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Rapport intérimaire - Rapport No. 27, 1958

Cas no 156 (France) - Date de la plainte: 29-NOV. -56 - Clos

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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 209. Par des communications datées respectivement des 29 novembre 1956, 7 décembre 1956, 16 février 1957, 29 décembre 1956 (transmission par les Nations Unies le 2 avril 1957) et 8 avril 1957, la Fédération syndicale mondiale, l'Union tunisienne de l'artisanat et du commerce, la Confédération internationale des syndicats libres, la Confédération générale du travail de France et la Confédération internationale des syndicats arabes (Le Caire) - cette dernière plainte a été appuyée le 16 avril 1957 par la Confédération égyptienne du travail - ont présenté toute une série d'allégations analysées ci-après, selon lesquelles il serait porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux en Algérie.
  2. 210. Toutes ces organisations ont été informées de leur droit de présenter, dans le délai d'un mois, des informations complémentaires à l'appui de leurs plaintes. La Confédération internationale des syndicats libres, la Confédération générale du travail de France et la Confédération égyptienne du travail se sont prévalues de ce droit et ont fait parvenir au Directeur général des informations complémentaires.
  3. 211. Les allégations contenues dans les plaintes mentionnées ci-dessus peuvent être réparties de la manière suivante.
    • Allégations relatives au retrait de la représentativité à certaines unions syndicales
  4. 212. Aux dires des plaignants, l'Union générale des syndicats algériens - d'après la F.S.M, la plus ancienne organisation syndicale du pays - aurait été mise dans l'impossibilité pratique de fonctionner ; en effet, le ministre résidant en Algérie, par un arrêté en date du 23 octobre 1956, aurait décidé le retrait de tout caractère représentatif à l'Union générale des syndicats algériens ainsi qu'à tous les syndicats qui lui sont rattachés. Une mesure analogue aurait frappé l'Union générale des travailleurs algériens (U.G.T.A.). L'origine de cette mesure aurait été la prise de position par ces deux organisations en faveur des droits souverains du peuple algérien.
    • Allégations relatives à l'arrestation, l'expulsion et l'internement de militants syndicaux
  5. 213. Les plaignants allèguent que, prenant prétexte entre autres de l'insurrection déclenchée en Algérie le 1er novembre 1954, les autorités françaises exerceraient une répression sévère contre les travailleurs algériens et leurs organisations syndicales, mettant en état d'arrestation et de déportation des centaines de militants syndicaux. Nombre d'entre eux auraient été torturés, voire assassinés. Ceux qui auraient pu échapper à l'arrestation seraient poursuivis et militeraient dans la clandestinité au péril de leur vie.
  6. 214. A la suite de la non-application des textes réglementaires en vigueur et en application, par contre, de la loi du 4 avril 1955 sur l'état d'urgence, des travailleurs et des militants syndicaux auraient été placés en résidence surveillée dans des camps de concentration situés notamment à Djorf, Berronaghia, Aflou, Gelt-Es-Stel, Lodi, Bossuet et Ain-Sefra. Ces camps, entourés de barbelés et gardés militairement, seraient plus durs que des prisons ; la discipline y serait très stricte (fouilles, interdiction de parler, de lire les journaux, etc.) ; toute protestation de la part des internés serait immédiatement suivie de sanctions (suspension du courrier, mise à la diète, etc.).
  7. 215. A la suite d'une procédure spéciale, d'autres militants auraient été emprisonnés sans avoir été présentés dans les vingt-quatre heures au juge d'instruction comme l'exige la loi ; ils auraient été assignés en résidence dans les locaux de la police où ils auraient été torturés.
  8. 216. Les plaignants allèguent enfin que de nombreux militants auraient été expulsés et contraints d'abandonner leur famille et leur emploi. D'autres seraient interdits de séjour dans plusieurs villes d'Algérie ; ils seraient en outre tenus de se présenter tous les jours au commissariat de police de leur lieu de résidence.
  9. 217. Les divers plaignants fournissent des listes de noms à l'appui des allégations analysées dans les paragraphes précédents.
    • Allégations relatives à la saisie ou à l'interdiction de publications syndicales
  10. 218. Les plaignants allèguent que la presse syndicale serait pratiquement interdite en Algérie. Le Travailleur algérien, organe officiel de l'Union générale des syndicats algériens, publié en langues arabe et française, après avoir été saisi à maintes reprises, aurait finalement été interdit. De son côté, l'Ouvrier algérien, organe de l'Union générale des travailleurs algériens, aurait été l'objet de saisies systématiques.
