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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 294, Juin 1994

Cas no 1726 (Pakistan) - Date de la plainte: 12-JUIL.-93 - Clos

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  1. 372. Dans une communication datée du 12 juillet 1993, la Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (FITBB) et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) ont déposé une plainte contre le gouvernement du Pakistan au sujet de violations de la liberté syndicale. La Confédération générale du travail du Pakistan (APFOL) a présenté sa plainte dans une communication datée du 24 février 1994.
  2. 373. A sa réunion de mars 1994 (voir le 292e rapport, paragr. 10), le comité a observé qu'en dépit du temps écoulé depuis le dépôt de cette plainte il n'avait toujours pas reçu les observations et les informations du gouvernement. Le comité a attiré l'attention du gouvernement sur le fait que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire, même si les informations et observations demandées au gouvernement n'étaient pas reçues à temps. Depuis cet appel pressant, le gouvernement a indiqué, dans une communication datée du 26 avril 1994, qu'il avait transmis les informations relatives à cette plainte aux services compétents pour obtenir leurs commentaires et qu'il enverrait au comité ces commentaires dès qu'ils seraient disponibles. Le comité n'a cependant pas reçu d'autres informations du gouvernement sur cette affaire.
  3. 374. Le Pakistan a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 375. Dans leurs plaintes du 12 juillet 1993, la FITBB et la CISL allèguent de manière générale que les restrictions inscrites dans la législation, eu égard notamment à la création de zones franches, sont contraires aux conventions nos 87 et 98, et elles affirment de manière plus précise que les droits syndicaux ont été violés sur le site du projet de construction d'une autoroute de la société Daewoo.
    • Restrictions législatives générales
  2. 376. En ce qui concerne les allégations générales relatives à la suppression par la voie législative de certains droits des travailleurs, les organisations plaignantes se réfèrent tout d'abord à l'article 25 de l'ordonnance gouvernementale de 1980 sur les zones franches pour l'industrie d'exportation, qui dispose que le gouvernement peut dispenser les zones franches industrielles de l'application des lois, et elles indiquent que le gouvernement a eu recours à cette disposition pour dispenser ces zones de l'application des dispositions de l'ordonnance de 1989 sur les relations professionnelles, qui traite notamment du droit des travailleurs de constituer des syndicats et de s'y affilier. De plus, l'article 4 du règlement de 1982 sur les zones franches pour l'industrie d'exportation (contrôle de l'emploi) prive les travailleurs occupés dans ces zones du droit de grève. Malgré les critiques formulés à plusieurs reprises par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations et la Commission de l'application des normes de la Conférence, aucune amélioration n'a encore été apportée à cette situation.
  3. 377. Les organisations plaignantes déclarent que le droit de s'organiser et de créer des syndicats est interdit ou n'est pas prévu par la loi dans les cas suivants: l'administration; les services des organismes suivants: Pakistan Security Papers, Pakistan Security Printing Corporation, Pakistan Television Corporation, Pakistan Broadcasting Corporation et Civil Aviation Authority; la main-d'oeuvre agricole; les hôpitaux et les cliniques; les établissements d'enseignement; les usines relevant de l'ordonnance; les zones qui travaillent pour l'industrie d'exportation; le Conseil de recherche scientifique et industrielle du Pakistan; les services des entités suivantes: Canteed Stores Department, National Logistic Cell, Defense Housing Authority Karachi et Civilians of the defence services; enfin, les travailleurs indépendants.
  4. 378. En outre, les organisations plaignantes allèguent que l'article 2(viii)8c) de l'ordonnance sur les relations professionnelles confère à présent au gouvernement le pouvoir de restreindre la liberté syndicale pour toute catégorie de travailleurs par simple notification déclarant que ces travailleurs sont des fonctionnaires de l'Etat.
  5. 379. Les travailleurs occupés dans tous les secteurs susmentionnés, ainsi que dans les institutions bancaires et financières et les services déclarés essentiels en vertu de la loi de 1952 sur les services essentiels (maintenance) du Pakistan, sont également privés du droit de négociation collective.
