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- 548. La présente plainte fait l’objet d’une communication en date du 23 mars 2001 de l’Union générale des travailleurs (UGT). Le gouvernement a envoyé ses observations par sa communication du 26 septembre 2001.
- 549. L’Espagne a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante- 550. Dans sa communication du 23 mars 2001, l’Union générale des travailleurs d’Espagne (UGT) fait valoir que dans la loi organique no 8/2002 sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale (LO 8/2000), entrée en vigueur le 23 janvier 2001, le gouvernement soumet à des restrictions sévères les droits fondamentaux protégés par la norme soumise à modification (LO 4/2000), qui portait le même titre que celle précitée et qui était en vigueur depuis moins d’un an. De l’avis de l’organisation plaignante, la nouvelle norme limite concrètement l’exercice des libertés syndicales et des droits de grève, de réunion, de manifestation et d’association et, partant, le droit de négociation collective, son but étant de permettre aux étrangers de jouir de ces droits et libertés uniquement après «obtention du permis de séjour ou de résidence en Espagne» (art. 11 de la LO 8/2000).
- 551. L’organisation plaignante allègue en outre que la nouvelle norme, en créant une nouvelle situation illégale et inique, est une source d’insécurité juridique, provoquant parmi les immigrés présents dans le pays des tragédies sociales et familiales, et ce pour deux raisons fondamentales: d’une part, le changement brutal de légalité inspire la crainte de tracasseries administratives et policières et, d’autre part, il eut fallu des normes transitoires claires offrant une solution moins traumatisante pour les grands groupes d’immigrés en Espagne qui représentent des centaines de milliers de personnes et de familles. Concrètement, ce changement sans transition a pour conséquence que ceux qui se trouvaient en Espagne avant l’entrée en vigueur de la nouvelle norme et jouissaient d’un statut juridique plus généreux, et donc de certains droits et libertés reconnus, sont désormais soumis à un régime beaucoup plus sévère, à savoir celui qui devrait s’appliquer aux futurs immigrés, et sans que le fait de séjourner déjà dans le pays ne leur permette de bénéficier d’un traitement plus favorable. Ce changement brutal prive également des droits que la loi antérieure leur reconnaissait ceux dont les conditions de résidence étaient en voie de régularisation, mais qui n’ont pas encore statut de résident.
- 552. L’organisation plaignante ajoute que la nouvelle loi présentée par le gouvernement va directement à l’encontre des articles 10.2 et 13.1 de la Constitution espagnole de 1978, actuellement en vigueur. Les normes précitées disposent respectivement que «les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés inscrits dans la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux traités et accords internationaux relatifs aux mêmes questions, que l’Espagne a signés», et que «les étrangers jouiront en Espagne des libertés publiques garanties par le présent titre («Des droits et des devoirs fondamentaux»), selon les termes établis par ces traités et par la loi». Ces conditions, qui étaient fidèlement reprises dans la loi antérieure (LO 4/2000), dont l’article 3 prévoyait que les «étrangers jouiront en Espagne, dans des conditions d’égalité avec les Espagnols, des droits et libertés énoncés dans le titre I de la Constitution», ne sont pas respectées dans la loi actuelle, qui établit une interprétation fictive évidente selon laquelle le «critère général d’interprétation s’entend de l’exercice par les étrangers des droits que leur reconnaît cette loi sur un pied d’égalité avec les Espagnols» (art. 3 de la LO 8/2000) et supprime un critère d’interprétation large (Déclaration universelle des droits de l’hommes), qui figurait dans la LO 4/2000.