    • Allégations relatives à la perquisition et à l'occupation de locaux syndicaux
  11. 219. D'après les plaignants, les locaux de nombreux syndicats auraient été l'objet de perquisitions ; plusieurs d'entre eux auraient été pillés et saccagés ; d'autres auraient été occupés par l'armée et les C.R.S.
    • Allégations relatives à des mesures prises à l'encontre de grévistes
  12. 220. A la suite de grèves déclenchées en décembre 1956 et janvier 1957, plusieurs dirigeants et militants syndicaux auraient été arrêtés. A la suite de la grève générale de février 1957, l'Administration aurait ordonné aux employeurs du secteur privé le licenciement des grévistes ; l'Administration aurait adopté en outre la sanction de la suspension et de la traduction devant les tribunaux dans le cas de refus d'obéissance aux ordres de réquisition à l'encontre des fonctionnaires et travailleurs du secteur public. De la sorte, 80 pour cent des cheminots auraient été suspendus, 50 pour cent des employés de commerce licenciés, 2.000 ouvriers du commerce et de l'industrie licenciés, 183 fonctionnaires traduits devant les tribunaux et condamnés à des peines variant de 8 à 15 jours de prison.
    • Allégations relatives à la restriction de l'activité des dirigeants syndicalistes
  13. 221. L'un des plaignants allègue enfin le refus des autorités compétentes à la sortie du territoire algérien de certains représentants syndicaux qui devaient se rendre à l'étranger pour participer à des réunions syndicales internationales. Il en aurait notamment été ainsi du délégué de l'U.G.T.A, lequel aurait été empêché de se rendre à la Conférence régionale africaine de la C.I.S.L.
    • ANALYSE DES PREMIERES REPONSES DU GOUVERNEMENT
  14. 222. Par deux communications en date des 22 et 23 janvier 1957, le gouvernement a fait parvenir ses observations sur la plainte de la Fédération syndicale mondiale et sur la plainte de l'Union tunisienne de l'artisanat et du commerce, laquelle, il convient de le rappeler, protestait contre l'arrestation des dirigeants de l'Union générale du commerce algérien (U.G.C.A). Ces deux séries d'observations sont analysées séparément ci-dessous.
    • Communication du 22 janvier 1957 (Observations sur la plainte de la Fédération syndicale mondiale)
    • Allégations relatives au retrait de la représentativité à certaines unions syndicales
  15. 223. Dans sa réponse, le gouvernement indique que, depuis le 1er juillet 1956, l'Union générale des syndicats algériens (U.G.S.A.) est devenue une centrale syndicale autonome, affiliée directement à la F.S.M. (décision rendue publique par la F.S.M en octobre 1956). L'U.G.S.A. a donc rompu avec la C.G.T française, dont elle est devenue l'égale. De même, elle s'est alignée sur le plan algérien avec les deux centrales nationalistes musulmanes (U.S.T.A et U.G.T.A), dont la création remonte à février 1956. Auparavant, l'U.G.S.A. était une union régionale de la C.G.T groupant les trois unions départementales d'Alger, d'Oran et de Constantine. L'U.G.S.A. étant restée attachée à la C.G.T jusqu'au 1er juillet 1956, aucune mesure n'a été prise contre elle jusqu'à cette date ; elle existait légalement et son caractère représentatif ne fut jamais contesté. Il n'en fut pas de même de l'U.S.T.A et de l'U.G.T.A, transpositions, sur le plan syndical, l'une du Front de libération nationale (F.L.N), l'autre du Mouvement national algérien (M.N.A). Dès la constitution de ces centrales et dès qu'elles eurent fait leurs professions de foi nationalistes, des dispositions furent prises pour les priver de toute représentation dans les organismes consultatifs ou délibérants aussi bien du secteur privé que du secteur public.
  16. 224. Le gouvernement poursuit en indiquant que des instructions ont été données afin de surseoir à toute élection de délégués du personnel. Ultérieurement, le décret no 56-565 décida la prorogation du mandat des délégués élus ou désignés, mesure conservatoire qui n'atteignait que l'U.G.T.A et l'U.S.T.A, celles-ci n'ayant aucun représentant dans aucun organisme. L'U.G.S.A. n'était pas atteinte et ses délégués restaient en fonctions au même titre que ceux de la C.F.T.C ou de la C.G.T. - F.O.
