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Rapport définitif - Rapport No. 243, Mars 1986

Cas no 1338 (Danemark) - Date de la plainte: 24-MAI -85 - Clos

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  1. 209. La plainte est contenue dans des communications des 24 mai et 5 juillet 1985. La réponse du gouvernement figure dans des communications des 7 octobre 1985 et 20 février 1986. D'autres informations ont été reçues dans une communication des plaignants datée du 20 décembre 1985. Des informations complémentaires ont été communiquées par le gouvernement les 20 et 23 décembre 1985 et le 6 février 1986 et par les plaignants les 20 décembre 1985, 24 janvier, 12 et 20 février 1986.
  2. 210. Le Danemark a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 211. Dans leur communication du 24 mai 1985, les plaignants font état de leur préoccupation devant le non-respect par le gouvernement des conventions nos 87 et 98, qu'il a ratifiées, et des principes de la liberté syndicale; en effet, à trois reprises, depuis 1982, le gouvernement est intervenu en appliquant et en promulguant des dispositions législatives touchant des conventions collectives qui avaient été négociées entre les syndicats et les organisations d'employeurs.
  2. 212. La première de ces interventions, en octobre 1982, a entraîné la suspension par le gouvernement de l'indexation des salaires; ils avaient déjà estimé à l'époque que cette intervention pouvait être contraire aux conventions nos 87 et 98, mais ils savaient que des décisions de l'OIT permettaient des restrictions à la libre fixation des salaires à titre exceptionnel, seulement dans la mesure nécessaire et sans dépasser une période raisonnable.
  3. 213. Lorsque le gouvernement est intervenu une deuxième fois en mai 1984 pour reconduire cette suspension, les plaignants ont demandé l'avis de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations. Ils estimaient que les observations de la Commission à ce sujet, dans son rapport de 1985 à la conférence internationale du travail, confirmaient leur opinion, à savoir que les mesures du gouvernement constituait une violation des conventions nos 87 et 98.
  4. 214. Les plaignants ajoutent qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de déposer une plainte auprès du Comité de la liberté syndicale à la suite de la promulgation, le 30 mars 1985, de la loi sur le renouvellement et la prolongation des conventions collectives, etc., car c'était la troisième fois, en moins de trois ans, que le gouvernement intervenait dans des questions régies par des conventions collectives.
  5. 215. Les plaignants soulignent que, alors que les partenaires sociaux étaient déjà convenus d'exclure les services essentiels des actions directes, les restrictions qu'impliquait cette dernière mesure s'appliquaient à l'ensemble du marché de l'emploi.
  6. 216. En ce qui concerne le secteur privé, les plaignants déclarent que l'intervention du gouvernement avait mis fin à des grèves légales pour lesquelles un préavis avait été dûment déposé après que des grèves et des lock-out avaient été reportés par deux fois par le Comité de conciliation. En outre, la négociation collective venait à peine de commencer dans le secteur public et elle avait été interrompue par l'adoption de la législation en question, de telle sorte que les agents de la fonction publique n'avaient aucune possibilité réelle d'exercer leur droit de négocier et avaient été empêchés par cette législation d'exercer leur droit de grève.
  7. 217. Dans leur communication du 5 juillet 1985, les plaignants évoquent l'absence de toute consultation à l'intérieur du mouvement syndical avant la suspension de l'indexation des salaires en 1982, et une requête adressée le 20 mars 1984 par le Parlement danois au gouvernement, "dans le cadre d'une politique des revenus rigoureuse", d'organiser des consultations tripartites sur la réduction de la durée du travail dans les secteurs privé et public, ainsi que sur les politiques d'investissement et d'emploi. Les plaignants indiquent que le gouvernement n'en a pas tenu compte avant sa décision de mai 1984 de reconduire la suspension de l'indexation jusqu'en 1987. Ils déclarent que ce n'est qu'après cette décision que le gouvernement a convoqué les partenaires sociaux en mai et septembre 1984 pour examiner la situation économique, mais que ces discussions n'avaient pas abouti à des négociations tripartites du type envisagé dans la résolution parlementaire susmentionnée, et qu'en fait il n'y avait pas eu de négociations ou de consultations de ce genre entre le gouvernement et le mouvement syndical au sujet des questions de négociation collective entre septembre 1984 et la date d'adoption de la législation reconduisant les conventions collectives. Les plaignants estiment donc que l'intervention a été décidée sans qu'il y ait eu possibilité d'entamer des négociations entre le mouvement syndical et le gouvernement.
