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Rapport intérimaire - Rapport No. 147, 1975

Cas no 750 (Espagne) - Date de la plainte: 06-AVR. -73 - Clos

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  1. 263. Le comité a examiné ce cas à sa réunion de novembre 1973 et a présenté à cette occasion au Conseil d'administration un rapport intérimaire contenu aux paragraphes 411 à 422 de son 139e rap port (approuvé par le Conseil d'administration à sa 191e session, novembre 1973). A ses sessions suivantes de février et de mai 1974, le comité a ajourné l'examen du cas pour lequel les informations sollicitées du gouvernement n'avaient pas été reçues.
  2. 264. Dans une communication en date du 20 mai 1974, le gouvernement a fait parvenir des informations complémentaires au sujet des plaintes.
  3. 265. L'Espagne n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 266. Le comité rappelle que, selon la plainte, les ouvriers de Control y Aplicaciones, de Sade et de Copisa, qui travaillent con jointement à la centrale thermique de San-Adrián del Besós - l.080 travailleurs au total -, se sont réunis le 27 mars pour discuter d'un programme de revendications relatives à des questions essentielles de salaires et de conditions de travail. Le lendemain, une assemblée de 800 travailleurs a approuvé massivement le programme de revendications, en fixant au 2 avril la date à laquelle la direction de l'entreprise devait répondre à ces demandes. Le 2 avril, suite au refus de celle-ci de répondre, la majorité des travailleurs se sont mis en grève; entre-temps, une commission élue par les travailleurs a eu un entretien avec les représentants de l'entreprise qui ont refusé de négocier avec eux.
  2. 267. Le 3 avril, poursuit la plainte, les travailleurs ont trouvé, en arrivant à leur travail, les portes closes et une note les avisant de leur mise à pied pendant cinq jours. La police a encerclé et occupé les lieux et s'est opposée par la force à l'entrée des travailleurs dans l'entreprise; quelques ouvriers ont été blessés par la police. Les travailleurs ont réagi et fait reculer les forces de l'ordre jusqu'à une voie de chemin de fer. Au passage d'un train, quatre ouvriers sont restés isolés d'un côté de la voie ferrée avec la police et ont été arrêtés. L'échauffourée a provoqué l'arrêt du train; les travailleurs se sont rendu compte de l'arrestation de leurs camarades et ont cherché à les libérer. La police a ouvert le feu avec des mitrailleuses, tuant M. Manuel Fernández Márques et blessant grièvement au cou M. Serafin Villegas Gómez. De nombreux autres travailleurs ont également été blessés.
  3. 268. Les travailleurs, poursuit la plainte, ont reculé, mais ont rapidement formé un groupe de 700 ouvriers, qui se sont rendus en manifestant jusqu'à la gare où les passagers de deux trains à l'arrêt se sont solidarisés avec eux et ont pris part à la manifestation. Le 3 avril à midi, San-Adrián et une localité voisine ont été occupés militairement.
  4. 269. D'après la plainte, le 4 avril au matin, la presse a publié une note de la Commission permanente du "Congrès syndical officiel", où celui-ci a déploré que quelques ouvriers aient été utilisés par des groupes subversifs n'appartenant pas au monde du travail, sans qu'aucune réclamation n'ait été soumise par les voies établies, "c'est-à-dire par l'entremise du syndicat officiel". Cette attitude concorde avec celle du gouverneur civil de Barcelone, dans une note officielle. Selon l'avis de l'organisation plaignante, les travailleurs qui ont présenté des revendications claires, nettes et très concrètes refusent d'être représentés par ledit syndicat.
  5. 270. Le gouvernement, en réponse aux allégations formulées, a déclaré que les autorités compétentes ont immédiatement ouvert une enquête objective et impartiale afin d'élucider ce qui s'est passé et de déterminer, le cas échéant, les responsabilités de toute nature, et qu'à la lumière de cette enquête et des autres procédures qui pourraient être entreprises en vertu de la loi, il pourrait fournir en temps opportun des informations plus précises.