- 553. D’autre part, l’organisation plaignante estime que cette nouvelle situation juridique résulte d’un abus de pouvoir, d’une politique de dissuasion menée par le gouvernement à l’égard des étrangers en situation irrégulière dans le pays et à l’égard des futurs immigrés qui ont l’intention d’y venir. Une telle attitude n’est pas seulement contraire au droit national et au droit international (Déclaration universelle des droits de l’homme, Charte sociale du Conseil de l’Europe, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, principes constitutionnels et conventions de l’OIT), mais aussi condamnable d’un point de vue social. L’UGT y voit un abus de pouvoir de l’Etat par le truchement d’un mécanisme légal, qui pourrait traduire une certaine attitude répressive à l’égard de nombreux immigrés poussés par la nécessité, qui tentent simplement de survivre. L’organisation plaignante fait également valoir que ce comportement est particulièrement discriminatoire à l’égard des étrangers dits «en situation irrégulière» qui vivent dans le pays. A cet égard, il convient de souligner que les mouvements d’immigration à destination de l’Union européenne ont conduit les institutions communautaires à exprimer maintes fois leur préoccupation devant le volume et l’ampleur de ces mouvements (vers l’Espagne affluent de plus en plus de citoyens d’Afrique du Nord, d’Amérique latine et de quelques pays d’Europe orientale, et ce flux ne devrait pas cesser avant plusieurs années). L’organisation plaignante considère surtout que les pouvoirs publics n’ont pas adopté les mesures adéquates (promotion économique des pays pauvres et renoncement aux mesures purement politiques prises à ce jour) pour protéger la volonté légitime de progrès individuel et familial des immigrés, qui quittent leur pays pour des raisons socio-économiques.
- 554. Enfin, et pour préciser le véritable objectif de la présente plainte concernant les groupes touchés et leur situation, l’organisation plaignante indique que, si l’on applique les conventions de l’OIT sur la liberté syndicale et d’autres normes aux travailleurs en tant que titulaires des droits garantis par celles-ci, il apparaîtra que, dans le cas présent, les étrangers touchés en Espagne sont dans la situation de travailleurs qu’il convient de protéger, même si leur séjour n’est pas tout à fait régularisé. En effet, les immigrés touchés sont en majorité des travailleurs de fait vivant dans cette expectative, puisque c’est la raison de leur séjour en Espagne. De même, l’organisation plaignante signale que l’interprétation extensive des conventions pertinentes de l’OIT permettrait, compte tenu de la nature des droits protégés, de couvrir les cas en cause.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 555. Par une communication du 26 septembre 2001, le gouvernement déclare que la LO 8/2000 a pour prémisse fondamentale que les étrangers exercent les droits reconnus dans cette loi sur un pied d’égalité avec les Espagnols, cette conviction étant largement ancrée dans la Constitution politique et reflétée dans les trois lois sur l’extranéité qui s’inscrivent dans l’histoire récente de la démocratie du pays: LO 7/1985, LO 4/2000 et LO 8/2000.
- 556. Selon le gouvernement, le problème de la restriction des droits et libertés des étrangers vivant dans le pays, notamment de la liberté syndicale, acquiert cependant une autre dimension lorsque, dans la conception du régime des droits et des libertés, le déséquilibre et l’inégalité existent non pas entre les droits du ressortissant national et ceux de l’étranger, mais entre les «immigrés légaux» et les «immigrés illégaux». Ces derniers se voient restreindre l’exercice de certains droits (comme cela avait été fait au moyen de la LO 7/1985, qui n’a pas fait l’objet, quant à elle, d’une plainte devant un quelconque organe de l’OIT). En réalité, la LO 8/2000 clarifie la situation des étrangers se trouvant en Espagne en situation irrégulière vis-à-vis de ceux dont ce n’est pas le cas: distinction essentielle établie dans la LO 4/2000 qui permet l’application de tout dispositif que le système juridique peut prévoir pour contrôler les flux migratoires. Le gouvernement précise que la restriction des droits des étrangers séjournant illégalement dans le pays n’est pas motivée par le fait qu’ils sont étrangers, mais justement par le fait qu’ils sont en situation irrégulière. L’immigrant clandestin se trouve en fait dans une situation juridique singulière et contradictoire car si, en tant que personne, il jouit indiscutablement de droits et de libertés, sa situation irrégulière le tient cependant à l’écart du système juridique qui, dans les sociétés actuelles, l’autoriserait à jouir de manière effective de tels droits et libertés. La LO 8/2000 établit donc une distinction entre les droits dont la possession et l’exercice valent pour tous les étrangers, pour ce qui concerne les droits fondamentaux de la personne (par exemple, le droit des étrangers en Espagne à l’assistance sanitaire publique d’urgence et à la continuité de l’assistance médicale pendant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale; le droit aux services sociaux et aux prestations sociales de base, quel que soit leur statut administratif; le droit des économiquement faibles à l’assistance juridique gratuite pour toutes les procédures administratives ou judiciaires susceptibles de conduire à un refus d’entrée, à un renvoi ou à une expulsion de l’étranger), et les droits que peuvent exercer uniquement ceux qui se trouvent de manière légale dans le pays (le droit politique de vote aux élections municipales, lié au principe de réciprocité; les prestations et services du système de sécurité sociale; les aides au logement; le regroupement familial et l’exercice des droits de réunion, de manifestation et d’association, ainsi que du droit syndical et du droit de grève, avec l’obligation, dans les deux derniers cas, d’avoir en plus le statut de travailleur).