  17. 225. C'est dans la transformation de l'U.G.S.A. en centrale nationale et dans la disparition de la C.G.T. - déclare le gouvernement - que réside la cause directe de la suppression de la représentativité dont bénéficiaient les délégués élus ou désignés au titre de la C.G.T. Ce fut l'objet de la circulaire du 6 octobre 1956, suivie du décret no 56-276 du 26 novembre. Ces textes prescrivaient aux administrations et services d'avoir à rompre toute relation avec les représentants de l'U.G.S.A. et mettaient fin aux mandats de ceux-ci dans tous les organismes institués dans les secteurs public et privé. Les arrêtés d'application sont en cours. Les sièges détenus par les représentants de l'ex-C.G.T sont attribués aux organisations dont la représentativité est reconnue. Un premier arrêté du 22 décembre accorde le caractère représentatif aux quatre centrales libres dont l'indépendance est indiscutable. « L'U.G.S.A., l'U.S.T.A, l'U.G.T.A. - poursuit le gouvernement -, instruments de partis politiques en état de rébellion armée contre les lois de la République française, ne peuvent prétendre au bénéfice de mesures prises dans le cadre de la loi sur les pouvoirs spéciaux du 16 mars 1956. »
  18. 226. Le gouvernement fait remarquer en terminant que ces centrales syndicales ne sont pas interdites et qu'aucune mesure de dissolution n'a été prise à leur encontre ; elles ont un siège, tiennent des réunions sans entrave et lancent à tout moment des mouvements de grève « qui ne sont - précise le gouvernement - que des mots d'ordre d'agitation politique suivis par des travailleurs musulmans en proie à la crainte des représailles terroristes ».
    • Allégations relatives à des mesures prises à l'encontre de militants syndicaux
  19. 227. Le gouvernement commence par signaler que la référence faite par la F.S.M à la loi sur l'état d'urgence n'a aucune valeur, cette loi étant devenue caduque bien avant qu'elle ne soit remplacée par la loi du 16 mars 1956 sur les pouvoirs spéciaux. Il affirme ensuite que toutes les mesures visant des individus ayant participé activement à la rébellion ont été prononcées régulièrement en application de la loi sur les pouvoirs spéciaux et du décret du 17 mars. Il ajoute que les opinions politiques ou la qualité syndicale des intéressés ne sont pas en cause et précise que les motifs retenus sont généralement les suivants : reconstitution de ligues dissoutes, collectes de fonds, passages d'armes, assistance matérielle aux rebelles, propagation de mots d'ordre subversifs ou d'appels à l'émeute.
  20. 228. En ce qui concerne les conditions régnant dans les camps, le gouvernement répond en substance ce qui suit : le régime des camps d'hébergement est exempt de reproches en ce qui concerne notamment la nourriture et les conditions matérielles d'installation ; il ajoute que la Croix-Rouge internationale a eu d'ailleurs plusieurs fois l'occasion de le constater. L'allusion aux barbelés faite par le plaignant n'a pas grand sens ; certes, ils existent lorsque cela est nécessaire ; les hébergés sont en effet considérés comme dangereux pour l'ordre public et les précautions les plus sérieuses sont indispensables pour empêcher leur évasion ou leur libération par les rebelles. La nécessité d'une discipline se fait sentir comme dans tous les cas de vie communautaire, mais les hébergés, circulent librement à l'intérieur du camp. Il peut arriver que certaines mesures restrictives soient prise (suppression des visites, des journaux, etc.) en raison de l'attitude hostile de certains hébergés. Ces mesures, indispensables pour maintenir la discipline, n'ont d'ailleurs qu'un caractère essentiellement provisoire. A aucun moment la situation matérielle des hébergés, notamment en ce qui concerne la nourriture, n'a subi de restrictions et aucun exemple de sévices ou de mauvais traitements ne peut être invoqué.
  21. 229. En ce qui concerne les tortures dont auraient été victimes certains militants syndicalistes, le gouvernement rejette cette allégation comme étant un argument de propagande politique entièrement dénué de fondement. Il ressort du rapport établi par un inspecteur général de l'Administration en Algérie qu'aucuns sévices n'ont été exercés sur les emprisonnés ou les internés. « Par ailleurs - ajoute le gouvernement - pour couper court aux fausses allégations lancées à ce sujet par le Parti communiste algérien, actuellement dissous, et reprises par le Parti communiste français, le gouvernement ne s'est pas opposé à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire, qui vient de terminer ses travaux. »
    • Allégations relatives à la saisie ou à l'interdiction de publications syndicales
  22. 230. Le Travailleur algérien, hebdomadaire de l'U.G.S.A., a été interdit le 24 mai 1956, c'est-à-dire avant la transformation de l'U.G.S.A. en centrale « nationale ». Cette mesure a été prise non pas en raison du caractère syndical de ce journal, mais à cause de son caractère politique. En effet, le Travailleur algérien était destiné, dans l'esprit des dirigeants communistes de l'U.G.S.A., à remplacer le quotidien Alger-Républicain et l'hebdomadaire Liberté, organes du Parti communiste algérien, dissous par décret le 12 septembre 1955.