  6. 271. A sa session de novembre 1973, le comité, compte tenu des informations détaillées fournies par les plaignants, ainsi que de la déclaration du gouvernement qu'une enquête objective et impartiale était en cours, a recommandé au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir fournir des précisions sur les résultats de l'enquête effectuée, dès que ceux-ci seraient connus. Le comité a également prié le gouvernement d'indiquer si les ouvriers arrêtés étaient toujours détenus et, dans l'affirmative, de l'informer de l'action intentée contre ces personnes et de ses résultats, en fournissant à cet effet le texte du jugement prononcé avec ses attendus.
  7. 272. Dans une nouvelle communication, datée du 12 février 1974, la CMT et la CISL ont allégué conjointement que de lourdes peines de prison avaient été infligées par un tribunal militaire à quatre travailleurs pour avoir participé aux manifestations de San Adrián del Besós. Les plaignants ont cité notamment Manuel Pérez Ezquerre qui a été condamné à quatre années de prison.
  8. 273. Dans sa communication du 20 mai 1974, le gouvernement déclare que l'enquête qui a été menée à San Adrián del Besós le 3 avril 1973 a abouti à la conclusion que tout était préparé d'avance selon un plan d'action révolutionnaire étudié et mis en oeuvre par un groupement clandestin. Avant les faits dont il est question, aucune revendication de caractère professionnel n'avait été présentée par l'intermédiaire des délégués syndicaux ou du comité d'entreprise et aucune réclamation n'avait été formulée par quelque autre voie.
  9. 274. Le gouvernement signale qu'à San Adrián del Besós (province de Barcelone) se trouve en chantier, pour le compte de la société Fuerzas Eléctricas de Cataluña SA, une centrale thermique à la construction de laquelle participent six autres entreprises de diverses spécialités, dont les travailleurs appartiennent à des syndicats différents, notamment à ceux de la construction et des métaux.
  10. 275. Le 27 mars, poursuit le gouvernement, un groupe d'agitateurs a inopinément incité les travailleurs à tenir une assemblée dite "revendicative". Les travailleurs ignoraient alors de quelles revendications on voulait leur parler, puisqu'ils jugeaient eux-mêmes n'en avoir aucune, mais se rendirent en assez grand nombre à l'assemblée, tenue dans l'entreprise. Comme il est normal dans les "assemblées" préparées selon des méthodes et dans des buts révolutionnaires, les agitateurs se mêlèrent aux assistants pour provoquer des réactions conformes à leurs objectifs et pour exercer des pressions par la violence.
  11. 276. Tant à ce moment que dans la suite des événements, Manuel Pérez Ezquerre (désigné nommément dans les informations complémentaires contenues dans la communication de la CMT et de la CISL du 12 février 1974) s'est distingué comme promoteur et organisateur. Son casier judiciaire - il a commencé par des délits de droit commun pour aboutir à l'activisme révolutionnaire - peut se résumer comme suit : en 1962, arrêté à Bilbao pour grivèlerie commise à Madrid; en 1963, le tribunal no 1 de Pampelune ordonne sa recherche et son arrestation pour vol; en 1965, l'audience provinciale de Madrid ordonne un contrôle à son domicile afin qu'il puisse comparaître dans une affaire en cours; la même année, il est arrêté à Bilbao pour manifestation illégale; en 1966, le même tribunal reprend et aggrave cette accusation; en mai 1970, il est arrêté comme responsable présumé d'une cellule communiste, mais l'instruction est suspendue faute de preuves; en 1971, il est mis à la disposition de l'autorité judiciaire comme responsable d'une cellule communiste à Añover de Tajo (Tolède); le 31 janvier 1973, il est arrêté à Barcelone alors qu'il distribue de la propagande communiste; mis à la disposition de l'autorité judiciaire, celle-ci lui accorde la liberté provisoire et il quitte son dernier domicile connu, de sorte qu'au moment des événements de San Adrián del Besós, il faisait encore l'objet de poursuites.