  6. 380. Enfin, les organisations plaignantes se réfèrent à la loi de finances de 1992, qui confère au gouvernement le pouvoir d'émettre une notification de création d'une zone franche industrielle, laquelle est alors exclue du champ d'application de l'ensemble de la législation du travail, et notamment de l'ordonnance sur les relations professionnelles qui protège le droit d'organisation et de négociation collective.
  7. 381. Les organisations plaignantes affirment ainsi que toutes les dispositions susmentionnées sont contraires à l'esprit et à la lettre des conventions nos 87 et 98, de même qu'au propos du paragraphe 45 de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, qui dispose que les incitations particulières destinées à attirer les investissements étrangers ne devraient pas se traduire par des restrictions quelconques apportées à la liberté syndicale des travailleurs ou à leur droit d'organisation et de négociation collective.
    • Syndicat Awami 3/4 Projet de construction d'une autoroute de Daewoo
  8. 382. Les organisations plaignantes déclarent que les autorités pakistanaises ont offert au groupe Daewoo en mai 1992 une série de conditions de faveur et d'incitations financières généreuses pour aménager le complexe industriel pakistanais Daewoo d'une superficie de 200 hectares, dans la zone de Port Qasim (Karachi). Le projet devait également comprendre la construction d'une autoroute de 339 km entre Islamabad et Lahore.
  9. 383. Les organisations plaignantes indiquent qu'il avait été rapporté que, parallèlement aux incitations financières, et notamment l'exonération fiscale, le projet avait été attribué à Daewoo avec l'assurance que le complexe serait exclu du champ d'application de l'ensemble de la législation du travail pakistanaise, y compris l'ordonnance sur les relations professionnelles, l'ordonnance de 1969 du Pakistan occidental sur l'emploi dans l'industrie et le commerce (règlements intérieurs), la loi de 1923 sur la réparation des accidents du travail, la loi de 1934 sur les fabriques, les ordonnances de 1961 sur le versement des salaires, et l'ordonnance de 1968 sur la sécurité sociale des agents de l'administration provinciale.
  10. 384. Le 18 décembre 1992, avec l'aide de la Confédération générale du travail du Pakistan (APFOL) - par le truchement de sa Fédération du travail du secteur de la construction de Tarabela - le syndicat Awami - Projet de construction d'une autoroute de Daewoo a été créé, et le 19 décembre la réunion constituante a approuvé les statuts, élu le bureau et décidé de solliciter l'enregistrement du syndicat.
  11. 385. La demande d'enregistrement a été soumise au greffier le 21 décembre 1992 et, en vertu de la loi pakistanaise, l'approbation ou le rejet de la demande devait avoir lieu dans les quinze jours. Le délai n'a pas été respecté et, entre-temps, l'APFOL avait informé la FITBB que Daewoo avait inséré dans la lettre d'engagement des travailleurs une clause indiquant que leurs conditions d'emploi ne seraient pas régies par la législation du travail pakistanaise (un exemplaire de la lettre d'engagement était joint à la plainte.) Peu après la création du syndicat, la société Daewoo a mis fin aux services de 50 travailleurs syndiqués.
  12. 386. Le syndicat Awami s'est adressé à la Commission nationale des relations professionnelles (NIRC) afin qu'elle délivre une ordonnance empêchant la société Daewoo de muter ou de licencier des travailleurs affiliés au syndicat tant que la demande d'enregistrement était en instance. Cette ordonnance a été délivrée le 28 décembre 1992. Le 30 décembre, la direction de l'entreprise a offert aux travailleurs licenciés des avantages supplémentaires en échange du retrait de leur plainte auprès de la NIRC. Par ailleurs, la société Daewoo a publié un communiqué de presse dans lequel elle défiait l'ordonnance de la NIRC et insistait sur le fait que la société fonctionnait avec l'appui du Premier ministre du Pakistan. A la suite du licenciement des 50 travailleurs, la société Daewoo a rejeté sommairement les demandes de réintégration des travailleurs licenciés présentées par le syndicat et indiqué qu'elle n'était pas en mesure de négocier un autre arrangement avec le syndicat.
  13. 387. A la mi-janvier, le greffier n'avait toujours pas répondu et le secrétaire général du syndicat Awami lui a rappelé la demande et s'est enquis des raisons du retard. Le 16 janvier 1993, le greffier a répondu en soulevant des objections d'ordre juridique concernant les documents du syndicat, et ce dernier s'est réuni le 27 janvier pour examiner ces objections de manière à y répondre avant le 30 janvier.
