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Rapport intérimaire - Rapport No. 114, 1970

Cas no 604 (Uruguay) - Date de la plainte: 18-JUIL.-69 - Clos

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  1. 252. Les plaintes et les informations complémentaires présentées par les plaignants figurent dans deux communications, en date des 18 juillet et 25 août 1969, émanent de la Confédération mondiale du travail (CMT), deux communications en date des 22 juillet et 21 août 1969 émanant du Groupement des fonctionnaires des usines électriques et des téléphones de l'Etat (UTE) (Uruguay), dans une communication de l'Union internationale des syndicats des travailleurs du bâtiment, du bois et des matériaux de construction, en date du 4 août 1969, dans une communication de la Fédération syndicale mondiale (FSM), en date du 18 août 1969, et dans une communication de la Fédération internationale syndicale de l'enseignement, en date du 10 octobre 1969.
  2. 253. Le texte des communications précitées a été transmis au gouvernement, à mesure qu'elles étaient reçues, et celui-ci a formulé ses observations dans quatre communications en date des 20 août, 17 septembre, 16 octobre et 28 octobre 1969.
  3. 254. L'Uruguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Allégations relatives à la mobilisation et à l'arrestation de travailleurs et de dirigeants syndicaux en 1969
    1. 255 Dans sa communication du 18 août 1969, la Confédération mondiale du travail déclarait « porter plainte » contre le gouvernement de l'Uruguay « en élevant une énergique protestation » poux des violations présumées des droits syndicaux et d'autres droits fondamentaux de l'homme. La CMT affirmait que « des milliers de travailleurs et de syndicalistes sont arrêtés, maltraités et déportés loin de leur famille [et que] les organisations syndicales et leurs dirigeants font l'objet de poursuites injustes et de détentions arbitraires ».
    2. 256 Les allégations résumées ci-après sont formulées dans une annexe à la communication mentionnée ci-dessus. Le gouvernement aurait ordonné, le 24 juin 1969, l'arrestation de quatre mille dirigeants syndicaux et étudiants oeuvrant à tous les échelons, du niveau national au niveau de l'entreprise ou du bureau, et appartenant à tous les partis politiques existant dans le pays. Près d'un millier de prisonniers, et notamment M. José D'Elia, président de la Confédération nationale du travail, auraient été enfermés dans des casernes et dans une île du Rio de La Plata. Les trois mille autres personnes recherchées par la police étaient poursuivies, le climat de répression était tel que les soldats et la police auraient reçu publiquement l'ordre de faire feu sur tout habitant qui se serait approché de manière suspecte des sous-stations électriques.
    3. 257 Dans un passage de l'annexe en question (son paragraphe 4), il est allégué que trois ouvriers du textile auraient été battus, deux par la police et le troisième par des « éléments fascistes sans uniforme ». Ces faits se seraient produits même avant l'adoption, le 24 juin, de « mesures urgentes de sécurité », « équivalant à l'état de siège et à la suppression des garanties constitutionnelles pour la personne humaine et pour les associations syndicales ».
    4. 258 D'après le document analysé ici, le prétexte invoqué pour justifier l'adoption de ces mesures urgentes de sécurité avait été l'inquiétude manifeste inspirée aux travailleurs des secteurs public et privé par le blocage de leur rémunération, depuis juin 1968, ainsi que la destitution de leurs fonctionnaires. En janvier 1968, le gouvernement avait annoncé que la rémunération serait la même dans le secteur privé que dans le secteur public. Six jours seulement avant l'échéance du délai fixé par la Constitution pour ce qui est de l'ajustement des salaires, le Pouvoir exécutif n'avait pas prononcé un seul mot, bien que la Constitution prévoie la formation, dans chaque secteur, d'organismes où les travailleurs sont représentés et qui sont chargés d'étudier ces questions. Le gouvernement « gardant un silence déraisonnable au sujet des rémunérations qu'il devait fixer pour 1970 a pris comme prétexte les protestations justifiées des fonctionnaires pour déclencher une nouvelle vague de répression », qui débuta par la suspension d'un quotidien. Le gouvernement aurait en outre enfreint la Constitution en militarisant les civils sans état de guerre (tous les travailleurs des centrales électriques et des téléphones, des télécommunications, du raffinage et de la distribution du pétrole, des services des eaux et des égouts).
