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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 389, Juin 2019

Cas no 3201 (Mauritanie) - Date de la plainte: 24-MARS -16 - Cas de suivi fermés en raison de l'absence d'informations de la part du plaignant ou du gouvernement au cours des 18 mois écoulés depuis l'examen de ce cas par le Comité.

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Allégations: L’organisation plaignante dénonce une circulaire du ministère du Travail qui suspend l’élection de délégués du personnel et qui prive ainsi les travailleurs de représentants légaux pour la conclusion de conventions collectives et les réclamations individuelles et collectives en matière de travail

  1. 467. La plainte figure dans des communications de la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM) en date du 24 mars 2016, du 8 mars 2017 et du 1er août 2018.
  2. 468. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication en date du 13 mai 2016.
  3. 469. La Mauritanie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 470. Dans sa communication en date du 24 mars 2016, la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM) dénonce les dispositions de la circulaire no 002 du 30 octobre 2014 de la Direction générale du travail portant suspension des élections des délégués du personnel en Mauritanie. L’organisation plaignante précise que cette suspension doit prendre fin après l’achèvement du processus, lancé par le décret no 156-2014/IJM du 21 octobre 2014 instaurant un cadre juridique pour fixer les modalités de représentativité dans les secteurs privé et public en vue de l’organisation d’élections professionnelles.
  2. 471. L’organisation plaignante rappelle que le législateur mauritanien a confié deux principales missions aux délégués du personnel de l’entreprise: i) négocier et conclure des conventions collectives d’entreprise (aux termes de l’article 99 du Code du travail); et ii) la mission de présentation des réclamations individuelles et collectives des salariés (art. 122 du Code du travail). Ces deux missions soulignent le rôle central joué par le délégué du personnel dans les relations entre l’employeur et l’employé tout au long de la vie de l’entreprise, notamment lors des périodes de négociations collectives. Le Code du travail impose à toute entreprise de procéder sans tarder à la mise en place de délégués du personnel dès lors qu’elle emploie plus de dix travailleurs (art. 118 du Code du travail). Des sanctions sont prévues en cas de manquement dans la désignation des représentants du personnel et dans l’exercice de leurs fonctions (art. 434 du Code du travail).
  3. 472. La CGTM rappelle aussi que le mandat de délégué du personnel est d’une durée de deux ans (art. 120 du Code du travail) et que le renouvellement doit avoir lieu dans le mois qui précède l’expiration normale des fonctions des délégués (art. 412 de l’arrêté no 6.595 du 4 septembre 1953 modifié par l’arrêté no 7.852 du 9 octobre 1955 et par l’arrêté no 10.282 du 2 juin 1965 pris pour application du titre premier du livre V du Code du travail concernant les délégués du personnel). Enfin, la réglementation en vigueur prévoit que l’organisation et le déroulement du scrutin incombe à l’employeur (art. 12 de l’arrêté no 6.595 modifié par les arrêtés nos 7.852 et 10.282).
  4. 473. Or, selon la CGTM, les dispositions légales concernant les délégués du personnel sont de plus en plus violées dans la mesure où plusieurs entreprises et établissements refusent désormais de procéder au renouvellement des collèges des délégués du personnel, encouragés en cela par les pouvoirs publics qui ont suspendu le renouvellement des instances représentatives du personnel via la circulaire no 002 par laquelle le directeur général du travail a demandé aux inspecteurs régionaux du travail de surseoir à toute élection des délégués du personnel. La CGTM a saisi l’inspection régionale du travail de Nouakchott Ouest (lettre no 063 en date du 16 décembre 2015) afin de protester contre une ingérence illégale et inadmissible. L’inspection régionale du travail a, en retour, notifié par écrit (lettre no 389 du 28 décembre 2015) qu’elle s’en tient aux termes de la circulaire en question.
  5. 474. La CGTM considère qu’il s’agit d’une violation de la législation et de la réglementation en vigueur dans le pays et des conventions nos 87 et 98 ratifiées par la Mauritanie. En conclusion, l’organisation plaignante demande au Comité de la liberté syndicale de prendre les mesures qui s’imposent afin que le gouvernement de la Mauritanie abroge les dispositions de la circulaire no 002 du 30 octobre 2014.
