ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Rapport intérimaire - Rapport No. 127, 1972

Cas no 660 (Mauritanie) - Date de la plainte: 28-JANV.-71 - Clos

Afficher en : Anglais - Espagnol

  1. 257. La plainte du bureau national du Syndicat national des enseignants est contenue dans une communication en date du 28 janvier 1971, adressée directement à TOIT; elle a été complétée par une communication en date du 22 avril 1971. Par une communication conjointe, non datée, reçue le 27 mai 1971, dix-huit syndicats professionnels de Mauritanie ont à leur tour formulé des allégations concernant la violation de la liberté syndicale en Mauritanie. Toutes ces communications ont été transmises au gouvernement, qui a fait parvenir sur elles ses observations par deux communications datées respectivement des 24 mai et 4 août 1971.
  2. 258. La Mauritanie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; elle n'a pas ratifié, par contre, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 259. Les plaignants donnent la version suivante du déroulement des événements. En février 1969, le 4e congrès de l'Union des travailleurs de Mauritanie (UTM) a consacré l'éclatement de celle-ci en deux centrales dont une seulement devait être reconnue par le gouvernement. En juin 1969, un groupe d'enseignants arabes se réunit sous la protection des forces de l'ordre et sur l'instigation du gouvernement pour élire « un prétendu bureau national du syndicat des enseignants arabes, alors que les responsables de cette organisation, authentiquement élus en juin 1968, étaient dispersés aux quatre coins du pays ». En juillet 1969, le Congrès national des enseignants de Mauritanie, régulièrement convoqué par son bureau sortant, a tenu ses assises; le bureau démocratiquement élu à l'issue du congrès ne reçut pas l'agrément du gouvernement.
  2. 260. Les plaignants allèguent que l'attitude du gouvernement vis-à-vis des libertés syndicales n'a rencontré que réprobation de la part des travailleurs et de l'opinion. Devant la crise qui en est résultée, le gouvernement aurait décidé la création d'une commission de réconciliation syndicale, formée en majorité de responsables politiques, et qui visait une « réorganisation » par un retour à la base. « Quoique sceptiques - déclarent les plaignants - les travailleurs se virent obligés d'accepter cette procédure pour le moins antisyndicale parce que se déroulant sous l'égide d'une organisation politique (le Parti du peuple mauritanien). Ce retour à la base, en dépit de toutes les manoeuvres de diversion, prouva l'impopularité de l'équipe syndicale que le gouvernement tenait et tient toujours à imposer aux travailleurs. »
  3. 261. Suivant un calendrier arrêté par la commission dont il vient d'être question, poursuivent les plaignants, les syndicats devaient tenir leurs congrès à partir du 6 août 1970. Les syndicats de l'information, de l'imprimerie, des docks et ports, des banques et commerces, de l'infrastructure et des hydrocarbures se prononcèrent contre l'intégration des syndicats au sein du Parti du peuple mauritanien. Il ressort en effet du texte d'une déclaration du président de la commission susmentionnée, fourni par les plaignants, que le Parti du peuple mauritanien, parti unique de l'Etat, souhaitant se concerter d'une manière organique avec les syndicats, « a recommandé, lors de son dernier conseil national, l'intégration des syndicats au parti, convaincu qu'il ne peut y avoir de divergence fondamentale entre les intérêts des travailleurs et ceux des masses mauritaniennes organisées au sein du parti ». Le 6 septembre 1970, poursuivent les plaignants, le Congrès national des enseignants se réunit et suivit la même orientation que les syndicats mentionnés plus haut; à la fin de ses travaux, les forces de l'ordre auraient envahi la salle et annoncé la décision prise par le gouvernement de suspendre le congrès. Par la même occasion, les dix-huit congrès qui devaient suivre immédiatement auraient été reportés sine die par les autorités gouvernementales.