  14. 388. Les organisations plaignantes allèguent que la société Daewoo a adressé une lettre ultra confidentielle à tous les sous-préfets de police, comportant une liste de tous les membres du syndicat travaillant pour l'entreprise et leur demandant de fournir "toute information nécessaire pour la tâche en cours" et d'"informer les soussignés des mesures appropriées qui auraient été prises" (une copie de cette lettre était jointe à la plainte). Le 27 janvier 1993, 32 responsables syndicaux ont été arrêtés, dont Aslam Adil, le président de la Fédération du travail du secteur de la construction de Tarabela et secrétaire général du syndicat Awami nouvellement créé. Ces arrestations auraient eu lieu lors d'une réunion syndicale constitutionnelle et auraient été effectuées sous la supervision du sous-préfet de police, accompagné de 100 policiers.
  15. 389. Les 32 syndicalistes arrêtés ont été placés ensemble dans une cellule de deux mètres sur trois au commissariat de police de Saïd Kwala, à 250 km de Lahore, sans enregistrement d'aucune sorte, sans mandat d'arrêt et sans qu'aucune accusation n'ait été portée contre eux. Pendant leur détention, les travailleurs se sont vus confisquer leurs objets personnels, qui ne leur ont jamais été rendus. Les organisations plaignantes déclarent que, le 28 janvier, le sous-préfet de police a essayé de soudoyer les détenus et leur a présenté des déclarations dactylographiées indiquant qu'ils se retiraient du syndicat. Devant leur refus de signer ces déclarations, le sous-préfet de police aurait, d'après les organisations plaignantes, ordonné à la police de les "emmener et leur donner une bonne correction afin qu'ils recouvrent leurs esprits".
  16. 390. Il a été fait état de toutes sortes de tortures, de sévices et d'humiliations infligés par la police pour faire pression sur les travailleurs afin qu'ils renoncent à leur affiliation syndicale. Les travailleurs ont été détenus dans des conditions inhumaines, sans nourriture décente et sans eau. L'APFOL a fini par connaître leur situation le 30 janvier et a exigé leur libération. Le 4 février 1993, 14 travailleurs ont été relâchés et les autres ont été transférés à la prison de Sheikhupura où ils ont été incarcérés avec des prisonniers malades mentaux. Il a été rapporté que, durant la détention des travailleurs dans cette prison, certains ont été suspendus par les pieds au plafond, ont subi des électrochocs ou ont été forcés de s'asseoir nus sur des blocs de glace pendant toute une nuit. Les travailleurs ont identifié les autorités responsables de la prison impliquées et l'APFOL a étayé par des documents toutes les plaintes relatives à des tortures (une copie de ces documents était jointe à la plainte). Les 18 autres syndicalistes ont été libérés le 6 février 1993.
  17. 391. Tous les travailleurs ont été libérés sous caution après avoir été accusés de s'être attroupés dans une intention illicite en vertu de l'article 144 du Code pénal pakistanais.
  18. 392. Le 28 janvier 1993, le gouvernement pakistanais a déclaré que toutes les catégories de travailleurs au projet d'autoroute de la société Daewoo étaient assujetties à la loi de 1952 sur les services essentiels (maintenance) au Pakistan, qui supprime le droit de négociation collective et celui de mener une action de revendication.
  19. 393. Selon les organisations plaignantes, dans une lettre datée du 20 janvier 1993, le ministre de l'Intérieur du Pendjab a donné pour instruction aux sous-préfets de police de sept districts de traiter avec fermeté l'affaire du syndicat de l'entreprise Daewoo et de la mener "jusqu'à sa conclusion logique". Les organisations plaignantes allèguent en outre que, dans une lettre ultra-confidentielle adressée par le secrétaire fédéral du ministère de l'Intérieur au secrétaire principal du gouvernement provincial du Pendjab, ce dernier était prié de donner des instructions spéciales aux ministères de l'Intérieur et du Travail afin qu'ils s'opposent au syndicat de l'entreprise Daewoo.
