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Rapport intérimaire - Rapport No. 400, Octobre 2022

Cas no 3263 (Bangladesh) - Date de la plainte: 26-FÉVR.-17 - Actif

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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent des violations graves des droits syndicaux par le gouvernement: arrestation et détention arbitraires de dirigeants syndicaux et de militants, recours à des menaces de mort et à des violences physiques au cours de la détention, accusations pénales infondées, surveillance, représailles, intimidation et ingérence dans les activités syndicales, recours excessif aux forces de police lors de manifestations pacifiques et absence d’enquête sur ces allégations

  1. 80. Le comité a examiné ce cas (présenté en février 2017) pour la dernière fois à sa réunion d’octobre-novembre 2020 et, à cette occasion, a présenté un rapport intérimaire au Conseil d’administration. [Voir 392e rapport, paragr. 266-287, approuvé par le Conseil d’administration à sa 340e session  .]
  2. 81. La Confédération syndicale internationale (CSI) a fourni des informations complémentaires dans une communication en date du 4 mars 2022.
  3. 82. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications du 24 mai 2021 et du 29 mai 2022.
  4. 83. Le Bangladesh a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 84. À sa réunion d’octobre-novembre 2020, le comité a formulé les recommandations ci-après sur les questions en suspens [voir 392e rapport, paragr. 287]:
    • a) Le comité veut croire que les deux procédures en instance engagées contre des travailleurs à la suite de la grève d’Ashulia de 2016 seront menées à bien sans autre délai et prie le gouvernement de le tenir informé de leur issue.
      • b) Le comité encourage le gouvernement à prendre d’autres mesures concrètes pour améliorer la formation des policiers sur l’aspect spécifique des arrestations et détentions arbitraires et pour renforcer l’obligation de rendre des comptes pour toute violation à cet égard, afin que les syndicalistes ne fassent plus l’objet de mesures arbitraires d’arrestation et de détention. Le comité prie le gouvernement de fournir des informations sur la nature et le contenu de toute formation fournie ou prévue à cet égard.
      • c) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que des instructions et une formation claires soient données aux policiers, y compris l’élaboration de modules de formation sur les droits syndicaux et toute autre mesure appropriée, afin de prévenir efficacement, à l’avenir, l’ingérence de la police dans les activités syndicales.
      • d) Le comité prie instamment le gouvernement de diligenter une enquête indépendante – menée par une institution indépendante de celle qui serait impliquée – concernant les allégations de menaces de mort, violences physiques et bastonnades dont auraient été victimes des syndicalistes arrêtés et détenus à la suite de la grève d’Ashulia de 2016, ainsi que dans tous les autres cas présumés d’intimidation et de harcèlement par la police au cours de la même période, et de le tenir informé des mesures prises à ce sujet. Le comité invite à nouveau les organisations plaignantes à fournir toutes informations pertinentes additionnelles aux autorités nationales compétentes, afin qu’elles puissent diligenter une enquête en toute connaissance de cause.
      • e) Le comité prie le gouvernement de diligenter sans retard une enquête indépendante sur l’usage excessif de la force dont aurait fait preuve la police durant les manifestations de 2018-19, faisant au moins 80 blessés parmi les travailleurs, et de l’informer des conclusions et des mesures prises à la suite de cette enquête. Le comité prie aussi le gouvernement de le tenir informé du résultat de l’enquête en cours sur le décès d’une travailleuse et des mesures prises en conséquence. Le comité veut croire que ces enquêtes seront menées sans délai et aboutiront à des résultats concrets permettant d’établir les faits de manière incontestable et d’identifier leurs auteurs, de manière à pouvoir appliquer les sanctions appropriées et s’employer à éviter leur répétition à l’avenir.
    • f) Le comité prie le gouvernement de préciser si les 13 affaires en instance auprès de la police en rapport avec les manifestations de 2018-19 ont finalement donné lieu à des poursuites pénales contre un travailleur ou si elles ont été classées sans suite, et de fournir des informations actualisées sur l’état d’avancement de toutes les arrestations de travailleurs ayant participé aux manifestations de janvier 2019.
      • g) Compte tenu de la gravité et du caractère répété des allégations dans le présent cas, le comité encourage le gouvernement à intensifier ses efforts pour fournir une formation concrète, régulière et complète aux policiers et autres agents de l’État concernés sur les questions des libertés publiques, des droits de l’homme et des droits syndicaux, afin d’éviter l’usage excessif de la force et de garantir le plein respect des libertés publiques lors des assemblées et manifestations publiques, ainsi que l’obligation, pour les auteurs d’éventuelles violations, d’en rendre pleinement compte.
      • h) Le comité prie le gouvernement de fournir des observations détaillées au sujet des allégations complémentaires soumises par les organisations plaignantes, en particulier en ce qui concerne les affaires pénales qui seraient en cours contre des centaines de travailleurs à la suite des manifestations de 2018-19 relatives au salaire minimum.

B. Informations complémentaires soumises par les organisations plaignantes

B. Informations complémentaires soumises par les organisations plaignantes
  1. 85. Dans sa communication datée du 4 mars 2022, la CSI fournit des informations complémentaires dans lesquelles elle dénonce le fait que le gouvernement n’a pas diligenté d’enquête indépendante sur les allégations précédemment rapportées d’agressions physiques et d’autres formes de violence contre des syndicalistes, des travailleurs et des militants, ainsi que le fait que le gouvernement n’a pas garanti l’accès à des voies de recours efficaces, ce qui, selon elle, a entraîné la poursuite des agressions contre les travailleurs qui veulent exercer leur droit à la liberté syndicale et a renforcé la culture de l’impunité au sein des forces de sécurité. En particulier, la CSI fait état d’attaques contre l’exercice du droit de constituer des syndicats et d’y adhérer perpétrées par les employeurs et ajoute que la répression policière et le système de justice pénale sont utilisés pour dissuader systématiquement l’exercice des droits syndicaux, notamment par l’ingérence de la police dans l’exercice du droit à la liberté syndicale, les attaques antisyndicales et la criminalisation des activités syndicales.