  8. 218. Les plaignants fournissent aussi des informations sur les tentatives qu'ils ont faites, lors d'une réunion de la Commission nationale pour l'OIT, d'obtenir la création d'une sous-commission tripartite qui aurait été chargée de déterminer si l'intervention du gouvernement était compatible avec les conventions de l'OIT, ce qui, à leur avis, aurait été conforme à la convention (no 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, 1976, et à la recommandation (no 152) sur les consultations tripartites relatives aux activités de l'Organisation internationale du Travail, 1976. Ils déclarent que le gouvernement a refusé d'appuyer cette initiative car il estimait que son intervention n'était pas contraire aux obligations du Danemark découlant des conventions de l'OIT et que la convention et la recommandation dont il s'agit ne renferment pas d'obligations concernant l'examen, au niveau national, de l'application des conventions de l'OIT.
  9. 219. Dans leur communication du 20 décembre 1985, les plaignants se réfèrent à une réunion convoquée à leur demande par le gouvernement le 24 octobre 1985 pour échanger des vues sur la politique du marché de l'emploi. A cette réunion, les plaignants avaient exprimé le désir de discuter de la suspension du système d'indexation des salaires, comme cela avait été recommandé, entre autres, par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT et par la Commission de la Conférence sur l'application des conventions et recommandations. Les plaignants indiquent que le gouvernement a refusé d'accéder à leur demande et que le ministre s'est également refusé à fournir quelque indication que ce soit sur le point de savoir si l'indexation des salaires se poursuivrait après l'expiration, en 1987, de la dernière période de suspension. Les plaignants estiment que cette attitude n'est pas conforme aux recommandations de la commission d'experts et que la réunion du 24 octobre ne va pas dans le sens de l'application de ces recommandations, étant donné que le ministre avait bien précisé que les discussions n'étaient pas destinées à déboucher sur des conclusions convenues d'un commun accord.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 220. La réponse du gouvernement contenue dans sa communication du 7 octobre 1985 commence par évoquer les difficultés économiques auxquelles il a été confronté depuis son entrée en fonctions en septembre 1982: déficit de plus en plus lourd du budget et de la balance des paiements, montée du chômage, baisse de l'emploi dans le secteur privé, taux élevé d'inflation et forte hausse des salaires et des traitements. L'un des éléments du train de mesures qu'il avait adopté pour remédier à cette situation était la suspension de l'indexation des salaires jusqu'au 28 février 1985; des mesures touchant la politique des revenus avaient également été prises, telles que la suppression des systèmes de compensation de la dérive des salaires, la limitation des dividendes, des primes et de divers types d'honoraires et de traitements, un blocage des bénéfices et un blocage des salaires et traitements du 5 octobre 1982 au 1er mars 1983. Des mesures de politique financière prises au même moment prévoyaient la suspension de l'indexation automatique d'un certain nombre de paiements de transfert publics et des barèmes fiscaux, une période d'attente d'un jour pour l'octroi des prestations de maladie, une augmentation des cotisations d'assurance chômage de 246 pour cent pour les employeurs et de 60 pour cent pour les salariés et, enfin, un prélèvement sur les caisses de pensions (jusque-là exemptées d'impôts). Des modifications avaient également été apportées au marché des capitaux.
