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Rapport définitif - Rapport No. 380, Octobre 2016

Cas no 3134 (Cameroun) - Date de la plainte: 01-JUIN -15 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent des actes d’intimidation, des arrestations et des détentions de dirigeants syndicaux par les autorités

  1. 143. La plainte figure dans une communication en date du 1er juin 2015 du Syndicat national des employés du secteur des transports terrestres (SYNESTER) et du Syndicat national des conducteurs professionnels et ouvriers des transports en commun (SYNACPROTCAM).
  2. 144. Le gouvernement a envoyé des observations partielles dans des communications en date des 14 août et 8 septembre 2015.
  3. 145. Le Cameroun a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 146. Dans des communications en date des 1er juin 2015 et 16 mars 2010, le Syndicat national des employés du secteur des transports terrestres (SYNESTER) et le Syndicat national des conducteurs professionnels et ouvriers des transports en commun (SYNACPROTCAM) dénoncent le fait que, après avoir lancé conjointement un mot d’ordre de grève nationale pour le 5 janvier 2015, le président national du SYNESTER (M. Jean Collins Ndefossokeng) et le président national du SYNACPROTCAM (M. Joseph Deudie) ont été arrêtés et mis en garde à vue, et le chargé de mission du SYNESTER (M. Patrice Fioko) a été condamné à être placé en détention préventive pendant six mois.
  2. 147. Ce mot d’ordre de grève faisait suite à la décision d’une commission tripartite composée du ministère des Finances, de l’Association des assureurs camerounais (ASAC) et de syndicats des transporteurs publics de voyageurs, réunis le 11 novembre 2014 (sans la participation du SYNESTER et du SYNACPROTCAM), d’augmenter de deux à trois mois la période couverte par la prime d’assurance à partir du 1er janvier 2015. L’opposition du SYNESTER et du SYNACPROTCAM dans les médias et la mobilisation ont amené le gouvernement à entamer un dialogue avec les deux centrales syndicales. Selon les deux organisations plaignantes, les assurances reçues alors de la part des autorités gouvernementales pour essayer de faire entendre raison aux compagnies d’assurances ont amené les deux centrales syndicales à suspendre leur mot d’ordre de grève initial.
  3. 148. Cependant, dès le 1er janvier 2015, les assureurs décidèrent d’appliquer les résolutions de la commission tripartite. Suite à cette décision des assureurs, le SYNACPROTCAM et le SYNESTER ont ainsi lancé à leurs affiliés un appel à la grève à partir du lundi 19 janvier 2015 sur tout le territoire. Selon les organisations plaignantes, face à cette mobilisation, le gouvernement a décidé d’emprisonner les dirigeants des deux centrales. Ainsi, le 15 janvier 2015, le chargé de mission no 1 du SYNESTER, M. Patrice Fioko, est arrêté en pleine distribution de tracts dans la ville de Bafoussam. Le 16 janvier 2015, suite à leur participation à une émission de radio où ils ont renouvelé l’appel à la grève, les présidents du SYNESTER (M. Jean Collins Ndefossokeng) et du SYNACPROTCAM (M. Joseph Deudie) sont arrêtés et écroués au Groupement mobile d’intervention de la police (G.M.I.) pour une garde à vue administrative de quinze jours aux motifs d’apologie du crime, sédition et activités terroristes.
  4. 149. A sa libération, le président du SYNESTER s’est immédiatement rendu à la ville de Bafoussam où le chargé de mission du SYNESTER était en détention préventive pour une durée de six mois au motif de tentative de rébellion. Sur place, le président du SYNESTER est intervenu auprès des différentes autorités pour expliquer que M. Patrice Fioko agissait dans un cadre strictement syndical. Le juge d’instruction a ainsi été réceptif aux explications et a ordonné une mainlevée du mandat de détention provisoire le 20 février 2015. M. Patrice Fioko a été libéré le 27 février 2015.
  5. 150. Enfin, les organisations plaignantes dénoncent le fait que, lors de leur détention, les dirigeants du SYNESTER et du SYNACPROTCAM ont fait l’objet d’interrogatoires concernant des actes de terrorisme en relation avec la nouvelle loi portant répression des actes de terrorisme. Les organisations plaignantes rappellent que l’article 2, alinéa 2, de la loi prévoit de punir «de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en coaction, commet tout acte ou menace susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages de ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention: a) d’intimider la population, de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes; b) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations; c) de créer une insurrection générale dans le pays». Les organisations plaignantes considèrent que la mise en œuvre de la loi de répression du terrorisme rend désormais impossible toute activité syndicale dans le respect des principes de la convention no 87.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 151. Dans une communication en date du 8 septembre 2015, le gouvernement fournit les explications partielles suivantes relatives aux faits allégués.