  4. 262. « Dans la confusion qu'entretenait le gouvernement - déclarent les plaignants - les travailleurs prirent conscience qu'ils devaient s'organiser d'une certaine manière parce que, de plus en plus, ils étaient en proie à l'arbitraire et à l'injustice... C'est ainsi que fut créé par eux un organisme de concertation dénommé comité directeur, regroupant la quasi-totalité des secrétaires généraux des syndicats nationaux existants. C'est cet organisme qui, le 10 janvier 1971, convoqua un meeting en vue d'informer les travailleurs de la situation syndicale en général et sur d'autres problèmes particuliers qui se posent au monde du travail. Ce meeting fut dispersé avec une brutalité rare (bombes lacrymogènes, coups de crosse, etc.) par les forces de l'ordre... Le meeting fut un prétexte pour les autorités d'arrêter à domicile une trentaine de responsables et militants syndicaux, gardés à vue à l'état-major de la gendarmerie pour un interrogatoire qui dura une semaine. Au cours de cet interrogatoire, les syndicalistes furent victimes de tout genre de tortures physiques et morales (usage d'électricité, mise à genoux sur une règle métallique avec port de la « brique », fouet au sang, usage de piments dans certains organes sensibles, etc.). »
  5. 263. Les plaignants donnent la liste suivante des syndicalistes qui auraient été torturés: Bah o'Hamdeït (Justice), Mohameden o'Baggah (Education nationale), Diouf Ibrahima (Santé), Med. Salem o'Haye (Education nationale), Mohamed Nagi (Education nationale), Wane Mamadou Djibril (Education nationale), Mouvid o'Hacen (Education nationale), Nagi (Infrastructure) et Diaw Semba (SOMACAT). Les plaignants donnent également le nom de neuf élèves qui auraient été torturés.
  6. 264. Parmi les personnes arrêtées et maintenues en détention les plaignants fournissent les noms suivants: Ba Mahmoud, secrétaire général du Syndicat national des enseignants, Mohameden o'Baggali, secrétaire général adjoint du Syndicat national des enseignants, Mohamed Mustapha o'Bedrudin, secrétaire général du Syndicat des enseignants arabes, Diouf Ibrahima, secrétaire général du Syndicat national de la santé, Kéïta Fodié, secrétaire général du Syndicat national des travaux publics, N'Diaye Madjigui, secrétaire général du Syndicat national des plantons, Kane Daha, secrétaire général du Syndicat national de l'élevage, Mohamédou o'Nagi, membre du Syndicat des enseignants arabes, Ba Abdoul Ismaïl, membre du Bureau national des travaux publics, Sall Hamidou, secrétaire général de la section des enseignants de Nouakchott, Bah o'Hamdet, secrétaire général de la section de la justice de Nouakchott, Sy Moussa, secrétaire général de la section de l'agriculture de Nouakchott, Ba Oumar, secrétaire général de la section de l'élevage de Nouakchott, Wane Mamadou Djibril, membre du bureau de la section des enseignants de Nouakchott, Mohamed Salem o'Haye, membre de la section des enseignants de Nouakchott, Nagi, membre du bureau national de l'infrastructure et secrétaire général de la section, N'Diau Mamadou, membre de la section des banques et commerces de Nouakchott, Ba Bocar Baba, membre de la section des enseignants de Nouakchott, Mouvid o'Hacen, membre de la section des enseignants de Nouakchott.
  7. 265. Tous les syndicalistes arrêtés auraient, d'après les plaignants, été inculpés de rédaction, diffusion ou garde de documents portant atteinte à l'intérêt national; de participation à une organisation illégale (comité directeur ou comité de coordination des syndicats); d'organisation et de participation à un meeting non autorisé (meeting du 10 janvier 1971).
  8. 266. Ces arrestations, déclarent les plaignants, ont poussé les travailleurs à déclencher, le 15 janvier 1971, une grève pour réclamer la libération des syndicalistes intéressés. Cette grève aurait été réprimée par des délogements, des licenciements, des suspensions et des révocations des fonctionnaires et agents de l'Etat grévistes.
  9. 267. Dans ses observations, le gouvernement admet qu'une scission s'est opérée au sein de l'UTM. Il ajoute que le régime du syndicat unique a été légalisé par la loi no 70030, du 23 janvier 1970, en conséquence de quoi, apparemment, le gouvernement n'a reconnu qu'une des fractions issues de la scission. En vertu de la loi précitée, « les personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés, ou la même profession libérale, peuvent constituer librement un seul syndicat professionnel par catégorie de personnes telles que définies ci-dessus Tout travailleur ou employeur peut adhérer librement au syndicat de sa profession ». Il apparaît en outre qu'il n'est reconnu qu'une seule centrale syndicale et que l'existence d'aucun syndicat qui ne s'affilie pas à cette centrale n'est acceptée.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 268. Le comité croit devoir rappeler ici les observations qu'il a déjà eu à formuler à d'autres occasions au sujet de systèmes de syndicalisme unitaire établis par voie législative.