  6. 475. Dans une communication en date du 8 mars 2017, la CGTM a demandé la suspension de l’examen de sa plainte par le comité. L’organisation plaignante a justifié son choix par les bonnes dispositions affichées par le gouvernement pour résoudre la question de la détermination de la représentativité syndicale dans le pays. Le gouvernement donnait ainsi suite aux recommandations formulées par une mission du BIT qui s’était rendue dans le pays en janvier 2017. Le 6 mars 2017, le gouvernement a signé avec l’ensemble des organisations syndicales, et notamment la CGTM, une feuille de route préconisant l’organisation d’élections de délégués du personnel, dans une période allant du 1er juillet 2017 au 30 octobre 2017, dans les entreprises du secteur privé ainsi que dans les départements ministériels, en vue de la désignation des membres des commissions administratives paritaires. La CGTM explique avoir demandé la suspension de l’examen de sa plainte pour offrir toutes les chances de succès au processus.
  7. 476. Dans sa communication en date du 1er août 2018, la CTGM a cependant constaté que le processus prévu dans la feuille de route du 6 mars 2017 n’a pas été concrétisé par le gouvernement. De l’avis de la CGTM, même si un certain nombre de textes réglementaires ont été pris par les autorités, il n’en demeure pas moins que le processus de détermination de la représentativité syndicale se trouve renvoyé à une modification du Code du travail qui, compte tenu des échéances électorales prévues en 2019, ne pourrait être engagée qu’en 2020 dans le meilleur des cas. La CGTM dénonce en outre le fait que ce statu quo semble arranger les entreprises du secteur privé qui continuent d’invoquer la circulaire no 002 du 30 octobre 2014 afin de refuser la tenue d’élections des délégués du personnel demandée par les organisations syndicales pour le renouvellement des mandats. La situation prive ainsi les travailleurs de la possibilité de présenter aux employeurs leurs revendications, individuelles et collectives, via les représentants qu’ils devraient avoir en vertu de la loi.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 477. Dans une communication en date du 13 mai 2016, le gouvernement a confirmé que le législateur a confié d’importantes missions aux délégués du personnel au sein des entreprises. Il s’agit de la présentation aux employeurs de toutes les réclamations individuelles ou collectives qui n’auraient pas été directement satisfaites concernant les conditions de travail et la protection des travailleurs; l’application des conventions collectives et des classifications professionnelles; la saisine de l’inspection du travail de toutes plaintes ou réclamations concernant l’application des prescriptions légales et réglementaires dont elle est chargée d’assurer le contrôle; la communication à l’employeur de toutes les propositions utiles tendant à l’amélioration de l’organisation et du rendement de l’entreprise; et la communication à l’employeur d’avis et de propositions sur les mesures de licenciement envisagées pour motif économique.
  2. 478. Compte tenu de l’importance de cette mission du délégué du personnel, il revenait au gouvernement de veiller à le préserver de tout soupçon par une application rigoureuse du régime juridique qui organise son élection. C’est dans cette logique que la Direction du travail a considéré indispensable que les entreprises mettent en œuvre les dispositions légales pertinentes. L’article 120 du Code du travail qui porte sur l’élection des délégués du personnel dispose que, «au premier tour de scrutin, chaque liste est établie par les organisations professionnelles les plus représentatives au sein de l’établissement pour chaque catégorie de personnel». Or, à ce jour, le problème de la représentativité n’a pas encore été résolu dans le pays. Dans la mesure où toute élection organisée en violation des prescriptions de l’article 120 du Code du travail serait nulle et de nul effet, la Direction du travail a engagé, avec l’appui du Bureau international du Travail et en consultation avec plusieurs organisations syndicales, dont l’organisation plaignante, un processus qui doit aboutir à la détermination des organisations les plus représentatives.
  3. 479. Dans ce sens, un texte à caractère réglementaire pour donner effet aux prescriptions de l’article 120 du Code du travail a été adopté. Il s’agit du décret no 2014-156/PM relatif à la détermination de la représentativité des organisations syndicales, autour duquel une large concertation avait été engagée avant son adoption. Le gouvernement se déclare donc engagé dans ce processus de détermination des organisations syndicales les plus représentatives afin de mettre un terme à une situation dont, à son avis, les conséquences sur la légitimité de ceux qui actuellement négocient au nom des travailleurs sont désastreuses.
