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Rapport intérimaire - Rapport No. 283, Juin 1992

Cas no 1589 (Maroc) - Date de la plainte: 12-JUIN -91 - Clos

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  1. 296. Le 12 juin 1991, la Confédération démocratique du travail (CDT) a déposé une plainte pour violation des droits syndicaux dirigée contre le gouvernement du Maroc.
  2. 297. Le gouvernement a fourni ses commentaires dans une communication datée du 28 février 1992.
  3. 298. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 299. Dans sa plainte, la CDT allègue une série d'actes de discrimination antisyndicale de la part de la direction des usines Moulitex et Sicob, situées à Casablanca et employant respectivement 370 et 80 ouvriers ainsi que des actes de violence commis par les autorités et les forces de l'ordre à l'encontre des ouvriers, parmi lesquels des membres et dirigeants syndicaux, des deux usines.
  2. 300. La CDT relate qu'après la constitution, le 16 avril 1991, d'un bureau syndical affilié à l'organisation plaignante au sein de l'usine Moulitex, 20 syndicalistes dont 5 membres du bureau syndical ont été licenciés. Une rencontre en date du 24 avril 1991 avec l'inspection du travail devait aboutir à la réintégration de dix ouvriers et à la poursuite des négociations sur les autres personnes licenciées. Cependant, M. Sekkat, patron et propriétaire des deux usines, a renvoyé les personnes voulant regagner comme convenu leur travail en les humiliant et insultant.
  3. 301. Suite à ces événements les ouvriers ont décidé, lors d'une assemblée générale le 25 avril 1991, de déclencher une grève de deux heures pour protester contre le licenciement de leurs camarades. Le 26 avril, jour même de la grève, la direction a procédé à la fermeture de l'usine, fermeture dont l'inspection du travail a établi un procès-verbal. De l'avis de l'organisation plaignante, cette fermeture était illégale. Les ouvriers ont alors organisé une occupation des locaux pour réclamer leur droit au travail. La direction de son côté a continué, malgré la fermeture de l'usine, à licencier des syndicalistes.
  4. 302. Dans sa communication, l'organisation plaignante fait état d'événements semblables qui se seraient produits à l'usine voisine Sicob. Après la constitution au sein de cette entreprise d'un bureau syndical en date du 11 février 1991, un des membres du bureau aurait été victime d'une machination. Il aurait été arrêté par la police puis relâché par le parquet.
  5. 303. Le patron de l'usine a alors décidé de fermer l'entreprise, sans recours à une procédure légale, pour ne la réouvrir que le 21 février 1991. Le lendemain, la direction a décidé de réduire l'horaire du travail de huit heures à quatre heures par jour, puis à seize heures par semaine. Cette mesure concernait la plupart des ouvriers. Le même jour, elle a également suspendu deux syndicalistes.
  6. 304. La CDT indique que la direction a ensuite demandé aux ouvriers de lui remettre les cartes d'adhésion syndicale en échange de la satisfaction de leurs revendications et l'augmentation des heures de travail et leur a proposé de signer un engagement à n'exercer aucune activité syndicale. Comme les ouvriers n'ont pas accepté ces propositions, la direction a procédé à nouveau à la fermeture de l'usine. Cette mesure a été suivie par une occupation des locaux par les ouvriers, réclamant leur droit au travail.
  7. 305. La CDT relate ensuite la dégénération de ces deux conflits. Elle indique tout d'abord que l'occupation des locaux des usines en question était organisée et pacifique, malgré les provocations et les intimidations de la part de la direction et des autorités, et qu'elle se déroulait loin de la voie publique. Le 31 mai 1991, lors d'une rencontre au niveau des autorités locales, le commissaire Tahit, chef des renseignements généraux, aurait proféré des menaces à l'encontre des membres du bureau syndical ce qui, toujours selon l'organisation plaignante, les a poussés à boycotter une deuxième rencontre afin de ne pas avoir à négocier sous la menace. Dans la soirée du même jour, le chef de la police préfectorale, M. Bakkali, est arrivé à l'usine Sicob accompagné de plusieurs commissaires et a demandé aux ouvriers la raison de l'occupation des locaux. Après que ceux-ci lui eurent indiqué qu'ils réclamaient leur droit au travail et qu'ils souhaitaient une résolution du conflit conforme à la législation et aux principes de la liberté syndicale, M. Bakkali a promis aux grévistes un règlement du différend.