  2. 269. Le comité a tout d'abord souligné l'importance qu'il attache à ce que les travailleurs et les employeurs puissent effectivement former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement. Le comité a signalé en outre que la Conférence internationale du Travail, en faisant figurer les termes « organisations de leur choix » dans la convention no 87, entendait tenir compte du fait que, dans un certain nombre de pays, il existe plusieurs organisations d'employeurs et de travailleurs entre lesquelles les intéressés peuvent choisir pour des raisons d'ordre professionnel, confessionnel ou politique, sans pour autant se prononcer sur la question de savoir si, dans l'intérêt des travailleurs et des employeurs, l'unité dans l'organisation syndicale est ou non préférable au pluralisme syndical. Mais elle entendait également consacrer le droit, pour tout groupe de travailleurs (ou d'employeurs), de constituer une organisation en dehors de l'organisation déjà existante, s'il estime cette solution préférable pour la défense de ses intérêts d'ordre matériel ou moral.
  3. 270. Le comité a rappelé également que, si les travailleurs peuvent avoir généralement avantage à éviter la multiplication du nombre des organisations syndicales, l'unité du mouvement syndical ne doit pas être imposée par une intervention de l'Etat par voie législative, une telle intervention allant à l'encontre du principe énoncé aux articles 2 et 11 de la convention no 87. La Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a souligné à cet égard que: « Il existe une différence fondamentale vis-à-vis des garanties établies pour la liberté syndicale et la protection du droit syndical entre, d'une part, cette situation où le monopole syndical est institué ou maintenu par la loi et, d'autre part, les situations de fait qui se rencontrent dans certains pays où les organisations syndicales se groupent volontairement en une seule fédération ou confédération, sans que cela résulte directement ou indirectement des dispositions législatives applicables aux syndicats et à la création d'organisations syndicales. Le fait que les travailleurs et les employeurs ont en général avantage à éviter une multiplication du nombre des organisations concurrentes ne semble pas, en effet, suffisant pour justifier une intervention directe ou indirecte de l'Etat et notamment l'intervention de celui-ci par voie législative.»
  4. 271. Tout en appréciant pleinement le désir que pourrait avoir un gouvernement de voir se développer un mouvement syndical fort, en évitant les défauts résultant d'une multiplicité excessive de petits syndicats, qui se font concurrence et dont l'indépendance peut être mise en danger par leur faiblesse, le comité a attiré l'attention sur le fait qu'il est plus souhaitable dans de tels cas pour un gouvernement de chercher à encourager les syndicats à se grouper volontairement pour former des organisations fortes et unies, plutôt que de leur imposer par la loi une unification obligatoire qui prive les travailleurs du libre exercice de leur droit d'association et va ainsi à l'encontre des principes incorporés dans les conventions internationales du travail relatives à la liberté d'association.
  5. 272. Enfin, le comité a fait valoir qu'était incompatible avec les principes contenus dans la convention no 87 une situation dans laquelle un individu se voit refuser toute possibilité de choix entre différentes organisations, la législation n'autorisant qu'une seule organisation dans sa branche professionnelle et établissant, en fait, par voie législative un monopole syndical.
  6. 273. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 269 à 272 ci-dessus, le régime du syndicat unique instauré en République islamique de Mauritanie n'est pas conforme aux principes reconnus en matière de droits syndicaux et en particulier aux normes établies par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par la Mauritanie;
    • b) d'appeler sur la conclusion ci-dessus l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
  7. 274. Il est apparu au comité, au vu des éléments mis à sa disposition, que la seule centrale syndicale reconnue par le gouvernement et qui porte le sigle UTM avait avec le Parti du peuple mauritanien, parti unique de l'Etat, des liens des plus étroits.
  8. 275. Outre ce qui est rapporté au paragraphe 261 ci-dessus, en effet, la déclaration faite par le président de la Commission nationale de réconciliation syndicale relative à la situation syndicale - dont le gouvernement ne conteste pas l'authenticité - comporte les passages suivants:
    • Le Parti du peuple mauritanien, né de la fusion des partis nationaux existant au 25 décembre 1961, est reconnu comme l'unique parti de l'Etat (loi no 65039, du 12 février 1965, modifiant l'article 9 de la loi no 61095, du 20 mai 1961, portant Constitution de la République islamique de Mauritanie).
