Afficher en : Anglais - Espagnol
- 873. La plainte figure dans une communication du 5 mars 2008 présentée par les organisations syndicales affiliées au Bureau permanent pour la justice au travail (MPJL), organisme regroupant plusieurs confédérations, fédérations et syndicats salvadoriens qui souscrivent à la plainte. La Fédération syndicale mondiale – Section Amériques – s’est associée à la plainte dans une communication datée du 10 mars 2008. Les organisations de la MPJL ont présenté de nouvelles allégations dans une communication datée du 10 juin 2008. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication datée du 18 juin 2008.
- 874. El Salvador a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 875. Dans leur communication du 5 mars 2008, les organisations syndicales affiliées au Bureau permanent pour la justice au travail (MPJL) allèguent que, le 1er novembre 2007, le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale de la République d’El Salvador (MINTRAB) a adopté une décision par laquelle il rejetait la demande d’octroi de la personnalité juridique présentée par le Syndicat du personnel judiciaire d’El Salvador (SINEJUS). Il est indiqué dans cette décision que la «demande d’octroi de la personnalité juridique présentée par l’organisation souhaitant se constituer sous le nom de Syndicat du personnel judiciaire d’El Salvador et le sigle SINEJUS est rejetée». Cette décision porterait atteinte au droit d’organisation des agents du pouvoir judiciaire.
- 876. Selon les organisations plaignantes, le 3 septembre 2007, soit après la ratification par El Salvador de la convention no 87, trois agents du pouvoir judiciaire sont convenus de convoquer une assemblée en vue de la constitution du Syndicat du personnel judiciaire d’El Salvador (SINEJUS). La décision a été mise à exécution et une invitation adressée en conséquence à tous les agents de l’appareil judiciaire intéressés. L’assemblée devait avoir lieu le 6 septembre 2007, dans la salle B-4, au quatrième étage, à San Salvador. Au cours de cette assemblée, la constitution du syndicat a été arrêtée, un comité provisoire a été élu et les statuts régissant le fonctionnement de l’organisation ont été approuvés.
- 877. Le 7 septembre 2007, lendemain de l’assemblée, l’organisation a demandé au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale l’octroi de la personnalité juridique et, parallèlement, son enregistrement en tant que syndicat légalement constitué, annexant à sa demande écrite les pièces prévues par la loi, à savoir l’invitation à l’assemblée convoquée aux fins de la constitution et la fondation du syndicat, l’acte notarié constatant la constitution du syndicat, la liste des membres fondateurs et deux exemplaires des statuts approuvés. Le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale a reçu la demande susmentionnée et il a procédé à son examen avant de se prononcer sur son contenu.
- 878. Les organisations plaignantes ajoutent que, le 16 octobre 2007, comme la demande du SINEJUS était encore en instance devant le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice d’El Salvador a rendu un jugement dans lequel elle déclarait que la mention «sans distinction d’aucune sorte» qui figure à l’article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, dans une phrase consacrant le droit des travailleurs quels qu’ils soient à constituer une organisation n’était pas conforme à la Constitution de la République (c’est-à-dire qu’elle était inconstitutionnelle). Cette décision a été rendue publique le 30 octobre 2007.
- 879. Deux jours après la publication de la déclaration d’inconstitutionnalité, le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale a rejeté la demande d’octroi de la personnalité juridique présentée par le SINEJUS au motif que les agents de l’Etat ne jouissaient pas du droit d’organisation, comme établi dans la décision rendue par quatre magistrats de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice et conformément au paragraphe 3 de l’arrêté ministériel, qui se fonde sur l’article 10 de la loi sur la procédure constitutionnelle et se lit comme suit: «l’arrêt définitif n’est pas susceptible d’appel et il lie de façon générale les organes de l’Etat, leurs agents et autorités et toute personne physique ou morale».
- 880. On constatera que le SINEJUS a demandé l’octroi de la personnalité juridique quarante jours avant la déclaration d’inconstitutionnalité. Or les déclarations d’inconstitutionnalité ont un effet ex nunc, c’est-à-dire qu’elles s’appliquent uniquement aux actes postérieurs. Cette règle est destinée à sauvegarder la sécurité juridique, principe qui fonde l’ordre juridique salvadorien.
- 881. D’autre part, le refus d’octroyer la personnalité juridique au SINEJUS, qui porte atteinte au droit d’organisation, met également en lumière la mauvaise foi de l’Etat quant au respect de ses obligations internationales. Dans le cadre du droit international, ce comportement enfreint le principe pacta sunt servanda, selon lequel tout traité international doit être appliqué et l’invocation de dispositions du droit interne pour justifier la non-application d’un traité est impossible. Il s’agit d’une faute internationale et d’un affront au principe de la bonne foi qui doit régir les relations entre les Etats en ce qui concerne l’application entière et efficace des différentes normes internationales qu’ils ont ratifiées.
