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Rapport intérimaire - Rapport No. 172, Mars 1978

Cas no 885 (Equateur) - Date de la plainte: 09-JUIL.-77 - Clos

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  1. 371. Les plaintes figurent dans des communications du Congrès permanent d'unité syndicale des travailleurs d'Amérique latine (CPUSTAL) en date du 9 juillet 1977 et de la Fédération syndicale mondiale en date du 20 juillet 1977. Le CPUSTAL a envoyé des informations complémentaires par une lettre du 1er août 1977. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par une communication du. 28 septembre 1977. Le Secrétariat professionnel international de l'enseignement a adressé une plainte le 12 octobre 1977 à laquelle le gouvernement n'a pas répondu.
  2. 372. L'Equateur a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 373. Le CPUSTAL allègue que l'intendant de police de la province du Guayás a, sur la base de lois inexistantes, prononcé un jugement condamnant à deux ans de prison et à des amendes de 8.000 à 10.000 sucres le président de la Confédération des travailleurs d'Equateur (CTE), Juan Vasquez Bastidas, et celui de l'Union nationale des éducateurs (UNE), Manuel Anton. Ces organisations sont membres du CPUSTAL. Les intéressés, ajoute le plaignant, n'ont été soumis à aucune espèce de procès préalable.
  2. 374. La FSM signale que les trois centrales syndicales équatoriennes, la CTE, la CEDOC et la CEOSL organisèrent, le 18 mai 1977, une grève nationale de 24 heures, réclamant une hausse des salaires et présentant d'autres revendications d'ordre économique et social. L'UNE, organisation qui groupe 60.000 professeurs, déclencha le même jour un arrêt de travail pour obtenir une augmentation des traitements et une hausse du budget de l'éducation nationale. En réponse, ajoute la FSM, le gouvernement adopta un décret no 1475 qui confère aux intendants de police la qualité de juges spéciaux pour juger, selon une procédure rapide et sans droit de recours, les dirigeants syndicaux et les grévistes. En même temps, le gouvernement demanda à ces intendants de police la mise en jugement des principaux dirigeants des trois centrales qui organisèrent la grève nationale du 18 mai, de même que des dirigeants de l'UNE.
  3. 375. D'autre part, poursuit le plaignant, le Conseil suprême du gouvernement a adopté le 30 mai 1977 un décret mettant l'UNE hors la loi et prévoyant le contrôle de ses fonds. A la fin du mois de juin, l'Intendant général de la province de Guyás condamna, sur la base du décret no 1475 précité, Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton à des peines d'amende et de prison. La FSM mentionne également l'arrestation de Julio Ayala Serra, président des éducateurs de la province de Guyás qui doit être jugé selon la même procédure.
  4. 376. Le gouvernement commence par souligner, dans sa réponse très détaillée qui comporte de nombreuses annexes, qu'il a pour politique d'encourager le mouvement syndical en Equateur. Il en veut pour preuve la subvention de 265.000 sucres qu'il a versée aux centrales syndicales du pays, la CTE, la CEDOC et la CEOSL pour couvrir les frais de la fête du 1er mai. Toutefois, poursuit-il, les dirigeants de ces trois confédérations ont profité de cette manifestation - à laquelle ont surtout participé des personnes étrangères au mouvement syndical - pour inciter les travailleurs à un arrêt national de travail le 18 mai 1977, sur la base d'un programme de lutte en neuf points qui ne relèvent pas tous du domaine du travail et qui furent réfutés un à un. En outre, aucune de ces revendications n'a été présentée dans les voies légales aux autorités compétentes.
  5. 377. Dans les annexes à la réponse du gouvernement figurent la liste de ces points et les réfutations que leur oppose le gouvernement. Ces revendications sont les suivantes:
  6. 1) hausse de 50 pour cent des rémunérations; salaire minimum à 3.000 sucres par mois; échelle mobile pour l'ajustement des salaires à la hausse du coût de la vie;
  7. 2) respect complet des droits d'organisation et de grève et abrogation de la législation qui y est contraire;
  8. 3) règlement immédiat de tous les conflits de travail existants;
  9. 4) mise en oeuvre effective de la loi de réforme agraire et réorganisation des services administratifs dans ce domaine;
  10. 5) réorganisation du ministère du Travail;
  11. 6) nationalisation du pétrole et défense efficace des autres ressources naturelles;
  12. 7) nationalisation de l'industrie électrique et modernisation des chemins de fer;
  13. 8) nationalisation du commerce extérieur;
  14. 9) nationalisation de la distribution en gros des articles de première nécessité; gel des prix des articles courants; maintien du blocage des loyers; solution aux problèmes des logements populaires.
