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- 343. Dans une communication datée du 30 octobre 1992, l'Alliance nationale des syndicats de Pologne (OPZZ) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de la Pologne. Dans une communication datée du 15 janvier 1993, l'OPZZ a fourni des informations complémentaires. Le gouvernement a envoyé ses observations sur ce cas dans des communications datées des 11 février et 23 mars 1993.
- 344. La Pologne a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de la fédération plaignante
A. Allégations de la fédération plaignante
- 345. Dans sa communication du 30 octobre 1992, l'OPZZ indique que le 25 octobre 1990 la Diète a adopté la loi sur la restitution des biens qui appartenaient aux syndicats et aux organisations sociales et dont ces derniers avaient été privés suite à l'introduction de la loi martiale le 13 décembre 1981. Elle souligne qu'elle accepte pleinement la nécessité de procéder au partage des biens de l'ancien Conseil central des syndicats (CRZZ) et de restituer les biens financiers, avec les intérêts bancaires, appartenant au Syndicat indépendant autogéré "Solidarité" (NSZZ "Solidarité"). Toutefois, en vertu de ladite loi, elle est obligée de restituer une somme dépassant 75 milliards de zlotys, ce qui, d'après elle, ne correspond pas aux taux d'intérêt des banques en Pologne; selon les taux d'intérêt les plus élevés pratiqués par ces dernières, le montant serait d'environ 7 milliards de zlotys.
- 346. Tout en soulignant que depuis le nouvel enregistrement du NSZZ "Solidarité" en 1989 elle a toujours manifesté sa volonté de retourner les biens financiers à leur propriétaire légitime, l'OPZZ est d'avis que l'application à son encontre, en vertu de la loi du 25 octobre 1990, d'un indice multiplicateur incorrect de valorisation des zlotys, constitue une violation flagrante des principes de la justice, de la Constitution de la Pologne, de la convention no 87 et limite l'application de la convention no 98.
- 347. Elle indique que le Tribunal constitutionnel de la République de Pologne, auprès duquel elle avait introduit une motion portant sur la non-conformité de la loi du 25 octobre 1990 avec la Constitution, a déclaré que les articles 2 (3) et 3 de cette loi - portant sur l'obligation de dédommager l'usure des biens qui ont été utilisés pour satisfaire les besoins des membres des syndicats -, ainsi que l'article 3 (1) - concernant la valorisation, par un indice multiplicateur, des moyens financiers en zlotys polonais à restituer aux syndicats cités à l'article 1 (1) de la loi -, ne sont pas conformes respectivement aux articles 3 (3) et 3 (1) de la Constitution.
- 348. L'OPZZ indique également que, conformément à la loi constitutionnelle qui dispose que les arrêts du Tribunal constitutionnel concernant la non-conformité des lois avec la Constitution doivent être examinés par la Diète, celle-ci a décidé, le 7 octobre 1992, de ne pas retenir l'article 2 (3) de la loi, conformément à l'arrêt. En revanche, elle a décidé de maintenir l'article 3 en vigueur, dont le texte intégral s'énonce comme suit (texte fourni par l'organisation plaignante):
- 1) La monnaie polonaise déposée sur les comptes bancaires est soumise à la restitution en faveur des sujets précisés à l'article 2 (1) et (2), après sa valorisation. La valorisation est réalisée en augmentant la somme totale en rapport avec l'accroissement du salaire mensuel moyen des salariés de l'économie nationale - publié par l'Office général des statistiques -, l'accroissement qui a eu lieu entre le jour du 12 décembre 1981 ou bien le jour de la privation effective des biens et le jour de l'adoption de l'arrêt.
- 2) Les devises étrangères déposées sur les comptes bancaires sont soumises à la restitution en faveur des sujets précisés à l'article 2 (1) et (2) avec les intérêts de 3 pour cent par an, calculés à partir du 12 décembre 1981 ou le jour de la privation effective des biens. La restitution des devises étrangères avec les intérêts peut se faire en monnaie polonaise, en applicant le taux d'échange publié par la Banque nationale polonaise, valable le jour de l'adoption de l'arrêt.
- D'après l'OPZZ, la décision du 7 octobre 1992 vise à rendre impossible l'activité des structures légales qui composent l'OPZZ.
