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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 399, Juin 2022

Cas no 3410 (Türkiye) - Date de la plainte: 12-JUIL.-21 - En suivi

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Allégations: L’organisation plaignante allègue que la législation nationale ne protège pas suffisamment contre les licenciements antisyndicaux. Elle allègue également des actes d’ingérence et de discrimination antisyndicale, dont des licenciements, de la part de sociétés de l’industrie alimentaire

  1. 309. La plainte figure dans une communication datée du 12 juillet 2021 soumise par l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA).
  2. 310. Le gouvernement de Türkiye a communiqué ses observations concernant les allégations dans des communications datées du 1er et du 20 septembre 2021, ainsi que du 27 octobre 2021.
  3. 311. La Türkiye a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 312. Dans sa communication datée du 12 juillet 2021, l’organisation plaignante allègue que la législation et la pratique turques ne protègent pas suffisamment contre les licenciements antisyndicaux et ne prévoient pas de recours effectif dans ces cas, les employeurs ayant la possibilité de verser une indemnité plus élevée à un travailleur illégalement licencié, ce qu’ils font souvent, plutôt que de respecter une décision de réintégration rendue par la justice. Selon l’organisation plaignante, la facilité avec laquelle les employeurs peuvent congédier illégalement des dirigeants ou des militants syndicaux en s’acquittant simplement d’une indemnité supplémentaire porte atteinte au droit à la liberté syndicale.
  2. 313. L’organisation plaignante indique que l’article 25(5) de la loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail prévoit que lorsque la justice conclut à un licenciement abusif lié aux activités syndicales du travailleur et ordonne sa réintégration, l’employeur est tenu de verser une «indemnité syndicale», que le travailleur soit réintégré ou non. Elle indique également que l’article 21(1) de la loi sur le travail (loi no 4857) dispose que, outre cette indemnisation punitive, l’employeur doit payer une indemnité d’un minimum de quatre mois et d’un maximum de huit mois de salaire s’il décide de ne pas réintégrer le travailleur alors que ce dernier a demandé à reprendre ses fonctions.
  3. 314. Pour l’organisation plaignante, lorsqu’un travailleur est licencié à titre de représailles pour ses activités syndicales, la réparation appropriée doit être sa réintégration accompagnée du versement rétroactif de son salaire, à moins qu’un tribunal ne détermine que la réintégration n’est pas possible, auquel cas une indemnisation adéquate doit lui être versée. Toutefois, elle indique qu’en Türkiye, même lorsque les tribunaux ordonnent la réintégration du travailleur, l’employeur n’est pas tenu de le réintégrer.
  4. 315. L’organisation plaignante indique que les dispositions susmentionnées sont loin d’être dissuasives et les employeurs en profitent systématiquement pour licencier des travailleurs dès qu’ils ont connaissance d’efforts d’organisation, ce qui génère un climat de peur et d’intimidation sur le lieu de travail. Plus précisément, l’organisation plaignante allègue que plusieurs violations des droits à la liberté syndicale et à la négociation collective, dont des licenciements antisyndicaux, ont été commises par trois sociétés, à savoir: Cargill (ci-après «l’entreprise A»), Olam Group (ci-après «l’entreprise B») et Döhler Group (ci après «l’entreprise C»).
  5. 316. En ce qui concerne l’entreprise A, l’organisation plaignante indique qu’elle emploie 155 000 personnes dans 170 pays et qu’elle exerce ses activités dans les secteurs de la viande et de la volaille, des ingrédients pour l’industrie de l’alimentation et des boissons, du commerce et de la transformation de matières premières, et des services financiers. L’organisation plaignante allègue que le 17 avril 2018, 14 travailleurs de production de l’usine d’amidon de l’entreprise A à Orhangazi ont été licenciés alors qu’ils essayaient de constituer un syndicat.
  6. 317. L’organisation plaignante explique que le 5 mars 2018, leur syndicat, le Tekgida Iş, avait présenté au ministère du Travail une demande de certification d’unité de négociation pour quatre établissements. Elle indique que peu de temps après, un directeur de production a interrogé deux travailleurs pour connaître leur opinion à l’égard des syndicats et de la demande susmentionnée. Après avoir appris que les deux travailleurs étaient affiliés au syndicat, le directeur a déclaré qu’un syndicat n’était pas nécessaire et qu’en cas d’obtention du statut officiel d’unité de négociation, les règles de l’entreprise seraient modifiées défavorablement et de nouvelles règles seraient imposées. L’organisation plaignante affirme que ces deux travailleurs faisaient partie des 14 qui ont été licenciés le 17 avril 2018.