  23. 231. Dès le 26 septembre, l'U.G.S.A. a adressé aux secrétaires des syndicats algériens une lettre-circulaire dans laquelle elle déclare : « Nous avons le plaisir de vous annoncer la parution sur quatre pages de notre hebdomadaire Travailleur algérien. Déjà, après l'interdiction arbitraire d'Alger-Républicain qui nous avait abrités chaque mardi, nous avons pu tirer sur deux pages un numéro la semaine dernière... Privés de leur journal chaque mardi par le coup de force perpétré à l'encontre d'Alger-Républicain, nous sommes certains que cette parution en elle-même galvanisera les énergies et que chaque quartier, chaque atelier, chaque bureau, voudra son contingent hebdomadaire. » Cette citation - comme beaucoup d'autres d'ailleurs - démontre aux yeux du gouvernement que le Travailleur algérien ne s'est pas cantonné dans des informations de caractère corporatif et syndical et qu'il a repris les thèmes de propagande communiste des journaux Liberté et Alger-Républicain.
    • Allégations relatives à l'occupation de locaux syndicaux
  24. 232. Il est incontestable - déclare le gouvernement - que le retrait de tout caractère représentatif à l'U.G.S.A. devait s'accompagner immédiatement de la suppression de l'occupation par cette organisation des locaux municipaux, avantage qui avait été concédé à la C.G.T. Aucune mesure de caractère général n'a cependant été prise et cette occupation continue. Seule l'autorité militaire a jusqu'ici procédé aux réquisitions qu'elle estimait nécessaires à ses besoins propres. Quant à présent, ces réquisitions ont été très peu nombreuses. A Alger, une partie des locaux du Foyer civique a permis l'installation d'un poste de police des unités territoriales et des services (employant 200 hommes) de la Poste aux armées. A Constantine, la nouvelle Maison des syndicats a été réquisitionnée en raison de l'absence de tous autres locaux, de même qu'à Bône, la Bourse du travail et à Guelma, les installations des associations agricoles, local patronal. A Perregaux et à Sidi-Bel-Abbás, les raisons données par l'autorité militaire sont à la fois l'absence d'autres locaux disponibles et la nécessité de libérer des établissements scolaires. « Quant aux scènes de pillage auxquelles auraient donné lieu les perquisitions, elles rejoignent - déclare le gouvernement - dans l'imagination du plaignant les tortures infligées aux militants. »
  25. 233. En conclusion, le gouvernement déclare que la liberté syndicale existe totalement en Algérie, avec l'unique réserve que seuls ne peuvent être tolérés les agissements tombant sous le coup de la loi et les manifestations susceptibles de troubler l'ordre public.
    • Communication du 23 janvier 1957 (Observations sur la plainte de l'Union tunisienne de l'artisanat et du commerce)
  26. 234. En guise d'introduction à sa réponse, le gouvernement présente les observations suivantes : l'Union générale du commerce algérien (U.G.C.A.) a été créée à Alger le 6 mai 1956 dans le but avoué de défendre les intérêts professionnels des commerçants algériens. Elle constitue, en fait, une filiale du Front de libération nationale (F.L.N.). Cela ressort, dit le gouvernement, de ses origines, de ses propres déclarations (articles de presse, tracts, documents divers), des antécédents politiques de ses principaux dirigeants, de ses activités.
    • Origines de l'U.G.C.A.
  27. 235. L'U.G.C.A a été constituée sous l'égide du F.L.N, qui cherche à étendre son influence sur tous les éléments actifs de la population musulmane d'Algérie. Le F.L.N a tout d'abord réussi à créer une centrale syndicale ouvrière spécifiquement musulmane : l'U.G.T.A. Ce premier objectif atteint, le F.L.N s'est attaché à constituer une centrale syndicale patronale. Il a repris pour ce faire à son compte le plan du P.P.A. - M.T.L.D. (Parti populaire algérien - Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Dès 1945, en effet, le P.P.A. - M.T.L.D avait envisagé de grouper tous les commerçants et artisans autochtones au sein d'une fédération des commerçants musulmans. Cette fédération a été effectivement créée en 1947 sous la présidence « d'un homme dynamique mais peu scrupuleux : Rihani Saddock ». Plusieurs groupements ont aussitôt donné leur adhésion à la fédération. Malgré un excellent départ, la fédération n'a pas tardé à végéter « en raison surtout des activités désordonnées et plus ou moins frauduleuses de Rihani ». Ce dernier a été déclaré en faillite en 1950 et exclu du P.P.A. - M.T.L.D en 1952. Fin novembre 1954, Rihani s'est rallié à Messali et a repris ses activités syndicales. Il a été abattu en septembre 1956 à Alger par un individu non identifié. Sans pouvoir établir qu'il s'agit en l'occurrence d'un règlement de compte M.N.A. - F.L.N, il n'en demeure pas moins, déclare le gouvernement, que la disparition de Rihani, en éliminant un concurrent messaliste dynamique, a servi les projets du F.L.N dans le domaine syndical.