- 349. Dans sa communication du 15 janvier 1993, l'OPZZ indique que, bien que les travaux de procédure concernant la version définitive de la loi ne soient pas terminés, l'OPZZ et ses organisations affiliées ont leurs comptes bancaires bloqués et font l'objet de pressions de la part des huissiers, ce qui rend pratiquemment difficile, et même impossible, leur fonctionnement. L'OPZZ estime que les autorités publiques bloquent d'une manière inadmissible son droit inaliénable à l'exercice de la liberté syndicale, en le limitant et en rendant difficile la jouissance de ce droit. L'application de la loi du 25 octobre 1990 - pourtant reconnue non conforme à la Constitution par le Tribunal constitutionnel - ainsi que les démarches des autorités à l'encontre des organisations précitées, sont, d'après l'OPZZ, contraires aux articles 3 (2) et 8 (2) de la convention no 87.
- 350. L'OPZZ considère qu'il est opportun que les autorités publiques présentent au Parlement le projet d'amendement portant sur le rejet ou la modification de l'article 3 de la loi du 25 octobre 1990 et, en attendant, entreprennent sans délai les démarches pour arrêter immédiatement l'application de la loi.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 351. Dans une communication du 11 février 1993, le gouvernement explique que l'objectif de la loi du 25 octobre 1990 est la restitution aux syndicats des biens dont ils avaient été privés suite à l'introduction de la loi martiale. Cette privation est incompatible avec la Constitution et restrictive à l'égard du NSZZ "Solidarité" et d'autres syndicats et organisations sociales. Etant donné que, suite à la délégalisation du NSZZ "Solidarité", une partie des biens de celle-ci avait été attribuée aux organisations syndicales d'entreprise constituées en vertu de la loi sur les syndicats du 8 octobre 1982 ainsi qu'à l'OPZZ, ces dernières sont tenues, conformément aux principes de la justice et de la loi, de restituer ces biens aux propriétaires légitimes.
- 352. Par son arrêt du 25 février 1992, le Tribunal constitutionnel a considéré ce principe, consacré par l'article 1 de la loi du 25 octobre 1990, comme conforme à la Constitution. Dans ses attendus, le tribunal a souligné que le principe constitutionnel de la protection de la propriété concerne en premier lieu le propriétaire qui a été privé de ses biens et non pas l'individu ou l'institution qui s'est enrichi de manière injuste et donc d'une manière qui est incompatible avec l'article 1 de la Constitution. Le gouvernement en conclut que la loi du 25 octobre 1990, en ce qui concerne son principe général, ne revêt pas de caractère restrictif qui serait contraire aux conventions de l'OIT et à la Constitution polonaise mais rétablit le droit constitutionnel de propriété ainsi que le traitement égal des syndicats et la liberté de leurs activités.
- 353. Le gouvernement indique également que le Tribunal constitutionnel a été d'avis que les articles 2 (3) et 3 de la loi ne sont pas conformes à la Constitution et que, conformément aux procédures en vigueur, la Diète a soumis cet arrêt à un vote et a décidé le 7 octobre 1992, en tant qu'organe législatif suprême, que l'article 3 (1) de la loi est compatible avec la Constitution. Suite à cette décision finale, les autorités publiques qui mettent en oeuvre les dispositions législatives, c'est-à-dire la Commission sociale des revendications chargée de régler la restitution des biens visés par la loi et les organes d'exécution, entraveraient la loi si elles n'exécutaient pas les actes ordonnés en vertu de la loi.
- 354. Le gouvernement estime qu'il faut souligner que le NSZZ "Solidarité", bénéficiaire de la restitution des biens, a exprimé son mécontentement devant la lenteur des progrès réalisés dans ce domaine et son inquiétude sur les difficultés concernant l'exécution de la restitution. Il accuse le gouvernement d'être responsable de la situation actuelle et est d'avis que des procédures lentes et inefficaces confèrent une position priviligiée à l'OPZZ, qui dispose toujours des biens confisqués du NSZZ "Solidarité", et entravent ainsi les articles 11 et 3 de la convention no 87.
- 355. L'OPZZ, en adoptant une attitude contraire, formule des allégations similaires de violation de la convention no 87, estimant que les actes des organes d'exécution, qui mettent en oeuvre les décisions de la Commission sociale des revendications portant sur la restitution des biens, restreignent les droits syndicaux en ce qu'ils rendent les activités des organisations affiliées à l'OPZZ difficiles ou impossibles. Le gouvernement déclare que ces allégations ne sont pas exactes et qu'il ne partage pas l'opinion de l'OPZZ. Il estime que la législation polonaise et les actes des autorités publiques effectués dans le cadre de la Constitution et des lois adoptées par le Parlement ne sont pas incompatibles avec les garanties prévues par la convention no 87. Le gouvernement rappelle en outre que l'article 8 (1) de cette convention oblige les syndicats à se conformer à la législation nationale en vigueur.