  7. 318. L’organisation plaignante indique que 12 des 14 travailleurs ont contesté leur licenciement en justice. Elle fait savoir qu’en décembre 2019 et février 2020, le tribunal de district de Bursa a rendu des décisions définitives et sans appel qui: i) ont confirmé que huit travailleurs ont été licenciés uniquement en raison de leurs activités syndicales; ii) ont conclu que quatre autres travailleurs ont été injustement congédiés, leur licenciement ne pouvant être justifié par des raisons économiques; et iii) ont ordonné la réintégration des 12 travailleurs.
  8. 319. L’organisation plaignante affirme que les travailleurs licenciés se sont alors adressés au tribunal pour récupérer leur ancien poste, mais l’entreprise A a décidé de payer l’indemnité supplémentaire plutôt que de les réintégrer, et ce même si d’autres travailleurs ont été embauchés au cours de la même période dans les départements dans lesquels les travailleurs licenciés étaient précédemment employés. L’organisation plaignante insiste sur le fait qu’aucune preuve n’a été apportée pour démontrer que la réintégration n’était pas possible.
  9. 320. L’organisation plaignante indique qu’entre 2012 et 2015, l’entreprise A a licencié sept travailleurs de façon similaire. Elle informe qu’en 2015 et 2018, la Cour suprême a confirmé qu’ils avaient été licenciés à titre de représailles pour leur activité syndicale et a ordonné leur réintégration. Toutefois, elle indique que, dans chacun de ces cas également, l’entreprise A a décidé d’indemniser les travailleurs.
  10. 321. L’organisation plaignante informe également que, dans le cadre de l’affaire impliquant l’entreprise A, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association et le Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises ont écrit au gouvernement de Türkiye le 27 janvier 2021 pour lui demander d’expliquer les mesures envisagées afin de garantir que la loi sur le travail ne soit pas utilisée par les entreprises pour violer les droits des travailleurs de se syndiquer et de négocier collectivement, y compris éventuellement un amendement de la loi.
  11. 322. En ce qui concerne l’entreprise B, l’organisation plaignante indique qu’il s’agit d’une grande société du secteur alimentaire et agroalimentaire, qui opère dans 60 pays. L’organisation plaignante allègue que la direction locale de l’entreprise B: i) a licencié neuf membres syndicaux de son établissement de Giresun entre le 14 et le 16 février 2018, alors que les travailleurs avaient commencé à s’organiser avec l’aide du Tekgida Iş; ii) a licencié six membres syndicaux de son usine de Kocaali le 4 mars 2019, alors que les travailleurs s’organisaient également; et iii) a licencié deux autres membres syndicaux de son usine de Giresun le 5 mars 2019. L’organisation plaignante indique que ces licenciements ont eu un effet dissuasif et ont rendu plus difficile le recrutement d’autres travailleurs pour qu’ils deviennent membres du syndicat.
  12. 323. L’organisation plaignante allègue aussi que, lors de réunions avec les travailleurs, la direction locale de l’entreprise B a explicitement menacé de licencier tous les membres du syndicat et de fermer l’usine de Kocaali. En outre, elle affirme que des représentants de l’employeur ont demandé à des travailleurs de communiquer leur code d’accès à la plateforme électronique de l’État sous prétexte de vouloir vérifier leurs congés annuels, afin d’identifier les membres du syndicat et de faire pression sur eux pour qu’ils renoncent à leur adhésion.
  13. 324. L’organisation plaignante indique que 14 des 17 travailleurs licenciés ont contesté leur licenciement devant les tribunaux par le biais d’actions intentées par le Tekgida-Iş. Elle informe que le 5 octobre 2020, un tribunal de district d’Istanbul a rendu des décisions définitives et sans appel concernant les neuf travailleurs licenciés en février 2018. Le tribunal a établi qu’ils avaient été injustement licenciés en raison de leurs activités syndicales et a ordonné leur réintégration. L’organisation plaignante indique toutefois que, dans chaque cas, l’entreprise B a choisi de payer une indemnité plutôt que de réintégrer les travailleurs lorsqu’ils ont saisi le tribunal pour récupérer leur emploi. L’organisation plaignante informe également que les cas de trois travailleurs licenciés de l’usine de Kocaali sont toujours en instance.
