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Rapport définitif - Rapport No. 73, 1964

Cas no 264 (Uruguay) - Date de la plainte: 14-AVR. -61 - Clos

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  1. 43. Le cas dont il s'agit a déjà été examiné par le Comité à sa 32ème session (octobre 1962), et celui-ci a décidé à cette occasion de demander des informations complémentaires au gouvernement sur les différents aspects de la plainte en question. Cette plainte émane de la Fédération uruguayenne des employés du commerce et de l'industrie et figure dans une communication en date du 14 avril 1961, complétée par une communication du 26 mai 1961. Le gouvernement de l'Uruguay a fait parvenir ses observations par une lettre en date du 21 mai 1962, et les informations complémentaires qui lui avaient été demandées par une lettre du 7 mai 1963.
  2. 44. A sa 34ème session (mai 1963), le Comité a décidé de différer l'examen du cas jusqu'à sa prochaine session, ayant reçu du gouvernement les informations complémentaires demandées trop tard pour qu'il puisse les examiner à sa session du mois de mai.
  3. 45. L'Uruguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 46. La plainte présentée par la Fédération uruguayenne des employés du commerce et de l'industrie comprend cinq séries d'allégations: la première porte sur l'ingérence du gouvernement dans la désignation d'office de membres des conseils de salaires, la seconde sur l'ingérence du gouvernement dans l'organisation d'un plébiscite sur la poursuite ou l'arrêt d'une grève; la troisième se réfère à des négociations collectives qui auraient eu lieu sans le concours et malgré l'opposition expresse des organisations professionnelles les plus représentatives; la quatrième concerne l'absence de mesures de protection des travailleurs contre les congédiements constituant des actes de discrimination antisyndicale, et la cinquième porte sur un projet de réglementation syndicale. Ces diverses séries d'allégations seront traitées séparément ci-après.
    • Allégations relatives à des actes d'ingérence gouvernementale dans la désignation de délégués ouvriers aux conseils de salaires
  2. 47. Les plaignants allèguent qu'en vertu d'une résolution du 10 septembre 1960 les délégués des travailleurs des textiles aux conseils de salaires de ce secteur, qui avaient été désignés conformément à la législation nationale en la matière et qui jouissaient de l'appui de l'organisation représentative des travailleurs intéressés, ont été remplacés par des personnes à la solde des autorités gouvernementales, étrangères à cette industrie et récusées par l'organisation syndicale directement intéressée ainsi que par les autres organisations de travailleurs.
  3. 48. Dans sa réponse en date du 21 mai 1962, le gouvernement déclare que la substitution des délégués ouvriers s'est effectuée parce qu'on se trouvait devant la situation prévue à l'article 14 de la loi du 12 novembre 1943, qui dispose expressément ce qui suit Les décisions des conseils de salaires seront adoptées à la majorité simple, mais aucun vote sur les salaires ne pourra être fait sans qu'il soit inscrit à l'ordre du jour et qu'il soit annoncé pour le moins quarante-huit heures à l'avance. Cependant, si ces conditions n'ont pas été réalisées, on pourra passer à un vote sur les salaires, s'il en est décidé ainsi à l'unanimité. Pour que le vote soit valide, il faut, d'autre part, que les trois secteurs soient représentés par des délégués présents.
    • Dans le cas où l'absence, à trois sessions, d'un ou de plusieurs délégués empêcherait de prendre une décision valide, tout membre pourra demander au ministère de l'Industrie et du Travail le remplacement des membres du Conseil par des suppléants selon la procédure établie.