  2. 221. En mai 1984, dans le cadre d'un compromis sur le budget, le Parlement avait prolongé la suspension de l'indexation jusqu'en 1987 dans la ligne de la même politique; le gouvernement avait demandé cette mesure dix mois avant la date d'expiration de la première période de suspension, de manière à donner aux partenaires sociaux le temps d'envisager des négociations en l'absence d'indexation.
  3. 222. Le gouvernement explique que sa politique est orientée non pas vers la réglementation à court terme de la demande, mais vers le rétablissement à long terme de la confiance sur la base d'une large acceptation de taux plus faibles de hausse des salaires, des intérêts et des prix, et que la suspension du mécanisme d'indexation automatique constituait un élément nécessaire pour assurer un ralentissement de la hausse des coûts.
  4. 223. Le gouvernement indique ensuite à quels égards, à son avis, sa politique a été fructueuse: réduction des coûts réels de main-d'oeuvre, augmentation de l'emploi, diminution du chômage, accroissement du revenu global, avec des prix à la consommation et des salaires augmentant à peu près au même rythme. Si ce changement de politique n'avait pas eu lieu, ajoute le gouvernement, il aurait été nécessaire d'appliquer une politique comprenant une augmentation des impôts pour les ouvriers et les salariés, ce qui aurait entraîné une réduction des salaires réels, tels qu'ils sont fixés par les conventions collectives. Le gouvernement souligne en outre que cela n'aurait en rien porté atteinte aux conventions de l'OIT, lesquelles ne sauraient, en tout état de cause, constituer des obstacles à l'adoption d'une législation régissant les conditions de travail et de rémunération, et que la libre négociation collective doit se dérouler dans un cadre général.
  5. 224. Le gouvernement ajoute que sa politique n'a à aucun moment porté atteinte au droit des organisations d'employeurs et de travailleurs de négocier collectivement, de protéger les intérêts de leurs membres ou d'exercer leurs autres droits. Il avait recommandé en 1983 que les augmentations des salaires et traitements ne dépassent pas 4 pour cent et, dans l'ensemble, les conventions conclues avaient respecté cette recommandation sans que se produisent des différends du travail ou une intervention officielle; la suspension de l'indexation n'avait pas conduit à un blocage des salaires, elle avait seulement stoppé le mécanisme d'augmentation automatique des salaires en ce qui concerne non seulement les conventions collectives mais aussi les ajustements de salaires au titre d'accords individuels, les salaires fixés unilatéralement, etc.
  6. 225. En ce qui concerne l'intervention dans la négociation collective au printemps de 1985, le gouvernement souligne que, dans le système danois, presque toutes les conventions collectives sont renouvelées, les années impaires, le 1er mars ou le 1er avril et qu'il y a très peu de négociations dans l'intervalle. Le Danemark est donc "en situation de négociation collective" au printemps tous les deux ans. Le gouvernement ajoute que, comme un certain nombre de points importants des conventions collectives sont négociés par les organisations centrales plutôt que par secteur d'activité, toute rupture des négociations aboutit normalement à un différend du travail au niveau national, ce qui s'est produit en 1985.
  7. 226. Selon le gouvernement, le médiateur officiel a déclaré, le 21 mars 1985, qu'il y avait eu une rupture irrémédiable des négociations entre l'organisation centrale des employeurs (la Confédération danoise des employeurs, DA) et l'organisation centrale des travailleurs (la Fédération des syndicats danois, LO), à la suite de quoi des conflits du travail avaient surgi, touchant 300.000 travailleurs dans les secteurs en cause (environ 25 pour cent du total des effectifs occupés dans le secteur privé). Certains de ces conflits touchaient des services d'importance vitale pour la société, tels que les centrales électriques et la distribution de mazout et d'essence. C'est en partie en raison de cette rupture que les négociations sur les conventions collectives concernant d'autres secteurs (essentiellement le secteur public) étaient au point mort et que l'on pouvait craindre qu'une grève impliquant 200.000 autres travailleurs ne soit déclenchée, les différends risquant de s'étendre notamment aux hôpitaux et aux abattoirs. Un conflit d'une telle ampleur risquait, selon le gouvernement, de conduire très rapidement à une situation où le bien-être général et l'existence du citoyen seraient menacés et qui réduirait aussi à néant, selon toutes probabilités, les acquis en matière de compétitivité et les progrès de l'économie nationale réalisés grâce à la politique du gouvernement.