  12. 277. Le gouvernement ajoute que le 28 mars, le lendemain de "l'assemblée" en question, ont été distribués à San Adrián del Besós des tracts clandestins datés du 27, mais préparés antérieurement. Ce même jour se sont produites des altercations dans les réfectoires de l'entreprise. Par la suite, un groupe d'agitateurs a présenté à la signature des travailleurs divers documents, au nombre desquels certaines revendications propres à susciter l'intérêt des travailleurs mais jointes exprès à d'autres dont on savait d'avance qu'elles étaient totalement irréalisables. Selon le gouvernement, ces documents ont été signés par moins d'un tiers des travailleurs, certains y ayant souscrit de bonne foi, beaucoup sans savoir ce qu'ils signaient, et un plus grand nombre sous une contrainte morale ou physique.
  13. 278. Le vendredi 30 mars, poursuit le gouvernement, quatre ou cinq individus ont, dans chaque entreprise, présenté lesdits documents à la direction, lui donnant jusqu'au lundi 2 avril pour céder à leurs exigences. Les entreprises ont déclaré que, bien qu'il existât une convention collective non dénoncée, elles étaient disposées à examiner toutes revendications qui leur seraient présentées par la voie légale des représentants des travailleurs. Au jour dit, le 2 avril, des groupes d'agitateurs se sont postés en divers lieux du chantier avant le début du travail empêchant de force que l'on prenne le travail et enfermant les ouvriers dans les réfectoires. Dès le début de la matinée, le président de l'union des travailleurs et techniciens du syndicat provincial de la construction, le secrétaire de ce syndicat et deux avocats syndicaux avaient pris contact avec les meneurs, mais leur médiation a été rejetée par les plus échauffés qui les ont empêchés de communiquer avec les autres travailleurs. Les entreprises ont frappé de renvoi un certain nombre de travailleurs pour motifs d'indiscipline grave. Les travailleurs renvoyés ont porté le cas devant le tribunal du travail no 3 de Barcelone qui, rendant son arrêt le 24 mai 1973, a déclaré les renvois injustifiés.
  14. 279. Tel est, déclare le gouvernement, le détail des faits en ce qui concerne l'aspect prétendument social de la question. On ne saurait en aucune manière assimiler de tels faits à une grève. Il n'y a pas eu recours aux procédures de revendications garanties aux travailleurs, la question n'a pas été débattue dans le cadre syndical, il n'y a pas eu de demande pour la déclaration d'un conflit collectif, la convention collective n'a pas été dénoncée, la conciliation n'a pas été demandée, bref aucune des voies légales n'a été suivie et il s'agit en fait d'une émeute.
  15. 280. Le gouvernement déclare qu'à partir du milieu de la nuit du 2-3 avril, les événements qui se sont déroulés se rapportaient uniquement au maintien de l'ordre. Il ne s'agissait pas d'un conflit d'intérêts, mais d'une épreuve de force provoquée par un groupement révolutionnaire. La matinée du 3 avril a été marquée par des faits graves, de caractère strictement subversif. Avant l'heure du travail, quelque 150 personnes se sont réunies aux abords des Fuerzas Eléctricas de Cataluña. Certaines de ces personnes étaient totalement étrangères aux entreprises Constructora Pirenaica, Sociedad Argentina de Electrificación et Control y Aplicaciones. La consigne était d'occuper l'usine des Fuerzas Eléctricas de Cataluña et de s'y retrancher. Devant l'attitude menaçante des personnes attroupées, la force publique les a invitées à quitter les lieux. Une première tentative d'attaque s'ensuivit, mais les meneurs abandonnèrent leur projet, peut-être parce qu'ils estimaient ne pas disposer d'un effectif suffisant.