  4. 480. Le gouvernement indique que la CGTM, comme beaucoup d’autres organisations syndicales, a toujours été informée des démarches entreprises, et il lui semblait qu’elle se reconnaissait parfaitement dans les approches suivies. Le gouvernement tient à affirmer son attachement au strict respect de la législation du travail dont il est, en définitif, le premier garant, de même que sa volonté de poursuivre la concertation et le dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés pour aboutir à la détermination de la représentativité des organisations syndicales dans le pays.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 481. Le comité note que le présent cas porte sur la dénonciation, par l’organisation plaignante, de la suspension de toute élection de délégués du personnel dans les entreprises du pays depuis une circulaire de la Direction du travail en octobre 2014.
  2. 482. Le comité note, selon les allégations de la CGTM, que les délégués du personnel ont un rôle central dans les relations professionnelles dans les entreprises aux termes des compétences qui leur sont dévolues par le Code du travail. Ces derniers détiennent notamment le mandat de négocier et de conclure des conventions collectives d’entreprise, ainsi que celui de présenter des réclamations individuelles et collectives des salariés. Le Code du travail impose aux entreprises de procéder sans tarder à la mise en place de délégués du personnel dès lors qu’elle emploie plus de dix travailleurs, et des sanctions sont prévues en cas de manquement. En outre, la réglementation en vigueur prévoit que l’organisation et le déroulement du scrutin incombent à l’employeur.
  3. 483. Rappelant que le mandat électif des délégués du personnel est de deux ans, la CGTM dénonce le fait que de plus en plus d’entreprises et d’établissements refusent de procéder actuellement au renouvellement des collèges des délégués du personnel, encouragés en cela par les pouvoirs publics qui ont suspendu le renouvellement des instances représentatives du personnel via la circulaire no 002 du 30 octobre 2014 de la Direction du travail qui demande aux inspections régionales du travail de surseoir à toute élection des délégués du personnel. La CGTM indique enfin que l’inspection régionale du travail de Nouakchott Ouest n’a pas souhaité donner suite à son recours de décembre 2015 dénonçant l’ingérence des pouvoirs publics.
  4. 484. Le comité note que, dans sa réponse, le gouvernement reconnaît l’importance de la mission dévolue par le législateur aux délégués du personnel au sein des entreprises. Faisant référence aux dispositions du Code du travail aux termes desquelles les listes de candidats aux élections de délégués du personnel doivent être établies par les organisations professionnelles les plus représentatives au sein de l’établissement pour chaque catégorie de personnel (art. 120 du Code du travail), le gouvernement fait le constat que la détermination des organisations syndicales les plus représentatives n’a pas encore été effectuée à ce jour en Mauritanie et que toute élection de délégués du personnel se ferait donc en violation des textes en vigueur. Cette situation explique l’adoption de la circulaire no 002 d’octobre 2014 de la Direction du travail qui, en l’absence de détermination d’organisations syndicales les plus représentatives, a suspendu l’organisation des élections et ainsi préservé de tout soupçon qui aurait pu entourer le déroulement d’élections.
  5. 485. Dans le même temps, le gouvernement rappelle qu’il est engagé, depuis l’adoption du décret no 2014-156/PM, avec les organisations syndicales concernées – dont la CGTM – dans un processus qui doit aboutir à la détermination des organisations syndicales les plus représentatives. Ce processus qui doit encore se poursuivre se fait avec l’appui technique du BIT. Le comité note l’engagement réitéré du gouvernement à poursuivre la concertation et le dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés pour aboutir à la détermination de la représentativité des organisations syndicales dans le pays.