    5. 259 Le personnel de l'électricité et des téléphones - poursuit la CMT - a déclaré la grève contre cette militarisation illégale, ce qui a provoqué l'emprisonnement injustifié de plusieurs travailleurs. Au début de la grève, ont été arrêtés plusieurs centaines d'autres travailleurs, que l'on a obligés à se tenir debout, dans la rue, de 6 heures du matin à 8 heures du soir le 26 juin. Les travailleurs qui, bien que détenus, ont manifesté leur adhésion à la grève, furent battus - notamment les dirigeants Medina, Roman et Padilla - sur l'ordre du chef du commandement militaire. Lors de la déclaration de grève et au début de celle-ci, le personnel des centrales thermiques d'électricité maintint l'approvisionnement des cliniques, hôpitaux et autres centres sanitaires en électricité; mais, allèguent les plaignants, lorsque la force armée eut délogé le personnel, le courant fut coupé aux cliniques et hôpitaux pour accuser de ce fait l'organisation syndicale.
    6. 260 La CMT déclare en outre qu'« une campagne de calomnie s'est déchaînée contre les dirigeants syndicaux poursuivis; les syndicats furent privés de tous leurs moyens d'expression et le siège central de la Convention nationale des travailleurs (CNT) fut fermé, ainsi que celui du Groupement des travailleurs des usines électriques et des téléphones. On annonce la fermeture d'autres locaux syndicaux et toute réunion est interdite ».
    7. 261 Dans sa communication en date du 25 août 1969, la CMT renvoie essentiellement à des informations émanant de la Convention nationale des travailleurs (CNT), selon lesquelles les dirigeants de cette organisation devaient se cacher et exercer leurs fonctions dans la clandestinité. Elle mentionne aussi l'arrestation de membres de la famille des dirigeants syndicaux que l'on ne trouve pas chez eux et fait savoir que des travaux forcés sont imposés aux syndicalistes détenus. Dans une base navale, ces prisonniers seraient obligés de travailler « dans l'eau jusqu'à la taille ».
    8. 262 Les communications en date des 22 juillet et 21 août 1969 émanant du Groupement des fonctionnaires de l'UTE contiennent une série d'allégations sur les mesures qui auraient été prises à l'égard des travailleurs de l'électricité. Elles font valoir que les grévistes n'ont interrompu la production que dans la proportion de 50 pour cent, assurant le maintien des services considérés comme indispensables pour la vie et la sécurité de la population, mais que le gouvernement a ordonné à la police et aux forces de la marine de pénétrer dans les usines d'électricité. Les plaignants fournissent des détails sur les actes de violence qui auraient été commis contre les travailleurs et ils indiquent que des centaines de ces derniers auraient été arrêtés et transportés dans des bases militaires. L'organisation syndicale a suspendu la grève le 30 juin pour réclamer que le gouvernement effectue une enquête au sujet de ces faits; malgré cela, la violence a continué, les travailleurs sont restés emprisonnés - au secret, bien souvent - dans des conditions pénibles et humiliantes. Les plaignants affirment que la police a torturé des militants syndicaux pour les obliger à avouer « des sabotages inexistants ».
    9. 263 Selon le Groupement des fonctionnaires de l'UTE, dix jours après la suspension de la grève a été ordonnée la mise à pied de cinquante-six travailleurs, au nombre desquels figuraient tous les membres du bureau et une grande partie des délégués au Congrès national de l'Organisation syndicale.
    10. 264 Il est allégué que le droit d'organisation syndicale a été violé puisque, dès sa mise en place, le 28 juin 1968, l'organisme chargé de contrôler l'UTE a attaqué systématiquement l'organisation syndicale, à laquelle sont affiliés onze mille travailleurs sur quatorze mille au total. Les autorités chargées de ce contrôle ne l'ont pas reçue une seule fois; elles n'ont pas non plus répondu à ses notes ou à ses réclamations. Bien qu'elle eût été autorisée légalement, la déduction de la cotisation syndicale a été supprimée, et les autorités chargées de contrôler l'UTE se sont approprié indûment, selon les plaignants, le montant des cotisations afférentes au mois de juin 1968. La plainte affirme que les droits syndicaux ont été violés car, indépendamment de la mise à pied de cinquante-six travailleurs en juillet 1969, d'autres membres du bureau directeur, des membres du Conseil national des délégués et des militants syndicaux auraient fait auparavant l'objet de mesures de destitution ou de suspension. Enfin, le Groupement des fonctionnaires de l'UTE allègue que « la violence physique et la terreur ont rendu impossible l'exercice du droit de grève ». Les plaignants font valoir que les travailleurs s'efforçaient, mais en vain, d'obtenir depuis plus d'une année que l'on discutât leurs problèmes, le conflit ayant été déclenché par les autorités elles-mêmes, qui ont militarisé les travailleurs et arrêté leurs dirigeants et leurs délégués.,
    11. 265 La plainte présentée le 4 août 1969 par l'Union internationale des syndicats des travailleurs du bâtiment, du bois et des matériaux de construction mentionne expressément l'arrestation des dirigeants suivants du Syndicat national unique de la construction et branches annexes: Luis A. Trombeta, secrétaire à la sécurité sociale; Artigas Gómez, secrétaire à l'organisation; Ariel Mederos, secrétaire à la propagande; Hugo Castro, secrétaire adjoint; Ricardo Mario Acosta, secrétaire général du syndicat en question et membre du comité administratif de l'organisation plaignante.
