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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 272, Juin 1990

Cas no 1413 (Bahreïn) - Date de la plainte: 03-JUIN -87 - Clos

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  1. 171. Le comité a examiné ce cas à ses réunions de février et novembre 1988 où il a présenté des rapports intérimaires au Conseil d'administration. (Voir 254e rapport, paragr. 474 à 492, approuvé par le Conseil d'administration à sa 239e session (février-mars 1988); 259e rapport, paragr. 553 à 563, approuvé par le Conseil d'administration à sa 241e session (novembre 1988).)
  2. 172. Depuis lors, le gouvernement a envoyé certaines informations et observations dans des communications datées du 26 juillet 1989 et du 6 avril 1990; l'organisation plaignante a fait parvenir des renseignements et observations supplémentaires dans une communication du 7 janvier 1990.
  3. 173. Bahreïn n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 174. L'allégation restée en instance après le dernier examen de cette affaire par le comité concernait l'arrestation et la détention d'un dirigeant syndical, à savoir M. Ibrahim Al Kassab, président de la Commission générale des travailleurs de Bahreïn, employé, selon l'organisation plaignante, par la Compagnie d'aluminium ALBA.
  2. 175. A sa session de février 1988, le comité avait rappelé l'importance que présente, dans tous les cas d'arrestation et de détention de syndicalistes, un jugement prompt et équitable par les autorités judiciaires et avait demandé au gouvernement de fournir des informations sur la situation de M. Ibrahim Al Kassab.
  3. 176. Dans une lettre du 14 juin 1988, le gouvernement avait admis que les forces de sécurité publique de Bahreïn avaient procédé à l'arrestation de M. Ibrahim Al Kassab, mais affirmait que l'intéressé avait été traduit en jugement dans l'affaire no 1987/Sécurité de l'Etat 1/36. D'après le gouvernement, le tribunal avait reconnu la culpabilité de l'intéressé en date du 29 octobre 1987 et l'avait condamné à cinq ans de prison à compter de son arrestation.
  4. 177. Le gouvernement prétendait que cette affaire ne relève pas du droit syndical et du droit du travail comme l'allègue l'organisation plaignante. Il ajoutait que M. Al Kassab n'avait pas été détenu ou arrêté en application de mesures exceptionnelles, mais qu'il avait été accusé d'avoir commis un délit pénal, traduit en justice en application du Code pénal de l'Etat de Bahreïn et condamné à une peine de prison.
  5. 178. A sa réunion de novembre 1988, le comité avait rappelé que, lorsque des plaignants allèguent que des dirigeants syndicaux ou des travailleurs ont été arrêtés pour activités syndicales et que le gouvernement répond que les personnes en question ont en fait été arrêtées et condamnées pour des délits criminels, sans en indiquer la nature, il lui demande toujours de préciser les accusations portées contre ces personnes, et de lui communiquer la copie du jugement avec ses attendus.
  6. 179. Pour pouvoir se prononcer en toute connaissance de cause sur cette affaire, le comité avait donc demandé au gouvernement de spécifier les faits ayant donné lieu à l'arrestation de M. Al Kassab, d'indiquer les accusations retenues contre lui et l'article du Code pénal en application duquel il avait été condamné, et enfin de communiquer la copie du jugement de condamnation le concernant (affaire no 1987/Sécurité de l'Etat 1/36), avec ses attendus.
  7. 180. Le comité avait également demandé à l'organisation plaignante de fournir tous les éléments complémentaires d'information dont elle disposait dans ce cas.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 181. Dans une communication du 26 juillet 1989, le gouvernement a fait parvenir copie du jugement demandé. Celui-ci s'applique à 18 personnes, mais son dispositif, en ce qui concerne M. Al Kassab, peut se résumer comme suit.
  2. 182. Premièrement, M. Al Kassab et tous les autres prévenus sont accusés d'avoir adhéré au Front national de libération de Bahreïn qui adopte les principes communistes et qui a recours à la violence révolutionnaire, à la force, à la menace, à l'utilisation des armes et des explosifs, aux crimes, aux assassinats, aux grèves, aux manifestations, à l'agitation et à d'autres moyens illégaux visant à mettre à exécution les plans de l'organisation, qui consistent à détruire le régime politique, social et économique de l'Etat et à le remplacer par un régime communiste, à concéder l'autorité à la classe ouvrière et à la soutenir au détriment des autres classes afin de lui permettre de prendre le pouvoir, ce qui fait l'objet de sanctions prévues par l'article 159/1-3 du Code pénal.
  3. 183. Deuxièmement, M. Al Kassab et tous les autres prévenus sont accusés d'avoir été en possession illégale d'imprimés et de publications qui attaquent et calomnient le régime politique, social et économique de l'Etat et qui accusent le pouvoir de tyrannie, d'oppression et de corruption, approuvant et encourageant ainsi la destruction dudit régime par le recours à la force, à la menace et à d'autres moyens illégaux qui visent à remplacer le régime existant par un régime illégal, ce qui fait l'objet de sanctions prévues par les articles 64 et 161 du Code pénal.