  6. 486. Le comité note que, suite à une mission du BIT en janvier 2017 et aux recommandations qu’elle a formulées, le gouvernement s’est mis d’accord en mars 2017 avec l’ensemble des organisations syndicales, y compris la CGTM, sur une feuille de route préconisant l’organisation d’élections de délégués du personnel, dans une période allant du 1er juillet 2017 au 30 octobre 2017, dans les entreprises du secteur privé ainsi que dans les départements ministériels en vue de la désignation des membres des commissions administratives paritaires. Souhaitant la réussite du processus engagé, la CGTM avait demandé la suspension de l’examen de la plainte quelques jours après la signature de ladite feuille de route. En août 2018, l’organisation plaignante a cependant constaté que le processus prévu dans la feuille de route n’était toujours pas entamé. Malgré l’adoption d’un certain nombre de textes réglementaires par les autorités, la CGTM déplore que le processus de détermination de la représentativité syndicale se trouve renvoyé à une modification du Code du travail qui, compte tenu des échéances électorales prévues en 2019, ne pourrait être engagée qu’en 2020 dans le meilleur des cas. La CGTM dénonce en outre le fait que les entreprises du secteur privé continuent d’invoquer la circulaire no 002 du 30 octobre 2014 afin de refuser la tenue d’élections des délégués du personnel demandée par les organisations syndicales pour le renouvellement des mandats. L’organisation plaignante déplore le fait que cette situation prive ainsi les travailleurs de la possibilité de présenter aux employeurs leurs revendications, individuelles et collectives, via les représentants qu’ils devraient avoir en vertu de la loi. Le comité ne peut qu’exprimer sa préoccupation devant le temps écoulé sans réel progrès dans l’organisation d’élections de délégués du personnel. Le comité est d’avis que cette situation ne peut, à long terme, qu’avoir un effet néfaste et déstabilisant sur le climat des relations professionnelles, dès lors qu’elle prive les travailleurs d’un droit fondamental d’être représentés pour défendre ou promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux.
  7. 487. Le comité prend note de la position exprimée par le gouvernement en 2016 qui rappelle sa responsabilité de veiller au respect des textes en vigueur et le souci de permettre l’organisation d’élections de délégués du personnel dans des conditions incontestables où la détermination des organisations syndicales les plus représentatives serait déjà acquise. Le comité observe que le décret no 2014-156/PM adopté à cet effet s’appuie sur les élections professionnelles au niveau des entreprises du secteur privé et de la fonction publique pour leur détermination. Le comité comprend néanmoins la préoccupation de l’organisation plaignante devant les conséquences pratiques de l’absence de délégués du personnel dans les entreprises suite à la circulaire no 002 visant en quelque sorte une remise à zéro en vue de ces élections, ce qui aurait pour résultat l’absence ou l’interruption de la voie principale de dialogue social et de résolution des conflits individuels et collectifs prévue par le législateur. Le comité est d’avis que, compte tenu du temps écoulé depuis l’adoption de la circulaire no 002 d’octobre 2014, une solution devrait être trouvée d’urgence pour assurer sans délai une représentation légitime des travailleurs dans les entreprises et les administrations publiques, et il s’attend à ce que le gouvernement adopte d’urgence tous les textes réglementaires prévus dans le décret no 2014-156/PM pour fixer les modalités pratiques afin que des élections de délégués du personnel puissent être organisées sans délai tant dans les entreprises du secteur privé que dans la fonction publique. Le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé de tout progrès à cet égard.
  8. 488. Tout en notant les critères objectifs et préétablis pour déterminer les organisations syndicales représentatives prévus dans le décret no 2014-156/PM (respect des valeurs édictées par la Constitution; indépendance; étendue sur le territoire national; cotisations reçues des membres), le comité attend du gouvernement qu’il l’informe sans délai des mesures tangibles prises pour achever la mise en œuvre de la feuille de route signée en mars 2017 avec les organisations syndicales. A cet égard, le comité veut croire que le gouvernement pourra continuer de se prévaloir de l’assistance technique du Bureau s’il en manifeste l’intérêt.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 489. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité s’attend à ce que le gouvernement adopte d’urgence tous les textes réglementaires prévus dans le décret no 2014-156/PM pour fixer les modalités pratiques afin que des élections de délégués du personnel puissent être organisées sans délai tant dans les entreprises du secteur privé que dans la fonction publique. Le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé de tout progrès à cet égard.
    • b) Le comité attend du gouvernement qu’il l’informe sans délai des mesures tangibles prises pour achever la mise en œuvre de la feuille de route signée en mars 2017 avec les organisations syndicales. A cet égard, le comité veut croire que le gouvernement pourra continuer de se prévaloir de l’assistance technique du Bureau s’il en manifeste l’intérêt.
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