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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent l’imposition d’amendes pour exercice du droit de grève dans le secteur pétrolier qui dépassent la capacité de paiement des syndicats
- 75. La plainte figure dans une communication reçue le 8 juin 2018 de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et de la Fédération unique des travailleurs du pétrole (FUP).
- 76. Le gouvernement a transmis ses observations par le biais de communications en date du 10 avril 2019 et du 1er février 2021.
- 77. Le Brésil n’a pas ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais a ratifié la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 78. Dans leur communication reçue le 8 juin 2018, les organisations plaignantes dénoncent l’imposition d’amendes pour exercice du droit de grève qui dépassent la capacité de paiement des syndicats. Elles affirment notamment que:
- i) face à une grève lancée par de nombreux syndicats du secteur pétrolier les 30 et 31 mai et le 1er juin 2018, un jour avant son déclenchement, le 29 mai 2018, l’État (União) et la société publique Petróleo Brasileiro S.A. (ci-après la compagnie pétrolière) ont intenté une action en nullité de la grève, en alléguant qu’elle était abusive et motivée par des considérations politiques et idéologiques, et en demandant que tous les travailleurs de la compagnie pétrolière et de ses filiales puissent travailler, sous peine d’une amende de 1 000 000 réaux (environ 196 000 dollars des États-Unis (dollars É.-U.), et que les syndicats s’abstiennent d’empêcher la libre circulation des biens et des personnes (sous peine d’une amende du même montant);
- ii) la magistrate compétente du Tribunal supérieur du travail a rendu le même jour, le 29 mai 2018, une décision ordonnant aux syndicats de s’abstenir de mener la grève, sous peine d’une amende journalière de 500 000 réaux (environ 98 000 dollars É. U.), au motif que la grève était apparemment abusive. La magistrate a fondé sa décision sur les considérations suivantes: il s’agissait d’une «grève de nature politique»; les grèves de nature politique n’ont aucun fondement dans la jurisprudence dominante de la chambre du Tribunal supérieur du travail spécialisée dans les conflits du travail; une convention collective de travail conclue entre les acteurs sociaux était en vigueur jusqu’en 2019; et, selon la magistrate, la grève qui frisait l’opportunisme a été menée pour «causer un trouble à l’ordre public» et était «dépourvue de toute sensibilité», au risque de causer un préjudice grave à la population;
- iii) les organisations plaignantes font valoir que la magistrate a considéré à tort que la grève était de nature purement politique et que, au-delà de la question de la nature de la grève, il est légitime de l’exercer pour exprimer un mécontentement à l’égard de certaines réglementations qui affectent les droits des travailleurs. L’appel à la grève visait notamment cinq objectifs: «1) une réduction des prix du carburant et du gaz de cuisson; 2) le maintien des emplois et une reprise de la production nationale de carburant; 3) la fin des importations d’essence et autres dérivés du pétrole; 4) le refus de la privatisation et le démantèlement du système patronal; enfin, 5) la démission du président de la compagnie». La décision judiciaire a certes mentionné ces objectifs, mais elle n’a pas conclu, comme il ressort de sa lecture, que la grève visait à préserver les emplois et l’entreprise publique. Le mouvement avait une double vocation – les syndicalistes se sont mobilisés aussi bien en tant que travailleurs que comme citoyens et consommateurs – sans que cela n’entame la légitimité de la grève. L’action proposée ne saurait être vue comme une pure grève politique déconnectée du monde du travail et du secteur productif concerné;
- iv) la grève s’étant déroulée le 30 mai 2018, la même magistrate du Tribunal supérieur du travail, soulignant le non-respect allégué de sa décision antérieure, a quadruplé le montant de l’amende journalière initialement fixée, qui est passée à 2 000 000 réaux (environ 392 000 dollars É.-U.). Les organisations plaignantes affirment que, par cette décision, le tribunal a empêché l’exercice effectif du droit de grève;
- v) les services de production et de distribution de gaz et de combustibles, bien que figurant à l’article 10, paragraphe I, de la loi no 7.783/89, ne sont pas soumis à une restriction absolue en matière de grève. Au contraire, dans ces domaines, le droit de grève est garanti dans la mesure où les syndicats, les employeurs et les travailleurs assurent, d’un commun accord pendant la grève, la fourniture des services essentiels pour répondre aux besoins indispensables de la communauté. Dans le cas de la grève en question, les organisations de travailleurs avaient donné ces garanties.