  14. 325. En ce qui concerne l’entreprise C, l’organisation plaignante indique qu’il s’agit d’un producteur, distributeur et fournisseur mondial d’ingrédients naturels basés sur la technologie, de systèmes d’ingrédients et de solutions intégrées pour les industries de l’alimentation et des boissons. Elle affirme que, depuis cinq ans, la direction locale de l’entreprise C déploie des efforts concertés pour empêcher les travailleurs d’exercer leur droit d’organisation, et que des actes répétés d’intimidation, de harcèlement et de discrimination antisyndicale de la part de l’employeur ont généré un environnement de peur.
  15. 326. L’organisation plaignante affirme qu’en mars 2016, le ministère du Travail a accordé au Tekgida Iş le statut d’agent de négociation collective, ce qui a conduit l’entreprise C à licencier 32 travailleurs membres du syndicat. Elle indique que, même si les tribunaux ont établi qu’ils avaient été injustement licenciés en raison de leur activité syndicale et ont ordonné la réintégration des 32 travailleurs, l’entreprise C a décidé de verser une indemnité supplémentaire plutôt que de se conformer à la décision de réintégration ordonnée par la justice.
  16. 327. L’organisation plaignante indique également qu’à la suite d’une contestation judiciaire de l’entreprise qui a duré quatre ans et demi, les tribunaux ont confirmé le statut d’agent de négociation collective du Tekgida Iş et ordonné l’ouverture d’une négociation collective qui aurait dû débuter le 1er janvier 2021. Elle indique toutefois que la direction locale de l’entreprise C ne s’est pas présentée aux négociations et a au contraire intensifié ses attaques contre les droits des travailleurs.
  17. 328. Selon l’organisation plaignante, le 9 janvier 2021, la direction locale a commencé à interroger illégalement des travailleurs, leur demandant leur code d’accès à la plateforme électronique de l’État pour vérifier leur statut syndical et faire pression sur eux pour qu’ils renoncent à leur affiliation syndicale. Les travailleurs qui ont refusé de communiquer ces informations auraient été licenciés.
  18. 329. L’organisation plaignante indique aussi que la direction locale de l’entreprise C a transféré des travailleurs contre leur gré vers une société sous-traitante afin de les retirer de l’unité de négociation et de saper le statut du syndicat en tant qu’agent de négociation collective. Elle indique que l’entreprise C a transféré 105 travailleurs permanents «essentiels», dont plus de 40 membres du syndicat, en les obligeant à démissionner et les faisant ensuite engager par la société sous-traitante.
  19. 330. L’organisation plaignante affirme que la législation turque prévoit clairement que des travailleurs sous-traitants ne peuvent effectuer des tâches de production «essentielles». À ce propos, elle fait référence à un rapport d’inspection de mars 2021 du ministère de la Famille, du Travail et des Services sociaux qui indiquait que l’entreprise C avait enfreint la loi sur le travail et qu’une amende avait été infligée à celle-ci et à la société sous-traitante pour ces actes illégaux.
  20. 331. En outre, selon l’organisation plaignante, le 17 mai 2021, des membres du Tekgida Iş qui se rendaient à l’usine de Karaman de l’entreprise C pour participer à un scrutin sur l’organisation d’une grève ont été accueillis par un grand nombre de policiers avec des équipements anti émeutes et des canons à eau, ce qui n’est pas la procédure habituelle en Türkiye en cas de grève, sauf si l’employeur en fait spécifiquement la demande. Le plaignant indique que les travailleurs ont finalement choisi de ne pas faire grève et que cette décision, sur la base des exigences des articles 47 et 60 de la loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail, a donné à l’entreprise C la possibilité de contester le statut d’agent de négociation collective du Tekgida Iş, ce qu’elle a choisi de faire.