- 882. Les organisations plaignantes rappellent que le Comité de la liberté syndicale de l’OIT a établi, à plusieurs reprises, que le refus de reconnaître le droit d’association aux agents de la fonction publique constituait une grave atteinte à la liberté syndicale.
- 883. Selon les organisations plaignantes, l’Etat salvadorien a fait preuve à n’en pas douter d’une mauvaise foi évidente en ce qui concerne l’application de ses obligations internationales, alors même que l’OIT l’exhorte depuis plusieurs années à procéder aux réformes législatives qui s’imposent.
- 884. Il convient de rappeler ainsi que, en 2005, le gouvernement salvadorien s’est engagé à ratifier la convention no 87 devant des pays de l’Union européenne, à l’occasion de pourparlers visant la prorogation des préférences tarifaires accordées dans le cadre des accords commerciaux entre El Salvador et l’Union. A ces fins, le 12 avril 2005, le Président de la République a créé la Commission nationale pour la modernisation du travail (CONAMOL), organe notamment chargé d’examiner les conventions nos 87 et 98 de l’OIT afin de mettre en lumière les moyens pouvant permettre de s’acheminer vers leur ratification.
- 885. Par la suite, le 25 octobre 2005, la CONAMOL a recommandé de modifier la Constitution et a annoncé que des propositions quant aux aménagements nécessaires en vue de la ratification des deux conventions seraient présentées à l’assemblée législative en avril 2006.
- 886. Cependant, en avril 2006, le pouvoir exécutif n’a présenté aucune proposition de modification de la Constitution et ni les représentants de la CONAMOL ni les autres fonctionnaires compétents n’ont fait de déclaration sur le sujet si l’on excepte une intervention de la ministre de l’Economie. En effet, deux jours avant la fin des travaux de l’assemblée législative précédente, la ministre a tenté de nier la responsabilité du gouvernement dans les pertes de profits économiques qui risquaient de découler de la situation pour certaines entreprises, la rejetant sur le pouvoir législatif. En El Salvador, une réforme constitutionnelle doit, pour être adoptée, recueillir le consentement de deux assemblées législatives successives, c’est-à-dire qu’elle doit être approuvée par la première et ratifiée par la seconde, étant entendu qu’une législature dure trois ans.
- 887. Les organisations plaignantes ajoutent que, dans ces circonstances, le gouvernement a intentionnellement laissé passer le temps et que la réforme de la Constitution n’a pas abouti. Les conventions ont finalement été ratifiées le 24 août 2006, suite à des pressions émanant principalement des entreprises étrangères implantées sur le territoire. Cependant, un an après ce progrès, la Cour suprême de justice a déclaré inconstitutionnelle la mention «sans distinction d’aucune sorte» qui figure dans l’article 2 de la convention no 87 de l’OIT.
- 888. La communication adressée par les organisations plaignantes datée du 10 juin 2008 porte sur les mêmes allégations. L’arrêt de la Cour suprême mentionné précédemment y est annexé.
- 889. Les organisations plaignantes joignent également un rapport du service du procureur chargé de la défense des droits de l’homme qui critique sévèrement l’interprétation de la Cour suprême ayant conduit à l’arrêt susmentionné. Les organisations plaignantes jugent cette interprétation rétrograde et indiquent que l’arrêt a été adopté avec le vote dissident d’une magistrate.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement - 890. Dans sa communication du 18 juin 2008, le gouvernement déclare, en ce qui concerne l’allégation relative au rejet de la demande d’octroi de la personnalité juridique présentée par le Syndicat du personnel judiciaire d’El Salvador (SINEJUS), que c’est la Direction générale du travail qui s’est prononcée dans ce sens dans une décision du 1er novembre 2007 fondée sur les arguments suivants:
- a) le passage suivant de l’arrêt rendu par la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice le 16 octobre 2007 à 10 h 50: Il est considéré, de façon générale et absolue, que la mention «sans distinction d’aucune sorte» qui figure à l’article 2 de la convention no 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical est inconstitutionnelle du fait qu’elle est contraire à l’article 47, paragraphe 1, de la Constitution, cette formule étendant en effet le droit à la liberté syndicale aux agents de la fonction publique, qui ne font pas partie de ses bénéficiaires aux termes de la Constitution…;
- b) le contenu de l’article 10 de la loi sur la procédure constitutionnelle, qui prévoit ce qui suit: «un arrêt définitif n’est pas susceptible d’appel et il lie de façon générale les organes de l’Etat, leurs agents et autorités et toute personne physique ou morale».
- 891. Le gouvernement ajoute que le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale est tenu de se soumettre à l’arrêt de la Cour suprême. En conséquence, il lui est impossible d’octroyer la personnalité juridique à des organisations représentant des agents de l’Etat. Dans ce sens, et en lien avec l’article 10 de la loi sur la procédure constitutionnelle déjà mentionné, l’article 235 de la Constitution prévoit qu’avant d’entrer en fonction «tout agent de l’Etat, civil ou militaire, s’engage sur l’honneur à défendre la République et à respecter et faire respecter la Constitution, en s’en tenant à son contenu indépendamment des lois, décrets, ordonnances ou décisions qui pourraient en diverger, et il promet en outre de s’acquitter scrupuleusement des devoirs inhérents à sa charge, tout manquement en la matière engageant sa responsabilité conformément à la loi».