    • Collusion du F.L.N et de l'U.G.C.A.
  28. 236. Dès le début de 1956, le F.L.N avait décidé de créer, sous son égide, une centrale syndicale patronale spécifiquement musulmane, intitulée Union générale des commerçants algériens. Le gouvernement cite alors le passage suivant relevé dans les archives du chef rebelle Krim Belkacem : « L'U.G.C.A, en gestation depuis de longs mois, doit prendre une place importante, à côté de l'organisation ouvrière soeur, l'U.G.T.A. Le F.L.N doit l'aider à se développer rapidement en créant les conditions politiques les plus favorables : a) lutter contre les impôts ; b) boycottage des grossistes colonialistes, poujadistes, apportant un soutien actif à la guerre impérialiste ; c) la récolte des fonds pour la résistance ; d) grèves politiques à solidarité insurrectionnelle. » Le gouvernement relève enfin plusieurs citations du journal El Igticad et Djazairi (L'Economie algérienne) dans ses numéros d'octobre et de novembre-décembre 1956: « L'U.G.C.A n'est pas une organisation de caractère professionnel, mais une association professionnelle algérienne, c'est-à-dire nationale. » « La négociation pour un cessez-le-feu en Algérie doit être discutée uniquement avec le F.L.N, représentant authentique et exclusif du peuple algérien. » « Il n'y a pas d'autre solution que d'entrer immédiatement en contact avec ceux qui se battent, c'est-à-dire avec l'unique interlocuteur valable, le F.L.N, représentant exclusif du peuple algérien. » « Les commerçants, les industriels et les artisans algériens estiment, en leur âme et conscience, que le Front de libération nationale représente authentiquement notre peuple et qu'il est, dans ces conditions, le seul interlocuteur valable. » Le gouvernement fait enfin allusion aux tracts distribués par l'U.G.C.A à l'occasion des grèves fomentées par elle en novembre 1956, tracts qui réclamaient « la fin immédiate de la guerre colonialiste par la négociation avec le F.L.N, unique porte-parole de l'Armée de libération nationale, représentant authentique et exclusif du peuple algérien ».
    • Antécédents politiques des dirigeants de l'U.G.C.A.
  29. 237. Le bureau provisoire de l'U.G.C.A a été constitué le 6 mai 1956. Son président était M. Ben Ouenniche, qui - déclare le gouvernement - appartient à une famille entièrement acquise au nationalisme et est connue pour ses attaches avec le F.L.N. M. Ben Ouenniche a mis sa propriété de Fort-de-l'Eau à la disposition des rebelles blessés pour leur servir d'hôpital. Les vice-présidents étaient les personnes suivantes : M. Abbas Turqui, administrateur de la société El Amal, connu pour ses attaches avec les Ouléma réformistes, le Cheikh Brahimi Bachir et Ferhat Abbas, leader de l'U.D.M.A, M. Bellarbi, ancien militant communiste, puis membre du P.P.A, et actuellement de tendance F.L.N, M. Hamdi-Aboulyakdan, ancien membre influent du P.P.A. - M.T.L.D, devenu depuis un fervent partisan du F.L.N. Le gouvernement indique ensuite que le bureau provisoire de l'U.G.C.A a été remanié à plusieurs reprises, à la suite, notamment, de l'arrestation de Ben Ouenniche. L'U.G.C.A est maintenant dirigée par Taleb Amar, ancien membre du comité directeur de l'U.D.M.A, qui a été chargé - déclare le gouvernement - d'organiser la collecte des fonds au profit du F.L.N et de mettre un terme aux détournements dont se sont rendus coupables certains collecteurs.
    • Activités de l'U.G.C.A.