    12. 266 La plainte présentée le 18 août 1969 par la Fédération syndicale mondiale évoque en termes généraux l'ensemble de la situation syndicale et l'intention du gouvernement de faire pression sur les organisations syndicales pour les empêcher d'exercer leurs droits. Si l'on estime que les mesures urgentes de sécurité adoptées par le gouvernement en 1968 et en 1969 n'étaient pas justifiées, car l'action revendicative des travailleurs concernait seulement des augmentations de salaire, le « déblocage » des salaires et une extension de la liberté syndicale, on peut, d'après l'organisation plaignante, évaluer la gravité de la menace qui pèse sur l'existence même du mouvement syndical uruguayen. La FSM proteste contre les mesures du gouvernement qui, à son avis, visent à transformer les mesures urgentes de sécurité en méthode normale de règlement des conflits du travail.
    13. 267 La FSM signale que, lors de l'examen d'un cas antérieur, le gouvernement avait fait entendre que cette mesure ne concernait que les fonctionnaires et les travailleurs du secteur public 110ème rapport du comité, paragr. 217). Actuellement, la violation des droits syndicaux a frappé aussi les travailleurs du secteur privé « qui ont été mobilisés en juin et auxquels la loi militaire restera dorénavant applicable ». Il s'agit, en particulier, des travailleurs des banques privées, qui ont déclaré la grève pour obtenir de meilleurs salaires.
    14. 268 La FSM demande que cessent les violations de la liberté syndicale dénoncées par elle; en outre, elle réclame la mise en liberté des dirigeants syndicaux suivants, actuellement emprisonnés: José D'Elia, président de la CNT; Juan Angel Toledo, secrétaire de la Fédération textile et dirigeant de la CNT; Humberto Rodriguez, président du Syndicat unique de l'administration nationale des ports; Alejandro Constanzo, dirigeant de la Confédération de fonctionnaires de l'Etat; Tita Cogo, dirigeante du Syndicat de la couture; Alcides Lanza, dirigeant de la Fédération des employés de commerce; Mario Acosta, secrétaire général du Syndicat de la construction; Eduardo Platero, secrétaire général du Syndicat des ouvriers et employés municipaux.
    15. 269 Dans sa communication en date du 10 octobre 1969, la Fédération internationale syndicale de l'enseignement indique notamment les noms de plusieurs dirigeants des syndicats d'instituteurs qui auraient fait l'objet d'arrestations.
    16. 270 Dans sa communication en date du 20 août 1969, en réponse à la plainte présentée par la CMT le 18 juillet, le gouvernement faisait savoir qu'il réfuterait, dans le plus bref délai possible, toutes les allégations formulées dans la plainte en question, qu'il estimait calomnieuses et erronées. Il indiquait, dès l'abord, qu'en juin 1969 « une situation interne extrêmement grave, provoquée par une subversion ouverte, le terrorisme et la violence déclenchée contre la société et l'ordre démocratique » avait malheureusement rendu nécessaires les mesures urgentes de sécurité prévues dans la Constitution nationale.