  20. 394. Le 13 février 1993, l'APFOL a écrit à la FITBB que le Premier ministre s'occupait directement d'assurer le respect des promesses qu'il avait faites à la société Daewoo, à savoir qu'aucun syndicat ne serait constitué sur le site du projet de construction de l'autoroute ni ne serait enregistré, et que la direction de la société Daewoo dépensait des sommes d'argent importantes qu'elle distribuait aux responsables du ministère du Travail et aux administrations des districts pour s'assurer leur coopération et rendre vains les efforts du syndicat pour se faire enregistrer. Ce dernier a affirmé que la société Daewoo essayait d'acheter les membres du syndicat afin qu'ils s'en retirent, en sorte que le nombre de membres soit inférieur au nombre requis pour l'enregistrement. Le 14 février 1993, le syndicat a saisi le Tribunal du travail du Pendjab pour se plaindre du retard injustifié mis par le greffier à enregistrer le syndicat.
  21. 395. Le greffier a rejeté officiellement la demande d'enregistrement du syndicat le 20 février 1993. Le 2 mars, le Tribunal du travail du Pendjab no 6, de Rawalpindi, a enjoint au greffier d'enregistrer le syndicat dans les plus brefs délais. Le 4 mars, le greffier a soumis l'affaire à la Cour d'appel du travail, en se plaignant que "si l'effet de l'injonction du Tribunal du travail d'enregistrer le syndicat n'était pas suspendu, il subirait un dommage irréparable". L'APFOL soutient que cet appel prouve que le greffier agissait pour le compte de l'employeur, la société Daewoo, au lieu de s'acquitter de sa charge officielle de greffier, et allègue que de hauts responsables d'Islamabad ont pris contact avec des personnalités de la Cour d'appel du travail pour soutenir le greffier et la société Daewoo.
  22. 396. Le 15 mars 1993, la Cour d'appel du travail a accepté la position du greffier et suspendu l'injonction du Tribunal du travail d'enregistrer le syndicat.
  23. 397. Les organisations plaignantes soutiennent que, depuis la formation du syndicat en décembre 1992, plus de 395 syndicalistes ont été licenciés et plus de 205 ont été arrêtés.
  24. 398. Le 8 mai 1993, l'APFOL a informé la FITBB que les représentants de la société Daewoo avaient préparé des déclarations de retrait du syndicat, où il était indiqué que les travailleurs avaient signé les formulaires d'adhésion au syndicat sans savoir que cela impliquait qu'ils en devenaient membres, et qu'ils n'avaient pas participé à la formation du syndicat ni à l'établissement de ses statuts, ni à l'élection de son bureau. Selon les organisations plaignantes, la société Daewoo a ainsi réussi à amener 40 des 400 syndicalistes licenciés à renoncer à faire partie du syndicat.
  25. 399. Dans sa plainte datée du 24 février 1994, la Confédération générale du travail du Pakistan (APFOL) déclare qu'un mémorandum du ministère du Travail adressé en date du 11 janvier 1994 au conseiller juridique du gouvernement du Pendjab informait ce dernier que le recours formé devant la Cour d'appel du travail contre l'injonction d'enregistrer le syndicat Awami devait être retiré, car le syndicat avait produit des preuves montrant que les contradictions concernant son enregistrement avaient été résolues (une copie du mémorandum était jointe à la plainte).
  26. 400. La société Daewoo avait introduit une requête le 13 mai 1993 en tant que tiers opposant dans la demande en révision déposée par le greffier contre l'injonction d'enregistrement rendue par le Tribunal du travail du Pendjab et, ayant appris que le greffier pourrait retirer sa demande, elle a déposé sa propre demande en révision le 11 octobre 1993 en mettant en cause le syndicat Awami, composé pour une bonne part selon elle d'éléments extérieurs qui n'étaient pas des travailleurs de l'entreprise et en arguant que l'existence de ce syndicat non seulement constituait une infraction à l'ordonnance sur les relations professionnelles, mais serait également de nature à retarder l'avancement du projet d'autoroute. Les débats finals dans cette affaire étaient prévus pour le 13 février 1994.
