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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 324, Mars 2001

Cas no 2091 (Roumanie) - Date de la plainte: 06-JUIN -00 - Clos

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  1. 876. La plainte faisant l'objet du présent cas figure dans une communication du 6 juin 2000 du Bloc syndical national (BNS), au nom de son affiliée la Fédération nationale des syndicats portuaires (FNSP). Le gouvernement de la Roumanie a transmis sa réponse dans une communication datée du 21 août 2000.
  2. 877. La Roumanie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, et la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 878. Dans sa communication du 6 juin 2000, l'organisation plaignante BNS allègue au nom de son affiliée FNSP, que les conventions de l'OIT nos 87, 98, 135 et 154 sont violées en Roumanie, en raison de l'application, subjective et partiale, de la loi sur le règlement des différends du travail par les tribunaux qui, dans 85 pour cent des cas dont ils ont été saisis, ont déclaré la grève illégale. Bien que la législation en cette matière ait été améliorée, suite notamment aux recommandations du Comité de la liberté syndicale et de la commission d'experts, certaines de ses dispositions continuent de poser problème, et particulièrement l'article 54 de la loi no 168/1999, entrée en vigueur le 1er janvier 2000 (qui a remplacé l'article 29 de la loi no 15/1991). En vertu de cette législation, lorsqu'une grève est déclarée illégale, l'employeur peut prendre certaines sanctions administratives, allant jusqu'à la cessation du contrat individuel de travail, tant contre les organisateurs de la grève (les représentants syndicaux dans la plupart des cas) que les grévistes. L'organisation plaignante souligne qu'en pratique, les tribunaux ont confirmé la validité de toutes les sanctions administratives de ce genre prises par des employeurs. Il en résulte un climat de crainte chez les travailleurs, qui vivent sous la menace de sanctions, voire de licenciement, s'ils participent à des activités syndicales de protestation.
  2. 879. Selon l'organisation plaignante, les événements survenus lors d'une grève, en août 1999, à la société privée S.C. Minmetal SA, dans le port de Constanta, constituent un bon exemple de la situation engendrée par l'application de ces dispositions. Le tribunal de première instance de Constanta a statué que cette grève était illégale en se fondant sur deux motifs. Premièrement, le non-respect des délais de négociation avant de recourir à la grève; selon les plaignants, le tribunal a commis à cet égard une grave erreur de fait dans le calcul des délais applicables. Deuxièmement, le tribunal a considéré une communication de la FNSP à la direction du port régional de Constanta comme une tentative de bloquer l'activité des travailleurs non grévistes. Le plaignant ajoute que, Minmetal SA n'étant pas la seule ni même la principale entreprise traitant les matières premières (minéraux et charbon) nécessaires au bon fonctionnement du complexe métallurgique Sidex Galati, une suspension de la grève n'était pas justifiée.
  3. 880. Durant la même période, la direction de Minmetal SA a pris plusieurs mesures antisyndicales:
    • n plusieurs circulaires ont été distribuées aux employés de la société, annonçant les mesures administratives prises contre les dirigeants syndicaux;
    • n la direction a demandé aux différents services opérationnels de la société de désigner d'autres représentants syndicaux en vue de la négociation de conventions collectives au niveau des unités, le tout en violation de l'article 14 de la loi no 130/1996 sur les conventions collectives et du jugement no 27/03.03.1997 du tribunal de Constanta reconnaissant la représentativité du syndicat des travailleurs du port;
    • n le directeur général de la société a refusé d'accepter les représentants nommés par le syndicat pour négocier la convention collective; de plus, la société a menacé les membres de l'équipe de négociation de sanctions administratives en guise de dédommagement pour les dommages causés par la grève estimés à quelque 100 000 dollars E.-U. (cette affaire est actuellement en suspens devant le tribunal de première instance de Constanta);
    • n la société a déposé des plaintes pénales contre MM. Ion Mihale, dirigeant syndical, ainsi que Costel Petre et Gheorghe Caraiani, respectivement président et secrétaire général du FNSP, les accusant de porter atteinte à l'économie nationale, abus au travail contre l'intérêt public, incitation publique à la délinquance, fraude et mentions frauduleuses dans des documents officiels. Le bureau du Procureur de Constanta a toutefois décidé de ne pas donner suite à ces accusations, l'enquête ayant démontré que les allégations de Minmetal SA n'étaient pas fondées.