    17. 271 Le gouvernement renvoie aux observations qu'il a déjà fournies au comité en ce qui concerne les dispositions constitutionnelles en question. Il indique, en outre, que le terrorisme, la subversion, l'apologie et la pratique de la violence qu'il a fallu réprimer en Uruguay n'ont rien à voir avec les problèmes sociaux. On s'est trouvé en présence d'une tentative claire et ouverte de destruction de l'ordre constitutionnel et démocratique par la violence et par tous les autres moyens possibles. En Uruguay, toutes les dispositions de la Constitution sont intégralement en vigueur; l'activité politique, qui est intense, s'exerce librement et le Parlement - auquel appartient le droit de révoquer en tout temps les mesures de sécurité - fonctionne de manière normale. Un pouvoir judiciaire indépendant veille au respect de la Constitution et des lois.
    18. 272 D'après le gouvernement, les plaignants ont altéré gravement la vérité en exposant les motifs des mesures de sécurité; il fournit le texte du décret dont il s'agit, en date du 24 juin 1969, où il est fait mention du fonctionnement irrégulier de l'administration publique dû aux arrêts du travail et aux grèves des agents de la fonction publique et à la menace d'autres actions syndicales. D'après les considérants, une « action coordonnée des secteurs public et privé du travail visant à paralyser toute l'activité du pays » s'est ajoutée, en cette occasion, aux autres circonstances analogues qui s'étaient produites en 1968. L'Association nationale des fonctionnaires publics ordonna un arrêt du travail de soixante-douze heures; la Convention nationale des travailleurs (à laquelle sont aussi affiliés des travailleurs du secteur privé) a ordonné un arrêt du travail à compter du 24 juin; l'organisme coordonnateur de fonctionnaires de la santé publique décida d'occuper les lieux de travail. On mentionne également une grève des bras croisés des fonctionnaires postaux, l'interruption de certains services ferroviaires, la « grève du zèle » dans les banques privées, l'arrêt du travail dans des services municipaux, l'occupation d'établissements d'enseignement, de quelques industries privées et d'organismes publics autonomes ainsi que le climat de violence publique. La révocation des mesures de sécurité qui avaient été adoptées en 1968 n'a pas eu le résultat espéré d'encourager un climat de bonne volonté.
    19. 273 Le décret précité interdit toute propagande verbale ou écrite concernant les arrêts du travail et les grèves (art. 1); il interdit les réunions en rapport avec eux et ordonne la fermeture des locaux où l'on tente d'en tenir (art. 2); il permet l'application, lorsque cela est considéré comme opportun, des dispositions prévues à l'article 168, paragraphe 17, de la Constitution (en ce qui concerne l'arrestation ou le transfert de personnes conformément aux normes définies par le même texte) (art. 3) et il prévoit l'adoption des procédures et des mesures visant à maintenir la continuité des services publics essentiels (art. 4).
    20. 274 Le gouvernement souligne que la mobilisation de fonctionnaires pendant les mesures urgentes de sécurité tendant à assurer le fonctionnement des services essentiels est régulière du point de vue juridique. Il ajoute que rien de ce qui est affirmé au sujet de sévices infligés au personnel de l'UTE n'est exact et que « malgré le ressentiment populaire suscité par une grève illégale décidée sous l'emprise de la terreur imposée par des groupes minoritaires, grève qui a interrompu l'approvisionnement de la ville de Montevideo en électricité, en privant de lumière et d'énergie des hôpitaux, des moyens de transport et des services essentiels », aucune forme grave de violence ne s'est produite, grâce à l'ordre imposé par les pouvoirs publics. Le gouvernement déclare qu'aucune organisation syndicale n'a été mise sous contrôle ni dissoute et que seules leur sont appliquées, comme à toutes les associations, les normes générales définies par le décret sur les mesures urgentes de sécurité et il réaffirme que le plein exercice de la liberté et, par conséquent, des droits syndicaux est son principal objectif.
    21. 275 Le gouvernement fournit le texte de plusieurs décrets relatifs à la fermeture des banques le 24 juin, à la mobilisation des fonctionnaires pour assurer le fonctionnement normal de l'administration des Services des eaux et des égouts (OSE), de la Direction des télécommunications, des Usines électriques et des téléphones de l'Etat ainsi que de l'Administration nationale des combustibles, des alcools et des ciments. Le texte de ces décrets fait état des grèves déclenchées avec interruption et paralysie d'activités essentielles dans les services. Les mesures adoptées ont pour base le décret sur les mesures urgentes de sécurité ainsi que l'article 27 de la loi no 9943, en vertu duquel les citoyens peuvent être mobilisés dans les cas prévus par la Constitution. L'article 8 de la même loi autorise cette mobilisation aux fins d'assurer le fonctionnement des services indispensables à la vie du pays. L'article 34 du Code militaire autorise également la mobilisation des citoyens par le Pouvoir exécutif lorsque, de l'avis de celui-ci, les exigences du service public imposent cette mesure dans les cas prévus par la Constitution.