  15. 378. Les dirigeants syndicaux, déclare le gouvernement, ont préparé l'arrêt de travail en pleine liberté. Ils ont eu accès à la radio, à la télévision et à la presse d'audience nationale. Le gouvernement rappelle également qu'il a reconnu sans restrictions les organisations de travailleurs. Il ne peut cependant renoncer à son obligation morale et légale de préserver l'ordre public et le déroulement normal de la vie des citoyens dans toutes ses manifestations. Il doit condamner l'incitation au désordre et à l'anarchie, quelle que soit sa provenance, et la prétention d'altérer le fonctionnement de l'Etat en dédaignant les procédures en vigueur pour toutes les réclamations individuelles ou collectives. En définitive, le gouvernement, en faisant usage de la réglementation en vigueur, défend sa stabilité, veille à l'ordre public et à la sécurité des personnes et des biens. Ce sont de tels devoirs que le gouvernement a remplis face aux événements du 18 mai 1977.
  16. 379. Le gouvernement rejette absolument les allégations des plaignants. Ces plaintes sont, selon lui, sans fondement et ne contiennent aucun cas spécifique de violation des conventions sur la liberté syndicale. Toutes les personnes qui vivent sur le territoire d'un Etat, ajoute le gouvernement, sont tenues de respecter les lois du pays. En vertu du décret-loi no 105 du 7 juin 1967, les personnes qui provoquent un arrêt collectif de travail et ceux qui ont été ses dirigeants sont punis d'une amende de 1.000 à 10.000 sucres et d'un emprisonnement de deux à cinq ans. Ceux qui participent à cet arrêt de travail sans le provoquer ou être dirigeants sont punis d'une amende de 200 à 1.000 sucres et d'un emprisonnement de trois mois à un an. Il y a arrêt de travail au sens de ce décret-loi lorsque se produit une cessation collective des activités, lorsque l'on impose la fermeture d'établissements en dehors des cas prévus par la loi, quand se produisent une paralysie des voies de communication et d'autres faits antisociaux. Ces dispositions ont valeur de lui spéciale et prévalent sur les lois générales qui leur sont contraires.
  17. 380. La grève du 18 mai 1977, poursuit le gouvernement, a été préparée entre autres par Juan Vasquez Bastidas, Emilio Velasco et José Chávez Chávez, dirigeants de quelques-unes des associations de travailleurs, la CTE, la CEDOC et la CEOSL, alors que d'autres syndicats (qui se regroupent sous les mêmes sigles) ont rejeté et condamné l'arrêt de travail comme un acte de trahison de la base et ont demandé l'appui des autorités pour continuer leurs tâches quotidiennes. Les personnes précitées, en provoquant la grève, ont contrevenu au décret-loi no 105 précité.
  18. 381. Ce dernier, continue le gouvernement, est complété par le décret suprême no 1475 qui détermine la juridiction compétente et garantit les droits de la défense. Il existe donc une institution juridique, créée par l'Etat, pour sanctionner les arrêts de travail et les grèves organisés illégalement. Le gouvernement communique en annexe le texte de ce décret adopté le 25 mai 1977. Selon l'article 1er, les intendants généraux de police se voient conférer la qualité de juges spéciaux pour connaître et juger les infractions relatives aux arrêts collectifs de travail; ils doivent appliquer les sanctions prévues dans le décret-loi no 105. La procédure est, d'après l'article 2, celle prévue à l'article 454 du Code de procédure pénale; les articles 455, 456, 459 et 460 de ce code doivent également être observés. Les juges spéciaux peuvent, précise l'article 3, soit d'office, soit à la demande d'une autorité administrative ou judiciaire quelconque, se saisir d'une affaire et juger les personnes qui encourent une responsabilité pénale du fait d'un arrêt collectif de travail.