  30. 238. Le premier congrès de l'U.G.C.A s'est tenu à Alger les 13 et 14 septembre 1956 sous la présidence de M. Ben Ouenniche. La journée du 14 septembre s'est terminée par une grande réunion politique à laquelle assistaient quelque 300 personnes. En termes violents, tous les orateurs : Aichoune Omar (Syndicat des laitiers), Belloul Akli (Syndicat des boulangers) et Kerma Mohamed (Union tunisienne de l'artisanat et du commerce) ont fait l'apologie du F.L.N et déclaré qu'il ne pouvait y avoir qu'une seule issue au problème algérien : la négociation avec les combattants, c'est-à-dire avec le F.L.N, seul interlocuteur valable. Kerma Mohamed - déclare le gouvernement - a notamment précisé « L'U.G.T.A a été le premier pilier de l'indépendance ; le second, c'est aujourd'hui l'U.G.C.A, demain il y en aura un troisième, l'Union générale des agriculteurs algériens. » Au cours de la manifestation, chaque allusion à la « lutte du peuple algérien pour son indépendance » ainsi qu'aux combattants du F.L.N a été accueillie par des ovations.
  31. 239. Après avoir tenu son premier congrès, l'U.G.C.A s'est préoccupée d'étendre son action en recrutant de nombreux adhérents et en constituant de nouveaux syndicats. Le 24 octobre, elle a invité les commerçants musulmans à fermer leurs magasins, le 1er novembre, à l'occasion du deuxième anniversaire des événements du 1er novembre 1954. Elle a également demandé aux dirigeants de l'U.G.T.A, organisation ouvrière d'obédience F.L.N, de s'associer au mouvement. L'ordre de grève a été suivi par la quasi-totalité des commerçants musulmans de l'agglomération algéroise. Deux autres cessations du travail ont eu lieu, à l'instigation de l'U.G.C.A, en novembre 1956. Une nouvelle grève de huit jours est en préparation, ayant pour but - déclare le gouvernement - d'attirer l'attention des Nations Unies sur le problème algérien. Le gouvernement conclut d'ailleurs en déclarant que toutes ces manifestations rentrent dans le cadre de la propagande organisée par le F.L.N à l'occasion de la onzième session de l'Assemblée générale des Nations Unies.
    • DECISIONS ANTERIEURES DU COMITE
  32. 240. Saisi du cas à sa seizième session (Genève, février 1957), le Comité, avant de formuler sur lui ses conclusions définitives, a décidé, d'une part, d'attendre les observations du gouvernement sur la plainte de la C.I.S.L parvenue trop tardivement pour avoir permis à ce dernier de répondre à son sujet, d'autre part, de solliciter du gouvernement des informations complémentaires sur certains points particuliers.
  33. 241. Cette demande d'informations portait sur les questions suivantes a) après avoir noté la déclaration du gouvernement selon laquelle le fait d'avoir perdu leur caractère représentatif n'empêchait pas les organisations mises en cause de fonctionner librement, le Comité a chargé le Directeur général de demander au gouvernement de bien vouloir indiquer au Comité si ce libre fonctionnement s'assortissait du droit pour ces organisations de prendre part à des négociations collectives ; b) le Comité a, en outre, chargé le Directeur général d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel toute personne arrêtée doit bénéficier des garanties d'une procédure judiciaire régulière engagée le plus rapidement possible et de lui demander de bien vouloir le tenir informé des procédures appliquées aux personnes détenues mentionnées par les plaignants et, le moment venu, du résultat des poursuites éventuellement engagées.
  34. 242. Le Directeur général a fait part de ces décisions du Comité au gouvernement de la France par une lettre en date du 8 mars 1957.
    • ANALYSE DE LA REPONSE DU GOUVERNEMENT A LA DEMANDE D'INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES FORMULEE PAR LE COMITE
  35. 243. Par une communication en date du 19 avril 1957, le gouvernement de la France a fait parvenir au Bureau les informations complémentaires sollicitées par le Comité.
  36. 244. Dans sa réponse, le gouvernement indique que le retrait du caractère représentatif aux organisations mises en cause entraîne nécessairement l'impossibilité pour elles de participer à celles des négociations collectives qui sont réservées par la loi aux syndicats professionnels reconnus les plus représentatifs ; c'est ainsi, par exemple, que les organisations visées ne pourront prendre part à l'élaboration des conventions collectives susceptibles d'extension. Dans le cadre de l'entreprise, par contre - ajoute le gouvernement - la liberté syndicale autorise toutes les négociations prévues par le Code du travail comme étant des manifestations normales des relations entre employeurs et employés.