  4. 184. Trois autres chefs d'accusation sont retenus contre certains prévenus, dont M. Al Kassab, soit d'avoir:
    • - encouragé et approuvé, par le recours à la force, à la menace et à d'autres moyens illégaux, le renversement et le changement du régime politique, social et économique de l'Etat en distribuant à la population et dans les lieux publics des imprimés et des publications qui attaquent ce régime et le calomnient, qui accusent le pouvoir de tyrannie, d'oppression et de corruption, et qui incitent la population à s'opposer au pouvoir et audit régime en vue de lui porter un coup fatal pour le détruire et le remplacer par un régime illégal, ce qui fait l'objet de sanctions prévues par l'article 160 du Code pénal;
    • - appelé à l'adhésion au Front national de libération de Bahreïn, ce qui fait l'objet de sanctions prévues par l'article 159/1-2 du Code pénal;
    • - été en possession d'un matériel d'impression ou de reproduction des publications précitées, ce qui fait l'objet de sanctions prévues par l'article 64/161 du Code pénal.
  5. 185. Le tribunal s'est fondé sur les aveux des accusés consignés dans leurs déclarations écrites faites devant la police et le juge, et sur des preuves trouvées lors de perquisitions (publications, imprimés, matériel d'impression et de reproduction - notamment un ordinateur chez M. Al Kassab) pour conclure à leur culpabilité à divers degrés. M. Al Kassab a été pour sa part reconnu coupable des cinq chefs d'accusation ci-dessus mentionnés et condamné à cinq ans d'emprisonnement.
  6. 186. Le tribunal a relevé dans son jugement que les accusés avaient tous nié les actions qui leur étaient imputées ainsi que l'authenticité des aveux, et soutenaient qu'ils leur auraient été extorqués sous les pressions physiques et morales des policiers. Toutefois, il a statué que ces aveux avaient été volontairement et librement faits devant le juge, faute de preuves démontrant le contraire.
  7. 187. Le tribunal a par ailleurs noté dans ses attendus:
    • - que la Constitution assure aux particuliers, dans les limites de la loi, la liberté d'opinion et d'expression ainsi que le droit d'association qui se fonde sur des principes nationaux, à condition que les objectifs des associations soient légaux et que les moyens de leur réalisation soient pacifiques;
    • - que la Constitution interdit la création d'associations visant à détruire le régime de l'Etat établi conformément à la Constitution, et interdit également le recours à la force, à la menace et à d'autres moyens non pacifiques permettant auxdites associations de réaliser leurs buts;
    • - qu'il n'est pas nécessaire qu'une association ou qu'une organisation appelle ouvertement à recourir à de tels moyens; il suffit que les plans qu'elle entend mettre en oeuvre fassent comprendre implicitement qu'elle y a recours. C'est le cas du Front national de libération de Barheïn, comme en témoignent les publications et les imprimés qu'il fait paraître, qui appellent le peuple à s'opposer au pouvoir et à l'attaquer, et qui incitent les travailleurs à observer des grèves alors que ce sont là des activités interdites par le Code pénal de Bahreïn.

C. Nouvelles informations

C. Nouvelles informations
  1. 188. Dans sa communication du 7 janvier 1990, l'organisation plaignante souligne que, d'après l'acte d'accusation (dont elle joint copie), M. Al Kassab a été condamné pour ses activités syndicales, bien que le manuscrit fasse état d'autres accusations. Les infractions reprochées à M. Al Kassab dans l'acte d'accusation sont les suivantes:
    • - s'être affilié à une organisation de travailleurs illégale prônant l'activité syndicale et ouvrière par l'usage de la force, de la menace et d'autres moyens illégaux, en violation du Code pénal;
    • - avoir possédé des imprimés portant atteinte au régime politique, social et économique, qualifiant le pouvoir en place de tyrannique et corrompu, en violation du Code pénal;
    • - avoir distribué dans des lieux publics et de manière illégale des imprimés comportant un appel à la création de syndicats de travailleurs et des attaques contre le régime, en violation du Code pénal;
    • - avoir appelé à l'affiliation à une organisation de travailleurs illégale, en violation du Code pénal. 189. L'organisation plaignante joint également les commentaires de la Fédération des travailleurs de Bahreïn, selon qui il y aurait eu violation flagrante de la Constitution lors du déroulement de cette affaire. Selon la fédération, le jugement de la Cour suprême civile d'appel est entaché d'illégalité en ce que:
    • - l'affaire a été déférée directement devant la Cour suprême, ce qui exclut tout recours ultérieur;
    • - les audiences se sont déroulées à huis clos;
    • - l'instruction s'est déroulée en l'absence d'avocats;
    • - les aveux des accusés ont été arrachés sous la torture;
    • - le ministère public relève du ministère de l'Intérieur, ce qui est contraire au principe de la séparation des pouvoirs.
      • Par ailleurs, la fédération souligne que M. Al Kassab a été condamné malgré l'absence totale de preuves matérielles sauf l'ordinateur et les disquettes saisis qui ne sont pas des objets dont la possession est interdite, et que les autres allégations ne sont étayées par aucun témoignage ou preuve documentaire.