    • Le gouvernement ajoute qu'en conséquence la substitution a été faite conformément à la procédure prévue par la loi et que, malgré le fait que les décisions administratives peuvent être attaquées (article 309 de la Constitution) devant un organisme totalement indépendant du pouvoir politique (le Tribunal du contentieux administratif) investi de fonctions judiciaires et jouissant de la confiance la plus absolue de tous les secteurs de l'opinion publique, l'acte administratif en question n'a pas fait l'objet d'un recours constitutionnel devant ledit organisme. Le gouvernement déclare également que la doctrine nationale a toujours soutenu que, dans les cas de désignation d'office, il y a lieu de désigner comme délégués des personnes n'appartenant pas au syndicat; que c'est ainsi que le pouvoir exécutif a toujours interprété cette doctrine et que le signataire de la plainte lui-même, M. José d'Elía, a aussi partagé cette façon de voir, bien qu'il adopte aujourd'hui une position contraire, et qu'à titre de preuve le gouvernement joint à sa réponse un exemplaire du Journal officiel du 20 février 1954, d'où il ressort que M. José d'Elia avait été nommé d'office délégué ouvrier pour l'industrie du plastique, à laquelle il n'a jamais appartenu.
  4. 49. Le Comité a fait remarquer que, alors que les plaignants allèguent qu'une personne étrangère à l'industrie considérée - en l'occurrence l'industrie textile - aurait été désignée comme délégué des travailleurs au conseil de salaires, le gouvernement déclare pour sa part qu'il a suivi en la matière la procédure prévue par la loi en cas d'absence répétée des membres titulaires et que, selon la doctrine nationale, en cas de nomination d'office, il faut désigner des personnes étrangères au syndicat, point de vue qui a d'ailleurs été partagé par le signataire de la plainte lui-même lorsqu'il a accepté, par le passé, d'être nommé d'office en qualité de délégué ouvrier au conseil de salaires d'une industrie à laquelle il n'a jamais appartenu.
  5. 50. Le Comité a noté que la loi no 10.449 du 12 novembre 1943, qui introduit le système des conseils de salaires, dispose, à l'article 6, que l'élection des délégués s'effectuera sur la base de la liste des « employés et ouvriers appartenant à l'industrie ou au commerce ou à l'organisation syndicale ».
  6. 51. Le Comité a estimé en outre que le fait qu'un des plaignants aurait, en d'autres occasions, partagé le point de vue du gouvernement en acceptant d'être désigné comme délégué ouvrier au conseil de salaires d'une industrie à laquelle il n'a jamais appartenu ne constitue pas un empêchement pour que l'intéressé adopte aujourd'hui, dans un cas analogue, une attitude contraire.
  7. 52. Le Comité estime que le fait de désigner d'office comme délégué, pour remplacer le délégué des travailleurs, une personne étrangère à l'industrie intéressée semble être en contradiction avec l'article 6 de la loi précitée, qui confie la représentation des intérêts des travailleurs d'une industrie déterminée au sein du conseil de salaires correspondant aux travailleurs de l'industrie en question et non pas à ceux d'une autre industrie.
  8. 53. Avant de poursuivre l'examen de cet aspect du cas, le Comité a décidé de demander au gouvernement de bien vouloir préciser les raisons pour lesquelles, en cas de désignation d'office d'un délégué à un conseil de salaires, il faut avoir recours à des personnes étrangères au syndicat et non pas à des personnes qui appartiennent à l'organisation en question, ainsi que le prévoit l'article 6 de la loi précitée, qui se rapporte à l'élection des représentants des travailleurs aux conseils de salaires.
  9. 54. Dans sa lettre du 7 mai 1963, le gouvernement déclare que les avis diffèrent en ce qui concerne les conditions que doivent remplir les délégués nommés d'office. Alors que les professeurs de droit du travail de la Faculté de droit, le pouvoir exécutif et les dirigeants syndicaux estiment que ces délégués ne sont pas tenus de remplir les conditions que la loi exige de ceux qui sont désignés par les organisations professionnelles (notamment celle d'appartenir à une de ces organisations), selon une autre opinion, partagée par les conseillers du ministère de l'Industrie et du Travail, les délégués d'office devraient remplir toutes les conditions requises des délégués des organisations professionnelles. Le gouvernement déclare en outre que ni la loi ni la doctrine ne permettent d'affirmer qu'il faut nécessairement désigner des personnes étrangères à l'organisation professionnelle.