- 79. Les organisations plaignantes se réfèrent au cas no 1889 précédemment examiné par le comité portant sur des sanctions excessives infligées pour exercice de la grève au sein de la même compagnie pétrolière. En l’espèce, le comité a estimé que les sanctions devaient être en rapport avec la gravité de l’infraction commise et ne pas compromettre la poursuite des activités des personnes sanctionnées et a souligné que les grèves légitimes ne devraient pas être soumises à des amendes. Appelant l’attention sur l’effet intimidant et inhibiteur du montant élevé des amendes (100 000 dollars É.-U. par jour de grève), le comité a estimé dans ce cas que l’imposition d’amendes pour exercice du droit de grève n’était pas conforme aux principes de la liberté syndicale et a prié le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour faire annuler les amendes.
- 80. En conclusion, les organisations plaignantes considèrent que, dans le présent cas, les autorités judiciaires ont imposé des amendes à la fois inappropriées et excessives au regard de l’exercice légitime du droit de grève qui, en dépassant la capacité financière des syndicats, ont compromis leur survie.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 81. Dans une communication en date du 10 avril 2019, le gouvernement a envoyé sa réponse aux allégations des organisations plaignantes par le biais d’une note juridique du bureau du Procureur général de l’Union qui transmet la décision judiciaire du 29 mai 2018 qui a ordonné que la grève ne soit pas effectuée. Cette décision judiciaire:
- i) a constaté, sur la base des documents présentés, que la grève résultait des motivations suivantes: 1) baisse des prix du carburant et du gaz de cuisine; 2) maintien des emplois et reprise de la production nationale de carburant; 3) fin des importations d’essence et d’autres produits pétroliers; 4) opposition à la privatisation et au démantèlement du système de l’entreprise employeuse; et 5) démission du président de l’entreprise;
- ii) a considéré, sur la base du point précédent, que: la grève était de nature politique, et que, dénuée de toute sensibilité, elle avait été menée dans le but de causer un trouble à l’ordre public; la grève avait un programme de nature essentiellement politique et de forte ingérence non seulement dans le pouvoir de gouvernance de Petrobras, mais aussi dans ses propres actions de politique publique qui touchaient l’ensemble du pays et dont la résolution ne pouvait se faire sous la pression d’une catégorie professionnelle (jugement);
- iii) a souligné que les revendications ne traitaient pas des conditions de travail des employés de l’entreprise et qu’une convention collective conclue entre les partenaires sociaux était toujours en vigueur jusqu’en 2019. À cet égard, la décision a souligné que l’employeur, bien que subissant les effets de la suspension des activités, n’avait aucun moyen d’apporter des réponses aux revendications, qui étaient adressées aux autorités publiques;
- iv) a également noté que la grève est survenue à un moment où le pays sortait d’une grève des camionneurs qui avait laissé un grand préjudice économique dans le pays et a considéré qu’il existait un dommage potentiellement grave de prolongation possible des effets néfastes causés par la grève des camionneurs;
- v) a considéré dans ce sens que: la grève annoncée révélait un secteur fort et combatif et que les dommages qu’une éventuelle grève du secteur pétrolier causerait à la population brésilienne étaient potentiellement graves, car ils se seraient traduits par la continuité des effets néfastes causés par la grève des camionneurs; la grève, dont le déclenchement n’était pas proportionnel à ce qui, en théorie, pouvait être réalisé avec l’agenda poursuivi, et le sacrifice de la société pour atteindre les objectifs proposés était à la limite de l’opportunisme;
- vi) compte tenu du caractère apparemment abusif de la grève et des graves dommages qu’elle pourrait causer, a ordonné aux organisations concernées de s’abstenir de paralyser les activités et d’entraver la libre circulation des biens et des personnes, sous peine d’une amende journalière de 500 000 réaux (environ 98 000 dollars É.-U.).