  2. 86. En ce qui concerne les attaques présumées contre l’exercice du droit de constituer des syndicats et d’y adhérer, les organisations plaignantes présentent en particulier les allégations suivantes:
    • Un travailleur d’une usine de production de vêtements – Romo Fashion Today Limited (usine A) – a été contraint de démissionner, a été inscrit sur la liste noire du site Internet de l’entreprise pour le punir d’avoir voulu former un syndicat et n’a été employé par aucune usine depuis lors. Il aurait essayé de former un syndicat pour faire évoluer les conditions de travail difficiles dans l’usine, notamment des journées de 16 à 18 heures et un environnement de travail tendu, les travailleurs qui protestaient étant invités à démissionner. Le travailleur et ses collègues ont déposé une plainte contre l’employeur auprès du tribunal du travail, mais elle a été rejetée en juillet 2021. Le Département de l’inspection des usines et des établissements (DIFE) n’a pas encore diligenté d’enquête sur cette question.
    • Lorsque, en 2016, un travailleur a tenté de former un syndicat dans une grande entreprise de construction navale – Crystal Ships Limited (Bilash Office) (entreprise B) – il a recueilli l’adhésion de 30 pour cent des travailleurs et a été invité par le ministère du Travail à informer la direction de sa décision de constituer un syndicat. Après avoir rempli cette formalité, l’initiateur du mouvement a été licencié, placé sur une liste noire et n’a plus été employé dans l’industrie de la construction navale depuis lors. Bien que ce cas ait été porté à l’attention du DIFE, il n’a fait l’objet d’aucune enquête.
    • Un représentant des travailleurs d’une usine d’exportation de cuir – Dhaka Hide and Skins Limited (usine C) – située dans le parc industriel de Lather à Hemayetpur (Savar), a été inscrit sur une liste noire et licencié sans préavis ni justification après 20 ans de service, en guise de sanction pour ses activités syndicales. Suite à son licenciement, les travailleurs de l’usine ont engagé une action de protestation et cessé le travail, ce qui a entraîné le licenciement de 25 autres travailleurs. Une plainte a été déposée auprès du tribunal du travail et du DIFE, mais elle n’a pas encore été examinée.
  3. 87. En ce qui concerne les allégations d’attaques antisyndicales et d’ingérence constante de la police dans l’exercice du droit à la liberté syndicale, les organisations plaignantes signalent les incidents ci-après et allèguent que le gouvernement n’a pas veillé à ce que les attaques contre des travailleurs manifestant pacifiquement fassent l’objet d’une enquête et que les officiers de police répondent de leurs actes:
    • En avril 2021, au moins cinq personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées lorsque la police a ouvert le feu sur une foule de travailleurs qui manifestaient et réclamaient le versement des salaires impayés et une augmentation de salaire dans une centrale électrique à Chittagong.
    • En mai 2021, une vingtaine d’ouvriers de l’industrie de la confection ont été blessés dans la zone industrielle de Tongi, à Gazipur, lorsque la police a ouvert le feu et les a chargés avec des matraques. Les manifestants réclamaient une extension des jours fériés religieux.
    • En juin 2021, un travailleur de l’industrie de la confection a été tué et de nombreux autres blessés lorsque la police a attaqué une manifestation de travailleurs d’une usine de production de vêtements – Lenny Fashions and Lenny Apparels (usine D) – dans la zone franche d’exportation de Dhaka, à Ashulia. Les travailleurs manifestaient pour exiger le paiement de leurs salaires après la fermeture de l’usine.
    • En septembre 2021, la police a interrompu une réunion de la Fédération syndicale indépendante des travailleurs de la confection du Bangladesh (BIGUF), affiliée à IndustriALL, à Chittagonga; la fédération avait l’intention de créer un comité régional. Il est allégué que des policiers, dont certains étaient en civil, ont bloqué le portail et empêché les participants d’entrer dans les locaux pour vaquer à leurs occupations.
    • En février 2022, des travailleurs d’une usine de confection – Tivoli Apparels Ltd (usine E) – ont protesté contre un directeur de production qui aurait harcelé une travailleuse. En réponse, la direction a appelé la police, qui a tiré au moins 10 salves de grenades assourdissantes, 30 salves de fusil et 6 salves de grenades lacrymogènes pour disperser les travailleurs, faisant au moins 10 blessés.
    • En février 2022, la police industrielle de Gazipur a attaqué 500 travailleurs d’une usine de confection – Gooryang Fashion (usine F) – à coups de matraque et de grenade assourdissante, blessant au moins 20 personnes. Les travailleurs protestaient contre le licenciement de certains de leurs camarades et la fermeture de l’usine.
  4. 88. En ce qui concerne les allégations de criminalisation des activités syndicales, les organisations plaignantes évoquent la situation dans deux usines de confection – Crossline Factory Pvt. Ltd et Crossline Knit Fabrics Ltd (usines G et H) – où, en août 2021, en réponse à la formation de deux syndicats et au dépôt de demandes d’enregistrement, la police industrielle a engagé des poursuites pénales contre le secrétaire général de la Fédération des travailleurs du textile et de l’industrie du Bangladesh (BGIWF), et contre 24 autres dirigeants et membres du syndicat, ainsi que contre plus de 100 travailleurs et environ 70 personnes dont les noms ne sont pas connus. Selon les organisations plaignantes, les allégations formulées contre le secrétaire général visaient à le harceler parce qu’il aurait aidé des travailleurs à former des syndicats dans les deux usines, et la criminalisation de la situation lui fait courir, ainsi qu’aux autres dirigeants et membres du syndicat, le risque d’être arrêté à tout moment et d’être poursuivi en justice. Les syndicalistes concernés devraient alors être libérés sous caution, les conditions de cette libération restreignant le libre exercice des droits syndicaux puisqu’ils seraient soumis à la menace d’une poursuite de la campagne de harcèlement et de poursuites judiciaires.