  8. 227. Dans ces conditions, le Parlement avait jugé nécessaire d'intervenir dans les négociations en adoptant la loi sur le renouvellement des conventions collectives et autres accords (dont une copie est jointe à la réponse du gouvernement), laquelle a appliqué les mesures suivantes aux secteurs privé et public: a) reconduction pour deux ans de toutes les conventions collectives et autres accords expirant avant le 1er avril 1986; b) réduction de la durée du travail d'une heure par semaine avec compensation totale du salaire à partir du 1er janvier 1987; c) fixation d'un barème général d'augmentation des salaires et traitements de 2 et 1,5 pour cent, respectivement, pour la période de deux ans. La même loi contenait également une "clause d'adaptation" concernant les agents de la fonction publique, laquelle garantissait que leurs salaires et traitements seraient ajustés en fonction de l'évolution des salaires et traitements dans le secteur privé: à cet égard, le gouvernement joint également à sa réponse une traduction d'une lettre du ministre des Finances en date du 30 avril 1985, répondant à des demandes de renseignements émanant d'agents de la fonction publique et expliquant l'intervention dans la négociation collective et le contexte de cette intervention.
  9. 228. Le gouvernement déclare qu'il a pris note de l'examen, à la 71e session de la Conférence internationale du Travail, des observations présentées par les centrales LO et FTF concernant la suspension du système d'indexation sur le coût de la vie, en relation avec le rapport présenté par le Danemark pour la période se terminant le 30 juin 1984 sur les conventions dont il s'agit, ainsi que de la requête du BIT d'organiser des consultations avec les partenaires sociaux avant toute décision concernant l'indexation automatique sur le coût de la vie et d'autres questions similaires se rapportant à la fixation des traitements et salaires.
  10. 229. Le gouvernement déclare en outre avoir également noté les observations des plaignants, selon lesquels il ne se serait pas conformé à la demande faite par le Parlement le 20 mars 1984 de tenir des consultations tripartites concernant, entre autres, les effets d'une réduction du temps de travail. A cet égard, le gouvernement fournit des informations concernant les réunions tripartites sur la durée du travail qui se sont tenues entre mai et septembre 1984, et il indique qu'il a été convenu avec les partenaires sociaux que les réunions tripartites prendraient fin avant le début de la période de négociation collective afin de ne pas mêler les deux questions.
  11. 230. Le gouvernement ajoute qu'en août et septembre 1985 un certain nombre de réunions ont eu lieu avec les organisations présentes sur le marché de l'emploi ainsi que d'autres organisations du commerce et de l'industrie pour examiner les problèmes de politique économique, que le Premier ministre avait déclaré que le gouvernement était disposé à convoquer d'autres réunions à l'avenir et que le ministre du Travail avait décidé d'inviter les partenaires sociaux à des réunions tripartites pour discuter un certain nombre de questions relatives au marché de l'emploi, y compris des questions concernant l'indexation des salaires et traitements sur le coût de la vie.

C. Informations supplémentaires

C. Informations supplémentaires
  1. 231. Dans une communication du 23 décembre 1985, le gouvernement déclare, par la suite, qu'au cours d'une réunion du 24 octobre 1985, qui a eu lieu entre le ministre du Travail et les présidents de la Confédération des employeurs danois ainsi que les présidents des deux organisations plaignantes, le ministre a annoncé que le gouvernement continuait de délibérer sur la situation relative à l'indexation des salaires après l'expiration de la loi de suspension en 1987 et qu'il consulterait les partenaires sociaux plus tard sur la question, probablement au début de l'automne de 1986.