  27. 401. L'APFOL se plaint de ce que la décision finale sur cette affaire ait été longuement différée, plus d'une année s'étant écoulée sans que le syndicat ait été enregistré. Elle allègue en outre que le ministère du Travail est en train de s'entendre avec la société Daewoo pour faire enregistrer deux syndicats fantoches afin de bloquer le syndicat Awami.
  28. 402. Enfin, l'APFOL indique que la déclaration du gouvernement faisant projet d'autoroute de la sociét Daewoo un service essentiel pour une période de six mois en vertu de la loi sur les services essentiels (maintenance) a été prorogée le 28 juillet 1993 pour une autre période de six mois.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 403. Le comité regrette profondément que, en dépit du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte et malgré l'invitation faite au gouvernement à plusieurs reprises, y compris au moyen d'un appel pressant, le gouvernement n'ait pas fourni ses commentaires et observations sur les allégations formulées par les organisations plaignantes, ce qui a rendu l'examen des allégations par le comité très difficile.
  2. 404. Dans ces conditions, conformément à la règle de procédure applicable (voir 127e rapport du comité, paragr. 17, approuvé par le Conseil d'administration à sa 184e session), le comité se voit dans l'obligation de présenter un rapport sur le fond de l'affaire, même sans les informations qu'il avait espéré recevoir du gouvernement.
  3. 405. Le comité rappelle tout d'abord au gouvernement que le but de la procédure instituée par l'Organisation internationale du Travail pour l'examen des allégations relatives aux violations de la liberté syndicale est d'assurer le respect de cette liberté en droit comme en fait. Si elle protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci voudront bien reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a pour leur propre réputation, à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses bien détaillées aux accusations qui pourraient être dirigées contre eux. (Voir premier rapport du comité, paragr. 31.)
  4. 406. Le comité observe que le présent cas concerne des allégations relatives à des restrictions législatives générales à la liberté syndicale, et plus précisément l'obstruction faite par le gouvernement à l'enregistrement du syndicat Awami - projet de construction d'une autoroute de Daewoo, ainsi que des actes antisyndicaux de la part de la société Daewoo et des forces de sécurité pakistanaises - notamment le licenciement, l'arrestation et la torture de syndicalistes - constituant une grave violation des conventions nos 87 et 98 que le Pakistan a ratifiées.
  5. 407. En ce qui concerne les restrictions légales générales, le comité note que l'ordonnance de 1980 sur l'administration des zones franches pour l'industrie d'exportation s'applique à toutes les entreprises industrielles créées dans les zones franches industrielles ou opérant dans ces zones et donne au gouvernement fédéral, en vertu de l'article 25, le pouvoir de dispenser toute zone par voie de notification de l'application de tout ou partie des dispositions de n'importe quelle loi. Il note également que l'article 4 des dispositions de 1982 relatives aux zones franches pour l'industrie d'exportation (contrôle de l'emploi) prive du droit de grève tous les travailleurs occupés dans les zones. Enfin, il note que l'article 14 de la loi de finances de 1992 dispose que l'ordonnance sur les relations professionnelles et toutes autres lois désignées par voie de notification par le gouvernement fédéral ne s'appliquent pas à une société étrangère qui investit dans une entreprise industrielle opérant dans le périmètre d'une zone franche industrielle, et il prend note des listes de services indiqués par les organisations plaignantes auxquels le droit d'organisation et de négociation collective est refusé.
  6. 408. Le comité note que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a formulé des observations au sujet des restrictions législatives à la libre négociation collective et du refus du droit d'organisation pour certaines catégories de travailleurs; considérant notamment que l'article 25 de la loi sur les zones franches pour l'industrie d'exportation et l'article 4 des dispositions relatives aux zones franches pour l'industrie d'exportation n'étaient pas conformes aux conventions nos 87 et 98, la commission a demandé au gouvernement d'annuler ces restrictions à l'affiliation aux syndicats et à l'activité syndicale.