  10. 55. Le Comité fait observer qu'il ne semble pas exister de critère fixe quant aux conditions que doivent remplir les délégués désignés d'office pour compléter les conseils de salaires et il note que, selon le gouvernement, ni la loi ni la doctrine ne permettent d'affirmer qu'il faut désigner des personnes étrangères à l'organisation professionnelle intéressée. Le Comité remarque également qu'en Uruguay les salaires sont généralement déterminés par le moyen des conseils de salaires, qui ont pour rôle de fixer les salaires minima.
  11. 56. L'Uruguay a ratifié la convention (no 26) sur les méthodes de fixation des salaires minima, 1928. Conformément à l'article 3, 2) de cette convention, « les employeurs et les travailleurs intéressés devront participer à l'application des méthodes, sous la forme et dans la mesure qui pourront être déterminées par la législation nationale, mais, dans tous les cas, en nombre égal et sur un pied d'égalité... ». Le principe selon lequel il faut considérer comme « employeurs et travailleurs intéressés » ceux qui participent aux délibérations et aux décisions des organismes de fixation des salaires minima est également contenu dans la recommandation (no 30) concernant l'application des méthodes de fixation des salaires minima, 1928.
  12. 57. Dans la législation uruguayenne, le principe est incorporé à la loi no 10.449 de 1943. Toutefois, en ce qui concerne la désignation d'office de délégués, la situation paraît incertaine sur le plan juridique. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que l'article 3 de la convention n, 26 prévoit la participation des employeurs et des travailleurs « sous la forme et dans la mesure qui pourront être déterminées par la législation nationale, mais, dans tous les cas, en nombre égal et sur un pied d'égalité », le Comité recommande au Conseil d'administration de suggérer au gouvernement d'envisager que dans le cas extrême où ni le délégué titulaire ni le suppléant employeur ou travailleur d'un conseil de salaires n'assumerait ses fonctions, la désignation d'office d'un délégué portera normalement sur une personne appartenant à l'industrie ou à la profession intéressée.
    • Allégations relatives à des actes d'ingérence gouvernementale concernant un référendum pour décider de la poursuite ou de l'arrêt d une grève
  13. 58. Selon les allégations des plaignants, la résolution du 2 mars 1961 aurait donné lieu à une initiative patronnée par l'entreprise intéressée et appuyée par un groupe non identifié de travailleurs de cette entreprise, aux fins de procéder à une consultation générale (référendum) du personnel pour déterminer sa volonté quant à la continuation ou à l'arrêt d'une grève. Les plaignants ajoutent que cette initiative a été prise en dehors de l'organisation représentative et malgré l'opposition ouverte de celle-ci.
  14. 59. Le gouvernement déclare dans sa réponse qu'aucune disposition ne s'oppose à ce que, par un plébiscite organisé à la demande des ouvriers intéressés, on décide, avec la garantie du secret du vote, de l'arrêt ou de la continuation d'une grève et qu'à ce plébiscite puissent seuls participer les travailleurs, à l'exclusion de toute personne étrangère dont l'intérêt à poursuivre ou à suspendre la grève pourrait être motivé par des raisons autres que celles qui sont particulières au syndicat. Le gouvernement exprime également sa surprise devant le fait qu'une organisation de travailleurs puisse considérer comme acte d'ingérence « la collaboration que le pouvoir exécutif accorde pour résoudre les problèmes syndicaux librement et sans contrainte », avec la garantie du secret de vote et par les intéressés eux-mêmes, sans ingérence de personnes étrangères dont les intérêts ne seraient pas avouables. Le gouvernement ajoute enfin que cette résolution n'a pas fait non plus l'objet d'un recours devant le Tribunal du contentieux administratif.