  2. 232. Dans sa dernière communication du 6 février 1986, le gouvernement, se référant à la suspension de l'indexation automatique au coût de la vie de 1982 et de 1984 déclare qu'il s'agissait d'une limitation technique des salaires, en vue d'éviter les effets négatifs de ce mécanisme automatique et qu'aucune autre restriction pour limiter les possibilités ouvertes aux deux parties de conclure des accords d'ajustements de salaires n'a été introduite, au cours de la validité des accords collectifs. Le gouvernement souligne que des accords collectifs ont été conclus au printemps 1983 sans conflits collectifs ou intervention officielle.
  3. 233. Le gouvernement explique qu'au Danemark presque tous les accords collectifs sont renouvelés en mars ou avril, les années impaires, pour une période de deux ans, et que l'échec des négociations conduit normalement à des grèves au niveau national. En ce qui concerne l'intervention en matière de négociation collective au printemps 1985, le gouvernement souligne que les négociations, dans le secteur privé, entre la Confédération des employeurs danois (DA) et la Fédération des syndicats danois (LO) ont échoué et que, le 21 mars 1985, le médiateur officiel a été contraint de cesser sa médiation et de déclarer que les négociations avaient complètement échoué.
  4. 234. Le gouvernement ajoute que les négociations pour le renouvellement d'accords collectifs prendront place au printemps 1987. Il fournit également des statistiques faisant état de l'évolution des salaires, des prix, de l'emploi et du chômage au cours de la période 1982-1985.
  5. 235. Les plaignants, quant à eux, se sont référés dans leur communication du 24 janvier 1986 à une lettre qu'ils avaient adressée au ministre le jour même dans laquelle ils soulignaient qu'ils avaient indiqué clairement au cours de ladite réunion que, s'ils n'étaient pas rapidement tenus au courant des intentions du gouvernement au sujet de la levée de la suspension de l'indexation des salaires, ils porteraient, à nouveau, la question devant le BIT. La lettre continuait en indiquant qu'à aucun moment au cours de la réunion les plaignants n'avaient accepté d'attendre l'automne 1986 pour obtenir une réponse sur ce point et qu'ils avaient demandé au ministre de leur en fournir une le plus tôt possible.
  6. 236. Dans une communication ultérieure du 12 février 1986, les plaignants soulignent que le programme d'indexation fait partie des accords collectifs au Danemark. L'intervention dans la négociation collective a résulté de la suspension du programme, et le gouvernement n'a pas voulu discuter de la levée de la suspension. Au printemps de 1985, l'intervention législative du gouvernement a touché la totalité du marché du travail, bien que les syndicats aient exclu les services essentiels des actions directes qui se sont produites.
  7. 237. Dans sa communication du 20 février 1986, le gouvernement a indiqué qu'il n'avait pas d'autres observations à formuler sur ce cas en dehors de celles qu'il avait déjà présentées dans des communications antérieures.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 238. Le comité a pris note des informations contenues dans la réponse du gouvernement et expliquant les considérations qui l'ont amené à adopter les mesures faisant l'objet des allégations des plaignants. Il est évident que ces mesures ont été prises dans le contexte de la politique économique adoptée par le gouvernement, et le comité prend note du soin qui a été pris d'expliquer en détail non seulement les objectifs à long terme de cette politique mais également les mesures particulières prises pour lui donner effet. Il s'agit toutefois là de questions qui ne relèvent pas de la compétence du comité, dont les fonctions consistent à étudier la nature des mesures prises, dans la mesure où elles portent atteinte aux principes de la liberté syndicale.
  2. 239. Dans ces conditions, il apparaît au comité que trois questions principales méritent examen, à savoir: a) la suspension de l'indexation des salaires à plusieurs reprises à partir de 1982, la décision la plus récente à cet égard datant de mai 1984 et portant sur une période allant jusqu'en 1987; b) le désir du gouvernement de participer à des discussions tripartites ou autres avec les syndicats sur cette question; c) l'intervention législative du gouvernement en 1985, étendant les conventions collectives aux secteurs public et privé et entraînant également la fin d'une grève par des moyens officiels.