  5. 89. En conclusion, les organisations plaignantes expriment leur profonde préoccupation quant à la non-application par le gouvernement des précédentes recommandations du comité concernant le présent cas et considèrent que la situation ne s’est pas améliorée depuis le dépôt de la plainte. Au contraire, elles allèguent que le gouvernement continue de recourir à la police et aux autres forces de sécurité, ainsi qu’au système de justice pénale, pour priver les travailleurs de l’exercice de leurs droits syndicaux et qu’il n’a donc pas réussi à créer un climat de respect des libertés publiques, notamment de la liberté d’expression et de la liberté de réunion.

C. Réponse du gouvernement

C. Réponse du gouvernement
  1. 90. Dans ses communications datées du 24 mai 2021 et du 29 mai 2022, le gouvernement présente ses observations sur les précédentes recommandations du comité, ainsi que sur les allégations complémentaires formulées par les organisations plaignantes.
  2. 91. Le gouvernement indique que, en ce qui concerne les deux procédures en instance engagées contre des travailleurs à la suite de la grève d’Ashulia de 2016, elles sont toutes deux au stade du recueil de témoignages et qu’elles ont pris du retard en raison de la pandémie de COVID-19. Pour ce qui est de la demande du comité de diligenter une enquête indépendante sur les allégations de menaces de mort, violences physiques et bastonnades dont auraient été victimes des syndicalistes arrêtés et détenus à la suite de la grève d’Ashulia de 2016, le gouvernement indique que les mécanismes d’enquête existants prévoient systématiquement un examen indépendant de ce type d’allégations et qu’il est possible à tout moment de leur soumettre, à propos des allégations formulées, toute nouvelle information complémentaire étayée.
  3. 92. En ce qui concerne les manifestations pour le salaire minimum de 2018-19, le gouvernement réaffirme que des biens privés ont été endommagés dans la région de Dhaka, que la police n’a utilisé qu’une force minimale pour protéger la vie et les biens des civils et que 84 travailleurs ont été arrêtés avant d’être libérés sous caution. Il ajoute que 36 procédures ont été engagées contre des travailleurs par la police ou la direction au motif que des véhicules ont été vandalisés et des biens détruits, mais que 23 d’entre elles ont été ou sont en passe d’être abandonnées, que 3 n’étaient pas liées aux manifestations, que 4 n’ont pas été poursuivies par la direction, qu’une n’a plus d’objet puisque l’usine a fermé, et donc que 5 procédures seulement sont en cours. Le gouvernement réaffirme que dès que la police engage une procédure, des vérifications préliminaires sont effectuées, à la suite desquelles, soit l’affaire est classée sans suite, soit, si des motifs suffisants sont trouvés, l’auteur présumé est poursuivi. A l’heure actuelle, aucune charge n’a été retenue dans aucun des cas susmentionnés et aucun travailleur n’est en prison.
  4. 93. Le gouvernement fournit en outre des informations sur la formation des agents de police, indiquant que les policiers suivent des cours de base et une formation continue, portant notamment sur les droits de l’homme, les libertés publiques et les droits syndicaux, et que chaque policier reçoit par ailleurs une formation sur les droits de l’homme, les droits fondamentaux et les droits constitutionnels durant les cours de base. Le gouvernement se réfère également à la feuille de route des mesures à prendre dans le secteur du travail  élaborée en coopération avec le Bureau, qui prévoit l’organisation régulière de formations destinées à sensibiliser les agents de sécurité des usines, les policiers et les employeurs à la prévention de la violence, du harcèlement, des pratiques déloyales en matière de travail et des actes antisyndicaux; l’élaboration et la mise à jour régulière d’une base de données en ligne récapitulant les différents programmes de formation proposés et leurs caractéristiques, ainsi que le nombre de participants parmi les agents de sécurité des usines, les policiers, les employeurs et les travailleurs; l’élaboration d’un recueil en bangali de l’ensemble des lois, règles et règlements existants et pertinentes concernant le recours minimal à la force et les sanctions ou peines applicables en cas de violation avérée, afin de former et de sensibiliser la police industrielle et les autres organismes compétents chargés de faire respecter la loi; la poursuite de la fourniture, à la police industrielle et aux autres organismes compétents chargés de faire respecter la loi, d’une formation et d’instructions claires sur le recours minimal à la force, le respect des droits de l’homme et des droits au travail, notamment les droits syndicaux et les libertés publiques, pendant les manifestations syndicales.
  5. 94. Pour ce qui est des allégations d’attaques contre l’exercice du droit de former des syndicats et d’y adhérer, le gouvernement fournit les informations suivantes:
    • Concernant la situation dans l’usine A (allégation de démission forcée et d’inscription sur une liste noire d’un travailleur en raison de ses activités syndicales), le gouvernement indique qu’en février 2019 le secrétaire général du syndicat de l’usine a déposé une plainte auprès du Bureau divisionnaire du travail à Dhaka, alléguant que lui-même et d’autres travailleurs avaient été contraints de démissionner en raison de leurs activités syndicales. Le ministère du Travail a répondu à la plainte en constituant une équipe d’enquête composée de deux membres (un directeur adjoint et un fonctionnaire chargé des questions de travail), qui a recommandé d’engager une procédure judiciaire pour pratiques de travail déloyales de la part de l’employeur. En janvier 2020, le ministère du Travail a engagé une procédure pénale au nom des travailleurs, mais en janvier 2021, les accusés ont été acquittés des charges retenues contre eux au motif que les travailleurs concernés avaient signé un protocole d’accord et reçu les salaires qui leur étaient dus.