    22. 276 Dans sa communication datée du 16 octobre 1969, le gouvernement déclare que le décret sur les mesures urgentes de sécurité et les dispositions relatives à la militarisation de certains fonctionnaires et employés seront maintenus jusqu'au moment où les autorités compétentes auront pris, conformément à la Constitution, une décision en la matière. Cependant, le gouvernement signale qu'un décret du 19 août 1969 a mis fin à la militarisation des fonctionnaires des Services des eaux et des égouts, puis que, le 26 septembre, les mesures qui visaient les fonctionnaires de l'Administration nationale des combustibles, des alcools et des ciments ainsi que ceux de la Direction générale des télécommunications ont été rapportées. La normalisation se poursuivant, le Pouvoir exécutif adopte, par étapes, les mesures appropriées de démobilisation qui, dans un proche avenir si la situation actuelle se maintient, devront s'étendre à tous les cas visés par les décrets de mobilisation. Le Pouvoir exécutif adoptera, en temps opportun, toutes les décisions voulues pour mettre un terme au régime d'exception.
    23. 277 Le gouvernement déclare que les arrestations opérées l'ont été en stricte conformité de l'article 168, alinéa 17, de la Constitution. Il n'a été infligé aux personnes arrêtées ni sévices ni traitements humiliants d'aucune sorte, et les affirmations selon lesquelles des détenus auraient été battus sont absolument mensongères. Dans sa communication en date du 16 octobre 1969, le gouvernement fait savoir que MM. D'Elia, Toledo, Constanzo et Trombeta, arrêtés en juin 1969, ont été mis en liberté en août; MM. Gómez et Lanza, arrêtés en juillet, ont été mis en liberté, l'un en août et l'autre en septembre. Ces arrestations avaient été motivées par des infractions au décret du 24 juin. Humberto Reyes et Tita Cogo ne sont signalés comme détenus par aucune autorité de police.
    24. 278 En outre, le gouvernement répète que le niveau de vie a pu être stabilisé et l'inflation jugulée à partir de la seconde moitié de 1968, en sorte que le niveau réel de vie s'est élevé au cours des derniers mois. Une politique d'ajustement raisonnable de toutes les rémunérations, du secteur public comme du secteur privé, a continué d'être appliquée.
    25. 279 Le gouvernement déclare expressément que: a) aucun fonctionnaire, ouvrier ou employé n'a été arrêté en cette qualité et que les arrestations - dans le cadre du régime constitutionnel des mesures urgentes de sécurité - ont été effectuées lorsque les intéressés s'étaient livrés à des activités contraires à l'ordre public ou qu'ils avaient commis des actes subversifs ou des infractions au décret du 24 juin 1969; b) aucun organisme professionnel ou syndical n'a été mis sous contrôle et que seul a été appliqué, à toutes les associations, l'article 2 du décret précité; c) il n'y a pas eu de mauvais traitements ni de sévices d'aucune sorte; d) il est absolument calomnieux de dire que des travaux forcés aient été imposés, sous quelque forme que ce soit; le cas mentionné dans la communication [de la CMT] du 25 août 1969 n'a jamais eu lieu. Le gouvernement est disposé à accepter - à propos de ce qui est dit sous ces quatre lettres - n'importe quelle procédure et l'application de n'importe quel moyen de preuve acceptable pour établir la fausseté de ces accusations.
    26. 280 Le gouvernement conteste de nouveau, dans ses observations, que les droits des travailleurs soient systématiquement violés, ce qu'affirment les plaintes. Il indique que les institutions démocratiques et les normes constitutionnelles conservent, en Uruguay, toute leur vigueur et il réaffirme son total attachement non seulement à toutes les normes internationales du travail, mais aussi aux principes fondamentaux de l'OIT, sur lesquels repose l'ordre public de ce pays.