  15. 60. Le Comité a pris note du fait que les plaignants allèguent que le gouvernement aurait commis un acte d'ingérence dans un plébiscite organisé pour décider de la continuation ou de l'arrêt d'une grève et de ce que le gouvernement, de son côté, s'étonne qu'une organisation de travailleurs considère comme acte d'ingérence la collaboration accordée par le Pouvoir exécutif afin de résoudre les problèmes syndicaux; il a donc estimé qu'avant de poursuivre l'examen de cet aspect du cas il conviendrait que le gouvernement fournisse des précisions quant aux circonstances qui ont motivé la collaboration du Pouvoir exécutif et à la forme exacte que cette collaboration a revêtue.
  16. 61. Le gouvernement a fait parvenir, avec sa communication du 7 mai 1963, le texte de la résolution par laquelle il a décidé d'ordonner l'organisation d'un plébiscite au sein du personnel de l'entreprise touchée par la grève. Dans cette même communication, il indique que le plébiscite a été demandé par un groupe d'ouvriers de l'entreprise en question et il estime que, tant qu'il n'est pas fait usage de mesures qui limiteraient le droit de grève garanti par la Constitution nationale, rien n'empêche le gouvernement d'accéder à une telle demande. Le Tribunal électoral des conseils de salaires, organisme de caractère permanent, a été chargé d'organiser le plébiscite en question.
  17. 62. Le Comité s'est occupé à de nombreuses reprises de cas dans lesquels il était allégué que le droit de grève avait été refusé, en prenant pour principe qu'il n'était compétent que dans la mesure où un tel refus toucherait à l'exercice des droits syndicaux. Le Comité relève que dans le cas considéré il ne s'agit pas d'une interdiction de la grève. Le gouvernement déclare expressément que, vu les dispositions constitutionnelles en vigueur, il ne peut pas adopter de mesures qui limiteraient le droit de grève, d'où il semblerait que l'on puisse conclure que ce droit ne peut pas davantage être limité par le gouvernement lorsque les résultats du référendum sont connus. Le Comité note également que l'organisation du référendum a été confiée à un organisme de caractère permanent et indépendant et que les travailleurs ont bénéficié de la garantie du secret de vote.
  18. 63. Le Comité recommande au Conseil d'administration de noter la déclaration du gouvernement selon laquelle la Constitution ne l'habilite pas à restreindre l'exercice du droit de grève mais d'insister toutefois sur l'opportunité qu'il y a, dans des situations telles que celles qui se sont fait jour dans le cas présent, à consulter les organisations représentatives afin d'assurer qu'aucune influence ou aucune pression de la part des autorités ne vienne affecter en pratique (exercice du droit de grève Allégations relatives à la négociation collective effectuée sans le concours et malgré l'opposition expresse des organisations syndicales les plus représentatives
  19. 64. Selon les allégations des plaignants, le décret du 24 janvier 1961 permet l'enregistrement d'accords multilatéraux conclus entre les entreprises et un certain pourcentage de leur personnel, sans le concours et malgré l'opposition expresse des organisations syndicales les plus représentatives.
  20. 65. Le gouvernement déclare, dans sa réponse, qu'en Uruguay on a toujours compris que les conventions collectives peuvent être établies non seulement entre les organisations professionnelles, mais également entre les entreprises et leur personnel, comme il ressort de la doctrine nationale, des projets de lois existants et du projet de Code du travail qui a été approuvé sans restrictions par le conseiller juridique de la Fédération uruguayenne des travailleurs du commerce et de l'industrie.
  21. 66. Le Comité a constaté que l'article 1er du décret du 24 janvier 1961 dispose que « lorsqu'il n'a pas été procédé à l'enregistrement de conventions collectives par les organisations syndicales les plus représentatives, l'Institut national du travail a la faculté d'enregistrer les conventions traitant des questions de licenciement, passées entre les entreprises et leur personnel, à condition qu'elles soient conclues par la direction de l'entreprise intéressée et par 70 pour cent des membres de son personnel... »; le Comité a décidé de demander au gouvernement des renseignements complémentaires sur cet aspect du cas.