  7. 409. Le comité tient à souligner que les normes contenues dans la convention no 87 s'appliquent à tous les travailleurs, "sans distinction d'aucune sorte", et rappelle la Déclaration de principes tripartite de l'OIT sur les entreprises multinationales, qui dispose que les incitations particulières destinées à attirer les investissements étrangers ne devraient pas se traduire par des restrictions quelconques apportées à la liberté syndicale des travailleurs ou à leur droit d'organisation et de négociation collective. Le comité considère donc que les dispositions susmentionnées sont contraires aux principes fondamentaux de la liberté syndicale et demande au gouvernement de modifier la loi de finances de 1992, l'ordonnance gouvernementale de 1980 sur les zones franches pour l'industrie d'exportation et le règlement de 1982 sur les zones franches pour l'industrie d'exportation (contrôle de l'emploi), en vue de garantir aux travailleurs le droit d'organisation et de négociation collective, conformément aux conventions nos 87 et 98. Le comité porte cet aspect du cas à l'attention de la Commission d'experts sur l'application des conventions et recommandations.
  8. 410. S'agissant de la plainte concernant spécifiquement la violation des droits syndicaux du syndicat Awami, le comité note tout d'abord que le gouvernement a déclaré que toutes les catégories de travailleurs occupés à la construction de l'autoroute pakistanaise par la société Daewoo étaient assujetties à la loi sur les services essentiels (maintenance) du Pakistan, laquelle, selon les organisations plaignantes, supprime leur droit de négociation collective et celui de mener une action de revendication. A cet égard, le comité rappelle l'importance qu'il attache au droit des organisations représentatives de négocier. Il attire également l'attention du gouvernement sur le fait que, conformément aux principes auxquels il se réfère invariablement, la grève ne devrait pas être interdite dans le secteur du bâtiment car elle ne devrait pouvoir être l'objet d'interdictions ou de restrictions importantes que dans le cas des services essentiels au sens strict du terme (c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger dans l'ensemble ou dans une partie de la population la sécurité ou la santé de la personne). (Voir 291e rapport, paragr. 513.) Le comité estime donc que le projet de construction d'une autoroute de la société Daewoo ne peut être considéré comme un service essentiel, et que l'interdiction faite à ces travailleurs d'exercer leur droit de négociation collective et de grève est incompatible avec les principes de la liberté syndicale.
  9. 411. Le comité note que la deuxième déclaration du gouvernement concernant l'application de la loi sur les services essentiels (maintenance) aux travailleurs du projet d'autoroute de la société Daewoo a été promulguée le 28 juillet 1993 pour une période de six mois. Il apparaît par conséquent que cette déclaration n'est plus en vigueur. Le comité veut croire que la loi sur les services essentiels n'est plus applicable aux travailleurs du projet de construction de la société Daewoo et que ces derniers peuvent exercer librement leur droit de négociation collective et mener des actions de revendication, conformément aux conventions nos 87 et 98.
  10. 412. A cet égard, le comité note que la demande d'enregistrement légal déposée le 21 décembre 1992 par le syndicat Awami n'a pas encore été acceptée. Il note avec inquiétude que ce retard a été attribué au refus persistant du greffier d'enregistrer le syndicat, malgré l'injonction faite par le Tribunal du travail du Pendjab le 2 mars 1993. Le comité se voit donc obligé de rappeler que, si les conditions apportées à l'octroi de l'enregistrement équivalaient à exiger une autorisation préalable des autorités publiques à la constitution ou au fonctionnement d'un syndicat, il y aurait là une incontestable atteinte portée à la convention no 87. En outre, lorsque la procédure d'enregistrement est longue et compliquée ou que les autorités administratives compétentes exercent parfois leurs pouvoirs avec une large marge d'appréciation, ces facteurs sont de nature à entraver gravement la création d'un syndicat et ils peuvent revenir à nier le droit de constituer un syndicat sans autorisation préalable. (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 275 et 281.)
  11. 413. Les organisations plaignantes affirment en outre qu'à la suite de l'injonction par le Tribunal du travail du Pendjab d'enregistrer le syndicat Awami le greffier a soumis l'affaire à la Cour d'appel du travail en demandant la suspension de l'injonction, sous prétexte que l'enregistrement du syndicat lui causerait "un dommage irréparable"; en même temps, il a déposé une demande en révision contre cette injonction. En outre, les organisations plaignantes allèguent que les autorités gouvernementales ont contacté la Cour d'appel du travail pour soutenir le greffier et la société Daewoo.