  3. 240. En ce qui concerne la suspension de l'indexation des salaires, le comité note que la décision prise initialement par le gouvernement en 1982 et portant sur une période de trois ans, ainsi que sa reconduction en 1984 pour une nouvelle période allant jusqu'en 1987, a retenu l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, qui s'est également intéressée à la question de savoir si des discussions entre les partenaires sociaux devaient avoir lieu à propos de ces mesures et à la manière dont il pouvait être tenu compte des considérations de politique économique.
  4. 241. Dans son rapport de 1985, la Commission a fait observer, à propos de l'application de la convention no 98 par le gouvernement, que le droit de négocier librement, avec les employeurs et leurs organisations, des salaires et des conditions d'emploi constitue un aspect fondamental de la liberté syndicale, et qu'une restriction à la libre fixation des taux de salaires devrait être appliquée comme une mesure d'exception limitée à la période indispensable; toute restriction de cette sorte devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. La commission d'experts a demandé au gouvernement de réexaminer avec les organisations professionnelles intéressées la possibilité de convaincre les parties de tenir compte de leur propre gré dans leurs négociations des raisons majeures de politique économique invoquées par lui.
  5. 242. Il apparaît au comité d'après les arguments présentés par le gouvernement que les mesures prises pour suspendre l'indexation pendant une période totale de cinq années visent à réaliser des objectifs à long terme plutôt qu'à faire face à une situation d'urgence. La suspension automatique de l'indexation n'était pas cependant accompagnée par d'autres mesures d'ingérence dans la libre négociation collective, et même la négociation qui a eu lieu au printemps 1983 a conduit à la conclusion d'accords collectifs cette année-là.
  6. 243. Le comité appelle l'attention du gouvernement sur les principes qui ont guidé les décisions du comité en la matière (voir La liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT, 3e édition, 1985, pp. 122-123, paragr. 639-644), et en particulier sur la décision concernant un cas où des mesures gouvernementales avaient fixé la norme de référence en matière d'indexation des salaires, alors que certains modes d'indexation étaient fixés par les parties: en pareil cas, le comité a rappelé que l'intervention du gouvernement dans des domaines qui, de longue date, ont toujours été négociés selon la volonté des parties pourrait mettre en cause le principe de la libre négociation collective reconnu à l'article 4 de la convention no 98 si elle n'est pas assortie de certaines garanties et, en particulier, si sa durée n'est pas limitée dans le temps. (Recueil, paragr. 642; voir 230e rapport du comité, cas no 1182 (Belgique), paragr. 265.) Le comité veut croire que le gouvernement accordera le plus rapidement possible son attention à ces principes dans la mise en oeuvre de l'obligation qui lui incombe de promouvoir la libre négociation collective, et qu'il prendra des mesures si nécessaire pour assurer que toutes les questions concernant la fixation des salaires puissent être résolues par des négociations entre les parties.
  7. 244. Le comité rappelle également la suggestion de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations concernant l'opportunité de réexaminer avec les organisations professionnelles intéressées la possibilité de négocier les conditions de salaire, d'une façon qui soit exempte de toutes restrictions législatives ou autres. Il invite le gouvernement à le tenir informé de la nature et de l'issue de toutes discussions visant à promouvoir l'examen et l'acceptation volontaires, par les parties aux négociations, des considérations de politique économique avancées par le gouvernement à l'appui des mesures concernant la suspension de l'indexation des salaires.