  22. 67. Dans sa communication du 7 mai 1963, le gouvernement indique que des conventions collectives peuvent être conclues entre les entreprises et 70 pour cent de leur personnel, même si une convention est en cours de négociation ou s'il est envisagé d'entreprendre des négociations avec un syndicat intéressé. Le gouvernement allègue qu'on ne peut exiger des travailleurs d'une entreprise qu'ils renoncent à fixer par un accord le système de congé qui leur convient le mieux, simplement parce que des négociations, dont rien ne garantit qu'elles aboutiront, sont en cours ou envisagées.
  23. 68. La convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ratifiée par l'Uruguay, dispose, en son article 4, que les gouvernements devront adopter des mesures appropriées pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédure de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d'employeurs d'une part, et les organisations de travailleurs d'autre part, en vue de régler les conditions d'emploi. La recommandation (no 91) sur les conventions collectives, 1951, définit au paragraphe 2,1) la convention collective comme étant un accord conclu entre les employeurs ou les organisations d'employeurs d'une part, et les organisations représentatives de travailleurs, d'autre part, ou « en l'absence de telles organisations, les représentants des travailleurs intéressés ».
  24. 69. Le Comité relève que les normes internationales précitées donnent la préférence, en ce qui concerne l'une des parties aux négociations collectives, aux organisations de travailleurs, et qu'elles ne mentionnent les représentants des travailleurs non organisés qu'en cas d'absence de telles organisations. Dans ces conditions, le Comité estime qu'une négociation directe conduite entre l'entreprise et son personnel, en ignorant les organisations représentatives existantes, peut, dans certains cas, être contraire au principe selon lequel il faut encourager et promouvoir la négociation collective entre les employeurs et les organisations de travailleurs.
  25. 70. C'est pourquoi le Comité recommande au Conseil d'administration de bien vouloir informer le gouvernement qu'il conviendrait d'examiner s'il est possible d'adopter les mesures nécessaires pour incorporer pleinement à la législation le principe concernant la négociation collective avec les organisations représentatives de travailleurs mentionné ci-dessus et contenu dans la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective (1949) ainsi que dans la recommandation (no 91) sur les conventions collectives (1951).
    • Allégations relatives à l'absence de mesures de protection des travailleurs contre des congédiements de caractère antisyndical
  26. 71. Selon les allégations des plaignants, le gouvernement aurait omis à plusieurs reprises d'adopter des mesures appropriées assurant la protection des travailleurs contre des congédiements décidés par des entreprises, qui constitueraient des actes flagrants de discrimination tendant à restreindre la liberté syndicale; les plaignants ajoutent que certains de ces actes auraient été commis au préjudice de dirigeants de l'organisation plaignante et qu'ils auraient été signalés en temps utile aux autorités compétentes.
  27. 72. Le gouvernement déclare, dans sa réponse, qu'il est évident que le pouvoir exécutif doit se borner à contrôler l'application des lois, que les différends qui se produisent doivent être réglés par le pouvoir judiciaire et que c'est uniquement en méconnaissant les principes qui régissent un Etat de droit que l'on peut prétendre que le pouvoir exécutif a empiété sur la compétence du pouvoir judiciaire.
  28. 73. Le Comité rappelle que, conformément à l'article 1er de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ratifiée par l'Uruguay, les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi. Ce même article précise que cette protection doit notamment s'appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de congédier un travailleur ou de lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales. Le Comité a constaté que certains des actes faisant l'objet des allégations susmentionnées constituent le type même de situation que la convention no 98 vise à éviter. Etant donné l'importance que le Comité a toujours attachée à ce que les principes énoncés dans cette convention soient respectés et tenant compte en outre du fait que, conformément à l'article 3 de la convention, des organismes appropriés aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation, le Comité a estimé qu'afin de pouvoir se prononcer de manière définitive et en pleine connaissance de cause sur l'allégation dont il s'agit, il devrait savoir quelles sont les dispositions légales ou autres en vertu desquelles les travailleurs de l'Uruguay sont protégés contre tous actes qui auraient pour objet de les congédier ou de leur porter préjudice par tous autres moyens en raison de leur affiliation syndicale, et, en outre, s'il existe des organismes garantissant le respect du droit d'organisation.