- 356. Dans sa décision du 7 octobre 1992, la Diète a retenu, conformément à l'arrêt du Tribunal constitutionnel, la non-conformité des articles 2 (3) et 3 de la loi du 25 octobre 1990 en ce qui concerne l'obligation de dédommager l'usure des biens qui ont été utilisés pour satisfaire les besoins des membres des syndicats mentionnés dans l'article 1 (1) de la loi. Le gouvernement déclare que, conformément à l'article 7 (3) de la loi du 29 avril 1985 sur le Tribunal constitutionnel, la Diète fait les démarches nécessaires pour amender les dispositions en question.
- 357. Le gouvernement indique que la Commission sociale des revendications s'est efforcée de prendre en considération la façon dont ont été utilisés les biens par la partie tenue de les restituer. Elle tente de convaincre les parties de conclure des accords. Dans plus de 20 pour cent des cas examinés (plus de 200), les procédures se sont terminées par la conclusion d'un accord entre les organisations syndicales d'entreprise affiliées à l'OPZZ et les organisations d'entreprise affiliées au NSZZ "Solidarité".
- 358. Dans une communication du 23 mars 1993, le gouvernement transmet les commentaires du NSZZ "Solidarité" sur les allégations de l'OPZZ. Cette organisation indique tout d'abord que, durant la "Table ronde" de 1989, le groupe de travail sur le pluralisme syndical avait pris une décision selon laquelle l'OPZZ restituerait au NSZZ "Solidarité" tous les biens qu'elle avait reçus de cette dernière mais que, suite à la résistance délibérée de l'OPZZ, cette décision n'a jamais été mise en oeuvre, ce qui a amené le Parlement a adopté la loi du 25 octobre 1990. L'OPZZ s'est alors livrée à une multitude de manoeuvres afin d'éviter la restitution de ces biens.
- 359. En ce qui concerne l'arrêt du Tribunal constitutionnel, le NSZZ "Solidarité" signale que l'OPZZ avait remis en question la totalité de la loi du 25 octobre 1990 indiquant ainsi qu'elle considérait l'acquisition des biens dont elle avait bénéficié comme étant légale et qu'elle ne se sentait pas moralement obligée de restituer les biens au propriétaire légitime. En second lieu, contrairement à ce que veut faire croire l'OPZZ, le tribunal a décidé que seulement certaines parties de deux articles de la loi, et uniquement en ce qui concerne leur application limitée, étaient incompatibles avec la Constitution. L'allégation selon laquelle la loi du 25 octobre 1990 entravera les activités syndicales de l'OPZZ prouve que celle-ci ne fonctionne que grâce à des biens "volés" et qu'elle n'est pas portée par la force de ses membres.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 360. Le comité note que le présent cas concerne certaines dispositions de la loi du 25 octobre 1990 sur la restitution des biens qui appartenaient aux syndicats et aux organisations sociales et dont ces derniers avaient été privés suite à l'introduction de la loi martiale le 13 décembre 1981, et plus particulièrement sur les articles 2 (3) et 3 pris ensemble et l'article 3 (1), ainsi que sur la mise en oeuvre de cette loi.
- 361. Le comité comprend qu'en vertu de cette loi l'Alliance nationale des syndicats de Pologne (OPZZ), organisation plaignante dans le cas présent, est tenue de restituer au Syndicat indépendant autogéré "Solidarité" (NSZZ "Solidarité") une partie des biens qui appartenait auparavant à ce dernier, dissous en 1982 par la loi sur les syndicats, et que l'OPZZ avait recueillis suite à une décision du gouvernement de 1985. Il note à cet égard les déclarations de l'organisation plaignante selon lesquelles les biens financiers appartenant auparavant au NSZZ "Solidarité" ont été déposés sur des comptes bancaires et elle accepte pleinement la nécessité de procéder au partage des biens de l'ancien Conseil central des syndicats et de restituer les biens financiers, y compris les intérêts bancaires, appartenant au NSZZ "Solidarité".
- 362. En ce qui concerne les articles 2 (3) et 3 de la loi du 25 octobre 1990, le comité note qu'ils concernent l'obligation de dédommager l'usure des biens utilisés pour satisfaire les besoins des membres des syndicats cités à l'article 1 (1) de la loi. Le comité note également que, par un arrêt du 25 février 1992, le Tribunal constitutionnel a jugé que cet article n'était pas conforme à la Constitution et que cet arrêt a été accepté par une décision de la Diète en date du 7 octobre 1992. La Diète a donc entrepris les démarches nécessaires pour amender les dispositions en question.