    • Cette disposition constitutionnelle a des conséquences qu'il importe de rappeler à tous les citoyens de ce pays soucieux de la légalité républicaine:
  9. 1) Les grandes options politiques du pays sont définies par le Parti du peuple mauritanien, à l'exclusion de tous autres groupements ou organisations, et exécutées par le gouvernement.
  10. 2) Toute velléité de remettre en cause ces options, en dehors des organismes réguliers du parti, relève de l'illégalité et aboutit nécessairement à l'action insurrectionnelle que le parti et le gouvernement ont le droit de mater par tous les moyens de l'Etat.
  11. 3) En conséquence, aucun syndicat, aucun groupement n'a le droit, en Mauritanie, de s'exprimer politiquement en contradiction avec les options du parti. S'il le fait malgré tout, il doit informer ses adhérents qu'ils se mettent en marge de la légalité et s'exposent donc à subir, un jour ou l'autre, la force de la loi.
    • Ce raisonnement logique et simple a amené l'Union des travailleurs de Mauritanie à signer avec le parti un protocole d accord, qui n'altère en rien la liberté des syndicats, surtout en ce qui concerne la défense des intérêts des militants.
  12. 276. De son côté, le protocole d'accord dont il vient d'être question indique notamment:
    • Conformément à la résolution adoptée le 26 juin 1966 par le congrès du Parti du peuple à Aïoua-El-Atrouss, relative à la définition des rapports devant exister entre le Parti du peuple mauritanien et l'Union des travailleurs de Mauritanie, une délégation du bureau national de l'Union des travailleurs de Mauritanie et une délégation du Parti du peuple mauritanien se sont rencontrées les 19 et 22 décembre 1966 et sont convenues de ce qui suit:
    • Considérant que le Parti du peuple est le parti unique et institutionnel de l'Etat,
    • Considérant les dispositions des articles 7, 8, 22, 28 et 33 des statuts du Parti du peuple mauritanien, relatives à la place que le Parti du peuple fait au syndicat au sein de son organisation,
    • Considérant les objectifs politiques, économiques et sociaux du Parti du peuple,
    • L'Union des travailleurs de Mauritanie reconnaît la suprématie politique du Parti du peuple mauritanien, apporte son soutien à la réalisation des objectifs définis dans sa charte, s'engage à collaborer étroitement avec lui.
    • Le Parti du peuple mauritanien reconnaît que l'Union des travailleurs de Mauritanie est la seule organisation syndicale représentative de l'ensemble des travailleurs de Mauritanie, admet la spécificité de son organisation par rapport aux autres mouvements parallèles, appuie la réalisation des objectifs sociaux et professionnels qu'elle s'assigne.
  13. 277. Bien qu'une scission soit intervenue depuis au sein de l'UTM, il semble bien que les rapports qui unissent la fraction de l'UTM reconnue par le gouvernement au Parti du peuple mauritanien restent fondés sur les principes cités dans les deux paragraphes précédents.
  14. 278. Le comité croit devoir rappeler à cet égard les observations qu'il a eu l'occasion de formuler au sujet des relations qui peuvent être établies entre les syndicats et les partis politiques.
  15. 279. Il a fait valoir ainsi que, dans l'intérêt du développement normal du mouvement syndical, il serait désirable que les parties intéressées s'inspirent des principes énoncés dans la résolution sur l'indépendance du mouvement syndical, adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35e session (1952), qui prévoit notamment que l'objectif fondamental et permanent du mouvement syndical est le progrès économique et social des travailleurs, et que, lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec les partis politiques ou d'entreprendre une action politique conformément à la Constitution pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays.
  16. 280. Le comité a confirmé, par ailleurs, le principe énoncé par la Conférence internationale du Travail dans la résolution sur l'indépendance du mouvement syndical, aux termes de laquelle les gouvernements ne devraient pas chercher à transformer le mouvement syndical en un instrument politique qu'ils utiliseraient pour atteindre leurs objectifs et ne devraient pas, non plus, essayer de s'immiscer dans les fonctions normales d'un syndicat en prenant prétexte de ses rapports librement établis avec un parti politique.
  17. 281. Dans ces conditions, étant donné ce qui est dit aux paragraphes 274 à 277 ci-dessus, le comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur les considérations contenues aux deux paragraphes précédents.