  29. 74. Dans sa communication du 7 mai 1963, le gouvernement indique que, en ce qui concerne le congédiement de dirigeants syndicaux, bien qu'il n'existe aucun texte établissant l'immunité syndicale, les dispositions de la convention no 98 sont appliquées et que la loi no 12030 prévoit des sanctions en cas de violation des dispositions en question.
  30. 75. L'article 1er de la convention no 98 dispose que les travailleurs doivent bénéficier d'une « protection adéquate » contre tous actes de discrimination en matière d'emploi. A cet égard, le gouvernement signale que la violation des dispositions fait l'objet de sanctions prévues par la législation nationale et que tout différend pouvant survenir doit être réglé par le pouvoir judiciaire. Mais, de son côté, l'article 3 de la convention dispose en outre qu'en cas de besoin des « organismes appropriés aux conditions nationales » doivent être créés pour assurer le respect du droit d'organisation. Ainsi que l'a déclaré la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations dans ses conclusions de 1959 , il peut être souvent difficile, sinon impossible, à un travailleur d'apporter la preuve d'une mesure de discrimination antisyndicale dont il aurait été victime, «raison pour laquelle -poursuivaient les experts - dans certains pays, la législation accorde une protection spéciale, plus étendue, aux dirigeants des syndicats ». C'est dans une telle éventualité que la mise en application de l'article 3 de la convention revêt une importance particulière.
  31. 76. Dans ces conditions, étant donné que des actes de discrimination semblent avoir été commis contre des travailleurs, parmi lesquels des dirigeants syndicaux - fait que le gouvernement ne dément pas - et compte tenu de ce qui est exposé dans le paragraphe précédent, le Comité recommande au Conseil d'administration de bien vouloir suggérer au gouvernement d'étudier la question de la discrimination antisyndicale dans le pays et d'examiner la possibilité d'adopter des mesures concrètes spéciales assurant une protection adéquate aux travailleurs, conformément aux conditions nationales, ainsi qu'en dispose la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Allégations relatives à un projet de réglementation syndicale
  32. 77. Les plaignants allèguent que le gouvernement aurait l'intention d'approuver un projet de loi daté du 15 février 1960, qui imposerait : a) le principe de l'autorisation préalable pour la constitution d'un syndicat; b) la restriction du droit des organisations d'élaborer leurs propres statuts; c) la délégation, aux autorités gouvernementales, de pouvoirs leur permettant de subordonner à certaines conditions l'acquisition de la personnalité juridique par les organisations professionnelles, et, d) la limitation du droit de constituer des fédérations et des confédérations. En outre, selon les allégations des plaignants, le texte susmentionné ne contiendrait aucune disposition protégeant les travailleurs et leurs organisations contre ce que la convention no 98 définit comme étant des actes d'ingérence; il mettrait entre les mains des organisations sous tutelle patronale la possibilité, voire le droit, de conclure des conventions collectives et il subordonnerait l'exercice de droits syndicaux fondamentaux, comme le droit de grève, à l'accomplissement de formalités échappant au contrôle et à la participation des organismes syndicaux représentatifs. Par une communication en date du 26 mai 1961, les plaignants ont fait parvenir le texte du projet en question ainsi que des informations complémentaires à son sujet.
  33. 78. Dans sa réponse, le gouvernement attire l'attention sur le fait que l'organisation plaignante soulève déjà le problème, alors qu'il est de notoriété publique que le projet en question n'a pas encore été examiné par le Parlement, et il ajoute que, malgré ce fait, le ministère de l'Industrie et du Travail estime qu'élaborer une réglementation sur l'activité syndicale est dans un Etat de droit une attribution du gouvernement à laquelle celui-ci ne peut pas renoncer.