- 82. Après avoir transcrit la décision judiciaire mentionnée, le bureau du procureur général souligne que:
- i) la plainte met en cause une décision judiciaire rendue en toute indépendance et conformément à la garantie d’un juge impartial, de sorte que les allégations des plaignants mettent en cause la souveraineté des décisions judiciaires;
- ii) les organisations plaignantes ont cherché à porter atteinte au pouvoir judiciaire en ne respectant pas la décision prononcée; en outre, les organisations plaignantes ont introduit des recours en instance, de sorte que la plainte auprès de l’OIT vise à limiter l’indépendance de la juridiction nationale;
- iii) la grève n’est pas un droit absolu et son caractère raisonnable et proportionné doit être évalué en fonction de l’impact de son exercice sur d’autres droits et intérêts;
- iv) la grève proposée était intransigeante et insensible et ne cherchait pas à défendre les intérêts professionnels ou économiques des travailleurs du pétrole; à la lumière des cinq objectifs précités, il ressort clairement qu’elle visait à semer le chaos dans le pays et à déstabiliser l’ensemble du système politique, économique et juridique, et à compromettre la sécurité et le bien-être des citoyens;
- v) les organisations n’ont pas respecté les exigences prévues par la loi no 7.783/89, notamment la négociation collective préalable (une convention collective était en vigueur jusqu’en août 2019), la publication d’un avis public de convocation d’une assemblée ou la description de la manière dont les services essentiels seraient fournis;
- vi) un conflit entre professionnels et employeurs ne doit pas rendre complètement inopérants les intérêts de la société et, conformément aux principes du caractère raisonnable et de la proportionnalité, l’impact réel de l’exercice de la grève sur d’autres droits et intérêts fondamentaux doit être évalué;
- vii) dans une autre décision de justice, concernant une grève des camionneurs qui a également été jugée abusive (la grève consistait à rouler à vitesse réduite et à occuper plusieurs voies pour ralentir la circulation), le Tribunal fédéral a rappelé que la compatibilité entre droits fondamentaux doit être examinée à la lumière des critères de raisonnabilité et de proportionnalité. Le tribunal a considéré que, dans le cas de la grève des camionneurs, il y avait eu abus, estimant que la grève avait eu un effet disproportionné et intolérable sur le reste de la société, entraînant l’interruption de la fourniture de carburant et des intrants nécessaires à la prestation de services publics essentiels;
- viii) la Centrale unitaire des travailleurs et la Fédération unique des travailleurs du pétrole, en citant dans leur plainte un paragraphe de la Compilation de décisions du Comité de la liberté syndicale indiquant que le secteur du pétrole ne constituait pas un service essentiel au sens strict du terme, cherchent à remettre en question, à des fins possibles de modification ou d’abrogation, la disposition de l’article 10 I), de la loi no 7.783/1989, qui établit que les services dans les secteurs pétroliers sont considérés comme essentiels, sans que le processus législatif ait été dûment respecté ou même sans que le pouvoir judiciaire ait déclaré l’inconstitutionnalité de la disposition susmentionnée.
- 83. Par une communication du 1er février 2021, après avoir réitéré les éléments contenus dans sa précédente communication, le gouvernement fait référence au contexte social dans lequel les autorités publiques ont décidé d’engager une action en justice pour empêcher le déclenchement de la grève en cause dans le présent cas. Le gouvernement indique que, le 21 mai 2018, une grève des chauffeurs routiers a été déclarée et a duré onze jours. Les chauffeurs routiers ont bloqué les routes et empêché la circulation des marchandises, même essentielles. Des services tels que l’approvisionnement en carburant et la distribution de nourriture et de fournitures médicales ont été paralysés. La principale demande des camionneurs était une réduction du prix du diesel, qui a été satisfaite par le gouvernement fédéral. Compte tenu de ce bouleversement social et du fait que l’entreprise est le principal producteur et distributeur de carburant du pays, le gouvernement fédéral a eu recours aux tribunaux pour éviter que la société et le pays ne subissent d’autres dommages importants. Le gouvernement affirme que les raisons susmentionnées montrent que l’action judiciaire entreprise pour empêcher le déclenchement de la grève dans le secteur pétrolier n’était pas précipitée mais avait pour but d’empêcher que cette deuxième grève ne jette le pays dans le chaos.