  12. 414. Le comité note avec regret que, bien que la Cour d'appel ait suspendu l'injonction le 15 mars 1993, aucune décision n'a été prise eu égard à la demande en révision déposée contre l'injonction d'enregistrement émise par le Tribunal du travail, ce qui revient à refuser en fait la reconnaissance légale du syndicat Awami pendant plus d'un an. Le retard apporté à l'enregistrement du syndicat Awami est d'autant plus grave que le mémorandum du ministère du Travail daté du 11 janvier 1994 reconnaît que le syndicat a produit des preuves montrant que les contradictions concernant son enregistrement avaient été levées, et cependant le syndicat n'a toujours pas été enregistré. Etant donné qu'il apparaît, de l'aveu même du ministère du Travail, que le syndicat a rempli les conditions requises par la loi pour obtenir l'enregistrement. Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que l'enregistrement soit accordé sans autre délai au syndicat Awami - Projet de construction d'une autoroute de Daewoo et de communiquer dès que possible des informations sur les développements de cette affaire.
  13. 415. En ce qui concerne l'ingérence du gouvernement dans les activités syndicales, le comité doit tout d'abord exprimer sa profonde inquiétude devant la gravité des allégations, notamment des plaintes relatives à l'arrestation, la détention et la torture de syndicalistes. A cet égard, le comité rappelle qu'au cours de leur détention les syndicalistes, comme toute autre personne, devraient bénéficier des garanties prévues dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. (Recueil, op. cit., paragr. 83 et 86.) Notant les nombreuses allégations relatives à divers actes de torture et à des mauvais traitements commis par les forces de sécurité pakistanaises, le comité déplore ces actes de violence et engage instamment le gouvernement à procéder à une enquête indépendante, impartiale et approfondie sur les circonstances de ces affaires afin d'établir les faits et d'identifier et de punir les responsables de ces actes, et de le tenir informé des résultats de l'enquête.
  14. 416. S'agissant des allégations relatives à l'arrestation de plus de 205 syndicalistes depuis la création du syndicat (35 d'entre eux, dont le secrétaire général, ayant été arrêtés au cours d'une réunion syndicale statutaire), le comité rappelle que l'arrestation et la détention de dirigeants syndicaux et de syndicalistes dans l'exercice d'activités syndicales légitimes constituent une violation des principes de la liberté syndicale. (Recueil, op. cit., paragr. 87 et 88.) Notant en outre qu'aucun motif d'inculpation n'a été retenu initialement contre les 35 syndicalistes arrêtés le 27 janvier 1993, il apparaît que ces arrestations impliquent des restrictions à l'exercice des droits syndicaux. Comme il ressort que ces travailleurs ont finalement été accusés de s'être attroupés dans une intention illicite, le comité tient à rappeler que la détention et la condamnation de représentants des travailleurs dans le cadre d'activités liées à la protection des intérêts des travailleurs portent atteinte au libre exercice des droits syndicaux. Il demande donc au gouvernement de le tenir informé des développements en ce qui concerne ces travailleurs et de lui fournir des copies de toute décision prise à leur encontre ou de lui indiquer si les inculpations ont été levées.