    27. 281 Dans sa communication du 28 octobre 1969, reçue trop tard pour permettre au comité de l'examiner à sa présente session, le gouvernement répond aux allégations du Groupement des fonctionnaires de l'UTE, résumées aux paragraphes 262 à 264.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 282. Le comité constate que les questions auxquelles se réfèrent les plaignants dans le présent cas semblent constituer, pour l'essentiel, le prolongement ou la répétition, en 1969, de certains faits qui ont été examinés par le comité dans le cas no 561 concernant l'Uruguay. Dans le cas en question, le comité avait fait observera qu'il s'agissait essentiellement d'une série de dispositions adoptées par le gouvernement de l'Uruguay (en 1968) - mesures urgentes de sécurité similaires à un état de siège, blocage des salaires et des prix, mobilisation de travailleurs - qui avaient touché les travailleurs de différents organismes de l'Etat. D'après les allégations formulées à cette occasion-là, les mesures gouvernementales avaient eu pour objet d'imposer le blocage des salaires; l'action revendicatrice des travailleurs avait été réprimée, la mobilisation de ces derniers rendant impossible l'exercice du droit de grève, et d'autres mesures - telles que l'interdiction de réunion et la destitution ou l'emprisonnement de dirigeants et de travailleurs - avaient été prises.
  2. 283. Au sujet de telles questions, le comité a rappelé, lors de sa session de février 1969, que dans d'autres cas concernant des plaintes relatives à de prétendues violations de la liberté syndicale perpétrées sous un régime d'état de siège ou d'exception, ou encore en vertu d'une loi sur la sécurité de l'Etat, il avait déclaré qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la nécessité ou l'opportunité d'une telle législation, question d'ordre purement politique, mais qu'il était tenu d'examiner les répercussions de cette législation sur les droits syndicaux.
  3. 284. Par la même occasion, le comité a également rappelé que, dans d'autres cas où il avait été appelé à examiner des plaintes relatives à la mobilisation de travailleurs, il avait estimé que celles-ci revêtaient un caractère exceptionnel en raison de la gravité de leurs conséquences sur la liberté personnelle et les droits syndicaux, et que les mesures prises ne pouvaient être justifiées que par la nécessité d'assurer le fonctionnement de services et d'industries essentiels, dont l'arrêt serait de nature à créer un état de crise aiguë.
  4. 285. D'autre part, étant donné la déclaration du gouvernement sur le caractère illicite de la grève dans la fonction publique, le comité, considérant que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où les droits syndicaux sont mis en cause, a estimé nécessaire de rappeler que si l'on peut admettre que le droit de grève souffre de restrictions dans la fonction publique et les services essentiels, il doit, dans ce cas, exister des garanties adéquates destinées à sauvegarder les intérêts des travailleurs, privés de cette façon d'un moyen essentiel de promouvoir leurs intérêts professionnels; de telles restrictions devraient donc s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer.
  5. 286. Le comité a constaté en outre que le blocage des salaires décrété par le gouvernement a non seulement touché le secteur public, mais qu'il a eu également pour effet de limiter la négociation collective dans le secteur privé de l'économie. A cet égard, il a rappelé avoir déjà signalé, à l'occasion de l'un des premiers cas examinés par lui, que le développement des procédures de négociation volontaire représentait un aspect important de la liberté syndicale, mais qu'il serait difficile d'établir une règle absolue en la matière, étant donné que, dans certaines conditions, les gouvernements pouvaient estimer que la situation d'un pays exige, à un moment déterminé, des mesures de stabilisation en raison desquelles il ne serait pas possible de fixer librement, par négociation collective, les taux de salaire.
  6. 287. Lors de ses sessions de février et de mai 1969, le comité a examiné les informations fournies par le gouvernement au sujet des mesures adoptées en 1968 et des événements ultérieurs et, en particulier, les renseignements relatifs aux raisons qui avaient motivé l'adoption de mesures extraordinaires, à la révocation postérieure de ces mesures et à la mise en liberté des syndicalistes qui avaient été arrêtés à cette occasion. Le comité a également reçu une déclaration dans laquelle le gouvernement indiquait qu'il appliquait strictement et continuerait à appliquer les principes énoncés par le comité au sujet des garanties à accorder aux travailleurs privés du droit de grève et qu'en décembre 1968 il a été adopté, dans ce domaine, une loi qui traite des mécanismes de conciliation applicables aux catégories de travailleurs intéressées. Ayant souligné l'importance des principes rappelés aux paragraphes 283 à 286 ci-dessus et ayant pris note du fait que les dispositions extraordinaires, y compris toutes les mesures de mobilisation de fonctionnaires publics adoptées en 1968 avaient été levées, le comité, lors de sa session de mai 1969, avait recommandé au Conseil d'administration de décider que le cas no 561 n'appelait pas, de sa part, un examen plus approfondi.