  8. 306. Dans la soirée du 2 juin 1991 cependant, six estafettes de police sont arrivées sur les lieux. Les policiers auraient battu les ouvriers, mis à sac leurs bagages et leurs motocyclettes et emmené, au commissariat central des Roches noires, 31 ouvriers. Ces personnes ont été relâchées après trois heures pendant lesquelles elles ont été injuriées, gifflées et battues. A minuit, les forces de l'ordre sont revenues en plus grand nombre, ont emmené 84 personnes au Commissariat où elles ont été enfermées dans une petite cellule. Suite à ce traitement, deux ouvriers se sont évanouis et ont été jetés dans la cour du commissariat pour reprendre leurs esprits. Le lendemain matin, les forces de l'ordre sont revenues une deuxième fois (plus de 60 estafettes de police, selon la CDT), accompagnées de plusieurs voitures de hauts responsables de la sûreté, plusieurs agents des autorités et des inspecteurs civils de la police. Après avoir encerclé hermétiquement les deux usines et bloqué les voies publiques, le commissaire a ordonné l'ouverture de l'usine et sommé les ouvriers d'entrer travailler de force et sans syndicat. Comme les travailleurs ont refusé de donner suite à ces ordres, le commissaire a ordonné aux forces de l'ordre d'intervenir. Selon la CDT, les travailleurs ont alors subi pendant un quart d'heure des coups de gourdins et de matraques et le bilan de cette intervention était de 104 blessés et d'une vingtaine d'ouvriers qui ont été emprisonnés, battus puis relâchés. L'organisation a joint à sa plainte une liste de personnes blessées ainsi que des copies de quelques certificats médicaux. Les deux cents autres ouvriers ont été pourchassés, certains jusqu'à leur maison où ils ont été maltraités en public.
  9. 307. L'organisation plaignante indique qu'après ces événements, la direction a réouvert les deux usines et embauché de nouveaux ouvriers sous la garde des autorités. La CDT signale que 400 ouvriers et leurs familles sont encore jetés à la rue et que le patron refuse catégoriquement l'entrée du syndicat dans ses usines.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 308. Dans sa communication du 28 février 1992, le gouvernement relate en premier lieu les événements qui se sont déroulés au sein de la société Moulitex. D'après le gouvernement, l'administration de cette entreprise a procédé le 15 avril 1991 au licenciement de plusieurs travailleurs accusés d'avoir commis des actes de sabotage causant des dommages aux substances et aux appareils de l'usine, comme le montre l'examen effectué par l'expert assermenté au sujet de l'arrêt des machines dans la société (dont copie est jointe).
  2. 309. L'inspection du travail est alors intervenue pour trouver une solution à ce différend. Selon le gouvernement, un accord préliminaire prévoyant la réintégration à leur poste de travail de plusieurs ouvriers a été conclu mais les développements qu'a connus l'affaire auraient empêché son application. Comme certains grévistes s'étaient regroupés sur la voie publique face à l'usine, les forces de l'ordre sont intervenues pour les disperser conformément aux procédures légales en vigueur. Selon le gouvernement, cette opération s'est déroulée calmement et sans incidents contrairement aux allégations de l'organisation plaignante.
  3. 310. L'inspection du travail a poursuivi ses efforts de règlement du différend en organisant plusieurs réunions auxquelles ont assisté, à côté des membres de l'administration de la société, des délégués syndicaux et des représentants de la CDT. Le gouvernement déclare que ces réunions ont abouti à un accord prévoyant la réintégration de tous les travailleurs à l'exception de ceux qui avaient été licenciés au début du conflit ainsi que le versement aux travailleurs licenciés des indemnités de licenciement légales majorées d'un montant de 2.000 dirhams s'ajoutant aux indemnités annuelles de production, de logement et de transport.