  4. 881. Toutes ces mesures se sont traduites par la cessation du contrat de travail individuel de M. Ion Mihale, au motif qu'il avait organisé une grève, ultérieurement jugée illégale par le tribunal.
  5. 882. La législation actuelle, étant donné l'interprétation subjective et contraire aux conventions et principes de l'OIT sur la promotion et la protection des droits syndicaux donnée par les tribunaux, encourage l'attitude antisyndicale de certains gestionnaires. Les travailleurs roumains en général, et ceux de Minmetal SA en particulier, vivent dans un état de crainte larvée. Leur confiance dans l'efficacité de l'activité syndicale comme moyen de promotion et de défense de leurs intérêts professionnels a été sérieusement entamée. L'organisation plaignante joint à sa plainte une chronologie des événements survenus dans le cadre du conflit de travail à Minmetal SA.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 883. Dans sa réponse du 21 août 2000, le gouvernement indique que la grève du mois d'août 1999 a été jugée illégale par le tribunal de première instance de Constanta pour les motifs suivants:
    • n inobservation de l'article 22 de la loi no 15/1991, prévoyant entre autres que la grève ne peut être déclenchée que si toutes les possibilités de solution du conflit par voie de conciliation, ont été épuisées au préalable; le tribunal a estimé que les représentants syndicaux n'avaient pas véritablement essayé de régler le conflit parce qu'ils n'avaient pas pris en considération la situation financière de la société (qui leur avait été exposée lors d'une séance de conciliation le 29 juillet 1999) et, notamment, n'avaient pas présenté aux salariés l'offre de la direction (22 pour cent d'augmentation salariale et l'acceptation des autres demandes du syndicat);
    • n inobservation de l'article 26 3) de la loi no 15/1991, interdisant aux grévistes toute action de nature à empêcher la poursuite des activités par les non-grévistes; le tribunal a jugé à cet égard qu'une communication du 10 août de la FNSP à la direction du port de Constanta avait pour objectif la paralysie des activités de Minmetal SA, alors que les 314 ouvriers non grévistes (sur un total de 702 salariés) auraient pu assurer la poursuite des opérations;
    • n inobservation de l'article 21 de la loi no 15/1991 prévoyant que les organisateurs de la grève doivent, lors de son déclenchement, préciser également sa durée.
  2. 884. S'agissant de l'erreur de fait qu'aurait commise le tribunal de première instance dans le calcul des délais, le gouvernement réfute cette allégation, soulignant que le tribunal faisait en l'espèce référence à un autre procès-verbal d'une séance de négociation conclu le 29 juillet. Il a donc jugé à bon droit.
  3. 885. Le 9 août 1999, Minmetal SA a demandé à la Cour suprême de suspendre la grève déclenchée le même jour, arguant qu'elle contribuait de façon importante à l'approvisionnement des complexes sidérurgiques du pays, et qu'une grève pourrait entraîner d'importants dommages matériels et dommages-intérêts contractuels de nature à porter atteinte aux intérêts majeurs de l'économie nationale et à des intérêts d'ordre humanitaire. La grève ayant effectivement pris fin le 13 août, la Cour suprême a considéré que la demande de la société était devenue sans objet. Il reste néanmoins que la grève a duré deux jours après que le tribunal de première instance de Constanta eût déclaré la grève illégale, le 11 août 1999.
  4. 886. Le gouvernement mentionne par ailleurs que Minmetal SA déclare n'avoir pris aucune mesure antisyndicale et présente sa version des faits sur ces allégations:
    • n la direction de l'entreprise s'est bornée à communiquer aux salariés, le 11 août, que la grève avait été jugée illégale;
    • n elle a informé les salariés qu'elle était disposée à accorder une augmentation de 22 pour cent et à maintenir intégralement l'ancienne convention collective, expirée le 30 juin 1999; la majorité des salariés s'étant déclarés, selon elle, d'accord avec ces propositions, la grève était sans objet;
    • n la société allègue également la mauvaise foi des représentants syndicaux qui n'ont pas communiqué son offre aux salariés;
    • n la société n'a pas menacé ni licencié abusivement les salariés; le jugement no 272/24.12.1999 a mis fin au contrat de M. Ion Mihale, avec effet au 1er janvier 2000, en vertu des articles 100 et 130 i) du Code du travail (jugement) qui régissent les congédiements disciplinaires. En l'espèce, le tribunal a jugé que M. Mihale était responsable d'avoir déclenché une grève illégale ayant causé des dommages importants, notant qu'il n'en était pas à sa première infraction, ayant été sanctionné à deux reprises auparavant avec diminution de traitement de 10 pour cent.
  5. 887. S'agissant de la perte de confiance des salariés dans l'efficacité de la lutte syndicale comme moyen de promotion et de défense des intérêts des travailleurs, la société estime que cette désaffection, bien réelle, est due à la faute du syndicat dont les actions illégales ont largement laissé à désirer en l'occurrence.
  6. 888. Le gouvernement affirme que, conscient des obligations que lui impose la ratification des conventions internationales, il s'est constamment efforcé d'améliorer la législation applicable en ce domaine et, après consultation des partenaires sociaux, a adopté une nouvelle loi sur le règlement des conflits de travail (loi no 168/1999) tenant compte des recommandations de la commission d'experts de l'OIT.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 889. Le comité note que la présente plainte concerne, d'une part, des allégations d'ingérence antisyndicale et de sanctions disciplinaires contre un dirigeant syndical durant une grève déclenchée lors d'une négociation collective et, d'autre part, des allégations relatives à la non-conformité de la législation roumaine en regard des conventions et principes de la liberté syndicale, compte tenu de son application dans la pratique par les tribunaux.
  2. 890. S'agissant du déroulement des événements à la société Minmetal SA lors des négociations pour le renouvellement de la convention collective, le comité observe sur un plan général que toute négociation collective, par nature, donne lieu de part et d'autre à des prises de position dictées par les stratégies de négociation respectives, aboutissant parfois à des accusations mutuelles de négociation de mauvaise foi ou d'attitude antisyndicale, comme en l'espèce. Le comité rappelle à cet égard que la question de savoir si une partie a adopté une attitude raisonnable ou intransigeante vis-à-vis de l'autre relève de la négociation entre les parties [voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 817], et que la considération primordiale en la matière est l'obligation de négocier de bonne foi pour le maintien d'un développement harmonieux des relations professionnelles. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 814.]
  3. 891. Le comité observe toutefois avec préoccupation que le motif principal du licenciement de M. Ion Mihale était la qualification de la grève que le tribunal a jugée illégale en concluant à une violation des articles 21, 22 et 26 3) de la loi no 15/1991. Le caractère, licite ou non, de la grève constitue donc, en l'espèce, l'élément déterminant de toute analyse. Sans se prononcer sur le bien-fondé de l'interprétation donnée à ces dispositions par le tribunal à la lumière des faits particuliers, le comité souligne que si le droit de grève n'est certes pas un droit absolu et doit s'exercer dans le respect de la législation nationale, les dispositions de cette dernière doivent elles-mêmes être conformes aux principes de la liberté syndicale. Concernant l'obligation découlant, selon le gouvernement et l'interprétation jurisprudentielle, de l'article 21 (obligation faite aux dirigeants syndicaux de préciser la durée de la grève au moment de son déclenchement), le comité considère qu'une restriction de caractère aussi général et indéfini est incompatible avec le droit des travailleurs et de leurs organisations de formuler librement leur programme d'action et d'exercer leur droit de grève. En ce qui concerne le motif fondé sur la violation de l'article 22 (refus allégué des dirigeants syndicaux de régler de bonne foi le conflit avant de recourir à la grève), le comité estime que la décision de la Cour n'est pas compatible avec les dispositions de la convention no 98. S'agissant enfin du motif fondé sur la violation alléguée de l'article 26 3) (tentative d'empêcher les non-grévistes de travailler), le comité n'est pas en mesure, sur la base des informations fournies, de conclure en toute connaissance de cause. En tout état de cause, le comité estime opportun de replacer ce différend dans son contexte, soit une grève courte, en vue d'appuyer des revendications salariales, dans une entreprise qui n'est ni la seule ni la plus importante, dans un secteur non essentiel.
  4. 892. Le comité souligne par ailleurs que les dirigeants et délégués syndicaux, par la nature même de leurs fonctions, sont particulièrement vulnérables aux mesures de représailles dans les situations de différend du travail, et rappelle quelques principes applicables en la matière:
    • n une protection adéquate contre les licenciements et autres actes préjudiciables est particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux afin qu'ils puissent remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, pareille protection étant en outre nécessaire pour assurer le respect du principe fondamental selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 724];
    • n si un mandat syndical ne confère pas à son titulaire une immunité lui permettant de violer les dispositions en vigueur, celles-ci, à leur tour, ne doivent pas porter atteinte aux garanties fondamentales en matière de liberté syndicale ni sanctionner des activités qui, conformément aux principes en la matière, devraient être considérées comme des activités syndicales licites. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 726];
    • n en ce qui concerne les motifs de licenciement, les activités des dirigeants syndicaux doivent être examinées dans le contexte des situations particulières qui peuvent être spécialement tendues et difficiles en cas de différend du travail et de grève. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 731.]
  5. 893. Le comité rappelle enfin la convention no 135 concernant les représentants des travailleurs, ratifiée par la Roumanie, et de la recommandation correspondante no 143, disposant expressément que les représentants des travailleurs dans l'entreprise doivent bénéficier d'une protection efficace contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le licenciement, et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des travailleurs, leur affiliation syndicale, ou leur participation à des activités syndicales, pour autant qu'ils agissent conformément aux lois, conventions collectives ou autres arrangements conventionnels en vigueur (art. 1 de la convention no 135). [Voir Recueil, op. cit., paragr. 732.]
  6. 894. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, le comité considère en l'espèce que le licenciement de M. Ion Mihale constitue une violation des dispositions des conventions nos 87 et 98 et, de surcroît, ne serait pas de nature, s'il était maintenu, à favoriser pour l'avenir des relations professionnelles constructives et harmonieuses dans l'entreprise en cause. Le comité invite donc le gouvernement, après consultation des intéressés sur les modalités appropriées, à prendre les mesures voulues pour assurer la réintégration rapide de M. Ion Mihale dans ses fonctions, et à le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
  7. 895. S'agissant de l'allégation plus générale de l'organisation plaignante, à savoir que la législation roumaine serait non conforme aux conventions et principes de la liberté syndicale compte tenu de son application dans la pratique par les tribunaux, le comité relève que les événements en cause se sont produits durant l'année 1999, et donc encore régis par la loi no 15/1991 qui avait fait l'objet de commentaires tant de ce comité que de la commission d'experts. A sa session de décembre 2000, cette dernière a examiné la nouvelle loi sur le règlement des différends du travail (loi no 168/1999) entrée en vigueur le 1er janvier 2000, et noté avec satisfaction que la nouvelle législation introduisait des dispositions répondant à plusieurs préoccupations soulevées auparavant. Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas, notamment en ce qui concerne la question des sanctions pour grève illégale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 896. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement, après consultation des intéressés sur les modalités appropriées, à prendre les mesures voulues pour assurer la réintégration rapide du dirigeant syndical Ion Mihale dans ses fonctions, et à le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
    • b) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas, notamment en ce qui concerne la question des sanctions pour grève illégale.
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