  8. 245. En ce qui concerne la loi de 1985 sur le renouvellement et la prolongation des conventions collectives, le comité a noté les informations fournies par le gouvernement quant aux circonstances qui ont présidé à sa promulgation, mais il observe également que l'un des effets principaux de cette législation est de rendre impossible la négociation collective dans les secteurs privé et public au cours de la période de deux ans pendant laquelle les conventions collectives ont été reconduites. A cet égard, le comité appelle l'attention du gouvernement sur le principe selon lequel les autorités publiques devraient s'abstenir de toute intervention qui aurait pour effet de restreindre ou d'empêcher l'exercice légal, par les syndicats, de leur droit, que le comité considère comme un élément essentiel de la liberté syndicale, de chercher à améliorer les conditions de vie et de travail de ceux qu'ils représentent, et ce par la négociation collective ou par d'autres moyens légaux; le comité considère également que toute intervention de ce genre apparaîtrait comme une infraction au principe selon lequel les organisations de travailleurs et d'employeurs devraient avoir le droit d'organiser leurs activités et de formuler leurs programmes. (Recueil, p. 113, paragr. 583;voir 172e rapport du comité, cas no 877 (Grèce), paragr. 92.)
  9. 246. Le comité note également que la législation semble avoir été conçue à la fois pour mettre fin à la grève qui avait déjà été entreprise et pour empêcher d'autres actions éventuelles, y compris dans le secteur public, au cours de la période pendant laquelle l'application des conventions collectives avait été prolongée par voie d'autorité. A cet égard, le comité souhaite appeler l'attention du gouvernement sur l'opinion qu'il a déjà exprimée, à savoir que la suspension du droit de grève devrait être limitée dans sa durée et sa portée à la période d'urgence immédiate (Recueil, p. 80, paragr. 391); en outre, tandis que le droit de grève peut être restreint, voire interdit dans la fonction publique, les fonctionnaires publics étant ceux qui agissent en tant qu'organes de la puissance publique, ou les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne, il ne semble pas approprié que toutes les entreprises appartenant à l'Etat soient traitées sur un même pied en ce qui concerne la limitation du droit de grève, sans qu'il soit fait de distinction, dans la législation pertinente, entre celles qui jouent un rôle véritablement essentiel et les autres. (Recueil, paragr. 394 et 395; voir 236e rapport du comité, cas no 1140 (Colombie), paragr. 144, et 142e rapport, cas no 753 (Japon), paragr. 150.) Le comité estime que la loi de 1985 a impliqué une intervention dans le processus de négociation collective, mesure qui ne devrait être prise que dans des cas d'urgence et pour des périodes brèves. Le comité espère qu'à l'avenir de telles mesures d'intervention dans le domaine de la libre négociation collective ou de restriction du droit des travailleurs de défendre leurs intérêts économiques et sociaux par l'action directe ne seront pas adoptées. Le comité attire également l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur cet aspect du cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 247. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, en particulier, les conclusions suivantes:
    • a) Le comité veut croire que le gouvernement accordera le plus rapidement possible son attention aux principes de la liberté de négociation collective dans l'accomplissement de son obligation à l'égard de la convention no 98 qu'il a ratifiée et qu'il prendra des mesures si nécessaire pour assurer que toutes les questions concernant la fixation des salaires puissent être résolues par la négociation entre les parties.
    • b) Le comité demande au gouvernement de réexaminer avec les organisations professionnelles intéressées la possibilité de négocier les conditions de salaires d'une manière qui soit exempte d'ingérence de la part des pouvoirs publics.
    • c) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la nature et de l'issue de toutes discussions visant à promouvoir l'examen et l'acceptation volontaires, par les parties aux négociations, des considérations de politique économique avancées par lui à l'appui des mesures concernant la suspension de l'indexation des salaires.
    • d) En ce qui concerne la loi de 1985 sur le renouvellement et l'extension des accords collectifs faisant suite à d'autres interventions gouvernementales en matière de négociation collective, le comité souligne qu'une telle mesure comportant, comme elle le fait, une intervention dans le processus de négociation collective ne devrait être prise que dans des cas d'urgence et pour des périodes brèves. Le comité espère qu'à l'avenir de telles mesures d'intervention dans le domaine de la libre négociation collective ou de restriction du droit des travailleurs de défendre leurs intérêts économiques et sociaux par l'action directe ne seront plus adoptées.
    • e) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas.
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