  2. 152. En ce qui concerne l’augmentation de la période couverte par la prime d’assurance, il s’agit d’une décision des compagnies d’assurances. En prélude à cette augmentation, une commission tripartite a été constituée au ministère des Finances, avec la participation de travailleurs, des compagnies d’assurances et du gouvernement représenté par le ministère des Finances. Le SYNESTER et le SYNACPROTCAM ont demandé à intégrer la commission en question lors de ses travaux, ce qui n’a pas été possible. A l’issue des travaux, la commission a rendu publiques les conclusions de ses assises dont la plus importante était la hausse de la période couverte par la prime d’assurance, contestée aussitôt par les organisations plaignantes. Saisi de la situation, le gouvernement via le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a reçu les responsables et les membres syndicaux des centrales syndicales. Le Directeur des relations professionnelles, au nom du ministre du Travail, a invité les différents syndicats à s’entendre via un consensus formel, ce qui n’a pas été possible jusqu’à ce jour du fait des intérêts divergents. Le gouvernement précise que le paiement de la prime d’assurance est à la charge des employeurs et n’entre pas dans le cadre des activités syndicales des travailleurs.
  3. 153. S’agissant de l’arrestation des présidents des deux centrales syndicales et du chargé de mission du SYNESTER, le gouvernement indique que les centrales syndicales se sont engagées à manifester, sans avoir épuisé toute la procédure en matière de grève. Le gouvernement indique par ailleurs que, à l’issue d’une émission radiophonique au cours de laquelle les deux présidents syndicaux en question auraient tenu des propos frôlant le terrorisme, le gouverneur de la région du centre a ordonné leur interpellation et leur garde à vue pour une période de quinze jours renouvelable une fois, conformément à la législation en vigueur. A l’issue des quinze premiers jours de détention, le gouvernement a sollicité et obtenu de l’autorité administrative compétente leur mise en liberté.
  4. 154. Le gouvernement conclut en indiquant que la liberté syndicale est effective au Cameroun. Elle s’apprécie à travers la quantité d’organisations d’employeurs et de travailleurs qui exercent leurs activités sur le territoire national en toute liberté et sans ingérence des autorités. En outre, la négociation collective est une pratique constante et permanente au Cameroun.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 155. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations d’arrestation et de détention de dirigeants du Syndicat national des employés du secteur des transports terrestres (SYNESTER) et du Syndicat national des conducteurs professionnels et ouvriers des transports en commun (SYNACPROTCAM) en représailles à un mot d’ordre de grève nationale lancé en janvier 2015.
  2. 156. Le comité observe, selon les informations fournies, qu’en novembre 2014 le gouvernement a organisé une commission tripartite concernant le secteur des transports publics de voyageurs, à laquelle les deux organisations plaignantes n’ont pas pu participer, et à l’issue de laquelle il a été décidé entre autres d’augmenter la période couverte par la prime d’assurance de deux à trois mois à partir de janvier 2015. Suite à l’opposition du SYNESTER et du SYNACPROTCAM, le gouvernement a initié des réunions avec les syndicats concernés qui n’ont abouti à aucun progrès en raison, selon le gouvernement, de divergences d’intérêts. En janvier 2015, la mise en œuvre par les compagnies d’assurances de la hausse prévue a incité le SYNESTER et le SYNACPROTCAM à lancer un mot d’ordre de grève nationale pour le 19 janvier 2015.
  3. 157. Le comité note selon les allégations des organisations plaignantes que, le 15 janvier 2015, le chargé de mission du SYNESTER a été arrêté dans la ville de Bafoussam alors qu’il distribuait des tracts concernant la grève à venir et a été immédiatement mis en détention provisoire initialement pour une durée de six mois au motif de tentative de rébellion. Dans le même temps, le 16 janvier 2015, les présidents du SYNESTER et du SYNACPROTCAM ont été arrêtés suite à une émission de radio où ils ont confirmé leur mot d’ordre de grève générale. Ils sont détenus au Groupement mobile d’intervention de la police (G.M.I.) pour une durée de quinze jours aux motifs d’apologie du crime, sédition et activités terroristes. Le gouvernement indique, au sujet de l’arrestation des deux présidents, qu’ils avaient tenu des propos tels lors de l’émission de radio que le gouverneur de la région du centre a demandé leur interpellation et leur détention pour apologie du crime, sédition et activités terroristes conformément à la loi. Rappelant en outre – sans autre précision – que les deux centrales syndicales n’avaient pas épuisé l’ensemble des procédures juridiques en vigueur pour organiser la grève, le gouvernement indique avoir demandé et obtenu la libération des deux présidents à l’issue de la période de détention de sûreté de quinze jours.