  4. 311. Concernant les événements qui se sont déroulés à l'usine Sicob, le gouvernement indique que l'administration de cette société a procédé en date du 19 mai 1991 à la fermeture de l'établissement en accusant ses travailleurs de faire baisser la production. Etant donné que la loi prévoit que la fermeture est soumise à l'approbation préalable de l'autorité compétente, l'inspection du travail a dressé un procès-verbal contre l'administration de la société pour non-respect de cette disposition légale.
  5. 312. Le gouvernement déclare également qu'à la suite des réunions successives qui se sont tenues au siège du service compétent du travail, il a été convenu que les travailleurs reprennent leur travail dans l'usine. Tous les travailleurs ont effectivement réintégré leur travail à l'exception de douze d'entre eux dont cinq ont préféré quitter la société et bénéficier de l'indemnité légale majorée d'un montant forfaitaire de 4.000 dirhams alors que les sept autres ont tenu à soumettre leur affaire devant le tribunal compétent.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 313. Le cas présent porte sur des actes de discrimination antisyndicale qui auraient été commis par la direction des usines Moulitex et Sicob à l'encontre des membres et dirigeants syndicaux ainsi que sur des actes de violence commis par les forces de l'ordre à l'encontre des ouvriers de ces deux usines.
  2. 314. Pour ce qui est des licenciements en date du 16 avril d'un nombre de travailleurs de l'usine Moulitex dont des syndicalistes et des membres du bureau syndical, le comité observe que selon l'organisation plaignante ces licenciements auraient un lien avec l'établissement au sein de l'usine d'un bureau syndical et que le gouvernement déclare de son côté que certains travailleurs de la société Moulitex ont été licenciés pour avoir saboté des appareils. Le comité note tout d'abord que le rapport de l'expert assermenté (dont le gouvernement a joint une copie) date du 3 mai 1991, c'est-à-dire 18 jours après les licenciements qui datent du 16 avril 1991. Elle observe également que le rapport en question constate seulement qu'un arrêt brutal des machines sans les avoir au préalable vidées des matières premières qu'elles contenaient est la cause principale de la panne qui les a affectées. Le comité n'est donc pas à même d'apprécier les circonstances de la panne et de se prononcer sur le fait de savoir si les licenciements en question étaient motivés par des raisons syndicales. Tout en rappelant les principes selon lesquels tous les travailleurs doivent pouvoir effectivement former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement et que nul ne devrait faire l'objet de discrimination dans l'emploi en raison de son affiliation ou des ses activités syndicales légitimes (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 222 et 538), le comité demande au gouvernement de mener une enquête en vue d'établir les véritables raisons du licenciement d'un grand nombre de personnes en date du 16 avril 1991.
  3. 315. Quant aux autres licenciements, le comité observe que le gouvernement déclare que des accords conclus entre les parties au différend prévoient la réintégration des travailleurs licenciés et le versement des indemnités de licenciement, et que tous les travailleurs de la société Sicob ont effectivement réintégré leur travail à l'exception de cinq d'entre eux ayant préféré quitter la société et bénéficier de l'indemnité légale de licenciement et sept autres qui ont tenu à soumettre leur affaire à un tribunal compétent. Selon l'organisation plaignante, les licenciements ont été prononcés pour cause d'activités syndicales et pour cause de grève. Le comité note que l'organisation plaignante allègue également que 400 ouvriers n'ont pas encore réintégrés leur travail après les événements du 2 juin 1991 et que la direction, après la réouverture des deux usines, a même engagé de nouveaux ouvriers. Le comité rappelle le principe selon lequel le recours à des mesures extrêmement graves, comme le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève, implique de graves risques d'abus et constitue une violation de la liberté syndicale (voir Recueil, op. cit., paragr. 444), et demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre les accords prévoyant la réintégration des personnes licenciées et suspendues et de le tenir informé de toute décision prise à cet égard. Il lui demande également de le tenir informé de l'issue des affaires intentées par les sept travailleurs licenciés ayant voulu soumettre leurs affaires à un tribunal.