  7. 288. Les allégations formulées dans le présent cas se réfèrent, pour l'essentiel, à un nouveau décret sur des mesures urgentes de sécurité, pris par le gouvernement de l'Uruguay le 24 juin 1969. Selon l'une des plaintes, les nouvelles mesures de sécurité ont été motivées par l'inquiétude que le blocage de leur rémunération et la destitution de leurs dirigeants ont inspirée aux travailleurs et, selon une autre plainte, le gouvernement, en renouvelant l'application de mesures de cette nature, se proposerait d'en faire la méthode normale de solution des conflits du travail. Le gouvernement, quant à lui, conteste catégoriquement ces affirmations et fournit le texte des dispositions dont il s'agit; d'après les considérants de ces textes, les mesures de sécurité ont été prises - même dans l'administration publique et dans des services essentiels incombant à des organismes de l'Etat -après que des grèves générales eurent été déclarées et parce que divers services avaient été interrompus et que l'ordre public était compromis. Le gouvernement déclare que le régime de ces mesures de sécurité sera maintenu aussi longtemps qu'il sera nécessaire pour que la situation redevienne normale, mais que les mesures de mobilisation ont déjà été levées en ce qui concerne les travailleurs de plusieurs organismes de l'Etat; les mesures en question semblent rester en vigueur à l'égard des travailleurs des Usines électriques et des téléphones de l'Etat (UTE) ou, à en juger par les plaintes, le conflit entre l'organisation syndicale et les autorités semble avoir revêtu une gravité particulière. En effet, le comité constate, au sujet de ce conflit, que les plaintes ne concernent pas seulement les mesures de mobilisation adoptées à partir du 24 juin 1969; en effet, elles allèguent aussi que les autorités chargées de l'administration se refusent systématiquement à recevoir les représentants syndicaux pour discuter des problèmes qui intéressent les travailleurs, que de nombreux dirigeants ont été mis à pied, que la perception des cotisations syndicales a été supprimée et que le montant des cotisations d'un mois a été confisqué. Le comité se propose d'examiner à sa prochaine session la réponse du gouvernement aux allégations formulées à cet égard par le Groupement des fonctionnaires de l'UTE.
  8. 289. Par conséquent, certaines dispositions de portée générale prévues dans le décret sur les mesures urgentes de sécurité semblent subsister, à savoir: l'interdiction de toute propagande sur les arrêts du travail et les grèves, ainsi que de réunions en rapport avec ces faits, les locaux où on tenterait d'organiser de telles réunions pouvant être fermés; en outre, il resterait possible, juridiquement, d'arrêter des personnes et, par conséquent, des syndicalistes, ou de les assigner à résidence, sans jugement préalable. Le gouvernement souligne que son objectif fondamental consiste à affermer la liberté pour tous, liberté qui s'étend au maintien en vigueur des droits syndicaux, et il indique que les mesures prises l'ont été dans ce même dessein, rappelant à cette occasion que l'Assemblée nationale, qui continue à fonctionner normalement, peut décider de les lever. En outre, l'application de ces dernières dans le cadre légal serait assurée par le Pouvoir judiciaire, dont le gouvernement met l'indépendance en relief.
  9. 290. Le comité prend note de toutes ces observations du gouvernement, et notamment de la déclaration selon laquelle celui-ci est disposé à accepter n'importe quelle procédure et l'application de n'importe quel moyen de preuve acceptable pour élucider les questions posées par les plaintes en ce qui concerne les motifs des arrestations de syndicalistes auxquelles il a été procédé sous le régime des mesures urgentes de sécurité, le traitement des personnes arrêtées ou mobilisées et l'application desdites mesures à l'égard des organisations syndicales.