    • 190. La CISA souligne enfin que M. Al Kassab est actuellement détenu à la prison de Djo, dans une région désertique au bord de la mer, où l'humidité et la chaleur rendent la vie intenable pour les prisonniers, qui sont l'objet de vexations continuelles et de violations de leur dignité humaine. Ils sont privés pour la moindre erreur, véridique ou prétendue, de leur droit aux promenades ou aux soins médicaux; ils sont même parfois privés de la possibilité de faire leurs ablutions ou d'accomplir leurs besoins physiologiques naturels.
  2. 191. Dans sa lettre du 6 avril 1990, le gouvernement renvoie à sa communication du 26 juillet 1989, se bornant à réaffirmer que les allégations de l'organisation plaignante sont fausses et trompeuses.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 192. Le comité constate tout d'abord la qualification radicalement différente donnée par les parties aux faits reprochés à M. Al Kassab. Selon le gouvernement, ce dernier s'est livré à des actions politiques subversives. La CISA soutient pour sa part que M. Al Kassab a été condamné bien qu'il n'ait fait qu'exercer des activités syndicales normales. Une divergence semblable se retrouve d'ailleurs dans l'appréciation du libellé de l'acte d'accusation. Selon la traduction du jugement du 29 octobre 1987, les autorités reprochent essentiellement à M. Al Kassab son appartenance au Front national de libération de Bahreïn, d'obédience communiste, qui prônerait, outre la violence révolutionnaire, le recours aux grèves, aux manifestations, etc. Vues dans cette perspective, les activités syndicales proprement dites de M. Al Kassab s'inscriraient, selon le gouvernement, dans une stratégie d'ensemble visant le renversement du pouvoir en place. En revanche, selon la traduction du rapport de la Fédération des travailleurs de Bahreïn transmis par la CISA le 7 janvier 1990, l'acte d'accusation fait uniquement grief à M. Al Kassab de son affiliation à une organisation de travailleurs illégale et de divers actes reliés à la promotion des buts de cette organisation.
  2. 193. Malgré les informations supplémentaires reçues, le comité ne dispose malheureusement pas d'éléments probants quant à la nature réelle des activités reprochées à M. Al Kassab. Le comité tient à rappeler certains principes bien établis à cet égard. Premièrement, s'il n'est pas compétent pour traiter des questions de nature purement politique, il peut néanmoins examiner les dispositions de nature politique prises par un gouvernement dans la mesure où elles peuvent avoir des répercussions sur l'exercice des droits syndicaux. Deuxièmement, aux termes de l'article 8 de la convention no 87, les travailleurs et leurs organisations sont tenus, comme tout autre groupe organisé, de respecter la légalité; cette obligation suppose évidemment que la législation nationale ne porte pas atteinte aux garanties prévues par la convention, ce qui implique le respect des droits fondamentaux, notamment le droit de libre opinion exprimée par la parole et la presse. Troisièmement, même lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étrangers à leurs activités syndicales, ils doivent bénéficier d'une procédure judiciaire régulière, ce qui signifie notamment qu'ils doivent pouvoir être informés des accusations qui pèsent contre eux, disposer du temps nécessaire à la préparation de leur défense, communiquer sans entrave avec le conseil de leur choix et être jugés sans retard par une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
  3. 194. Le comité tient à souligner l'importance qu'il attache à ce troisième point. Comme il l'a déjà mentionné, les garanties d'une procédure judiciaire régulière ne doivent pas seulement être exprimées dans la législation mais aussi être appliquées dans la pratique (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 112); autrement dit, non seulement la justice doit être rendue mais il doit être manifeste qu'elle a été rendue. Par ailleurs, toute personne prévenue (y compris les syndicalistes) doit jouir d'une présomption d'innocence tant que sa culpabilité n'est pas prouvée légalement à l'issue d'un procès public au cours duquel elle a toutes les garanties nécessaires à sa défense (Recueil, paragr. 123). Or il ressort des allégations non contredites que le procès de M. Al Kassab s'est tenu à huis clos et qu'il n'a pas bénéficié des services d'un avocat; de plus, M. Al Kassab est revenu sur ses aveux, obtenus sous la contrainte physique et morale des policiers. Enfin, la Fédération des travailleurs de Bahreïn souligne l'absence de preuves matérielles et de témoignages apportés pour étayer les accusations portées contre l'inculpé. Le comité estime donc, ne serait-ce qu'à ce titre, que M. Al Kassab n'a pu bénéficier de toutes les garanties nécessaires à sa défense au cours d'un procès public et régulier.
  4. 195. Le comité, notant en outre que M. Al Kassab, condamné à cinq ans d'emprisonnement à compter de la date de son arrestation, soit le 13 juillet 1986 (voir 254e rapport, paragr. 186), est détenu depuis presque quatre ans déjà dans des conditions particulièrement pénibles, recommande au gouvernement de prendre le plus rapidement possible les mesures nécessaires pour libérer M. Al Kassab.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 196. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité, déplorant le fait que M. Al Kassab n'ait pas bénéficié de toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière, recommande au gouvernement de prendre le plus rapidement possible les mesures nécessaires pour le libérer, et de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
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