  16. 281. Quittant son lieu de rassemblement, le groupe s'est porté sur la voie ferrée Barcelone-Massanet, où il a arrêté et lapidé un train de voyageurs. Il en a bientôt fait de même pour un autre train. Il est faux, déclare le gouvernement, que les passagers se soient solidarisés avec les émeutiers; mais il est certain que ces derniers ont attaqué les voyageurs en lançant des pierres dans les fenêtres. Cet incident était prémédité et visait à troubler gravement l'ordre public, avec coups et blessures, dommages aux biens et perturbation d'un service public.
  17. 282. Selon le gouvernement, le même groupe s'est par la suite dirigé dans la violence vers l'usine des Fuerzas Eléctricas de Cataluña dans le but évident de s'en emparer par la force. La force publique a fait le nécessaire pour s'y opposer et, après les trois sommations réglementaires, s'est vue obligée de tirer en l'air une salve d'avertissement aux assaillants. Certains de ces derniers, au lieu de renoncer à leur entreprise, ont brutalement attaqué les gardiens de l'ordre, qui ont été obligés de repousser cette agression. Au cours de l'engagement, on a vu les émeutiers faire monter deux blessés dans deux voitures différentes. Il a été établi par la suite que le corps de l'un d'eux, mort en cours de route, a été déposé au dispensaire de Badalone. Du côté de la police, un sergent, trois caporaux et cinq gardes ont été blessés.
  18. 283. Le gouvernement déclare que l'autorité compétente a aussitôt entamé une enquête objective et impartiale pour faire la lumière sur les faits et déterminer les responsabilités de tous ordres. L'enquête a montré qu'au début de l'émeute la police s'était bornée à empêcher l'invasion de l'usine dont la garde lui avait été confiée, dissuadant les rebelles de l'occuper, et ce n'est que lorsqu'elle a été violemment attaquée et en état de légitime défense qu'elle s'est vue dans l'obligation de faire usage de ses armes pour ne pas être débordée. Le gouvernement ajoute enfin que la cour martiale saisie du cas - puisqu'il s'agissait d'une attaque contre les forces armées - a condamné Manuel Pérez Ezquerre, principal inculpé, à quatre ans de prison, et trois comparses à un an de prison.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 284. Des informations qui lui ont été fournies, le comité note que suite à un refus de la direction de discuter, sauf avec leurs représentants légaux, les plaintes présentées par les travailleurs, des manifestations ont eu lieu qui ont dégénéré en combats violents entre les travailleurs et la police. Ces combats ont eu lieu lorsque la police a tenté d'empêcher les travailleurs de libérer certains de leurs camarades qui avaient été arrêtés et d'occuper les locaux de la compagnie "Fuerzas Eléctricas de Cataluña". A la suite de ces combats, un travailleur a été tué et plusieurs de ses camarades ainsi que des membres de la police ont été blessés. Dans ces conditions, le comité, tout en prenant note de l'allégation des plaignants selon laquelle les travailleurs ne se considéraient pas comme représentés par les syndicats existants et tout en déplorant la situation qui a entraîné la mort d'une personne et des blessures pour plusieurs autres, estime que les faits qui ont été rapportés ne montrent pas de façon suffisamment probante que l'intervention des forces de l'ordre constituait une violation des droits syndicaux.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 285. Dans ces conditions, et considérant le cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) en ce qui concerne les allégations relatives à l'intervention des forces de l'ordre pendant les manifestations qui se sont déroulées à San Adrian del Besós, de décider, pour les raisons exposées au paragraphe 284 ci-dessus, que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi;
    • b) de prier le gouvernement de bien vouloir lui envoyer le texte des jugements qui ont été rendus par le tribunal militaire au cours des actions intentées contre les quatre travailleurs qui ont été jugés et condamnés à une peine d'emprisonnement; et
    • c) d'ajourner l'examen de ce cas, étant entendu que le comité présentera un nouveau rapport une fois qu'il aura reçu le texte de ces jugements.
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