- 557. En ce qui concerne l’inconstitutionnalité présumée de la LO 8/2000, le gouvernement souligne que l’organisation plaignante manifeste son désaccord avec une loi organique qui occupe le rang le plus élevé dans la hiérarchie des normes de développement propres au système juridique national, qui a été approuvé par les Cortes Generales, siège de la démocratie souveraine du peuple espagnol. Cette loi vise à garantir l’intégration et la cohabitation dans la société espagnole de tous les étrangers résidant dans le pays, à canaliser les flux migratoires à destination du territoire national, à doter l’Etat d’instruments lui permettant de lutter contre les mafias se livrant au trafic d’êtres humains et à leur exploitation ultérieure par le travail, et d’intégrer les engagements internationaux contractés par l’Espagne en exerçant dûment les attributions que ces engagements confèrent aux Etats. La réforme de la LO 4/2000 (que cette loi remplace) prend comme point de départ la situation et les caractéristiques de la population étrangère dans le pays, non seulement dans l’actualité mais aussi dans l’optique des années à venir, pour réglementer l’immigration, considérée comme un fait structurel qui a fait de l’Espagne un pays de destination de flux migratoires et aussi, de par sa situation géographique, un pays de transit vers d’autres Etats, où les contrôles aux frontières communes avec notre pays ont été soit supprimés soit considérablement réduits. Quant à déterminer si la LO 8/2000 est conforme à la Constitution nationale, le gouvernement tient à faire remarquer que le Défenseur du peuple (Ombudsman de l’Etat), qui avait été prié d’introduire un nouveau recours en inconstitutionnalité contre ladite loi, a rejeté cette demande, la jugeant infondée. En outre, à l’époque, la question de la restriction de l’exercice de certains droits dans le cas des immigrants illégaux avait déjà été examinée quant au fond par le Tribunal constitutionnel au titre de la LO 7/1985. Le gouvernement ajoute que le fait que le traitement accordé auxdits immigrés illégaux dans ladite loi ne soit pas déclaré inconstitutionnel (STC115/1987) permet désormais d’affirmer que n’est pas inconstitutionnelle non plus la régularisation offerte par la LO 8/2000, qui traite avec plus de générosité le statut juridique de l’immigré illégal.