  4. 158. Par ailleurs, le comité note que le chargé de mission du SYNESTER a été libéré le 27 février 2015 par une mainlevée de la décision de détention préventive suite à l’intervention du SYNESTER qui a confirmé que M. Patrice Fioko agissait, lors de son arrestation par la police, dans le cadre de ses activités syndicales.
  5. 159. Le comité regrette que le gouvernement n’ait pas fourni des informations plus précises concernant la teneur des propos tenus par les présidents du SYNESTER et du SYNACPROTCAM pendant l’émission de radio du 16 janvier 2015, et exprime sa profonde préoccupation du fait que ces propos ont conduit à l’arrestation de ces derniers et leur détention pendant quinze jours aux motifs d’apologie du crime, de sédition et d’activités terroristes sur instruction du gouverneur de la région du centre et non d’une instance judiciaire. A cet égard, le comité souhaite rappeler que le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées, de sorte que les travailleurs et les employeurs, tout comme leurs organisations, devraient jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs réunions, publications et autres activités syndicales. Néanmoins, dans l’expression de leurs opinions, les organisations syndicales ne devraient pas dépasser les limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 154.]
  6. 160. Le comité constate néanmoins que les arrestations mentionnées ont eu pour conséquence directe d’empêcher la tenue de la grève appelée par les deux centrales syndicales le 19 janvier 2015. Le comité souhaite rappeler, concernant le droit de grève, qu’il s’agit de l’un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux. En outre, les conditions posées par la législation pour qu’une grève soit considérée comme un acte licite doivent être raisonnables et, en tout cas, ne pas être telles qu’elles constituent une limitation importante aux possibilités d’action des organisations syndicales. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 522 et 547.] Par ailleurs, concernant l’arrestation et la détention de syndicalistes, le comité rappelle fermement les principes suivants: i) l’arrestation de dirigeants syndicaux et de syndicalistes ainsi que de dirigeants d’organisations d’employeurs dans l’exercice d’activités syndicales légitimes en rapport avec leurs droits d’association, même si c’est pour une courte période, constitue une violation des principes de la liberté syndicale; ii) les mesures d’arrestation de syndicalistes et de dirigeants d’organisations d’employeurs peuvent créer un climat d’intimidation et de crainte empêchant le déroulement normal des activités syndicales; et iii) si des personnes menant des activités syndicales ou exerçant des fonctions syndicales ne peuvent prétendre à l’immunité vis-à-vis de la législation pénale ordinaire, les activités syndicales ne devraient pas en elles-mêmes servir de prétexte aux pouvoirs publics pour arrêter ou détenir arbitrairement des syndicalistes. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 62, 67 et 72.] Le comité attend du gouvernement qu’il veille au plein respect des principes rappelés ci-dessus.
  7. 161. Le comité note avec préoccupation que, selon les organisations plaignantes, les arrestations dans le présent cas liées à la mise en œuvre des dispositions de la loi portant répression des actes de terrorisme (no 2014/028 du 23 décembre 2014) illustrent la situation vécue désormais par les syndicats au Cameroun où l’exercice des activités syndicales conformément à la convention no 87 est rendu impossible. Le comité prie instamment le gouvernement de s’assurer non seulement que la mise en œuvre de la loi portant répression des actes de terrorisme n’a pas pour conséquence de porter préjudice à des dirigeants et membres syndicaux s’exprimant dans le cadre de leurs mandats et exerçant des activités syndicales légitimes dans le respect des principes de la liberté syndicale, mais aussi qu’elle n’est pas perçue comme une menace ou une intimidation destinée à des syndicalistes ou au mouvement syndical dans son ensemble. En outre, le comité renvoie à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations les aspects législatifs du cas en ce qui concerne la conformité de la loi portant répression des actes de terrorisme avec les principes de la liberté syndicale.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 162. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité attend du gouvernement qu’il veille au plein respect des principes de la liberté syndicale que le comité rappelle concernant le droit de grève, la liberté d’expression, l’arrestation et la détention de syndicalistes.
    • b) Le comité prie instamment le gouvernement de s’assurer non seulement que la mise en œuvre de la loi portant répression des actes de terrorisme (no 2014/028 du 23 décembre 2014) n’a pas pour conséquence de porter préjudice à des dirigeants et membres syndicaux s’exprimant dans le cadre de leurs mandats et exerçant des activités syndicales légitimes dans le respect des principes de la liberté syndicale, mais aussi qu’elle n’est pas perçue comme une menace ou une intimidation destinée à des syndicalistes ou au mouvement syndical dans son ensemble.
    • c) Le comité renvoie à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations les aspects législatifs de ce cas en ce qui concerne la conformité de la loi portant répression des actes de terrorisme avec les principes de la liberté syndicale.
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