  21. 332. L’organisation plaignante souligne que le climat d’impunité qui incite les employeurs à continuer de commettre des violations des droits syndicaux est créé par les lacunes de la législation et de la pratique turques, et insiste sur l’importance de les mettre en conformité avec les conventions nos 87 et 98.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 333. Dans ses communications datées des 1er et 20 septembre et du 27 octobre 2021, le gouvernement indique que la loi sur le travail, de même que la loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail ont été élaborées dans le respect des conventions nos 87 et 98. Il indique que, comme le prévoient les articles 18, 20 et 21 de la loi sur le travail, lorsqu’un contrat de travail est résilié en raison des activités syndicales du travailleur, celui ci a le droit de faire appel à la justice.
  2. 334. Le gouvernement indique également que l’article 21(1) de la loi sur le travail dispose que: «Si le juge ou l’arbitre conclut que le licenciement est injustifié, [...] l’employeur doit réengager le salarié dans un délai d’un mois. Si l’employeur ne réintègre pas le salarié à son poste alors que ce dernier en a fait la demande, l’employeur devra lui verser une indemnité qui ne peut être inférieure à quatre mois ni supérieure à huit mois de salaire du salarié».
  3. 335. Le gouvernement informe en outre que l’article 25(5) de la loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail stipule que: «Lorsqu’il a été établi que le contrat de travail a été résilié en raison des activités syndicales du salarié, une indemnité syndicale est ordonnée indépendamment de toute demande du salarié et de la décision de l’employeur de l’autoriser à réintégrer son poste ou de refuser sa réintégration, conformément à l’article 21(1) de la loi no 4857».
  4. 336. Le gouvernement fait référence à l’article 10 de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, qui dispose que, si les tribunaux considèrent que le licenciement est injustifié et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
  5. 337. Le gouvernement confirme que la législation nationale ne contient aucune disposition prévoyant la réintégration inconditionnelle au travail et prévoit plutôt le droit de l’employeur de choisir d’engager à nouveau le salarié ou de lui verser une indemnité supplémentaire. À cet égard, il souligne que, conformément au droit civil, aucun employeur ne doit être contraint d’engager un travailleur. Le gouvernement considère donc infondée la plainte dénonçant l’indemnisation de travailleurs licenciés au lieu de leur réintégration et alléguant que les sanctions prévues dans la législation nationale ne sont pas dissuasives.
  6. 338. Dans sa communication datée du 27 octobre 2021, le gouvernement transmet également les observations de l’entreprise A relatives aux allégations formulées dans le cadre du présent cas. L’entreprise A souligne qu’elle respecte les principes de la liberté syndicale et interdit toute discrimination à l’encontre des salariés sur la base de leur appartenance ou affiliation syndicale. Elle explique qu’à la suite de la décision du gouvernement de réduire les quotas nationaux de sucre en mars 2018, elle s’est vue contrainte de prendre des décisions économiques pour assurer la viabilité de ses activités dans l’amidon et les édulcorants, ce qui a conduit au licenciement de 16 salariés, dont 14 ouvriers à l’usine d’Orhangazi.
  7. 339. L’entreprise A indique que sa direction locale a pris ces décisions difficiles après avoir effectué une évaluation à la fois du rendement et de la criticité pour les opérations commerciales en cours, et insiste sur le fait qu’il n’a pas été tenu compte de l’affiliation syndicale. Elle signale qu’une indemnité supplémentaire équivalente à trois mois de salaire a été offerte aux salariés concernés en plus de l’indemnisation de départ habituelle, mais que 14 travailleurs ont décidé d’intenter des actions au civil le 17 juillet 2018.
  8. 340. L’entreprise A fait savoir que les tribunaux ont rendu des décisions définitives et sans appel en décembre 2019 et février 2020. Elle indique que: i) dans quatre décisions, les juges ont estimé qu’il n’y avait pas eu de discrimination fondée sur le statut syndical; ii) dans deux cas, les salariés n’étaient pas membres du syndicat, de sorte que les avis étaient sans objet sur la question; et iii) dans les huit autres cas, les juges ont suivi une logique contestable et, compte tenu du moment où s’est produite la réduction de personnel, ont présumé qu’il y avait eu discrimination. L’entreprise A déclare qu’elle a versé toutes les indemnités de départ ordonnées par la justice, que les anciens employés ont accepté les paiements, et que ces questions sont donc réglées.