    • En ce qui concerne la situation dans l’entreprise B (allégation de licenciement et d’inscription sur une liste noire d’un travailleur en raison de ses activités syndicales), le gouvernement indique que plusieurs travailleurs licenciés ont demandé le paiement des salaires qui leur étaient dus dans le cadre d’une procédure tripartite de règlement à l’amiable. Le DIFE a organisé une rencontre entre l’entreprise et les travailleurs mais, faute d’accord, il a été conseillé aux travailleurs de saisir le tribunal du travail. Toutefois, avant que le tribunal soit saisi, la direction s’est engagée à réintégrer les travailleurs, et il ressort d’une visite d’inspection effectuée par le DIFE en mars 2022 que les travailleurs concernés étaient à leur poste dans l’usine.
    • En ce qui concerne la situation dans l’usine C (allégation de licenciement d’un représentant des travailleurs et de 25 autres travailleurs en raison de leurs activités syndicales), le gouvernement indique qu’aucune plainte n’a été déposée contre l’usine auprès du DIFE et que, bien que la direction de l’usine, la police et le président et le secrétaire général du syndicat aient tenté de signer un accord, ils ne sont pas parvenus à un consensus. Les représentants syndicaux ont également confirmé qu’aucune plainte n’avait été déposée auprès du DIFE au nom du travailleur mais que le tribunal du travail avait été saisi et que ce dernier avait tenu sa dernière audience en mai 2022.
  6. 95. Pour ce qui est des allégations d’attaques antisyndicales et d’ingérence constante de la police dans l’exercice du droit à la liberté syndicale, le gouvernement fournit les précisions suivantes:
    • En ce qui concerne l’incident à l’usine D (allégation d’attaque de la police contre des travailleurs qui participaient à une manifestation, au cours de laquelle un travailleur de la confection a été tué et plusieurs autres blessés), le gouvernement indique que, le 13 juin 2021, de nombreux travailleurs se sont rassemblés sur un pont de l’autoroute Dhaka-Tangail pour réclamer le paiement d’arriérés de salaires et des indemnités, lorsqu’une travailleuse s’est sentie mal et a été transportée à l’hôpital. Le gouvernement indique qu’elle a été déclarée décédée des suites de blessures de nature à provoquer la mort. L’autorité de la zone franche d’exportation du Bangladesh a pris des mesures immédiates pour prendre en charge les frais médicaux de l’intéressée, ainsi que les frais d’ambulance et d’inhumation. Elle a également organisé une réunion entre la direction de l’usine et la famille de la travailleuse en présence de la police. La direction a versé à la famille les indemnités, les prestations d’assurance et les salaires dus, pour un montant total de 3 172 dollars des États-Unis. L’autorité de la zone franche a pris d’autres mesures pour résoudre les problèmes qui avaient conduit aux manifestations initiales et a offert des services de conseil aux travailleurs à plusieurs reprises. Selon le gouvernement, d’excellentes conditions de travail règnent dans toutes les zones d’exportation.
    • En ce qui concerne l’incident survenu en février 2022 à l’usine E (allégation de dispersion par la police de travailleurs qui manifestaient, qui a fait dix blessés), le gouvernement indique que pour protester contre le harcèlement d’une travailleuse par la direction, les travailleurs ont cessé le travail pendant trois jours. Après des négociations avec le gouvernement, l’Association bangladaise des fabricants et exportateurs de vêtements, les dirigeants des fédérations syndicales et les forces de l’ordre, tous les travailleurs, sauf ceux d’un étage de l’usine, ont repris le travail. Considérant cette action comme illégale, la direction a fermé l’usine sine die, conformément aux dispositions de la loi sur le travail du Bangladesh, ce qui a déclenché de nouvelles manifestations. Le conflit a finalement été réglé par la signature d’un accord tripartite; l’usine a rouvert ses portes quelques jours plus tard et fonctionne normalement depuis lors. Cependant, la direction de l’usine a porté plainte contre plusieurs travailleurs pour vandalisme.
    • En ce qui concerne l’incident de février 2022 à l’usine F (allégation d’attaque de la police contre 500 travailleurs protestataires, qui a fait 20 blessés), le gouvernement indique que certains travailleurs se sont rassemblés et ont manifesté pour revendiquer une augmentation de salaire, mais affirme que les travailleurs étaient scindés en deux groupes qui ont commencé à se battre. En réponse, la direction a déclaré l’usine fermée mais l’a rouverte cinq jours plus tard après des négociations avec l’administration locale. L’usine fonctionne maintenant normalement.