  4. 316. D'une manière plus générale, le comité doit rappeler au gouvernement qu'il est nécessaire que la législation établisse d'une manière expresse des recours et des sanctions contre les actes de discrimination antisyndicale des employeurs à l'égard des travailleurs et des organisations de travailleurs afin d'assurer l'efficacité pratique de l'article 1 de la convention no 98. Observant qu'à plusieurs occasions déjà il a rappelé ce principe au gouvernement (voir entre autres le cas no 1499, 279e rapport, paragr. 203, et le cas no 1574, 281e rapport, paragr. 222), le comité prie instamment à nouveau le gouvernement d'adopter dans un proche avenir des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de la convention.
  5. 317. Quant aux allégations portant sur la fermeture des deux usines, le comité note la réponse du gouvernement selon laquelle la direction de la société Sicob a fermé l'usine en date du 19 mai 1991 en accusant ses travailleurs de faire baisser la production et selon laquelle l'inspection du travail a ensuite dressé un procès-verbal contre l'administration de la société pour non-respect de la loi qui prévoit que la fermeture est soumise à l'approbation préalable de l'autorité compétente.
  6. 318. S'agissant des interventions des forces de l'ordre, les 2 et 3 juin 1991, pendant lesquelles des ouvriers partipant à l'occupation des locaux pour obtenir la réouverture des usines et réclamant leur droit au travail ont été emmenés au commissariat, battus ou injuriés, le comité note que le gouvernement déclare que, certains grévistes s'étant regroupés sur la voie publique face à l'usine, les forces de l'ordre sont intervenues pour les disperser conformément aux procédures légales en vigueur et que cette opération s'est déroulée calmement et sans incidents. Le comité souligne une fois de plus qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans le respect des droits fondamentaux de l'homme (voir Recueil, op. cit., paragr. 68), et rappelle que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans des cas de mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé. Le comité demande par conséquent au gouvernement d'ouvrir une enquête impartiale et approfondie des circonstances pour déterminer la nature et le bien-fondé de l'action de la police et définir les responsabilités et de le tenir informé des résultats de cette enquête.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 319. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Pour ce qui est des licenciements en date du 16 avril d'un nombre de travailleurs de l'usine Moulitex dont des syndicalistes et des membres du bureau syndical, le comité demande au gouvernement de mener une enquête en vue d'établir les véritables raisons de ces licenciements et de le tenir informé de tout résultat obtenu à cet égard.
    • b) Quant aux allégations des autres licenciements d'ouvriers des usines Moulitex et Sicob, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre les accords prévoyant la réintégration des personnes licenciées et suspendues et de le tenir informé de toute évolution à cet égard. Il lui demande également de le tenir informé de l'issue des procès intentés par les sept travailleurs licenciés ayant voulu soumettre leurs cas à un tribunal.
    • c) Rappelant la nécessité d'assurer par des dispositions spécifiques assorties de sanctions suffisamment dissuasives la protection des travailleurs contre des actes de discrimination antisyndicale de la part de l'employeur, conformément à l'article 1 de la convention no 98, et en l'absence de telles dispositions, le comité prie instamment à nouveau le gouvernement d'adopter dans un proche avenir des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de cette disposition de la convention no 98 et de lui communiquer toute évolution à cet égard.
    • d) S'agissant des allégations relatives à plusieurs interventions violentes des forces de l'ordre les 2 et 3 juin 1991 pour disperser l'occupation des locaux par les ouvriers des usines Moulitex et Sicob, le comité demande au gouvernement d'ouvrir une enquête impartiale et approfondie des circonstances pour déterminer la nature et le bien-fondé de l'action de la police ainsi que pour déterminer les responsabilités et de le tenir informé de tout résultat obtenu.
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