  9. 341. En ce qui concerne les sept licenciements survenus entre 2012 et 2015, l’entreprise A fait valoir qu’ils étaient dus à des motifs légitimes, notamment des problèmes de rendement. Elle indique qu’elle a été autorisée par les tribunaux à payer une indemnité syndicale au lieu de réintégrer les personnes concernées, et insiste sur le fait que ces séparations ont été réglées depuis longtemps.
  10. 342. L’entreprise A rejette également l’allégation selon laquelle des membres du syndicat ont été avertis que ses règles seraient modifiées de manière défavorable si le statut d’unité de négociation était obtenu par le Tekgida-Iş. Elle affirme ne pas être au courant d’un tel avertissement et indique qu’elle aurait pris des mesures immédiates et décisives si elle avait pensé que de tels propos avaient effectivement été tenus.
  11. 343. L’entreprise A informe que, dans le cadre des affaires judiciaires concernant les 14 travailleurs licenciés, la Direction de l’orientation et de l’inspection du ministère de la Famille, du Travail et des Services sociaux a effectué une visite de son établissement d’Orhangazi et a publié un rapport le 3 octobre 2019, dans lequel elle conclut que les travailleurs n’ont pas été amenés ni poussés à adhérer ou à quitter un syndicat et que l’entreprise n’a mené aucune action dans l’intention d’empêcher l’exercice de droits syndicaux.
  12. 344. L’entreprise A termine en soulignant qu’elle a respecté la législation turque et qu’elle n’a pas exercé de discrimination à l’encontre des employés qui ont été licenciés. Elle informe également que seul un petit nombre de postes ont été ouverts dans son usine d’Orhangazi depuis 2018 et qu’aucun des anciens salariés concernés n’a postulé à l’un de ces emplois.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 345. Le comité note que, dans le présent cas, une organisation syndicale de l’industrie alimentaire allègue que la protection et les recours prévus par la législation nationale en cas de licenciement antisyndical ne sont pas suffisants. Elle allègue en outre des actes de discrimination antisyndicale, dont des licenciements, des menaces et des pressions de la part de trois sociétés, de même que des actes d’ingérence antisyndicale de la part d’une de ces sociétés.
  2. 346. En ce qui concerne les licenciements antisyndicaux, le comité note que, selon les allégations de l’organisation plaignante: i) l’article 21(1) de la loi sur le travail et l’article 25(5) de la loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail permettent aux employeurs de payer une indemnité plus élevée à des salariés licenciés illégalement plutôt que de se conformer aux décisions de justice ordonnant leur réintégration; ii) des employeurs profitent systématiquement de ces dispositions en congédiant des travailleurs lorsqu’ils tentent d’exercer leur droit de s’organiser, générant ainsi un environnement de peur et d’intimidation; iii) depuis 2012, les entreprises A, B et C ont licencié un total de 56 travailleurs en raison de leur activité syndicale; iv) dans chacun de ces cas, bien qu’une décision de justice ait ordonné la réintégration du salarié licencié, l’employeur a choisi de verser une indemnité supérieure lorsque le salarié a demandé à réintégrer son poste; et v) les affaires concernant trois travailleurs que l’entreprise B aurait licenciés en raison de leur activité syndicale sont toujours en instance.
  3. 347. Le comité prend note que le gouvernement, dans sa réponse, indique que: i) en cas de licenciement antisyndical, la législation nationale ne prévoit pas la réintégration inconditionnelle, mais permet plutôt à l’employeur soit d’engager à nouveau le salarié, soit de lui verser une indemnité supplémentaire; ii) en vertu du droit civil, un employeur ne peut être contraint d’engager un travailleur; iii) conformément à l’article 10 de la convention no 158, si les tribunaux considèrent qu’un licenciement est injustifié et n’ont pas le pouvoir d’ordonner la réintégration du travailleur, ils doivent être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate; et iv) l’allégation selon laquelle les sanctions prévues dans la législation nationale ne sont pas dissuasives n’est pas fondée. Le comité note en outre que l’entreprise A, dans sa réponse communiquée par le gouvernement, indique que: i) elle a indemnisé 15 anciens salariés à la suite de décisions de justice concluant qu’ils avaient été licenciés en raison de leur activité syndicale; et ii) bien qu’étant d’un avis contraire à ces décisions de justice, elle estime que ces affaires sont désormais closes.