  7. 96. En ce qui concerne la criminalisation alléguée des activités syndicales dans les usines G et H, le gouvernement déclare que, lors d’un premier conflit en juillet et août 2021, la direction de l’usine a licencié 17 travailleurs pour faute, mais a ensuite payé les salaires qu’elle devait à tous les travailleurs licenciés, à l’exception d’une travailleuse, qui réclamait également des allocations de maternité mais n’avait pas fourni de certificat médical à l’appui de sa demande. Face au refus de la direction de payer les allocations de maternité, les esprits se sont échauffés et les travailleurs ont agressé un membre de la direction. La police industrielle a dispersé pacifiquement les travailleurs et transporté la victime à l’hôpital. Le lendemain, la direction a fermé l’usine, mais les travailleurs ont exigé l’ouverture des portes, ont commencé à s’exciter et ont essayé de pénétrer de force dans les locaux. La police leur a demandé de se disperser pacifiquement mais le secrétaire général de la BGIWF et d’autres personnes ont incité les travailleurs à la violence. En conséquence, entre 150 et 200 travailleurs ont commencé à lancer des briques en direction de l’usine, attaquant la police armés de bâtons. Pour protéger la vie des civils et empêcher la destruction de l’usine, les policiers ont dispersé les travailleurs en utilisant des sifflets et des matraques légères, avec l’autorisation de leurs officiers supérieurs et d’un haut magistrat. Suite à l’incident, une plainte a été déposée auprès de la police contre le secrétaire général de la BGIWF et ses collègues pour tentative de pénétration par la force dans l’usine, attaques contre l’usine, obstruction au travail de la police et attaques contre son personnel, ainsi que pour incitation à la violence. L’enquête a déjà abouti et un acte d’accusation a été transmis au tribunal en février 2022.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 97. Le comité rappelle que le présent cas concerne des allégations de violations graves des droits de liberté syndicale par le gouvernement, en particulier par l’action des forces de police à la suite d’une grève dans des usines de confection à Ashulia en décembre 2016, notamment l’arrestation et la détention arbitraires de dirigeants syndicaux et de militants, des menaces de mort proférées et des violences physiques infligées au cours de la détention, de fausses accusations pénales, la surveillance de syndicalistes, l’intimidation et l’ingérence dans les activités syndicales. Les organisations plaignantes ont également allégué un recours excessif aux forces de police lors de manifestations pacifiques qui se sont déroulées en décembre 2018 et janvier 2019 et des poursuites pénales qui seraient en cours contre des centaines de travailleurs qui avaient participé aux manifestations. Sont également alléguées la répression systématique des droits syndicaux, notamment par la commission d’actes antisyndicaux par les employeurs, des violences policières et la criminalisation des activités syndicales.
  2. 98. En ce qui concerne les allégations de poursuites pénales illégitimement engagées contre des centaines de travailleurs nommément désignés ou dont les noms ne sont pas connus à la suite de la grève d’Ashulia de 2016 (recommandation a)), le comité croit comprendre, d’après les informations fournies par le gouvernement, que sur les dix plaintes initialement déposées contre des travailleurs, deux sont toujours en instance devant les tribunaux et en sont au stade du recueil des témoignages, les procédures ayant été retardées en raison de la pandémie de COVID-19. Tout en reconnaissant les défis importants engendrés par la pandémie, y compris sur le système judiciaire du pays, le comité regrette de constater que, depuis son dernier examen du cas en octobre 2020, aucun progrès ne semble avoir été réalisé dans ces deux affaires, qui concernent 20 personnes nommément désignées et environ 110 personnes dont les noms ne sont pas connus. Rappelant une fois de plus qu’il a signalé le danger que représentent pour le libre exercice des droits syndicaux des inculpations prononcées à l’encontre de représentants de travailleurs dans le cadre d’activités liées à la défense des intérêts de leurs mandants [voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 154], le comité veut croire que les deux procédures en instance seront réglées sans délai supplémentaire et prie le gouvernement de le tenir informé de leur issue.
  3. 99. En ce qui concerne la nécessité de diligenter une enquête indépendante sur les allégations de menaces de mort, violences physiques et bastonnades dont auraient été victimes des syndicalistes arrêtés et détenus à la suite de la grève d’Ashulia de 2016 (recommandation d)), le comité observe que d’après le gouvernement, les mécanismes d’enquête existants prévoient systématiquement un examen indépendant de ce type d’allégations et qu’il est possible à tout moment de leur soumettre, sur les allégations formulées, toute nouvelle information complémentaire étayée. Le comité croit comprendre, sur la base des éléments susmentionnés, qu’aucune enquête n’a à ce jour été menée sur ces allégations et observe que l’on ne sait pas très bien à quels mécanismes d’enquête le gouvernement se réfère. À cet égard, le comité note également la préoccupation des organisations plaignantes quant à l’absence d’enquêtes indépendantes et de voies de recours efficaces, qui aurait pour conséquence la poursuite des attaques contre les syndicalistes et le renforcement d’une culture de l’impunité au sein des forces de sécurité. Dans ces circonstances, tout en reconnaissant les avantages pour les autorités nationales de disposer d’informations complémentaires propres à faciliter les enquêtes, le comité se voit dans l’obligation de rappeler une fois de plus que dans les cas allégués de torture ou de mauvais traitements de prisonniers, les gouvernements devraient mener des enquêtes indépendantes sur les plaintes de cette nature pour que les mesures qui s’imposent, y compris la réparation des préjudices subis, soient prises et que des sanctions soient infligées aux responsables pour veiller à ce qu’aucun détenu ne subisse ce genre de traitement. [Voir Compilation, paragr. 112.] Soulignant la nécessité d’enquêter sur toutes les allégations de cette gravité, même en l’absence de dépôt d’une plainte formelle par la partie lésée, le comité invite une nouvelle fois les organisations plaignantes à fournir toutes informations pertinentes additionnelles à l’autorité nationale compétente afin qu’elle puisse diligenter une enquête en toute connaissance de cause. Le comité prie instamment le gouvernement d’ouvrir sans délai une enquête indépendante sur les allégations de mauvais traitements infligés à des syndicalistes arrêtés et détenus à la suite de la grève d’Ashulia de 2016, sur la base des informations dont il dispose déjà, ainsi que toutes informations supplémentaires fournies par les organisations plaignantes, et de le tenir informé des mesures prises à cet égard et de lui fournir des informations détaillées sur les mécanismes disponibles pour mener les enquêtes indépendantes susmentionnées et sur la procédure à suivre pour déclencher une telle enquête.