- 84. Le gouvernement fait ensuite référence à la prise en compte du droit de grève par l’ordonnancement juridique brésilien. Le gouvernement indique à cet égard que: i) l’article 9 de la Constitution fédérale reconnaît le droit de grève comme un droit fondamental; ii) dans le même temps, la Constitution elle-même (art. 9.1) reconnaît que le droit de grève n’est pas absolu et qu’il doit coexister avec les autres droits fondamentaux, que les auteurs d’abus commis pendant les grèves doivent être sanctionnés conformément à la loi et qu’il appartient au législateur de définir les activités essentielles, indispensables à la collectivité, pour lesquelles l’exercice du droit de grève est conditionné; iii) sur la base de ces principes constitutionnels, la loi no 7.783/89 réglemente l’exercice du droit de grève; iv) cette loi définit en particulier les activités essentielles pour la communauté qui doivent être assurées même en cas de grève, la grève dans les secteurs concernés étant soumise à des conditions mais n’étant pas interdite; v) la loi établit certaines exigences pour la validité du mouvement de grève, telles que: l’existence d’une tentative réelle de négociation avant que la grève n’ait lieu, l’approbation par l’assemblée des travailleurs concernée, la remise d’un préavis à l’employeur, qui, dans les activités essentielles, doit intervenir dans les 72 heures précédant la grève; et vi) la loi susmentionnée définit l’existence d’un abus du droit de grève lorsque ses règles ne sont pas respectées ou lorsque la grève est maintenue après la conclusion d’un accord, d’une convention ou après une décision de la justice du travail. Le gouvernement poursuit en affirmant que, dans le cas présent: i) le syndicat ne s’est pas conformé aux exigences formelles contenues dans la loi (existence d’une négociation collective, réunion d’une assemblée syndicale et préavis de grève); ii) le syndicat ne pouvait pas appeler à la grève étant donné qu’une convention collective était en vigueur pour la catégorie jusqu’au 31 août 2019 et que les revendications n’avaient aucun lien avec les clauses de la convention existante; et iii) l’action en justice du gouvernement fédéral visait à éviter d’éventuels dommages à la population qui souffrait déjà depuis plus d’une semaine de l’interruption des services essentiels résultant de la grève des chauffeurs routiers.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 85. Le comité note que les organisations plaignantes dénoncent le fait que, une fois un appel à la grève de trois jours conforme aux prescriptions légales lancé, sur demande de l’État et de la compagnie pétrolière, une décision de justice a été rendue qui a interdit et empêché l’exercice de la grève en imposant des amendes dépassant la capacité de paiement des syndicats et mettant en péril leur survie. Par ailleurs, le comité observe que le gouvernement, après avoir décrit le contexte social dans lequel la grève en question a été déclenchée et avoir rappelé les lignes directrices constitutionnelles et légales qui encadrent le droit de grève, déclare que la grève lancée avait un caractère politique et visait à causer un trouble à l’ordre public, qu’elle ne respectait pas les exigences légales, une convention collective étant en vigueur, qu’elle risquait de causer un préjudice grave (eu égard notamment au fait qu’une grève des camionneurs venait d’avoir lieu). Le comité prend note que le gouvernement déclare également que la grève: i) comportait le risque de dommages importants, d’autant plus qu’une grève des camionneurs avait eu lieu récemment; et ii) compte tenu du fait que l’entreprise est le principal producteur et distributeur de carburant du pays, l’action du gouvernement fédéral visait à éviter de plonger le pays dans le chaos après plus d’une semaine d’interruption des services essentiels en raison de la grève des camionneurs.