  4. 348. Le comité prend bonne note de la nature similaire des situations dénoncées dans le présent cas et du manque d’efficacité allégué des sanctions prévues par la législation pour remédier aux cas de licenciement antisyndical. Il rappelle que le gouvernement doit assurer un système de protection adéquat et efficace contre les actes de discrimination antisyndicale qui devrait inclure des sanctions suffisamment dissuasives et des moyens de réparation rapides, en insistant sur la réintégration au poste de travail comme mesure corrective efficace. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1165.] Il rappelle en outre qu’il n’apparaît pas qu’une protection suffisante contre les actes de discrimination antisyndicale visés par la convention no 98 soit accordée par une législation permettant en pratique aux employeurs, à condition de verser l’indemnité prévue par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié, de licencier un travailleur si le motif réel en est son affiliation ou son activité syndicale. [Voir Compilation, paragr. 1106.] Le comité rappelle également que le gouvernement doit prendre des mesures pour que les syndicalistes qui le souhaitent soient réintégrés dans leurs fonctions lorsqu’ils ont été licenciés pour des activités liées à la création d’un syndicat. [Voir Compilation, paragr. 1184.] Le comité considère que si la réintégration n’est pas possible, le gouvernement devrait veiller à ce que les travailleurs concernés reçoivent une indemnisation adéquate, compte tenu à la fois du préjudice subi et de la nécessité d’éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir. Au vu de ce qui précède, le comité prie le gouvernement, dans les cas de licenciement antisyndical, de prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, en pleine consultation avec les partenaires sociaux, pour garantir que les employeurs n’ont pas la possibilité de choisir de payer l’indemnité prévue par la loi au lieu de la réintégration lorsqu’elle est ordonnée et que des sanctions suffisamment dissuasives sont prévues, de manière à ce que le recours éventuel à la réintégration ait un sens. Il rappelle au gouvernement qu’il peut se prévaloir de l’assistance technique du Bureau à cet égard. Notant que les affaires judiciaires concernant trois travailleurs licenciés de l’entreprise B sont toujours en cours, le comité prie également le gouvernement de le tenir informé de leur issue et de fournir des copies des décisions de justice.
  5. 349. En ce qui concerne les autres actes présumés de discrimination antisyndicale, le comité prend note de l’affirmation de l’organisation plaignante selon laquelle: i) un directeur de production de l’entreprise A a déclaré à des travailleurs que la présence d’un syndicat était inutile et les a avertis que les règles changeraient de manière négative si le Tekgida Iş obtenait le statut officiel d’unité de négociation; ii) lors de réunions avec les travailleurs, la direction locale de l’entreprise B a menacé de licencier tous les membres du syndicat et de fermer son usine de Kocaali; et iii) des pressions ont été exercées sur des travailleurs des entreprises B et C pour qu’ils révèlent leur statut syndical et quittent le syndicat. Le comité note que le gouvernement ne répond pas directement à ces allégations, mais que l’entreprise A: i) nie avoir averti les membres du syndicat que ses règles changeraient de manière défavorable si le statut d’unité de négociation était obtenu; et ii) indique que la Direction de l’orientation et de l’inspection du ministère de la Famille, du Travail et des Services sociaux a effectué une visite de son établissement d’Orhangazi et a publié un rapport daté du 3 octobre 2019 dans lequel elle conclut qu’aucune pression n’a été exercée sur les travailleurs pour qu’ils quittent le syndicat et que l’entreprise n’a mené aucune action dans l’intention d’empêcher l’exercice de droits syndicaux. Le comité prie le gouvernement de fournir une copie du rapport d’inspection du 3 octobre 2019 auquel l’entreprise A fait référence.