  4. 100. En ce qui concerne les allégations de recours excessif à la force policière lors des manifestations de 2018-19 (recommandation e)) et les procédures engagées contre des travailleurs à la suite de ces manifestations (recommandation f)), le comité note que le gouvernement rappelle les informations fournies précédemment, selon lesquelles, contrairement à ce qu’affirment les organisations plaignantes, les esprits s’étaient échauffés pendant les manifestations et des actes de vandalisme avaient été commis contre des biens privés et la police avait fait un usage minimal de la force pour faire face à ces actes. Le comité précise que cinq procédures sont toujours en cours contre des travailleurs, mais qu’aucune charge n’a été retenue contre eux et qu’à ce jour aucun travailleur n’est en prison. Il rappelle que, lors de son examen antérieur du cas, il s’était dit préoccupé par les actes de violence commis des deux côtés, avait souligné que les principes de la liberté syndicale ne protégeaient pas des abus consistant en des actes de caractère délictueux dans l’exercice d’une action de protestation et avait demandé au gouvernement de l’informer de l’enquête en cours sur le décès d’un travailleur et de diligenter une enquête indépendante sur l’usage excessif de la force dont aurait fait preuve la police, faisant au moins 80 blessés parmi les travailleurs. Constatant avec regret que le gouvernement ne fournit aucune information sur les mesures prises à cet égard, le comité doit rappeler une nouvelle fois que dans les cas où la dispersion d’assemblées publiques ou de manifestations par la police a entraîné la perte de vies humaines ou des blessures graves, il a attaché une importance spéciale à ce qu’on procède immédiatement à une enquête impartiale et approfondie des circonstances et à ce qu’une procédure légale régulière soit suivie pour déterminer le bien-fondé de l’action prise par la police et pour déterminer les responsabilités. [Voir Compilation, paragr. 104.] Par conséquent, le comité prie de nouveau instamment le gouvernement d’indiquer les mesures prises pour enquêter sur l’usage prétendument excessif de la force lors des manifestations de 2018-19, qui a fait au moins 80 blessés parmi les travailleurs, et de l’informer de toute conclusion qui serait formulée à cet égard. Il prie également le gouvernement de fournir des informations sur l’issue de l’enquête qui, d’après ce dernier, était en cours au sujet du meurtre d’un travailleur lors de ces manifestations. Le comité prie également le gouvernement de le tenir informé de l’état d’avancement des cinq procédures en instance contre des travailleurs, et d’indiquer en particulier si elles ont finalement abouti à l’engagement de poursuites pénales ou si elles ont été classées sans suite.
  5. 101. En ce qui concerne les allégations supplémentaires présentées par les organisations plaignantes en février 2020 (recommandation h)), le comité rappelle qu’elles concernent la criminalisation des activités syndicales ainsi que les représailles de masse, la surveillance et l’intimidation persistantes dont ont fait l’objet les travailleurs à la suite des manifestations de 2018-19. Le comité note que, si le gouvernement a fourni des informations à jour concernant les procédures en cours contre des travailleurs en raison de leur participation à ces manifestations, il ne donne pas de précisions sur les autres allégations, en particulier sur: i) l’exercice de représailles massives contre des travailleurs à la suite des manifestations de 2018-19 qui, selon les organisations plaignantes, ont conduit à la dénonciation publique et à la diffamation de 7 000 à 12 000 travailleurs et à leur inscription sur une liste noire par les propriétaires d’usines dans un but d’intimidation et pour saper le mouvement syndical dans le secteur de l’habillement; et ii) le contrôle, la surveillance et l’intimidation persistants de syndicalistes par les employeurs, le gouvernement et des tiers travaillant en leur nom. Le comité rappelle à cet égard que nul ne doit être licencié ou faire l’objet d’autres mesures préjudiciables en matière d’emploi en raison de son affiliation syndicale ou de l’exercice d’activités syndicales légitimes, et qu’il importe que tous les actes de discrimination en matière d’emploi soient interdits et sanctionnés dans la pratique. Le harcèlement et les manœuvres d’intimidation perpétrés à l’encontre de travailleurs au motif de leur affiliation syndicale ou de leur participation à des activités syndicales légitimes peuvent, bien qu’ils ne portent pas nécessairement préjudice aux travailleurs dans leur emploi, les décourager de s’affilier aux organisations de leur choix et, par là même, violer leur droit d’organisation. Toutes les mesures appropriées doivent être prises pour garantir que, quelle que soit l’affiliation syndicale, les droits syndicaux peuvent être exercés dans des conditions normales, dans le respect des droits humains fondamentaux et dans un climat exempt de violence, de pression, de peur et de menaces de toute nature. [Voir Compilation, paragr. 1075, 1098 et 73.] Au vu de ce qui précède et compte tenu de la nature persistante des allégations et du grand nombre de travailleurs prétendument concernés par celles-ci, le comité prie le gouvernement de fournir ses observations sur ces allégations et de prendre les mesures nécessaires pour traiter et prévenir toutes les formes de représailles, d’intimidation, de harcèlement et de surveillance à l’encontre de travailleurs fondées sur l’appartenance à un syndicat ou sur l’exercice d’activités syndicales légitimes.
  6. 102. En ce qui concerne l’offre de formations et la fourniture d’instructions aux agents de police et autres agents de l’État sur les libertés publiques, les droits humains et les droits syndicaux (recommandations b), c) et g)), le comité note que, d’après le gouvernement, les agents de police sont régulièrement formés sur ces questions, que ce soit dans le cadre de leurs cours de base ou de formations en cours d’emploi, et des formations supplémentaires de sensibilisation et d’autres mesures pertinentes (un recueil des lois et règlements applicables, des instructions sur l’usage de la force minimale, des bases de données en ligne sur les programmes de formation) sont également prévues dans la feuille de route des mesures à prendre dans le secteur du travail élaborée en coopération avec le Bureau. Prenant note de l’engagement du gouvernement à assurer une formation régulière aux agents de police et autres agents de l’État concernés, le comité encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts à cet égard afin de garantir le plein respect des libertés publiques fondamentales, des droits de l’homme et des droits syndicaux lors des manifestations de travailleurs, ainsi que l’obligation, pour les auteurs d’éventuelles violations, d’en rendre pleinement compte. Le comité prie en outre le gouvernement de fournir des détails sur ces formations, en particulier pour la police engagée dans les zones industrielles et d’exportation. Le comité prie également le gouvernement de fournir des copies du programme de formation en cours d’emploi des agents de police.