  37. 245. En ce qui concerne le deuxième point sur lequel portait la demande d'informations du Comité, à savoir la procédure qui a présidé à l'envoi de certaines personnes dans des camps d'hébergement, le gouvernement, dans sa réponse, fait valoir ce qui suit : a) que les opinions politiques ou la qualité syndicale des personnes atteintes ne sont pas en cause ; b) que « l'assignation à résidence », ainsi que « l'interdiction de séjour » sont des mesures d'ordre administratif ; c) que le pouvoir de les appliquer a été donné au gouvernement par la loi du 16 mars 1956, qu'elles sont essentiellement provisoires et limitées à l'Algérie et qu'elles présentent un caractère exceptionnel justifié par les seules nécessités de la protection des personnes et des biens ; d) que les personnes ayant fait l'objet de mesures d'internement administratif ont pris une part active à la rébellion, les principaux motifs retenus étant : reconstitution de ligues dissoutes, collectes de fonds pour les rebelles, passages d'armes, assistance matérielle aux rebelles, propagation de mots d'ordre subversifs ou d'appels à l'émeute ; e) que les assignés à résidence ont la faculté de former un recours en annulation de l'arrêté qui les a frappés et d'être assistés d'un avocat ; f) que l'annulation de l'arrêté entraîne leur libération immédiate.
    • ANALYSE DES DERNIÈRES REPONSES DU GOUVERNEMENT
  38. 246. Par trois communications en date du 21 mai 1957, le gouvernement a présenté ses observations sur les plaintes de la C.I.S.L, de la C.G.T et de la Confédération internationale des syndicats arabes. Ces plaintes portant sur la situation générale du mouvement syndical en Algérie, c'est-à-dire, revêtant le même caractère général que les plaintes sur lesquelles le gouvernement avait déjà répondu, ce dernier, dans ses dernières communications, reprend la plupart des commentaires qu'il avait précédemment eu l'occasion de présenter. Dans ces conditions, l'analyse ci-dessous ne portera que sur les points qui n'avaient pas encore fait l'objet d'observations de la part du gouvernement.
    • Allégations relatives à des mesures prises à l'encontre de grévistes
  39. 247. Le gouvernement déclare que la grève générale du 5 juillet 1956 mentionnée par les plaignants avait un caractère éminemment insurrectionnel. Aucun licenciement n'a été prononcé à la suite de cette grève dans l'Administration, où des mesures d'ordre administratif ont été prises, telles qu'avertissement, blâme, diminution ou suppression des indemnités ou primes de rendement et de fin d'année, privation, enfin, selon les cas, d'un certain nombre de jours de traitement. Le gouvernement précise que ces mesures ont été en partie rapportées par la suite. Le gouvernement déclare en outre qu'aucun ordre de licenciement n'a été donné aux chefs d'entreprise et que s'il est possible que ceux-ci aient pris des décisions de licenciement pour « rupture de contrat », de telles mesures ne sont pas le fait, direct ou indirect, des autorités publiques.
  40. 248. En ce qui concerne la grève de 48 heures déclenchée le 31 décembre 1956 dans les tramways algérois, le gouvernement déclare que cette grève a été organisée par les dirigeants U.G.T.A à la suite des incidents auxquels avaient donné lieu les obsèques de M. Froger, assassiné peu de temps auparavant. Elle ne présentait aucun caractère professionnel. « La grève des traminots - poursuit le gouvernement - fut exploitée pour le déclenchement d'une « grève générale de solidarité » le 3 janvier, laquelle fut un gros échec pour l'U.G.T.A. Il est certain que les sanctions prises à l'encontre des « organisateurs de la grève » l'ont bien été pour cette raison. »
  41. 249. Quant à la grève générale du début de février 1957, le gouvernement déclare que « le caractère insurrectionnel de cette « grève générale » n'est plus à démontrer ». Les mesures prises par le gouvernement pour la prévenir et pour la réprimer l'ont été dans le cadre de la loi du 16 mars 1956. Des fonctionnaires et assimilés ont été licenciés, suspendus temporairement, rétrogradés, mutés ou condamnés à des peines de prison fermes ou avec sursis pour refus d'obtempérer à un ordre de réquisition ou entrave à la liberté du travail. Les licenciements d'ouvriers n'ont d'aucune manière été provoqués par des instructions administratives. Par ailleurs, beaucoup d'employeurs ont repris une partie de leur personnel (20 pour cent en moyenne) et la plupart des ouvriers non repris ont trouvé de l'embauche dans des maisons similaires. Le gouvernement souligne que toutes les mesures ayant frappé les fonctionnaires ont été suspendues à la date du 15 mars et que seules ont été maintenues les peines provenant de condamnations encourues en correctionnelle.