  18. 282. Les plaignants formulent plusieurs allégations mettant en cause le droit de réunion. Ils allèguent tout d'abord que le Congrès national des enseignants, tenu en septembre 1970, aurait été interrompu par les forces de l'ordre qui auraient signifié aux congressistes que le congrès était suspendu par décision gouvernementale. Ils allèguent également que dix-huit congrès d'autres organisations auraient été reportés sine die par les autorités gouvernementales (voir paragr. 261 ci-dessus).
  19. 283. Dans ses observations, le gouvernement déclare que «les syndicats des travailleurs mauritaniens convoquent librement leurs congrès et sont totalement souverains au sein de ces congrès; la tenue de tous les congrès syndicaux, au cours de l'année 1970, démontre de la façon la plus éclatante la liberté dont jouissent les organisations professionnelles ».
  20. 284. Le comité rappelle avoir toujours estimé, d'une part que la liberté de réunion syndicale constitue l'un des éléments fondamentaux des droits syndicaux, d'autre part que la non-intervention de la part des gouvernements dans la tenue et le déroulement des réunions syndicales constitue un élément essentiel des droits syndicaux et que les autorités devraient s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
  21. 285. Etant donné l'importance qu'il convient d'attacher aux principes rappelés ci-dessus et étant donné le caractère spécifique des allégations formulées, le comité estime que la réponse fournie par le gouvernement est trop générale pour lui permettre de formuler ses recommandations en connaissance de cause.
  22. 286. C'est pourquoi il recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir indiquer s'il est ou non exact, d'une part que le Congrès des enseignants de septembre 1970 a été interrompu par les forces de l'ordre, d'autre part que les congrès de dix-huit autres organisations ont été reportés sine die sur ordre du gouvernement.
  23. 287. Les plaignants allèguent par ailleurs qu'un meeting convoqué par le « Comité directeur », groupant la quasi-totalité des secrétaires généraux des syndicats nationaux, aurait été brutalement dispersé par les forces de l'ordre.
  24. 288. Dans ses observations, le gouvernement déclare ce qui suit: « Des personnes, se disant membres d'une organisation syndicale (non reconnue, qui s'est donné le nom de Comité directeur), ont organisé sur la voie publique le 10 janvier 1971, à 15 heures, un meeting explicitement interdit par le gouverneur du district (lettre no 001, en date du 6 janvier 1971, en réponse à une demande d'autorisation de tenir ce meeting). Ce délit tombe sous le coup du décret du 23 octobre 1935 qui prévoit que les réunions sur la voie publique sont interdites. »
  25. 289. Le comité a considéré que le droit d'organiser des réunions publiques forme un aspect important des droits syndicaux. A cet égard, le comité a toujours opéré une distinction entre les manifestations ayant un objet purement syndical, qu'il considère comme rentrant dans l'exercice d'un droit syndical, et celles qui tendent à d'autres fins.
  26. 290. Dans le cas d'espèce, d'après les indications fournies par les plaignants, il semblerait que - bien que convoqué par une organisation non reconnue par le gouvernement - le meeting en question ait eu pour objet d'informer les travailleurs de la situation syndicale et, comme tel, qu'il rentrait dans le cadre d'une action syndicale normale.
  27. 291. Le comité a considéré dans plusieurs cas antérieurs que l'interdiction des manifestations ou des cortèges sur la voie publique dans les quartiers les plus animés de la ville, lorsqu'ils font craindre des désordres, ne constitue pas une infraction à l'exercice des droits syndicaux.
  28. 292. En vue de disposer des éléments d'appréciation nécessaires, le comité croit devoir recommander au Conseil d'administration de prier le gouvernement, d'une part d'indiquer les motifs exacts qui ont justifié à ses yeux l'interdiction et la dispersion du meeting du 10 janvier 1971, d'autre part de bien vouloir communiquer le texte du décret du 23 octobre 1935 mentionné par lui dans sa réponse.
  29. 293. Les plaignants allèguent que le meeting dont il vient d'être question a servi de prétexte au gouvernement pour procéder à l'arrestation d'un certain nombre de syndicalistes dont ils donnent les noms (voir paragr. 262, 264 et 265 ci-dessus).