  7. 103. En ce qui concerne les nouvelles allégations soumises par les organisations plaignantes en mars 2022, le comité note qu’elles font référence à des attaques incessantes et systématiques contre les travailleurs qui cherchent à exercer leur droit à la liberté syndicale: actes antisyndicaux de la part des employeurs, violences policières et répression, criminalisation des activités syndicales et absence d’enquêtes appropriées sur ces allégations.
  8. 104. Premièrement, le comité observe avec une profonde préoccupation que les organisations plaignantes allèguent que l’intervention de la police lors de manifestations de travailleurs à Chittagong, Gazipur et Ashulia depuis avril 2021 a fait 6 morts et plus de 60 blessés parmi les travailleurs. Le comité note que, tout en fournissant quelques précisions pertinentes, notamment sur les mesures d’indemnisation prises en réponse au meurtre d’une travailleuse à Ashulia en juin 2021 (usine D), le gouvernement ne donne aucun détail sur les mesures prises pour enquêter sur cet incident, mais a toutefois indiqué que les blessures subies par la victime étaient de nature à provoquer la mort. De même, tout en fournissant quelques informations sur les incidents survenus dans les usines E et F, le gouvernement ne donne pas de détails sur les allégations concrètes d’implication de la police dans les blessures subies par au moins 30 travailleurs de la confection dans ces usines en février 2022 et ne fournit aucune information sur l’implication présumée de la police dans le meurtre de 5 travailleurs et les blessures subies par des dizaines de travailleurs dans une centrale électrique à Chittagong en avril 2021 et par une vingtaine de travailleurs de la confection à Gazipur en mai 2021.
  9. 105. Tout en reconnaissant que les informations fournies par les organisations plaignantes ne permettent pas toujours de savoir si les travailleurs concernés étaient membres ou dirigeants d’organisations syndicales, le comité se voit dans l’obligation de rappeler que l’assassinat, la disparition ou des blessures graves de dirigeants syndicaux et de syndicalistes nécessitent l’ouverture d’enquêtes judiciaires indépendantes afin de faire toute la lumière, dans les meilleurs délais, sur les faits et les circonstances dans lesquelles ces actes se sont produits pour déterminer, dans la mesure du possible, les responsabilités, punir les coupables et empêcher la répétition de tels événements. Les actes d’intimidation et de violence physique à l’encontre de syndicalistes constituent une violation grave des principes de la liberté syndicale et l’absence de protection contre de tels actes équivaut à une impunité de fait qui ne saurait que renforcer un climat de crainte et d’incertitude très préjudiciable à l’exercice des droits syndicaux. [Voir Compilation, paragr. 94 et 90.] Le comité prie donc le gouvernement de fournir ses observations sur l’implication présumée de la police dans les incidents susmentionnés ayant fait 6 morts et de nombreux blessés parmi les travailleurs et, si tel n’est pas encore le cas, de veiller à ce que ces incidents fassent l’objet d’une enquête rapide et appropriée par un mécanisme indépendant afin de lutter contre l’impunité et d’empêcher la répétition de tels actes, et de fournir des informations détaillées sur les progrès réalisés à cet égard et sur les résultats obtenus.
  10. 106. Deuxièmement, le comité observe que les organisations plaignantes dénoncent également plusieurs cas de discrimination et d’ingérence antisyndicales, notamment la démission forcée, le licenciement et l’inscription sur une liste noire d’environ 28 travailleurs dans les secteurs de la confection et de la construction navale, l’ingérence de la police dans une réunion syndicale à Chittagong en septembre 2021, l’engagement de poursuites pénales contre 115 travailleurs et syndicalistes et 70 personnes dont les noms ne sont pas connus en réponse aux tentatives des travailleurs de former des syndicats et le fait que le DIFE n’a pas enquêté sur la plupart de ces allégations bien qu’il en ait été informé par les travailleurs concernés ou leurs représentants. Le comité note que le gouvernement présente des observations détaillées à cet égard, indiquant que nombre des incidents mentionnés ont été traités et résolus grâce à l’engagement du gouvernement et à un accord entre les parties, ce qui a conduit à la réouverture des usines, à la réintégration des travailleurs concernés ou au paiement des salaires et autres montants qui leur étaient dus (usines A, E et F et entreprise B); que dans un cas, les incidents antisyndicaux présumés n’ont pas été portés devant le DIFE mais soumis directement au tribunal qui examine les allégations (usine C); et que quelques procédures judiciaires pour vandalisme ou incitation à la violence visant des syndicalistes sont effectivement en cours (usines E, G et H).
  11. 107. Prenant dûment note de ce qui précède, le comité souhaite rappeler que, en particulier lors des premières étapes de la syndicalisation d’un lieu de travail, le licenciement de représentants syndicaux peut mettre en péril les premières tentatives d’exercice du droit d’organisation, car cela a non seulement pour conséquence de priver les travailleurs de leurs représentants, mais aussi d’avoir un effet intimidant sur les autres travailleurs qui auraient pu envisager d’assumer des fonctions syndicales ou simplement d’adhérer à un syndicat. Lorsqu’elles sont saisies de plaintes en discrimination antisyndicale, les instances compétentes doivent mener immédiatement une enquête et prendre les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences des actes de discrimination antisyndicale qui auront été constatés. Les droits des organisations de travailleurs et d’employeurs ne peuvent s’exercer que dans un climat exempt de violence, de pressions ou menaces de toutes sortes à l’encontre des dirigeants et des membres de ces organisations, et il appartient aux gouvernements de garantir le respect de ce principe. [Voir Compilation, paragr. 1131, 1159 et 84.] Au vu de ce qui précède, et rappelant le caractère systématique des allégations formulées par les organisations plaignantes et les conséquences graves qu’elles peuvent avoir sur l’exercice légitime des activités syndicales, le comité prie le gouvernement de rester vigilant face à tous types d’allégations de discrimination antisyndicale, notamment les licenciements et l’inscription de syndicalistes sur une liste noire et l’ingérence de la police dans les activités syndicales, afin d’être en mesure de prendre des mesures pour traiter rapidement et correctement ces allégations. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’issue des procédures en cours contre des dirigeants et membres syndicaux des usines E, G et H en rapport avec leur participation à des activités syndicales, ainsi que de l’issue de la procédure pour pratiques antisyndicales dans l’usine C. Enfin, le comité prie le gouvernement de communiquer ses observations sur les allégations d’ingérence de la police dans une réunion syndicale à Chittagong en septembre 2021.