- 558. S’agissant de l’inadéquation présumée de la LO 8/2000 au dispositif normatif international applicable en la matière, le gouvernement déclare que l’exercice de certains droits demeure subordonné à la situation de légalité de l’étranger en vertu de traités, conventions et déclarations relatifs aux droits internationaux, notamment: la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, ainsi que la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de novembre 1950. L’ensemble de ces instruments consacre le droit de toute personne à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier pour défendre ses intérêts. Cependant, le gouvernement souligne que, en vertu de ces instruments internationaux, l’exercice des droits et la jouissance des libertés de la personne sont soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi, à seule fin d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés des autres et de satisfaire les justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. Concrètement, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit que les pays, compte dûment tenu des droits de l’homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le Pacte à des non-ressortissants. Le gouvernement souligne que le dénominateur commun de ces textes internationaux de caractère général est que, d’une part, ils reconnaissent ces libertés et que, d’autre part, ils habilitent le législateur national à instaurer par voie législative des restrictions ou bien l’exigence fondamentale de séjour légal comme condition à l’exercice de ces droits, aux fins de la sauvegarde d’une série de biens propres à une société démocratique. Ainsi, précise le gouvernement, la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, consacrent des droits fondamentaux sur des sujets qui, par leur nature et leur essence conceptuelle, rendent particulièrement nécessaires des normes juridiques. Cependant, les libertés d’association, de réunion et de manifestation professionnelles, en tant qu’aspects de ces libertés en général, intégrées dans le vaste ensemble des libertés fondamentales de l’homme et reconnues aux organisations de travailleurs et d’employeurs, doivent se fonder sur le respect des libertés civiles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’exigence d’une situation légale, inscrite dans ces traités, devrait être transposable, dans le monde du travail, à l’exercice des droits que possède non pas la personne en tant que telle, mais la personne ayant une occupation, un emploi et une profession.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 559. Le comité observe que, dans la présente plainte, l’Union générale des travailleurs d’Espagne (UGT) allègue que la nouvelle loi sur l’extranéité (LO 8/2000 sur les droits des étrangers en Espagne et leur intégration sociale) restreint les droits syndicaux des étrangers en subordonnant l’exercice de ces droits à l’obtention d’un permis de séjour ou de résidence dans le pays. L’organisation plaignante signale en outre l’absence, en la matière, de normes transitoires claires, de sorte que le changement brutal de légalité a pour conséquence le passage d’étrangers à un régime plus sévère et, pour ceux dont la régularisation du séjour est en cours, la perte de droits qui leur étaient déjà reconnus.
- 560. Le comité note également que, en réponse aux allégations de discrimination, le gouvernement rétorque que la loi a été modifiée moins pour changer le statut des étrangers vis-à-vis des ressortissants espagnols que pour établir une distinction claire entre, d’une part, les étrangers qualifiés de «légaux», qui jouissent des droits syndicaux sur un pied d’égalité avec les ressortissants nationaux, et, d’autre part, les étrangers «en situation irrégulière», afin de contrôler les flux migratoires et de combattre les mafias se livrant au trafic d’êtres humains et à leur exploitation ultérieure par le travail, en établissant, contrairement à la loi antérieure, une distinction claire entre les Espagnols et les étrangers légaux, d’une part, et les étrangers en situation irrégulière, d’autre part.
- 561. Au vu des éléments qui précèdent, le comité observe que le problème qui se pose dans le cas présent consiste à déterminer s’il convient de donner, comme le demande l’organisation plaignante, une interprétation extensive du concept de «travailleurs», utilisé dans les conventions de l’OIT sur la liberté syndicale. Dans ces conditions, le comité rappelle qu’aux termes de l’article 2 de la convention no 87 les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de s’affilier aux organisations de leur choix. La seule exception autorisée par la convention nº 87 est celle qui est visée à l’article 9 et qui concerne les forces armées et la police. De l’avis du comité, il apparaît donc que tous les travailleurs, à cette seule exception, sont couverts par la convention nº 87. En conséquence, le comité demande au gouvernement, au sujet de la législation en cause, de tenir compte de la teneur de l’article 2 de la convention nº 87. Il souligne également que les syndicats doivent avoir le droit de représenter et d’assister les travailleurs couverts par la convention en vue de défendre et promouvoir leurs intérêts.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 562. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité demande au gouvernement, au sujet de la législation en cause, de tenir compte de l’article 2 de la convention nº 87, selon lequel les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit de s’affilier aux organisations de leur choix.