  15. 417. En ce qui concerne le licenciement d'un syndicaliste, le comité note que, d'après les organisations plaignantes, 50 syndicalistes ont été licenciés immédiatement après la formation du syndicat Awami, et plus de 395 d'entre eux ont été licenciés à ce jour. Le comité note en outre que, selon les organisations plaignantes, la société Daewoo a rejeté sommairement les demandes de réintégration des 50 premiers travailleurs licenciés, présentées par le syndicat, même après que ce dernier eut obtenu une ordonnance de ne pas faire de la NIRC en attendant la décision relative à la demande d'enregistrement. Etant donné que ces licenciements ont eu lieu au lendemain de la création du syndicat et compte tenu du grand nombre de syndicalistes touchés et du manque de preuves contradictoires, on peut tenir pour acquise la nature antisyndicale de ces licenciements. Le comité rappelle donc les principes selon lesquels tous les travailleurs devraient pouvoir former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement, et nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation et de ses activités syndicales légitimes. (Recueil, op. cit., paragr. 222 et 538.) Il demande instamment au gouvernement de garantir leur réintégration dans leurs emplois. Il demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
  16. 418. Enfin, eu égard aux autres allégations relatives aux tactiques antisyndicales auxquelles la société Daewoo se serait livrée en essayant d'acheter les syndicalistes pour les encourager à se retirer du syndicat et en présentant aux travailleurs des déclarations de retraite du syndicat, ainsi que les efforts qui auraient été faits pour créer des syndicats fantoches en vue d'usurper la place du syndicat Awami, le comité considère que ces actes sont contraires à l'article 2 de la convention no 98 que le Pakistan a ratifiée, qui dispose que les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes d'ingérence des unes à l'égard des autres dans leur formation, leur fonctionnement ou leur administration. Le comité demande par conséquent au gouvernement d'enquêter sur ces allégations et de prendre les mesures nécessaires pour garantir le libre exercice du droit d'organisation des travailleurs du projet de construction d'autoroute de la société Daewoo et de le tenir informé des développements à cet égard.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 419. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette profondément le fait que le gouvernement n'ait pas formulé de commentaires ou d'observations sur les allégations présentées contre lui dans ce cas, et il demande au gouvernement de répondre sans tarder aux demandes d'information formulées dans le présent rapport.
    • b) Rappelant que les normes contenues dans la convention no 87 s'appliquent à tous les travailleurs "sans distinction d'aucune sorte", le comité demande au gouvernement de modifier la loi de finances de 1992, l'ordonnance gouvernementale de 1980 sur les zones franches pour l'industrie d'exportation, et le règlement de 1982 sur les zones franches pour l'industrie d'exportation (contrôle de l'emploi) en vue de garantir aux travailleurs le droit d'organisation et de négociation collective, conformément aux conventions nos 87 et 98.
    • c) Le comité veut croire que, avec l'expiration de la déclaration du gouvernement, la loi sur les services essentiels n'est plus considérée comme s'appliquant aux travailleurs du projet de construction de la société Daewoo et que ces derniers peuvent exercer librement leur droit de négociation collective et mener des actions de revendication, conformément aux conventions nos 87 et 98.
    • d) Rappelant que les conditions pour l'octroi de l'enregistrement ne devraient pas revenir à exiger une autorisation préalable des autorités publiques pour la constitution ou le fonctionnement d'un syndicat, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que l'enregistrement soit accordé sans autre délai au syndicat Awami - Projet de construction d'une autoroute de Daewoo et de le tenir informé dès que possible des développements à cet égard.
    • e) En ce qui concerne les graves allégations relatives à des détentions arbitraires et à des actes de torture, le comité demande instamment au gouvernement de procéder à une enquête indépendante, impartiale et approfondie sur les circonstances de ces affaires afin d'établir les faits et d'identifier et de punir les responsables des actes de violence, et de le tenir informé des résultats de l'enquête.
    • f) Rappelant que la détention et la condamnation de représentants des travailleurs dans le cadre d'activités liées à la protection des intérêts des travailleurs portant atteinte au libre exercice des droits syndicaux, le comité demande au gouvernement de le tenir informé des développements en ce qui concerne les travailleurs du projet de construction d'une autoroute de Daewoo qui ont été arrêtés et accusés d'attroupement illicite, et de lui fournir des copies de toute décision prise à leur encontre ou de lui indiquer si les inculpations ont été levées.
    • g) Rappelant les principes selon lesquels tous les travailleurs devraient pouvoir former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement et que nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou de ses activités syndicales légitimes, le comité demande instamment au gouvernement de garantir que les 395 syndicalistes licenciés depuis la formation du syndicat soient réintégrés dans leur emploi. Il demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
    • h) En ce qui concerne les autres allégations relatives aux tactiques antisyndicales auxquelles la société Daewoo se serait livrée, rappelant que les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes d'ingérence des unes à l'égard des autres dans leur formation, leur fonctionnement ou leur administration, conformément à la convention no 98, le comité demande au gouvernement d'enquêter sur ces allégations et de prendre les mesures nécessaires pour garantir le libre exercice du droit d'organisation aux travailleurs du projet de construction d'une autoroute de la société Daewoo. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des développements à cet égard.
    • i) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas concernant les conventions nos 87 et 98.
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