  12. 108. Au vu des informations parfois contradictoires soumises par les organisations plaignantes et le gouvernement en ce qui concerne les allégations supplémentaires de mars 2022, le comité invite les organisations plaignantes à fournir des renseignements complémentaires à cet égard.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 109. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité veut croire que les deux procédures en instance engagées contre des travailleurs à la suite de la grève d’Ashulia de 2016 seront menées à bien sans autre délai et prie le gouvernement de le tenir informé de leur issue.
    • b) Soulignant la nécessité d’enquêter sur toutes les graves allégations de mauvais traitements contre des syndicalistes même en l’absence de dépôt d’une plainte formelle par la partie lésée, le comité invite une nouvelle fois les organisations plaignantes à fournir toutes informations pertinentes additionnelles à l’autorité nationale compétente afin qu’elle puisse diligenter une enquête en toute connaissance de cause. Le comité prie instamment le gouvernement de diligenter sans délai une enquête indépendante concernant les allégations de mauvais traitements dont auraient été victimes des syndicalistes arrêtés et détenus à la suite de la grève d’Ashulia de 2016, sur la base des informations dont il dispose déjà, ainsi que toutes informations supplémentaires fournies par les organisations plaignantes, et de le tenir informé des mesures prises à ce sujet, notamment en lui fournissant des informations détaillées sur les mécanismes disponibles pour mener une telle enquête et sur la procédure à suivre pour engager l’examen de ces allégations.
    • c) Le comité prie de nouveau instamment le gouvernement d’indiquer les mesures prises pour enquêter sur l’usage excessif de la force dont aurait fait preuve la police durant les manifestations de 2018-19, faisant au moins 80 blessés parmi les travailleurs, et de l’informer de toute conclusion formulée à cet égard. Il prie également le gouvernement de fournir des informations sur l’issue de l’enquête qui, selon de précédentes indications du gouvernement, avait été menée sur le meurtre d’une travailleuse durant ces manifestations. Le comité prie en outre le gouvernement de le tenir informé de l’état d’avancement des 5 procédures en cours contre des travailleurs, et en particulier de lui indiquer si elles ont finalement abouti à des poursuites pénales ou si elles ont été classées sans suite.
      • d) Le comité prie le gouvernement de communiquer ses observations sur les allégations supplémentaires présentées par les organisations plaignantes en février 2020 qui faisaient état de représailles massives contre des travailleurs à la suite des manifestations de 2018-19 (licenciements, humiliation publique, diffamation et inscription sur une liste noire) et du fait que des syndicalistes font régulièrement l’objet de mesures de contrôle et de surveillance et d’actes d’intimidation. Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour traiter et prévenir toutes les formes de représailles, d’intimidation, de harcèlement et de surveillance à l’encontre de travailleurs fondées sur l’appartenance syndicale ou l’exercice d’activités syndicales légitimes.
      • e) Prenant note de l’engagement du gouvernement à assurer une formation régulière aux agents de police et aux autres agents de l’État concernés, le comité encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts à cet égard afin de garantir le plein respect des libertés publiques fondamentales, des droits de l’homme et des droits syndicaux pendant les manifestations de travailleurs, ainsi que l’obligation, pour les auteurs d’éventuelles violations, d’en rendre pleinement compte. Le comité prie en outre le gouvernement de fournir des détails sur ces formations, en particulier pour la police engagée dans les zones industrielles et d’exportation. Le comité prie également le gouvernement de fournir des copies du programme de formation en cours d’emploi des agents de police.
      • f) Le comité prie le gouvernement de communiquer ses observations sur l’implication présumée de la police dans le meurtre de six personnes et l’infliction de blessures à plus de 60 travailleurs durant les manifestations qui se sont déroulées à Chittagong, Gazipur et Ashulia depuis avril 2021 et, s’il ne l’a pas encore fait, de veiller à ce que ces incidents fassent l’objet d’une enquête rapide et appropriée par un mécanisme indépendant afin de lutter contre l’impunité et d’empêcher la répétition de tels actes, et enfin de fournir des informations détaillées sur les progrès réalisés à cet égard et sur les résultats obtenus.
      • g) Le comité prie le gouvernement de rester vigilant face à tous types d’allégations de discrimination antisyndicale, notamment les licenciements et l’inscription de syndicalistes sur une liste noire et l’ingérence de la police dans les activités syndicales, afin de pouvoir prendre des mesures permettant de répondre rapidement et correctement à ces allégations. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’issue des procédures en cours contre des dirigeants et membres syndicaux des usines E, G et H en raison de leur participation à des activités syndicales, ainsi que de l’issue de la procédure pour pratiques antisyndicales dans l’usine C. Enfin, le comité prie le gouvernement de communiquer ses observations sur l’ingérence présumée de la police dans une réunion syndicale à Chittagong en septembre 2021.
      • h) Au vu des informations parfois contradictoires soumises par les organisations plaignantes et le gouvernement en ce qui concerne les allégations supplémentaires présentées en mars 2022, le comité invite les organisations plaignantes à fournir des informations complémentaires à cet égard.
      • i) Le comité attire l’attention du Conseil d’administration sur le caractère grave et urgent du présent cas.
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