- 86. À cet égard, le comité constate que: i) par décision d’un organe judiciaire indépendant, il a été déterminé qu’il s’agissait d’une grève politique présentant un caractère abusif, et les syndicats ont été enjoints de s’abstenir de mener la grève sous peine d’une amende; et ii) cette décision n’ayant pas été respectée, le même tribunal leur a infligé en première instance une amende alourdie d’un montant de 2 000 000 de réaux (approximativement 392 000 dollars É.-U) . Tout en notant les divergences entre les parties quant à la question de savoir si des services minimums avaient été établis, le comité constate que l’organe judiciaire a ordonné aux organisations concernées de s’abstenir de paralyser les activités compte tenu de leur qualification de grève comme politique, sans examiner la question des services minimums. Le comité note également que, dans ses considérations, la décision de justice a fait référence non seulement à la nature politique de la grève, mais également au préjudice potentiellement grave que son exercice pouvait entraîner pour la population, notamment parce qu’il pouvait impliquer une continuation des dommages causés par une précédente grève des camionneurs et au fait que l’ampleur de la grève n’était pas proportionnée à la requête sollicitée et au sacrifice de la société pour la réalisation des objectifs revendiqués.
- 87. Le comité note en outre que, suite à un appel interjeté par les organisations syndicales contre la décision de première instance susmentionnée, le Tribunal supérieur du travail, dans un jugement du 14 décembre 2020: i) a confirmé la décision de première instance en considérant que la grève était abusive, parce qu'elle présentait un caractère éminemment politique depuis son origine et qu'elle avait ostensiblement ignoré la décision judiciaire initiale d'abstention de la grève; et ii) a réduit l'amende de 2 000 000 de réaux à un montant de 250 000 réaux pour chaque organisation syndicale, notant que la grève avait duré un jour et demi sur les trois initialement prévus et tenant compte des capacités financières des syndicats.
- 88. Concernant la nature de la grève, le comité note que, selon les deux parties, la grève a résulté des motivations suivantes: 1) la baisse des prix du carburant et du gaz de cuisine; 2) le maintien des emplois et le retour à la production nationale de carburant; 3) l’arrêt des importations d’essence et d’autres produits pétroliers; 4) l’opposition à la privatisation et au démantèlement du système de l’entreprise; et 5) la démission du président de l’entreprise.
- 89. Le comité note à cet égard que: i) la législation nationale (loi no 7.783 de 1989) fixe les conditions d’exercice de la grève et signale en particulier que les tribunaux du travail se prononcent sur la validité totale ou partielle ou l’irrecevabilité des demandes (art. 8); ii) la législation considère la production et distribution de combustibles comme un service essentiel et conditionne l’exercice du droit de grève dans ce secteur à l’obligation que les syndicats, les employeurs et les travailleurs garantissent, d’un commun accord, la fourniture des services indispensables pour répondre aux besoins inévitables des communautés (ar. 9, 10 et 11); iii) la législation prévoit que les besoins inévitables sont ceux qui, s’ils ne sont pas satisfaits, mettent en danger imminent la survie, la santé ou la sécurité de la population (paragraphe unique de l’article 11); iv) la législation établit que constitue un abus du droit de grève le non-respect de la loi lorsque la paralysie est maintenue après l’adoption d’un accord, d’une convention ou d’une décision judiciaire (art. 14); et v) dans le présent cas, tant en première qu’en seconde instance, les tribunaux nationaux ont décidé que le mouvement de grève en question était de nature éminemment politique et, par conséquent, l’ont considéré abusif.
- 90. À cet égard, le comité rappelle que, s’il a établi que, pour déterminer les cas dans lesquels une grève pourrait être interdite, le critère à retenir est l’existence d’une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé dans tout ou partie de la population [voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 836], il a également considéré que ce que l’on entend par service essentiel au sens strict du terme dépend largement des conditions spécifiques de chaque pays. En outre, ce concept ne revêt pas un caractère absolu dans la mesure où un service non essentiel peut devenir essentiel si la grève dépasse une certaine durée ou une certaine étendue, mettant ainsi en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. [Voir Compilation, paragr. 837.]