- 892. Cependant, la décision de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice pourrait être infirmée si la modification de l’article 47 de la Constitution, qui établit le droit à la liberté syndicale des fonctionnaires, est ratifiée. A cet égard, il convient de signaler que l’assemblée législative élue en 2006 a approuvé cette modification. Il suffit donc d’attendre que l’assemblée législative élue en 2009 la ratifie, menant ainsi à son terme le processus légal.
- 893. D’autre part, le gouvernement ajoute que le syndicat plaignant, relevant que la demande d’octroi de la personnalité juridique a été présentée quarante jours avant la déclaration d’inconstitutionnalité, en conclut que l’arrêt, qui ne peut en aucun cas avoir d’effet rétroactif, ne lui est pas applicable. A cet égard, il est important de signaler que cet argument ne suffit pas juridiquement à prouver un droit prétendument acquis. En effet, le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale s’est contenté d’appliquer la décision de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice, conformément à l’article 235 de la Constitution et l’article 10 de la loi sur la procédure constitutionnelle.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 894. Le comité relève que, dans le cas à l’examen, les organisations syndicales allèguent le refus d’octroyer la personnalité juridique au Syndicat du personnel judiciaire d’El Salvador (SINEJUS) conformément à une décision du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, alors que l’organisation avait rempli les formalités légales.
- 895. Le comité prend note des déclarations du gouvernement selon lesquelles la Direction générale du travail a décidé, par une décision du 1er novembre 2007, de rejeter la demande d’octroi de la personnalité juridique présentée par le SINEJUS au motif que: 1) la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice avait estimé, dans son arrêt du 16 octobre 2007, qu’aux termes de la Constitution les agents de l’Etat ne faisaient pas partie des bénéficiaires du droit à la liberté syndicale, et elle avait déclaré inconstitutionnelle la mention «sans distinction d’aucune sorte» qui figure à l’article 2 de la convention no 87 («les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix...»); 2) en vertu de la Constitution et de la loi sur la procédure constitutionnelle, le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale est tenu de se soumettre à l’arrêt de la Cour suprême; il lui est donc impossible d’octroyer la personnalité juridique à une organisation représentant des agents de l’Etat; et 3) l’assemblée législative élue en 2006 a approuvé la modification de l’article 47 de la Constitution tendant à établir le droit à la liberté syndicale des agents de l’Etat. L’assemblée législative qui sera élue en 2009 devrait la ratifier et la réforme constitutionnelle entrer en vigueur conformément aux formalités légales.
- 896. Tout en prenant note des arguments présentés par le gouvernement, le comité rappelle que, selon les principes de la liberté syndicale, seuls peuvent être privés du droit de constituer un syndicat – droit fondamental – les membres des forces armées et de police. Par conséquent, tous les autres travailleurs, y compris les agents du pouvoir judiciaire, devraient pouvoir constituer librement les organisations de leur choix. Dans ces circonstances, le comité estime que le refus d’octroyer la personnalité juridique au syndicat SINEJUS constitue une violation de la liberté syndicale, compte tenu notamment qu’El Salvador a ratifié la convention no 87.
- 897. Le comité exprime le ferme espoir que l’assemblée législative actuelle ratifiera dans les meilleurs délais la modification de l’article 47 de la Constitution approuvée sous la législature précédente afin de permettre l’accès de tous les agents du pouvoir judiciaire au droit d’organisation et il regrette profondément la lenteur du processus de modification de la Constitution. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé sur ce point et de prendre toutes les mesures pour que, conformément aux dispositions de la convention no 87, le nouveau texte de la Constitution ne puisse priver du droit de constituer un syndicat que les membres des forces armées et de police. Le comité veut fermement croire que le SINEJUS obtiendra bientôt la personnalité juridique et qu’entre-temps il pourra exercer ses fonctions de représentation et autres activités jusqu’à la résolution du problème constitutionnel.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 898. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Estimant que le refus des autorités d’octroyer la personnalité juridique au Syndicat du personnel judiciaire d’El Salvador (SINEJUS) constitue une violation de la liberté syndicale, le comité veut fermement croire que le SINEJUS obtiendra bientôt la personnalité juridique et qu’entre-temps il pourra exercer ses fonctions de représentation et autres activités jusqu’à la résolution du problème constitutionnel.
- b) Le comité exprime le ferme espoir que l’assemblée législative actuelle ratifiera dans les meilleurs délais la modification de l’article 47 de la Constitution approuvée sous la législature précédente afin de permettre l’accès de tous les agents du pouvoir judiciaire au droit d’organisation. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé sur ce point et de prendre toutes les mesures pour que, conformément aux dispositions de la convention no 87, le nouveau texte de la Constitution ne puisse priver du droit de constituer un syndicat que les membres des forces armées et de police.