  19. 382. Les jugements rendus à l'encontre de Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton, conclut le gouvernement, l'ont été selon les règles légales en vigueur dans le pays et les sanctions prononcées par l'autorité légitime. Leur condamnation ne peut donc être mise en question.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 383. Cette affaire porte essentiellement sur la grève générale déclenchée le 18 mai 1977 par la CTE, la CEDOC et la CEOSL ainsi que celle organisée le même jour par l'UNE. Cet arrêt de travail aboutit à la condamnation, selon une procédure d'exception, de dirigeants syndicaux dont Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton. Les plaignants signalent aussi l'arrestation d'un autre dirigeant syndical, Julio Ayala Serra et la mise hors la loi de l'UNE; le gouvernement n'a toutefois pas communiqué ses observations sur ces deux derniers points.
  2. 384. Comme l'a déjà signalé le comité, l'article 3 de la convention no 87 reconnaît aux organisations syndicales - en tant qu'organisations de travailleurs ayant pour but de promouvoir et de défendre leurs intérêts professionnels (article 10) - le droit de formuler leur programme d'action et d'organiser leurs activités, dont découlent non seulement le droit de négocier avec les employeurs, mais aussi celui d'exprimer leur point de vue sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. C'est également en partant du droit ainsi reconnu que le comité a toujours considéré le droit de grève comme un moyen légitime et même essentiel dont disposent les travailleurs pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels. Mais, a-t-il ajouté, si le droit de grève est un des droits fondamentaux des travailleurs et de leurs organisations, c'est dans la mesure seulement où il constitue un moyen de défense de leurs intérêts économiques: l'interdiction des grèves visant à exercer une pression sur le gouvernement, lorsqu'elles sont dépourvues de caractère professionnel, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale, et les grèves purement politiques ne tombent pas dans le champ d'application des principes de la liberté syndicale. En l'espèce, plusieurs des revendications formulées lors de la grève du 18 mai 1977 étaient manifestement professionnelles, alors que d'autres n'avaient pas ce caractère.
  3. 385. Pour ce qui est des réclamations d'ordre économique ou professionnel, il découle encore des principes rappelés au paragraphe précédent que le droit de grève - qui, a indiqué le comité, doit être aussi reconnu aux fédérations et confédérations syndicales - ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière. Le comité estime que les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester le cas échéant dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres si une telle action se limite à l'expression d'une protestation et ne vise pas à troubler la tranquillité publique.
  4. 386. Dans le cas présent, MM. Juan Vasquez Bastidas et manuel Anton ont été condamnés à de lourdes peines de prison et d'amende à la suite de la grève du 18 mai 1977 et sur la base des décrets nos 105 et 1475 précités. Le premier de ces textes punit sévèrement et en termes très généraux les arrêts collectifs de travail. Le comité est d'avis que celui-ci devrait être réexaminé à la lumière des considérations et des principes exposés aux paragraphes précédents. Le second, adopté quelques jours seulement après la grève en question, confie à de hauts responsables de la police le soin de juger les contrevenants; les articles du code de procédure pénale auxquels il fait référence s'appliquent en principe aux contraventions; ils prévoient une procédure rapide et refusent toute possibilité de recours.
  5. 387. Le comité estime que cette procédure sommaire risque de donner lieu à des abus et que tout syndicaliste détenu doit bénéficier d'une procédure judiciaire régulière garantissant pleinement les droits de la défense et conforme aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cet instrument prévoit notamment que toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi (article 14, 5)).

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 388. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'attirer l'attention du gouvernement et des syndicats intéressés sur les considérations et principes relatifs à la grève exposés aux paragraphes 384 et 385;
    • b) de prier le gouvernement de réexaminer dans cette optique le décret no 105 du 7 juin 1967 ainsi que d'envisager l'abrogation, pour les raisons exprimées au paragraphe 387, du décret suprême no 1475 du 25 mai 1977;
    • c) de demander à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de suivre les développements de la question mentionnée à l'alinéa précédent;
    • d) de suggérer au gouvernement la possibilité de reconsidérer la situation de MM. Juan Vasquez Bastidas et Manuel Anton;
    • e) de prier le gouvernement d'indiquer la situation actuelle de Julio Ayala Serra et de communiquer ses observations au sujet de la mise hors la loi de l'UNE;
    • f) de noter ce rapport intérimaire.
      • Genève, 10 novembre 1977. (Signé) Roberto Ago, Président.
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