- 91. Tout en observant que la législation du Brésil contient des garanties pour l’exercice de la grève et des mesures pour résoudre les conflits par le biais d’un organe judiciaire indépendant, que le droit de grève n’est pas absolu et qu’il peut être restreint dans les services essentiels au sens strict, y compris pour répondre aux besoins inévitables des communautés, le comité rappelle que les intérêts professionnels et économiques que les travailleurs défendent par le droit de grève se rapportent non seulement à l’obtention de meilleures conditions de travail ou aux revendications collectives d’ordre professionnel, mais englobent également la recherche de solutions aux questions de politique économique et sociale et aux problèmes qui se posent à l’entreprise et qui intéressent directement les travailleurs. Le comité rappelle également que le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière: les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. [Voir Compilation, paragr. 758 et 766.]
- 92. Sur le fondement des éléments précédents, le comité estime que, outre l’existence de décisions judiciaires, la situation doit être analysée dans les circonstances de temps, de manière et de lieu, afin d’examiner les raisons invoquées. Le comité rappelle que, bien que les grèves de nature purement politique n’entrent pas dans le champ d’application des principes de la liberté syndicale, les syndicats devraient avoir la possibilité de recourir aux grèves de protestation, notamment en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement. [Voir Compilation, paragr. 763.] Dans le même temps, le comité rappelle qu’il n’a pas compétence pour interpréter la portée des normes juridiques nationales, cette compétence appartenant aux autorités nationales et, en dernier recours, aux autorités juridictionnelles. [Voir Compilation, paragr. 20.]
- 93. En ce qui concerne les sanctions dénoncées par les plaignants, le comité note que, dans le cas d'espèce, celles-ci étaient liées au non-respect d'une décision de justice de prohibition du déclenchement de la grève, assortie d’une amende journalière en cas de non-respect et que les syndicats concernés, qui disposaient d’une instance d’appel pour faire valoir leurs droits, étaient tenus de respecter la décision dictée par des organes judiciaires indépendants. Le comité note par ailleurs que les plaignants dénoncent le caractère inapproprié et excessif des amendes imposées, qui, allant au-delà de la capacité financière des syndicats, compromettrait leur survie.
- 94. À cet égard, le comité rappelle qu’il a examiné dans le passé la question de l’imposition d’amendes excessives pour des actions de grève supposément abusives au sein de la même compagnie pétrolière et où le comité avait souligné que le fait que les partenaires sociaux puissent faire l’objet de sanctions pour violation de la législation du travail, y compris par l’intermédiaire d’amendes, n’est pas en soi contestable; néanmoins, ces sanctions doivent être en rapport avec la gravité de l’infraction commise et, dans tous les cas, ne doivent pas compromettre la poursuite des activités des personnes sanctionnées. [Voir 306e rapport, cas no 1889, mars 1997, paragr. 171-175.]
- 95. Tout en observant que les amendes initialement imposées (environ 98 000 dollars É. U. par jour de grève dans la décision préalable au début du mouvement et 392 000 dollars É. U. dans la décision de première instance consécutive au début de la grève) étaient très élevées et susceptibles d’avoir un impact disproportionné sur la vie des syndicats, le comité note qu'en deuxième instance le Tribunal supérieur du travail a considérablement réduit le montant des amendes (environ 49 000 dollars É.-U. pour chaque syndicat) en se fondant sur la courte durée de la grève et la capacité financière des syndicats. Observant que la législation peut définir les paramètres en la matière, le comité invite le gouvernement à soumettre la question des amendes pour exercice abusif du droit de grève au dialogue tripartite avec les organisations les plus représentatives à la lumière des points soulevés ci-dessus.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 96. Au vu des conclusions qui précèdent, lesquelles n’appellent pas un examen plus approfondi, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Observant que la législation peut définir les paramètres en la matière, le comité invite le gouvernement à soumettre, à la lumière des points soulevés ci-dessus, la question des amendes pour exercice abusif du droit de grève au dialogue tripartite avec les organisations les plus représentatives.