  34. 79. Le Comité a déjà examiné à propos d'un certain nombre de cas dans quelle mesure il devrait se prononcer sur des projets de textes législatifs. Bien que, dans certains cas, le Comité ait rejeté des allégations sur des projets de lois, soit en raison du caractère vague de ces allégations , soit parce que les projets de loi en question n'avaient pas été soutenus par le gouvernement a, il a néanmoins déclaré que, lorsqu'il est appelé à examiner des accusations précises et détaillées concernant un projet de loi, le fait que celles-ci se rapportent à un texte n'ayant pas force de loi ne constitue pas un motif suffisant pour l'empêcher de se prononcer sur le fond des accusations formulées. Le Comité a été d'avis que, dans de telles circonstances, il y a un intérêt certain à ce que le gouvernement et les organisations plaignantes prennent connaissance de l'opinion du Comité au sujet d'un projet de loi avant que ce projet soit adopté, étant donné que le gouvernement, auquel appartient l'initiative en la matière, pourrait y apporter des modifications.
  35. 80. Bien que, dans le cas présent, le gouvernement déclare que le projet n'a pas encore été examiné par le Parlement, le Comité n'est pas certain qu'il ait été définitivement écarté. Dans ces conditions, le Comité a estimé qu'avant de poursuivre l'examen de cet aspect du cas, il faudrait demander au gouvernement s'il est encore possible que le projet en question soit examiné par le Parlement à une date ultérieure.
  36. 81. Dans sa communication du 7 mai 1963, le gouvernement signale que le projet de réglementation syndicale du 15 février 1960 a été détaché du projet de loi dont il faisait partie et que, vu ses défauts, il n'a jamais été examiné par le Parlement. Le gouvernement indique en outre que, du fait qu'il a été détaché du projet de loi, il est devenu impossible de l'examiner au Parlement.
  37. 82. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de prendre note de cette déclaration du gouvernement mais d'exprimer l'espoir que si un projet de loi sur les syndicats devait être envisagé, il serait tenu pleinement compte des dispositions des conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, toutes deux ratifiées par l'Uruguay.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 83. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de suggérer au gouvernement d'envisager que dans le cas extrême où ni le délégué titulaire ni le suppléant employeur ou travailleur d'un conseil de salaires n'assumerait ses fonctions, la désignation d'office du délégué portera normalement sur une personne appartenant à l'industrie ou à la profession intéressée;
    • b) en ce qui concerne l'allégation portant sur un acte d'ingérence du gouvernement au cours d'une grève, de prendre note de la déclaration du gouvernement selon laquelle la Constitution ne l'habilite pas à restreindre l'exercice du droit de grève, mais d'insister toutefois sur l'opportunité qu'il y a, dans des situations telles que celles qui se sont fait jour dans le cas présent, à consulter les organisations représentatives afin d'assurer qu'aucune influence ou aucune pression de la part des autorités ne vienne affecter en pratique l'exercice du droit de grève;
    • c) de signaler au gouvernement qu'il conviendrait d'examiner s'il est possible d'adopter les mesures nécessaires pour incorporer pleinement à la législation les principes concernant la négociation collective avec les organisations représentatives des travailleurs, qui sont contenus dans la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, et dans la recommandation (no 91) sur les conventions collectives, 1951;
    • d) de suggérer au gouvernement, en tenant compte des considérations formulées au paragraphe 75 ci-dessus, d'étudier la question de la discrimination antisyndicale dans le pays et d'examiner la possibilité d'adopter des mesures concrètes spéciales assurant une protection adéquate aux travailleurs, conformément aux conditions nationales, ainsi qu'en dispose la convention no 98;
    • e) en ce qui concerne les allégations relatives à un projet de réglementation syndicale, de prendre note de la déclaration du gouvernement sur l'impossibilité où se trouve le Parlement de discuter ce projet mais d'exprimer l'espoir que, si un projet de loi sur les syndicats devait être envisagé dans l'avenir, il serait tenu pleinement compte des dispositions des conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, toutes deux ratifiées par l'Uruguay.
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