  6. 350. En ce qui concerne les entreprises B et C, le comité rappelle que les menaces directes et les actes d’intimidation à l’encontre des membres d’une organisation de travailleurs et le fait de les forcer à s’engager à rompre tout lien avec l’organisation sous la menace d’un renvoi équivalent à nier les droits syndicaux de ces travailleurs. [Voir Compilation, paragr. 1100.] La commission considère que, pour garantir une protection efficace contre la discrimination antisyndicale, il serait nécessaire d’essayer d’établir la véracité des allégations susmentionnées de l’organisation plaignante et, si elles s’avèrent fondées, de prendre les mesures correctives appropriées. Le comité prie donc le gouvernement de diligenter sans délai une enquête sur les pressions présumément exercées sur des travailleurs des entreprises B et C afin qu’ils renoncent à leur affiliation syndicale, et de le tenir informé à cet égard.
  7. 351. Quant aux actes présumés d’ingérence antisyndicale, le comité note que l’organisation plaignante indique que l’entreprise C: i) a refusé de prendre part à des négociations avec le Tekgida Iş bien que les tribunaux aient confirmé son statut d’agent de négociation à la suite d’une contestation judiciaire qui a duré plus de quatre ans; ii) a transféré de force 105 travailleurs, dont 40 membres du syndicat, vers une société sous-traitante afin de les retirer de l’unité de négociation et de porter atteinte au statut d’agent de négociation collective du Tekgida Iş; iii) s’est vu infliger une amende en raison des transferts susmentionnés, car la loi sur le travail dispose que des travailleurs sous-traitants ne peuvent effectuer des tâches de production «essentielles»; et iv) a sollicité la présence d’un grand nombre de policiers, équipés de matériel anti-émeute et de canons à eau, à son usine de Karaman alors que le Tekgida Iş organisait un scrutin pour décider de la tenue d’une grève, et a de nouveau contesté le statut d’agent de négociation collective du syndicat après que la décision des travailleurs de ne pas faire grève l’a légalement autorisé à le faire. Le comité note avec préoccupation que le gouvernement, dans sa réponse, n’aborde pas ces allégations. Le comité rappelle que la reconnaissance par un employeur des principaux syndicats représentés dans son entreprise ou du plus représentatif d’entre eux constitue la base même de toute procédure de négociation collective des conditions d’emploi au niveau de l’établissement. [Voir Compilation, paragr. 1355.] Il rappelle également que l’article 2 de la convention no 98 prévoit que les organisations d’employeurs et de travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence dans leur formation, leur fonctionnement et leur administration. [Voir Compilation, paragr. 1187.] Compte tenu de ce qui précède, le comité prie le gouvernement de diligenter immédiatement une enquête sur les allégations d’ingérence antisyndicale de l’entreprise C et, si elles s’avèrent fondées, de prendre les mesures correctives nécessaires pour garantir que le Tekgida Iş puisse mener ses activités syndicales sans entrave. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard.
  8. 352. Le comité renvoie les aspects législatifs de ce cas à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 353. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement, dans les cas de licenciement antisyndical, de prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, en pleine consultation avec les partenaires sociaux, pour garantir que les employeurs n’ont pas la possibilité de choisir de payer l’indemnité prévue par la loi au lieu de la réintégration lorsqu’elle est ordonnée et que des sanctions suffisamment dissuasives sont prévues, de manière à ce que le recours éventuel à la réintégration ait un sens. Il rappelle au gouvernement qu’il peut se prévaloir de l’assistance technique du Bureau à cet égard. Le comité prie également le gouvernement de le tenir informé de l’issue des affaires judiciaires concernant trois travailleurs licenciés de l’entreprise C et de communiquer des copies des décisions de justice.
    • b) Le comité prie le gouvernement de fournir une copie du rapport d’inspection du 3 octobre 2019 auquel l’entreprise A fait référence.
    • c) Le comité prie le gouvernement de diligenter sans délai une enquête sur les pressions présumément exercées sur des travailleurs des entreprises B et C afin qu’ils renoncent à leur affiliation syndicale, et de le tenir informé à cet égard.
    • d) Le comité prie le gouvernement de diligenter immédiatement une enquête sur les allégations d’ingérence antisyndicale de l’entreprise C et, si elles s’avèrent fondées, de prendre les mesures correctives nécessaires pour garantir que le Tekgida Iş puisse mener ses activités syndicales sans entrave. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard.
    • e) Le comité renvoie les aspects législatifs de ce cas à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.
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