: i) les deux dirigeants syndicaux ont été convoqués à une prétendue réunion avec la direction de l’entreprise sidérurgique de l’Orénoque (Sidor) (ci-après «l’industrie sidérurgique») et à leur arrivée au lieu convenu, ils ont été arrêtés par des membres de la Direction générale du contre-espionnage militaire et conduits au siège du Conas (Commando national de lutte contre les enlèvements) de la garde nationale à Puerto Ordaz avant d’être, une heure et demie plus tard, transférés à Caracas; ii) dix jours plus tard, dans le cadre d’une manifestation organisée à Caracas pour protester contre leur disparition, le directeur du service juridique du Défenseur du peuple a confirmé le lieu où ils étaient détenus, à savoir le Centro de procesados, penados y anexo femenino de la région métropolitaine de Caracas, établissement de sécurité maximale situé à Boleíta Norte, quartier de Caracas; et iii) leurs proches ont pu communiquer avec eux trois semaines après leur arrestation.
  6. 680. Les organisations plaignantes allèguent que ces arrestations ont été motivées par la décision d’arrêter le travail à l’usine de Pellas pour protester contre les bas salaires, l’absence de services d’hospitalisation, de chirurgie et de maternité et le non-paiement des prestations sociales. Elles déclarent que les deux dirigeants affirment avoir été victimes d’actes d’intimidation et de violence et de menaces avec armes à feu de la part de membres de la garde nationale le 9 juin à l’entrée de l’usine, pendant le conflit du travail qui avait débuté le 7 juin par une manifestation d’un millier de travailleurs de l’entreprise sidérurgique. Les organisations plaignantes allèguent que, tout en n’ayant pas obtenu de réponses satisfaisantes à leurs revendications, les travailleurs ont été intimidés par les arrestations et que, quelques jours plus tard, des agents de la garde nationale se sont rendus sur les lieux de la manifestation et ont donné lecture d’une convocation à 22 travailleurs de l’entreprise sidérurgique.
  7. 681. Les organisations plaignantes affirment: i) que MM. Azócar et Romero ont été accusés d’incitation à la haine, d’association de malfaiteurs et de boycott et ont été poursuivis sans bénéficier des garanties d’une procédure régulière prévues par la Constitution, le Code de procédure pénale et d’autres lois visant à prévenir la violation des droits des citoyens; ii) qu’il a en outre été fait application de la loi sur la haine, qui permet de persécuter les dirigeants syndicaux ou politiques et que, bien que leur cas soit actuellement examiné par les tribunaux de Puerto Ordaz, MM. Azócar et Romero ont été transférés en février 2024 à la prison d’El Rodeo, un établissement pénitentiaire à haut risque destiné aux prisonniers de droit commun; et iii) que le 20 mai, à l’issue d’une nouvelle audience, aucune solution n’a été trouvée; Daniel Romero est extrêmement malade, il pèse 37 kilos et ses proches craignent pour sa vie.