- 363. En ce qui concerne l'article 3 (1) de la loi, qui porte sur la valorisation des moyens financiers en monnaie polonaise à restituer, le comité note qu'il a été également jugé incompatible avec la Constitution par l'arrêt du 25 février 1992, mais que la Diète n'a pas retenu cette non-conformité et qu'en conséquence cet article est toujours en vigueur.
- 364. C'est ce dernier point que critique l'OPZZ. Elle allègue concrètement qu'en vertu de ladite loi, qui applique d'après elle un indice multiplicateur incorrect de valorisation, elle est obligée de restituer une somme dépassant 75 milliards de zlotys, alors que, selon les taux d'intérêt les plus élevés pratiqués par les banques polonaises, le montant serait d'environ 7 milliards de zlotys.
- 365. Le comité relève à cet égard que le but de cet article est de restituer aux anciennes organisations propriétaires, aux fins de leurs activités syndicales, des fonds qui leur ont été confisqués il y a plus d'une décennie. Il paraît donc légitime, pour que ces organisations puissent recouvrer des fonds d'une valeur équivalant à ceux dont elles avaient été dépossédées, que soit appliqué un indice multiplicateur.
- 366. Le comité estime qu'il n'est pas en mesure de se prononcer sur la valeur de l'indice multiplicateur en cause dans le cas présent. Il considère qu'il s'agit là d'une question qui doit être réglée sur le plan national, si possible avec l'accord de l'ensemble des parties intéressées. A cet égard, le comité note avec intérêt que dans plus de 20 pour cent des cas examinés (plus de 200) par la Commission sociale des revendications, les procédures ont été terminées par la conclusion d'un accord entre les organisations syndicales d'entreprise affiliées à l'OPZZ et celles affiliées au NSZZ "Solidarité".
- 367. En tout état de cause, le comité exprime l'espoir que les modifications à la loi du 25 octobre 1990 entreront rapidement en vigueur pour donner suite aux décisions du Tribunal constitutionnel et de la Diète afin de conférer aux organisations syndicales un cadre légal complet et définitif dans lequel peut se dérouler la dévolution du patrimoine syndical avec la pleine participation des organisations concernées. Il prie le gouvernement de le tenir informé de tout progrès intervenu à cet égard.
- 368. Le comité demande enfin au gouvernement, à l'organisation plaignante et aux autres organisations syndicales intéressées de continuer - aussi bien à ce stade qu'après l'entrée en vigueur prévue des dispositions amendées de la loi du 25 octobre 1990 - à s'efforcer de régler la restitution des biens syndicaux par voie d'accords. Il demande au gouvernement de le tenir informé des progrès réalisés dans ce domaine.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 369. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Relevant que le but de l'article 3 (1) de la loi du 25 octobre 1990 est de restituer aux anciennes organisations propriétaires, aux fins de leurs activités syndicales, des fonds qui leur ont été confisqués il y a plus d'une décennie, le comité considère qu'il est légitime, pour que ces organisations puissent recouvrer des fonds d'une valeur équivalant à ceux dont elles avaient été dépossédées, que soit appliqué un indice multiplicateur. Le comité estime toutefois qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur la valeur de l'indice multiplicateur en cause dans le cas présent, mais qu'il s'agit d'une question qui doit être réglée sur le plan national, si possible avec l'accord de l'ensemble des parties intéressées.
- b) Le comité exprime l'espoir que les modifications à la loi du 25 octobre 1990 entreront rapidement en vigueur pour donner suite aux décisions du Tribunal constitutionnel et de la Diète afin de conférer aux organisations syndicales un cadre légal complet et définitif dans lequel peut se dérouler la dévolution du patrimoine syndical avec la pleine participation des organisations concernées. Il prie le gouvernement de le tenir informé de tout progrès intervenu à cet égard.
- c) Le comité demande au gouvernement, à l'organisation plaignante et aux autres organisations syndicales intéressées de continuer - aussi bien à ce stade qu'après l'entrée en vigueur prévue des amendements de la loi du 25 octobre 1990 - à s'efforcer de régler la restitution des biens syndicaux par voie d'accords. Il demande au gouvernement de le tenir informé des progrès réalisés dans ce domaine.