  30. 294. Dans sa réponse sur cet aspect de l'affaire, le gouvernement s'exprime en ces termes: « A la suite de ce meeting, quinze personnes ont été arrêtées sur mandats de dépôt respectivement en date des 15, 16, 19 et 23 janvier 1971 sur la base d'un triple chef d'inculpation: administration d'association non autorisée, détention et distribution de tracts, participation à l'organisation d'une manifestation interdite, délits prévus par les lois no 64098, du 9 juin 1964, no 63109, du 27 juin 1963, et par le décret du 23 octobre 1935. »
  31. 295. Le comité tient à rappeler l'importance qu'il a toujours attachée au principe selon lequel, chaque fois que des syndicalistes sont détenus, y compris lorsqu'ils sont accusés de délits politiques ou de délits de droit commun que le gouvernement estime sans rapport avec leurs fonctions ou leurs activités syndicales, les intéressés doivent être jugés équitablement et dans les plus brefs délais par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Quand il est apparu au comité que, d'après les informations qui lui avaient été fournies, les intéressés avaient été jugés par les autorités judiciaires compétentes, qu'ils avaient bénéficié des garanties d'une procédure judiciaire régulière et qu'ils avaient été condamnés pour des actes qui n'avaient aucun rapport avec les activités syndicales ou qui débordaient le cadre des activités syndicales normales, le comité a estimé que le cas n'appelait pas un examen plus approfondi 3. Il a cependant insisté sur le fait que la question de savoir si le motif des condamnations prononcées relevait d'un délit criminel ou de l'exercice des droits syndicaux n'était pas de celles qui peuvent être tranchées unilatéralement par le gouvernement intéressé, mais que c'était au comité qu'il appartenait de se prononcer sur ce point, après examen de toutes les informations disponibles et, surtout, du texte du jugement.
  32. 296. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir, d'une part, indiquer si tous les syndicalistes dont il est question au paragraphe 264 ci-dessus sont passés en jugement, et, dans l'affirmative, de préciser la nature de l'instance judiciaire qui a eu à connaître de leur cas et de fournir le texte du jugement rendu ainsi que celui de ses considérants, d'autre part, fournir le texte des tracts mentionnés par lui et qui ont été distribués à l'occasion du meeting du 10 janvier 1971.
  33. 297. En réponse aux allégations concernant les tortures dont auraient été l'objet certains syndicalistes et autres personnes arrêtées (voir paragr. 262 et 263 ci-dessus), le gouvernement déclare que les personnes arrêtées n'ont fait l'objet d'aucun mauvais traitement. « Notre pays - affirme le gouvernement - ne connaît pas la violence, la violence est contraire à nos valeurs religieuses. Si l'Etat doit se protéger des agissements qui troublent Rapports du Comité de la liberté syndicale l'ordre public, nous considérons que la torture est un procédé vain et ne saurait être un moyen de gouvernement. »
  34. 298. Lorsqu'il a eu à connaître d'allégations relatives à des mauvais traitements et à d'autres mesures punitives qui auraient été infligées aux travailleurs ayant participé à des grèves ou à des manifestations, le comité a signalé l'importance qu'il attache à ce que les syndicalistes, comme toutes autres personnes, bénéficient d'une procédure judiciaire régulière, conformément aux principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.
  35. 299. Dans le cas présent, le comité note que le gouvernement donne une réponse, certes catégorique, mais de caractère général à des allégations qui, elles, sont tout à fait spécifiques. Il a été indiqué plus haut, en effet, que les plaignants fournissent les noms des syndicalistes qui auraient été torturés, précisent les traitements qui leur auraient été infligés et donnent même les noms de ceux qui les leur auraient infligés: les adjudants de gendarmerie Denebja et Lekrema.
  36. 300. Dans ces conditions, le comité croit devoir recommander au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir indiquer si sa réponse doit être entendue comme impliquant qu'une enquête a été préalablement effectuée au sujet des allégations de tortures formulées par les plaignants.
  37. 301. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les fonctionnaires et agents de l'administration qui s'étaient mis en grève pour protester contre les arrestations de syndicalistes auraient été suspendus ou licenciés (voir paragr. 266 ci-dessus), le gouvernement déclare que ces fonctionnaires et agents de l'Etat, n'ayant pas respecté la loi, ont fait une grève illégale, illégalité qui a entraîné les sanctions administratives prévues par la législation.
  38. 302. Le gouvernement ajoute que « le droit de grève, s'il est un moyen de défense des droits du travailleur devant l'employeur qui ne respecte pas la législation en vigueur, ne doit en aucune façon être utilisé comme un vulgaire moyen de chantage politique ».