  10. 291. Or le gouvernement déclare expressément qu'aucune organisation syndicale n'a été dissoute ni placée sous contrôle. Il ressort de ses observations que seule a été appliquée à ces organisations l'interdiction de réunions présentant un rapport avec les arrêts du travail et les grèves, disposition du décret sur les mesures de sécurité qui habilite les autorités à fermer les locaux où l'on tenterait d'organiser de telles réunions. A cet égard, certaines allégations auxquelles le gouvernement n'a pas répondu de manière expresse se réfèrent à la fermeture des sièges de la CNT (dont les dirigeants se seraient vus obligés d'exercer leurs fonctions dans la clandestinité) et du Groupement des fonctionnaires de l'UTE; en outre, d'après les plaignants, les syndicats auraient été privés de leurs moyens d'expression. Compte tenu de l'importance que le comité et le Conseil d'administration ont toujours attribuée au principe selon lequel le droit des syndicats de se réunir librement, dans leurs propres locaux, en dehors de toutes autorisation préalable et de tout contrôle des autorités publiques, constitue un élément fondamental de la liberté syndicale, et au principe selon lequel le droit d'exprimer des opinions par la voie de la presse ou de toute autre manière est certainement l'un des éléments essentiels des droits syndicaux, le comité estime qu'afin de poursuivre en pleine connaissance de cause l'examen des allégations en la matière et de déterminer la portée des mesures de sécurité en ce qui concerne l'exercice des droits en question, il lui serait utile de disposer d'informations plus précises fournies par le gouvernement à ces sujets.
  11. 292. Pour ce qui est des cas précis d'arrestation mentionnés par les plaignants, le gouvernement fournit des informations concernant six syndicalistes qui ont été mis en liberté et deux personnes au sujet desquelles il n'est pas établi qu'elles aient été arrêtées. En revanche, le gouvernement ne se réfère pas spécifiquement à l'arrestation, qui a été alléguée, des syndicalistes Ariel Mederos, Hugo Castro, Ricardo Mario Acosta, Humberto Rodriguez et Eduardo Platero; il n'a pas non plus fait tenir ses observations au sujet d'autres personnes mentionnées dans une autre plainte récente.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 293. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note que, pour l'essentiel, les questions de principe relatives à l'adoption, par le gouvernement, de mesures urgentes de sécurité ont déjà été examinées par le comité dans ses 110ème et 112ème rapports, approuvés par le Conseil d'administration dans le cadre d'uni cas précédent concernant l'Uruguay (cas no 561);
    • b) pour ce qui est des allégations formulées dans le présent cas au sujet des mesures de sécurité promulguées par le décret du 24 juin 1969, de prendre note des déclarations du gouvernement selon lesquelles aucun fonctionnaire, ouvrier ou employé n'a été arrêté en cette qualité, mais que les arrestations - dans le cadre du régime constitutionnel des mesures urgentes de sécurité - ont été effectuées lorsque les intéressés s'étaient livrés à des activités contraires à l'ordre public, ou qu'ils avaient commis des actes subversifs ou des infractions au décret précité; qu'aucun organisme professionnel ou syndical n'a été mis sous contrôle; qu'il n'y a pas eu de mauvais traitements ni de sévices d'aucune sorte et que des travaux forcés n'ont pas été imposés, sous quelque forme que ce soit, le gouvernement étant disposé à accepter n'importe quelle procédure et l'application de n'importe quel moyen de preuve acceptable pour élucider ces faits;
    • c) de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle il a déjà été mis fin à la mobilisation des travailleurs dans divers organismes de l'Etat, en attendant qu'il en soit prochainement de même pour tous les travailleurs visés par les décrets promulgués;
    • d) eu égard aux graves conséquences que les mesures de mobilisation de travailleurs peuvent avoir du point de vue de l'exercice des droits syndicaux et au fait que de telles mesures ne pourraient se justifier que par la nécessité d'assurer le fonctionnement de services ou d'industries essentiels dont l'arrêt serait de nature à créer une situation de crise aiguë, d'exprimer l'espoir que les mesures de cet ordre qui n'ont pas encore été rapportées puissent être levées dans le plus bref délai et de prier le gouvernement de le tenir informé des dispositions qui seraient prises;
    • e) de prier le gouvernement de bien vouloir lui fournir des observations concernant spécialement les allégations relatives à la fermeture des locaux de la CNT et du Groupement des fonctionnaires de l'UTE;
    • f) de prendre note des informations fournies par le gouvernement, selon lesquelles six des syndicalistes désignés dans les plaintes, qui avaient été arrêtés, ont été mis en liberté, et qu'il n'a pas été établi que deux autres syndicalistes eussent été arrêtés, mais de demander au gouvernement de bien vouloir fournir ses observations en ce qui concerne les autres syndicalistes mentionnés au paragraphe 292 ci-dessus;
    • g) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité présentera un nouveau rapport lorsqu'il aura reçu les informations et les observations complémentaires du gouvernement au sujet des points mentionnés dans les alinéas d), e) et f) du présent paragraphe.
      • Genève, 13 novembre 1969. Roberto AGO, président.
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