  8. 682. Les organisations plaignantes évoquent la situation des dirigeants syndicaux et dirigeants d’organisations sociales Gabriel Blanco, Emilio Negrín, Reinaldo Cortes, Néstor Astudillo, Alcides Bracho et Alonso Meléndez, condamnés à seize ans de prison par un jugement rendu le 1er août 2023, et libérés à titre de mesure conservatoire, le 20 décembre 2023, du centre de détention de la Yaguara relevant de la police nationale bolivarienne. Elles allèguent que ces personnes ont été libérées sans que soit rendue une ordonnance de mise en liberté ni produit aucun autre document garantissant leur liberté en dehors du centre de détention et ont simplement été informées par le directeur du centre qu’elles étaient libres et qu’elles devaient partir; les intéressées ont récupéré leur carte d’identité sans se voir signifier les modalités de leur libération (conditionnelle ou non). Les organisations plaignantes indiquent que: i) le 8 janvier 2024, les dirigeants se sont présentés devant la deuxième cour d’appel, qui est saisie de l’appel contre la condamnation à seize ans de prison, pour s’informer de leur statut eu égard à leur libération; ils ont été informés qu’ils faisaient l’objet d’une mesure conservatoire d’interdiction de quitter le pays et d’une obligation de se présenter à la cour tous les quinze jours; ii) à cette occasion, ils ont demandé à être exclus du système d’information policière (Sistema de Información Policial) au motif qu’ils ne possédaient aucun document justifiant leur libération et ont demandé un billet de levée d’écrou, mais le tribunal a rejeté leur demande au motif qu’ils ignoraient les raisons de leur libération; et iii) à l’audience d’appel, le ministère public a confirmé la condamnation à une peine d’emprisonnement de seize ans, le juge n’ayant pas statué dans le délai imparti, si bien que les six dirigeants syndicaux et dirigeants d’organisations sociales vivent dans la crainte d’une nouvelle détention. Dans une communication datée du 24 octobre 2024, les organisations plaignantes informent que, dans une décision du 4 octobre 2024, la Cour d’appel a confirmé la condamnation à seize ans des dirigeants susmentionnés. Elles indiquent également qu’elles sont en phase de recours auprès de la dernière instance judiciaire, à savoir le pourvoi en cassation pénale, et qu’en conséquence de la confirmation de la condamnation il est possible que les dirigeants soient de nouveau détenus.
  9. 683. Les organisations requérantes allèguent également que le journaliste Carlos Julio Rojas, secrétaire général adjoint du Collège national des journalistes, a été arbitrairement arrêté le 15 avril 2024 vers 20 heures, alors qu’il se promenait avec son épouse, par des individus cagoulés circulant à bord d’une camionnette de couleur gris métallisé sans plaque d’immatriculation, qui l’ont forcé à monter dans le véhicule. Elles allèguent que M. Rojas a été victime de disparition forcée, car ses proches et ses avocats n’ont pas pu le voir pendant plus d’une semaine, et le fait qu’il était détenu au siège du Service bolivarien de renseignement a été nié malgré la présence du logo de ce service sur la photo produite par le ministère public. Les organisations plaignantes indiquent que M. Rojas a été présenté au deuxième tribunal de contrôle compétent en matière de terrorisme présidé par le juge Carlos Liendo, sans pouvoir se faire assister par ses avocats de confiance, comme le prévoit la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela.
  10. 684. Par une communication datée du 8 octobre 2024, la FAPUV allègue que depuis le 26 juillet 2024, le gouvernement a déclenché une vague de répression à l’occasion des élections présidentielles du 28 juillet 2024 et de la demande citoyenne de transparence dans le contrôle qui a suivi. La FAPUV allègue qu’en raison de la vaste répression en cours, les syndicats et dirigeants syndicaux suivants ont été persécutés ou harcelés: i) M. Régulo José Reina Monteverde, dirigeant syndical pétrolier à Temblador, État de Monagas, arbitrairement arrêté le 18 juillet 2024 à son domicile par la Direction générale du contre espionnage militaire (DGCIM) et ii) M. Julio Marín, président du Syndicat des fonctionnaires du gouvernement de l’État de Lara (SEEPEL), qui a perquisitionné son domicile et saisit de l’équipement informatique.
  11. 685. La FAPUV allègue en outre que les dirigeants syndicaux suivants ont été victimes de harcèlement de la part du Service national bolivarien de renseignements (SEBIN): M. José Texeira, président de la Fédération nationale des syndicats et associations de travailleurs du Venezuela (FENATEV) – Sucre, contre qui il y a eu également une tentative d’arrestation à Cumaná, dans l’État de Sucre; M. Jesús Malavé, dirigeant du syndicat des enseignants, victime de harcèlement devant son domicile; M. Juan Rodríguez, dirigeant du syndicat des enseignants, a également été harcelé devant son domicile; M. Camilo Torres, vice président de la Faculté des sciences infirmières de l’État de Bolívar, victime d’intimidation et de harcèlement; M. Raúl Brito, président de l’Association des Professeurs de l’Université Expérimentale de Guayana (APUNEG), État de Bolívar, membre du Conseil d’Administration de la FAPUV, harcelé devant son domicile; M. Douglas González, délégué général de l’usine CVG VENALUM, État de Bolívar: a également été victime de harcèlement devant son domicile; M. Junior Antonio Ramos Arias, délégué syndical et délégué Insasel du SIDOR, persécuté et harcelé à son domicile; Mme Janet Cuiba, secrétaire générale du Syndicat Unique National des Fonctionnaires Publics du Secteur de la Santé (SUNEP-SAS), État d’Anzoátegui a également été victime de harcèlement devant son domicile; Mme Milva Gallardo, secrétaire générale de SUNEP-SAS Amazonas a également été victime de harcèlement devant son domicile; M. José Patines et Carlos Salazar, tous deux de la Coalition syndicale, ont vu leur maison encerclée et ont été victimes de harcèlement et M. Junior Abreu, président de l’Association des enseignants UNELLEZ-Barinas affiliée à la FAPUV, a été victime de harcèlement devant sa maison à travers deux voitures de responsables armés du SEBIN et des véhicules motorisés, certains cagoulés.
  12. 686. La FAPUV exprime sa préoccupation face à la persécution et au harcèlement de ces dirigeants syndicaux de différents secteurs et régions du travail, par les organes répressifs de l’État et les forces irrégulières à leur service. Il allègue que les dirigeants susmentionnés courent le risque d’être privés de leur liberté et que, compte tenu des nombreux morts et blessés enregistrés récemment, leur intégrité physique est également menacée.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 687. Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte, le gouvernement n’ait toujours pas fourni ses observations, alors qu’il y a été invité à plusieurs reprises, notamment par un appel pressant que lui a adressé le comité à sa réunion de juin 2024. Dans ces conditions et conformément à la règle de procédure applicable [voir 127e rapport, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session (1971)], le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport sur le fond de l’affaire, sans pouvoir tenir compte des informations qu’il espérait recevoir du gouvernement.
  2. 688. Le comité rappelle au gouvernement que l’ensemble de la procédure instituée par l’Organisation internationale du Travail pour examiner les plaintes pour violation de la liberté syndicale a pour but d’assurer le respect de la liberté syndicale de jure et de facto. Si la procédure protège les gouvernements contre les allégations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître à leur tour l’importance de présenter, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité, 1952, paragr. 31.]
  3. 689. Le comité note que, dans la présente plainte, les organisations plaignantes allèguent l’arrestation arbitraire et l’emprisonnement, au cours des quatre dernières années, sans décision de justice, des dirigeants syndicaux suivants:
    • - Javier Tarazona, enseignant, militant, directeur de l’organisation de défense des droits de l’homme Fundaredes et président, entre 2010 et 2018, du Collège des professeurs du Venezuela, section de l’État de Táchira, détenu depuis le 2 juillet 2021 après avoir signalé qu’il était harcelé et persécuté par des policiers, accusé de terrorisme, d’incitation à la haine et de haute trahison;
    • - Leonardo Azócar et Daniel Romero, respectivement secrétaire pour les questions de travail et les plaintes et délégué syndical du SUTISS, détenus depuis le 11 juin 2023, accusés d’incitation à la haine, d’association de malfaiteurs et de boycott;
    • - le journaliste Carlos Julio Rojas, secrétaire général adjoint du Collège national des journalistes, détenu depuis le 15 avril 2024, présenté au deuxième tribunal de contrôle compétent en matière de terrorisme, privé du droit d’être représenté par ses avocats de confiance comme le prévoit la Constitution;
    • - Régulo José Reina Monteverde, dirigeant syndical pétrolier à Temblador, État de Monagas, arbitrairement arrêté le 18 juillet 2024 à son domicile par la DGCIM.
  4. 690. Le comité note que les organisations plaignantes font également référence à la situation d’autres dirigeants syndicaux et dirigeants d’organisations sociales qui, contrairement à ceux mentionnés ci dessus, ont été condamnés par un jugement de première instance:
    • - M. Robert Franco, secrétaire général du SINPRODO-CPV, affilié à la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), détenu depuis le 26 décembre 2020 et condamné, par un jugement de première instance rendu en août 2024, à trente ans de prison pour les crimes allégués de haute trahison, de tentative d’homicide aggravé et d’association de malfaiteurs. Les organisations plaignantes allèguent que: i) M. Franco est un enseignant qui a vingt-quatre ans d’activité syndicale; ii) la procédure pénale a été fondée sur un «rapport de contre-espionnage» fabriqué de toutes pièces qui n’indique pas les actes prétendument commis par le dirigeant syndical; iii) la condamnation, qui n’a aucune base juridique, constitue une violation flagrante de la liberté syndicale; et iv) la condamnation intervient à un moment où des milliers de personnes ont été arrêtées, y compris des adolescents, des indigènes, des personnes handicapées et des femmes. Le comité prend note du texte du jugement, fourni par les organisations plaignantes, et note que, selon les documents annexés, un appel a été interjeté à cet égard.
    • - Les organisations plaignantes évoquent également la situation de MM. Gabriel Blanco, Emilio Negrín, Reinaldo Cortes, Néstor Astudillo, Alcides Bracho et Alonso Meléndez, qui auraient été condamnés à seize ans de prison par un jugement rendu le 1er août 2023 pour conspiration contre l’État (Code pénal) et association de malfaiteurs (loi organique relative à la criminalité organisée et au financement du terrorisme). Selon les organisations plaignantes: i) ces dirigeants ont été libérés à titre de mesure conservatoire le 20 décembre 2023 sans qu’ait été délivré un billet de levée d’écrou; ii) lors de l’audience d’appel, le ministère public a confirmé la condamnation à une peine d’emprisonnement de seize ans; les intéressés ont interdiction de quitter le pays, doivent se présenter au tribunal tous les quinze jours et vivent dans la crainte de retourner en prison; iii) le 4 octobre 2024, la Cour d’appel a confirmé la peine de seize ans pour les dirigeants, ce qui signifie qu’il est possible qu’ils soient de nouveau détenus; et iv) un pourvoi en cassation pénale sera déposé.
  5. 691. Le comité note que les organisations plaignantes allèguent que tous les dirigeants ont été arrêtés et détenus de manière arbitraire, que nombre d’entre eux ont disparu après leur arrestation, que les procédures judiciaires ont été et restent entachées de graves irrégularités, que les garanties d’une procédure régulière n’ont pas été respectées et que les dirigeants condamnés à seize ans d’emprisonnement ont été libérés sans garanties. Le comité note que, selon les organisations plaignantes, les dirigeants ont été accusés et/ou condamnés pour terrorisme, incitation à la haine et haute trahison, ce qui équivaut à une criminalisation et à une judiciarisation de l’action syndicale, puisque nombre d’entre eux participaient à des actions de protestation ou de revendication syndicale.
  6. 692. Le comité prend également note des dernières allégations des organisations plaignantes, selon lesquelles, à la suite des élections présidentielles de juillet 2024, plusieurs dirigeants syndicaux et professionnels auraient subi des actes de harcèlement, de persécution, d’intimidation et de coercition de la part de fonctionnaires du SEBIN. Le comité note que, d’après ces allégations, la majorité de ces actes auraient eu lieu devant les domiciles des dirigeants et que certaines de ces habitations auraient fait l’objet de perquisitions.
  7. 693. Le comité note avec la plus profonde préoccupation ces graves allégations et le manque d’information de la part du gouvernement, malgré l’appel urgent lancé par le comité en juin 2024. Le comité prie instamment le gouvernement de lui faire parvenir dans les plus brefs délais ses observations à leur sujet.
  8. 694. Le comité rappelle que la détention de dirigeants syndicaux ou de syndicalistes pour des motifs liés à leurs activités de défense des intérêts des travailleurs constitue une grave violation des libertés publiques, en général, et des libertés syndicales en particulier. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 123.] Le comité rappelle également que le fait que tout détenu doit être déféré sans délai devant la juridiction compétente constitue l’un des droits fondamentaux de l’individu et, lorsqu’il s’agit d’un syndicaliste, la protection contre toute arrestation et détention arbitraires et le droit à un jugement équitable et rapide font partie des libertés civiles qui devraient être assurées par les autorités afin de garantir l’exercice normal des droits syndicaux. [Voir Compilation, paragr. 129.] Dans les cas impliquant l’arrestation, la détention ou la condamnation d’un dirigeant syndical, le comité, rappelant que l’intéressé devrait bénéficier d’une présomption d’innocence, a considéré qu’il appartenait au gouvernement de montrer que les mesures prises par lui n’avaient pas leur origine dans les activités syndicales de la personne à laquelle lesdites mesures s’étaient appliquées. [Voir Compilation, paragr. 158.]
  9. 695. Le comité rappelle que la commission d’enquête établie en vertu de l’article 26 de la Constitution de l’OIT pour examiner l’application par le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, entre autres conventions, a recommandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour assurer la libération immédiate de tout employeur ou syndicaliste qui pourrait être emprisonné en lien avec l’exercice des activités légitimes de son organisation. Le comité rappelle également que le Conseil d’administration examine à chacune de ses sessions, y compris lors de la session de novembre 2024 (voir document GB.352/INS/12), le rapport périodique intérimaire sur tout fait nouveau concernant le forum de dialogue social visant à donner effet aux recommandations de la commission d’enquête. Le comité fait observer que, à sa session de mars 2024, le Conseil d’administration a noté que la quatrième réunion en présentiel du forum s’est tenue en février 2024 et qu’à cette occasion les mandants tripartites sont convenus de continuer à prendre des mesures pour approfondir et renforcer le dialogue social dans le pays et ont mis à jour le plan d’action pour l’application des recommandations de la commission d’enquête.
  10. 696. Le comité note que, comme l’indique ledit rapport du Conseil d’administration, à la quatrième réunion du forum, les organisations de travailleurs ont évoqué la persistance d’un climat de persécution des syndicats et de criminalisation des manifestations et ont dénoncé l’arrestation, le 17 janvier 2024, de M. Victor Venegas, président de la Fédération nationale des syndicats et collèges d’enseignants du Venezuela, ainsi que la perquisition du siège du syndicat en l’absence de mandat judiciaire, ont parlé des syndicalistes détenus pour des questions liées à l’exercice de l’activité syndicale et ont demandé la libération sans condition des syndicalistes libérés en décembre 2023 et la régularisation de leur situation juridique.
  11. 697. Le comité note que, dans le plan d’action de février 2024, les mandants tripartites sont convenus que, dans le cadre de la collaboration entre les pouvoirs, le ministère du Pouvoir populaire pour le processus social du travail tiendrait des réunions avec le ministère public ainsi qu’avec les organisations d’employeurs et de travailleurs afin de recueillir des informations sur les cas de détention et les procédures judiciaires ou les mesures conservatoires/de substitution qui seraient liées à l’exercice d’activités syndicales. Prenant dûment note de ce qui précède, le comité prie instamment le gouvernement de veiller à ce que les allégations relatives au présent cas soient traitées dès que possible dans le cadre de ces réunions.
  12. 698. Le comité note que, lors de la session du Conseil d’administration de mars 2024, le gouvernement a indiqué que M. Victor Venegas était sorti de prison.
  13. 699. Le comité note également que, selon des informations du domaine public, M. Leonardo Azócar a été libéré le 21 juin 2024.
  14. 700. En outre, le comité observe avec préoccupation la condamnation récente à trente ans de prison du dirigeant syndical Robert Franco pour des activités prétendument liées aux revendications de son syndicat, en tant que secrétaire général du SINPRODO-CPV, Carúpano. Rappelant que le fait d’intenter des poursuites pénales et de condamner à l’emprisonnement des dirigeants syndicaux en raison de leurs activités syndicales n’est pas propice à l’établissement d’un climat de relations professionnelles harmonieux et stable [voir Compilation, paragr. 155], le comité prie le gouvernement de le tenir informé de la procédure d’appel en cours et de lui transmettre la copie du jugement dès qu’il aura été rendu.
  15. 701. Par ailleurs, le comité prie le gouvernement d’indiquer si M. Javier Tarazona et MM. Daniel Romero, Carlos Julio Rojas et Régulo José Reina Monteverde font toujours l’objet de mesures privatives de liberté et de préciser les faits qui leur sont reprochés, en fournissant des copies des éventuelles condamnations prononcées ainsi que des informations à jour sur l’état d’avancement de leurs procès.
  16. 702. Le comité prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les personnes en détention, en attente de jugement ou condamnées en raison de leurs activités syndicales, notamment les dirigeants syndicaux et les dirigeants d’organisations sociales MM. Daniel Romero, Javier Tarazona, Carlos Julio Rojas, Régulo José Reina Monteverde, Robert Franco, Gabriel Blanco, Emilio Negrín, Reinaldo Cortes, Néstor Astudillo, Alcides Bracho et Alonso Meléndez, soient libérées sans condition et que les charges retenues contre elles soient abandonnées. Le comité rappelle qu’un mouvement syndical libre ne peut se développer que dans un régime garantissant les droits fondamentaux, y compris notamment le droit pour les ouvriers syndiqués de se réunir dans les locaux syndicaux, le droit de libre opinion exprimée par la parole et la presse, et le droit pour les travailleurs syndiqués de bénéficier, en cas de détention, des garanties d’une procédure judiciaire régulière engagée le plus rapidement possible. [Voir Compilation, paragr. 76.] Rappelant également qu’il convient d’adopter toutes les mesures adéquates pour garantir que, quelle que soit la tendance syndicale, les droits syndicaux puissent s’exercer normalement, dans le respect des droits fondamentaux de l’homme et dans un climat exempt de violence, de pressions, de crainte et de menaces de tous ordres [voir Compilation, paragr. 73], le comité prie le gouvernement de communiquer dans les plus brefs délais ses observations sur les dernières allégations de nombreux actes d’intimidation et de harcèlement à l’encontre de dirigeants syndicaux.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 703. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité note avec la plus profonde préoccupation les graves allégations relatives au présent cas et le manque d’information de la part du gouvernement, malgré l’appel urgent lancé par le comité en juin 2024. Le comité prie instamment le gouvernement de communiquer sans délai ses observations à leur sujet.
    • b) Le comité prie instamment le gouvernement de veiller à ce que les allégations relatives au présent cas soient traitées dès que possible dans le cadre des réunions prévues dans le plan d’action convenu lors de la quatrième réunion du forum de dialogue social.
    • c) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de la procédure d’appel en cours concernant M. Robert Franco et de lui transmettre la copie du jugement dès qu’il aura été rendu.
    • d) Le comité prie le gouvernement d’indiquer si M. Javier Tarazona et MM. Daniel Romero, Carlos Julio Rojas et Régulo José Reina Monteverde font toujours l’objet de mesures privatives de liberté et de préciser les faits qui leur sont reprochés, en fournissant des copies des condamnations prononcées ainsi que des informations à jour sur l’état d’avancement de leurs procès.
    • e) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les personnes en détention, en attente de jugement ou condamnées en raison de leurs activités syndicales, notamment les dirigeants syndicaux et les dirigeants d’organisations sociales MM. Daniel Romero, Javier Tarazona, Carlos Julio Rojas, Régulo José Reina Monteverde, Robert Franco, Gabriel Blanco, Emilio Negrín, Reinaldo Cortes, Néstor Astudillo, Alcides Bracho et Alonso Meléndez, soient libérées sans condition et que les charges retenues contre elles soient abandonnées.
    • f) Rappelant que toutes les mesures appropriées doivent être prises pour garantir que, quelle que soit la tendance syndicale, les droits syndicaux puissent s’exercer normalement, dans le respect des droits fondamentaux de l’homme et dans un climat exempt de violence, de pressions, de crainte et de menaces de tous ordres, le comité prie le gouvernement de lui fournir dans les plus brefs délais ses observations sur les dernières allégations de nombreux actes d’intimidation et de harcèlement à l’encontre de dirigeants syndicaux.
    • g) Le comité attire l’attention du Conseil d’administration sur le caractère grave et urgent du présent cas.
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