  39. 303. Le comité considère que l'interdiction des grèves ayant pour but d'exercer une pression sur le gouvernement, lorsqu'elles sont dépourvues de caractère professionnel, ne constitue pas une atteinte à la liberté syndicale. Le comité a par ailleurs admis que la reconnaissance du principe de la liberté d'association aux fonctionnaires publics n'impliquait pas nécessairement aussi le droit de grève.
  40. 304. Dans le cas d'espèce, tout en reconnaissant que les intéressés aient pu estimer avoir des motifs justifiables pour déclencher l'action qui a été la leur - tant il est vrai que la grève en question a été la conséquence de mesures prises antérieurement par les autorités il n'en reste pas moins que la loi prévoit qu'une telle action les rendait passibles des sanctions administratives qu'ils ont encourues.
  41. 305. Dans ces conditions, sous réserve de l'observation contenue au paragraphe précédent, le comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect de l'affaire n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 306. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de décider, pour les raisons indiquées aux paragraphes 303 et 304 ci-dessus et sous réserve de l'observation qui y est contenue, que les allégations relatives à la suspension ou au licenciement de fonctionnaires et d'agents de l'Etat à la suite d'une grève n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
    • b) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 269 à 272 ci-dessus, le régime du syndicat unique instauré en République islamique de Mauritanie n'est pas conforme aux principes reconnus en matière de droits syndicaux et en particulier aux normes établies par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par la Mauritanie;
    • c) d'appeler sur la conclusion ci-dessus l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations;
    • d) d'appeler l'attention du gouvernement, étant donné ce qui est dit aux paragraphes 274 à 277 ci-dessus, sur le fait que, dans l'intérêt du développement normal du mouvement syndical, il serait désirable que les parties s'inspirent des principes énoncés dans la résolution sur l'indépendance du mouvement syndical adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35e session (1952), qui prévoit notamment que l'objectif fondamental et permanent du mouvement syndical est le progrès économique et social des travailleurs et que, lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec les partis politiques ou d'entreprendre une action politique conformément à la Constitution pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays;
    • e) d'attirer en outre l'attention du gouvernement sur le principe énoncé par la Conférence internationale du Travail dans la résolution sur l'indépendance du mouvement syndical, aux termes de laquelle les gouvernements ne devraient pas chercher à transformer le mouvement syndical en un instrument politique qu'ils utiliseraient pour atteindre leurs objectifs et ne devraient pas, non plus, essayer de s'immiscer dans les fonctions normales d'un syndicat, en prenant prétexte de ses rapports librement établis avec un parti politique;
    • f) de prier le gouvernement, pour les raisons indiquées aux paragraphes 284 et 285 ci-dessus, de bien vouloir indiquer s'il est ou non exact, d'une part que le Congrès des enseignants de septembre 1970 a été interrompu par les forces de l'ordre, d'autre part que les congrès de dix-huit autres organisations ont été reportés sine die sur ordre du gouvernement;
    • g) de prier le gouvernement, pour les raisons indiquées aux paragraphes 289 à 291 ci-dessus, d'une part d'indiquer les motifs exacts qui ont justifié à ses yeux l'interdiction et la dispersion du meeting du 10 janvier 1971, d'autre part de bien vouloir communiquer le texte du décret du 23 octobre 1935 mentionné par lui dans sa réponse;
    • h) de prier le gouvernement, pour les raisons indiquées au paragraphe 295 ci-dessus, de bien vouloir, d'une part indiquer si tous les syndicalistes dont il est question au paragraphe 264 ci-dessus sont passés en jugement et, dans l'affirmative, de préciser la nature de l'instance judiciaire qui a eu à connaître de leur cas et de fournir le texte du jugement rendu ainsi que celui de ses considérants, d'autre part fournir le texte des tracts mentionnés par lui et qui ont été distribués à l'occasion du meeting du 10 janvier 1971;
    • i) de prier le gouvernement, pour les raisons indiquées aux paragraphes 298 et 299 ci-dessus, de bien vouloir indiquer s'il a fait procéder à une enquête au sujet des allégations de tortures de syndicalistes mentionnées aux paragraphes 262 et 263 ci-dessus;
    • j) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité fera un nouveau rapport lorsqu'il aura reçu les informations complémentaires sollicitées du gouvernement et dont la nature est précisée aux alinéas f) à i) du présent paragraphe.
      • Genève, 11 novembre 1971. Roberto AGO, président.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer