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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 302, Mars 1996

Cas no 1809 (Kenya) - Date de la plainte: 03-NOV. -94 - Clos

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355. Dans une communication datée du 3 novembre 1994, l'Internationale de l'éducation (IE) a présenté contre le gouvernement du Kenya une plainte pour violation de la liberté syndicale.

  1. 355. Dans une communication datée du 3 novembre 1994, l'Internationale de l'éducation (IE) a présenté contre le gouvernement du Kenya une plainte pour violation de la liberté syndicale.
  2. 356. Le gouvernement a fait parvenir ses observations sur le cas dans une communication datée du 26 octobre 1995.
  3. 357. Le Kenya a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, mais n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 358. Dans sa communication datée du 3 novembre 1994, l'IE indique que, comme les syndicats sont interdits dans les universités publiques depuis 1981, la demande d'enregistrement déposée en 1992 par le Syndicat du personnel enseignant des universités (UASU) - qui est présent dans les cinq universités publiques du Kenya - a été rejetée par le greffier des syndicats dans une lettre datée du 24 novembre 1993. Les membres de l'UASU se sont mis en grève le 29 novembre pour protester contre ce refus de reconnaître leur syndicat et, partant, leurs droits syndicaux. L'IE reconnaît que la grève a paralysé le programme d'études dans toutes les universités publiques.
  2. 359. L'IE avance que, pour faire cesser la grève et punir les membres de l'UASU, les vice-présidents des universités concernées ont cessé de payer les salaires de certains membres et dirigeants de ce syndicat. L'IE indique que 21 membres de l'UASU ont été licenciés depuis le début de la grève, à savoir: Dr Korwa Adar: M. Airo Akodhe; Dr Kilemi Mwirira; Dr Omari Onyango; M. Odhiambo Nyaduw; Dr Thomas Afullo; M. Gathogo Thou Gathogo; M. Karoki Githininji; M. Wanjala Khisa; M. Churchill Kibisu; M. Kibiwott Kurgat; M. Eric Makokha; Dr Charles Maranga; M. Francis Muchoki; M. James Mwajiwe; M. Njorge Nwema; Dr Kilemi Mwiria; M. Charles Namachanga; M. Odek Ogunde; Dr Richard Onyango; et M. Francis Opar.
  3. 360. L'IE énumère les raisons invoquées dans les différentes universités à l'appui des licenciements, à savoir: Université Egerton: faute lourde, insubordination, négligences; Université Moi: absence injustifiée; Université de Nairobi: interruption des cours, atteinte aux programmes d'études, violation des droits des étudiants, conduite répréhensible, publication de communiqués de presse et de circulaires tendant à inciter les professeurs à cesser leurs cours et prise de parole lors d'une réunion sur le campus. Le comportement ou le travail des professeurs licenciés n'avaient pas fait l'objet de critiques avant la grève.
  4. 361. Qui plus est, M. Korwa Adar a été accusé d'incitation à la grève pour avoir expliqué aux étudiants les motifs de celle-ci.
  5. 362. Sept membres du syndicat et l'UASU ont contesté la décision du greffier des syndicats et du Procureur général devant les tribunaux, mais ce droit leur a été dénié.
  6. 363. L'IE conclut que le refus de reconnaître à l'UASU le statut de syndicat, la cessation du paiement des salaires et le licenciement de certains membres et dirigeants de ce syndicat constituent des violations indéniables des conventions nos 87 et 98.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 364. Dans sa communication datée du 26 octobre 1995, le gouvernement affirme qu'il a toujours garanti les droits fondamentaux que sont la liberté syndicale et la protection du droit syndical.
  2. 365. Le gouvernement indique que les syndicats sont enregistrés et organisés par secteur, selon les grandes lignes définies d'un commun accord par les partenaires sociaux dans la Charte tripartite des relations professionnelles de 1962, mise à jour en 1980. La charte interdit expressément aux personnels d'encadrement et de gestion et à ceux exerçant des fonctions confidentielles de se syndiquer.
  3. 366. Les enseignants du primaire et du supérieur sont représentés par le Syndicat national des enseignants du Kenya (KNUT), premier syndicat du pays par le nombre d'adhérents, à savoir 240 000 environ. Le KNUT est par ailleurs le seul syndicat enseignant à avoir été accepté par les trois parties dans la Charte des relations professionnelles.
  4. 367. Le gouvernement considère que les maîtres de conférence et professeurs d'université relèvent de la catégorie du personnel d'encadrement. Qui plus est, les lois portant création des cinq universités publiques du Kenya contiennent des dispositions spécifiques qui régissent leur contrat de travail. Ils n'ont donc pas besoin des syndicats pour négocier leurs conditions de travail avec les autorités universitaires. De plus, comme tous les travailleurs intellectuels, ils s'en sont toujours remis à des associations ou organismes professionnels pour la protection et la promotion de leurs intérêts professionnels.
  5. 368. Le gouvernement rappelle que l'enregistrement relève du greffier des syndicats et qu'il peut toujours être fait appel de sa décision. Les cinq universités concernées, en tant qu'employeurs, n'ont rien à voir avec cette question. C'est pourquoi le gouvernement dénonce la décision prise par certains professeurs et maîtres de conférence de participer à une grève illégale (sans respecter le préavis légal de vingt et un jours) pour protester contre le refus du greffier d'enregistrer l'UASU.
  6. 369. Le gouvernement ajoute que l'enseignement, au Kenya, fait partie des "services essentiels" aux termes de la loi sur les conflits du travail (chapitre 234), et qu'il ne peut donc être interrompu sans préavis. Par ailleurs, les enseignants bénéficient d'un statut propre en raison de la responsabilité qui est la leur de transmettre savoir-faire et connaissances à la jeunesse, dont dépend l'avenir de la nation. Lorsqu'ils font grève, ce n'est pas à leur employeur qu'ils nuisent mais aux étudiants et à leurs parents.
  7. 370. Passant à un autre argument, le gouvernement indique que, au Kenya, tous les enseignants sont recrutés sur la base de contrats individuels de travail et qu'ils ne peuvent agir collectivement que s'ils font partie d'un syndicat enregistré. La prétendue "grève" entamée le 29 novembre 1993 était en fait un boycottage, voire une rupture de contrat de la part des enseignants qui l'ont déclenchée. En vertu des lois en vigueur, les enseignants ne peuvent déclencher une grève qu'à titre collectif, en tant que membres d'un syndicat reconnu.
  8. 371. Deux appels ont été interjetés contre la décision du greffier devant la Haute Cour du Kenya, l'un en vertu de la Constitution et l'autre en vertu des dispositions de la loi sur les syndicats. Le premier a été rejeté par la Haute Cour au motif, notamment, qu'un recours contre le refus du greffier d'enregistrer le syndicat avait déjà été formé en vertu de la loi sur les syndicats et qu'il était - il l'est toujours - en instance.
  9. 372. Le gouvernement considère que les professeurs et maîtres de conférence auraient dû continuer de travailler tant que la Cour n'avait pas rendu sa décision finale. Au lieu de cela, certains maîtres de conférence ont enfreint leur contrat de travail en refusant de continuer de travailler. Selon le gouvernement, cela explique pourquoi les autorités universitaires ont dû licencier certains de ceux qui refusaient de reprendre leurs fonctions pour des raisons équivoques, inconsistantes et inacceptables.
  10. 373. Enfin, selon le gouvernement, le problème de la grève dans les cinq universités publiques est réglé depuis longtemps, et la quasi-totalité des professeurs d'université et des maîtres de conférence ont repris le travail et ont décidé de créer des associations professionnelles afin de protéger et de promouvoir leurs intérêts. Le gouvernement affirme qu'il n'existe actuellement pas de différend entre les divers personnels enseignants et les autorités universitaires.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 374. Le comité note que, dans le présent cas, les allégations se réfèrent au refus du greffier d'enregistrer le Syndicat du personnel enseignant des universités (UASU) à la suspension du paiement des salaires ainsi qu'au licenciement de certains maîtres de conférence et professeurs d'université, ainsi qu'à l'inculpation d'une personne pour incitation à la grève.
  2. 375. Le comité souhaite rappeler qu'il a déjà été invité à examiner le refus du greffier d'enregistrer l'UASU dans le cas no 1792. (Voir 295e rapport, paragr. 519-547.) Le comité avait alors fait remarquer que le droit de créer des organisations et d'y adhérer pour la promotion et la défense des intérêts des travailleurs, sans autorisation préalable, est un droit fondamental qui appartient à tous les travailleurs sans aucune distinction, y compris aux enseignants. Notant que la question était en instance devant la justice, le comité avait prié instamment le gouvernement de garantir le respect de ce principe et de faire le nécessaire pour qu'il soit procédé à l'enregistrement de l'UASU.
  3. 376. Le comité note, d'après la réponse du gouvernement, que les syndicats sont enregistrés et organisés par secteur, selon les grandes lignes définies d'un commun accord par les partenaires sociaux dans la Charte tripartite des relations professionnelles; celle-ci interdit à tous les personnels de gestion et d'encadrement ainsi qu'à ceux exerçant des fonctions confidentielles d'adhérer à des syndicats et prévoit un seul syndicat (le KNUT) pour représenter les enseignants du primaire et du supérieur.
  4. 377. Le comité note aussi que le gouvernement considère que les maîtres de conférence et professeurs d'université relèvent de la catégorie des cadres, lesquels, en vertu de la charte, ne sont pas autorisés à créer des syndicats, mais que ceux-ci, pour protéger et promouvoir leurs intérêts professionnels, ont toujours adhéré à des associations ou organismes professionnels. Le comité doit une fois de plus rappeler l'importance qu'il accorde au principe selon lequel, tous les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix ainsi que celui de s'affilier à ces organisations. Comme il l'a indiqué lorsqu'il a antérieurement examiné la question de l'enregistrement de l'UASU, ce droit doit être garanti également aux enseignants de l'université. Limiter la représentation des intérêts des enseignants à un seul syndicat, même si c'est avec l'accord des partenaires sociaux associés à la rédaction de la Charte des relations professionnelles, est contraire à ce principe.
  5. 378. Quant à l'argument selon lequel les maîtres de conférence et les professeurs d'université, étant considérés comme des cadres, ne sont pas autorisés à constituer des syndicats, le comité souhaite rappeler l'importance du principe selon lequel tous les travailleurs sans distinction d'aucune sorte ont le droit de constituer les organisations de leur choix, sans autorisation préalable.
  6. 379. Prenant note de la déclaration du gouvernement, à savoir que la quasi-totalité des maîtres de conférence et des professeurs d'université ont repris leurs fonctions et choisi de constituer des associations professionnelles chargées de défendre et de promouvoir leurs intérêts, et d'adhérer à ces associations, le comité ne peut que déplorer qu'aucune mesure n'ait été prise pour assurer l'enregistrement de l'UASU, comme il le demandait dans son examen du cas no 1792. Il prie instamment le gouvernement de prendre, sans retard, les mesures nécessaires pour permettre aux maîtres de conférence et professeurs d'université de constituer les organisations de leur choix, y compris par l'enregistrement de l'UASU. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à ce sujet.
  7. 380. En ce qui concerne le recours - encore en instance - formé contre la décision de refuser d'enregistrer le syndicat, le comité observe qu'il y a maintenant plus de deux ans que la Haute Cour est saisie de ce dossier et qu'elle n'a encore rendu aucun jugement. Le comité estime que l'instruction d'un recours contre le refus d'enregistrer un syndicat doit être menée dans les meilleurs délais étant donné que lenteur de justice vaut déni de justice. Il veut croire que la Haute Cour rendra son jugement prochainement et il demande au gouvernement de lui transmettre aussitôt que possible une copie dudit jugement.
  8. 381. En ce qui concerne le licenciement de 21 maîtres de conférence et professeurs des différentes universités publiques et le non-versement du salaire de certains, le comité prend note de l'argument avancé par le gouvernement, à savoir que les professeurs ont agi à titre individuel, ce qui revient à une rupture de contrat. Il rappelle que, lorsqu'il a examiné précédemment la question, il a souligné qu'il a toujours considéré le droit de grève comme un moyen légitime des travailleurs et de leurs organisations de défendre leurs intérêts économiques et sociaux et que le fait d'avoir recours à la grève pour obtenir la reconnaissance d'un syndicat est, à son avis, un intérêt légitime qui peut être défendu par les travailleurs et leurs organisations. (Voir 295e rapport, paragr. 539.) L'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est que les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - licenciement, transfert, rétrogradation et autres actes préjudiciables. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 724.)
  9. 382. En ce qui concerne la déclaration du gouvernement selon laquelle les maîtres de conférence et professeurs d'université relèvent de la catégorie des personnes assurant des services essentiels (tels que définis par la loi sur les conflits du travail), le comité doit rappeler que les enseignants ne tombent pas dans la définition des services essentiels au sens strict du terme. En ce qui concerne la disposition relative au préavis de 21 jours avant toute interruption de travail, même si le comité estime que cette disposition est compatible avec ses principes, il considère que, dans le présent cas, en tout état de cause, le fait de n'avoir pas respecté cette obligation ne justifie pas ces actes de discrimination antisyndicale que sont le licenciement et le non-paiement des traitements.
  10. 383. Le comité note que le gouvernement, dans sa réponse, ne conteste pas que les licenciements ont été motivés par la participation à la grève et indique que le refus des enseignants de continuer de travailler explique leur licenciement. Notant que le gouvernement a déclaré que presque tous les enseignants ont repris leur travail, le comité demande à ce dernier de prendre les mesures nécessaires pour que les maîtres de conférence et professeurs d'université qui ont été licenciés pour avoir participé à des activités syndicales légitimes et qui n'ont pas encore retrouvé leur emploi soient immédiatement réintégrés dans leur poste de travail et que les traitements qui leur sont dus leur soient payés (le non-paiement des salaires étant autorisé pour les périodes où le travail a été interrompu pour cause de grève). Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
  11. 384. Enfin, le comité regrette que le gouvernement n'ait pas fourni d'informations à propos des allégations selon lesquelles M. Korwa Adar aurait été accusé d'incitation à la grève pour avoir expliqué aux étudiants les raisons de la grève. A cet égard, le comité rappelle que la liberté d'opinion et d'expression, tout comme d'autres libertés civiles fondamentales, est essentielle à l'exercice normal des droits syndicaux. (Voir Résolution de 1970 concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles de la Conférence internationale du Travail.) Le comité veut donc croire que tout chef d'inculpation retenu contre M. Adar en violation du droit fondamental à la liberté d'expression sera abandonné et il demande au gouvernement de le tenir informé à ce sujet.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 385. Au vu des conclusions précédentes, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes.
    • a) Rappelant une fois de plus que tous les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, y compris les enseignants, ont le droit de constituer des organisations de leur choix ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, sans autorisation préalable, pour promouvoir et défendre leurs intérêts, le comité déplore qu'aucune mesure n'ait encore été prise pour procéder à l'enregistrement de l'UASU, comme il l'avait demandé lors de l'examen du cas no 1792. Il prie instamment le gouvernement de faire le nécessaire dans les meilleurs délais pour permettre aux maîtres de conférence et aux professeurs d'université de constituer les organisations de leur choix et de s'y affilier, y compris par l'enregistrement de l'UASU.
    • b) Faisant observer que l'instruction d'un recours contre le refus d'enregistrer un syndicat doit être menée rapidement vu que lenteur de justice vaut déni de justice, le comité veut croire que la Haute Cour rendra son jugement prochainement et demande au gouvernement de lui transmettre aussitôt que possible une copie de ce jugement.
    • c) Rappelant qu'à son avis les travailleurs et leurs organisations peuvent légitimement recourir à la grève pour obtenir la reconnaissance d'un syndicat et, d'autre part, que l'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est que les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination antisyndicale en matière d'emploi - licenciement, mutation, rétrogradation et autres actes préjudiciables -, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que les maîtres de conférence et professeurs d'université qui ont été licenciés pour avoir participé à des activités syndicales légitimes et qui n'ont pas encore retrouvé leur emploi soient immédiatement réintégrés dans leur poste de travail et pour que les traitements qui leur sont dus leur soient payés. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
    • d) Rappelant que la liberté d'opinion et d'expression, tout comme d'autres libertés civiles fondamentales, est essentielle à l'exercice normal des droits syndicaux, le comité veut croire que tout chef d'inculpation retenu contre M. Adar en violation du droit fondamental à la liberté d'expression sera abandonné et il demande au gouvernement de le tenir informé à ce sujet.
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