    • Allégations relatives à la restriction de l'activité des dirigeants syndicalistes
  42. 250. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle certains représentants de l'U.G.T.A se seraient vu refuser le permis de sortie alors qu'ils entendaient se rendre à l'étranger pour participer à des réunions syndicales internationales, le gouvernement donne les informations suivantes : un seul représentant de l'U.G.T.A, M. Allal Abdelkader, a fait une demande de passeport ; cette pièce ne lui a pas été délivrée ; disparu depuis le 4 janvier, M. Abdelkader a été fait prisonnier le 29 mars au cours d'une opération contre le groupe armé de rebelles auquel il appartenait ; il est actuellement inculpé d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat. Le gouvernement affirme que l'U.G.T.A ne fait l'objet d'aucune mesure discriminatoire en ce qui concerne l'autorisation de sortie d'Algérie ; ses militants ont les mêmes droits et les mêmes obligations que tous les habitants de l'Algérie et de la France métropolitaine.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 251. La France a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais ne s'est pas engagée formellement à appliquer ses dispositions à l'Algérie, qui est considérée comme un territoire non métropolitain dans le sens de l'article 35 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail. Toutefois, le Comité, conformément à sa pratique habituelle, s'est inspiré des principes généraux de cette convention en examinant le cas présent.
    • Allégations relatives au retrait de la représentativité à certaines organisations syndicales
  2. 252. Les plaignants allèguent que plusieurs unions syndicales algériennes se seraient vu retirer tout caractère représentatif.
  3. 253. Le gouvernement, dans sa réponse, ne nie pas la mesure alléguée par les plaignants. Il précise toutefois que l'U.S.T.A et l'U.G.T.A sont des transpositions, sur le plan syndical, l'une du F.L.N, l'autre du M.N.A, tous deux des mouvements politiques nationalistes, et que c'est pour cette seule raison qu'elles ont été privées, dès leur création, de toute représentation dans les organismes consultatifs et délibérants aussi bien du secteur privé que du secteur public.
  4. 254. En ce qui concerne l'U.G.S.A., sur laquelle porte principalement la plainte de la F.S.M, le gouvernement indique que cette union était, originairement, une union régionale de la C.G.T groupant les trois unions départementales d'Alger, d'Oran et de Constantine. Elle est restée attachée à la C.G.T jusqu'au 1er juillet 1956 ; jusqu'à cette date, jamais son caractère représentatif ne fut contesté ni aucune mesure prise contre elle.
  5. 255. Le 1er juillet 1956, l'U.G.S.A. a rompu avec la C.G.T pour devenir une centrale syndicale « nationale » autonome, directement affiliée à la F.S.M et elle a pris, dès ce moment, un caractère éminemment politique. Le gouvernement déclare que c'est à la fois dans cette transformation de l'U.G.S.A. et dans sa séparation d'avec la C.G.T que doit être cherchée la cause directe de la suppression de la représentativité dont bénéficiaient les délégués élus ou désignés au titre de la C.G.T.
  6. 256. En automne 1956, il fut mis fin aux mandats des représentants de l'U.G.S.A. dans tous les organismes institués dans les secteurs public et privé. Les sièges anciennement détenus par ceux qui étaient des représentants de la C.G.T ont été attribués aux organisations dont la représentativité est reconnue. Un arrêté du 22 décembre 1956 accorde le caractère représentatif aux quatre centrales libres dont l'indépendance, aux yeux du gouvernement, est indiscutable. Le gouvernement conclut en indiquant que des organisations telles que l'U.G.S.A. - instruments d'un parti politique « en état de rébellion armée contre les lois de la République française » - ne sauraient prétendre au bénéfice d'une représentativité reconnue aux autres organisations qui sont, elles, proprement syndicales.
  7. 257. Le gouvernement a toutefois ajouté que le fait d'avoir perdu leur caractère représentatif ou de se l'être vu refuser dès leur création n'a entraîné pour les organisations intéressées aucune mesure d'interdiction ou de dissolution. Ces organisations, précise le gouvernement, ont un siège, tiennent sans entrave des réunions et lancent librement des mouvements de grève.
  8. 258. En outre, dans sa réponse à la demande d'informations complémentaires formulée par le Directeur général au nom du Comité, le gouvernement a indiqué que le retrait du caractère représentatif aux organisations mises en cause entraîne nécessairement l'impossibilité pour elles de participer à celles des négociations collectives qui sont réservées par la loi aux syndicats professionnels reconnus les plus représentatifs, sur la base de critères établis par la loi ; c'est ainsi, par exemple, que les organisations visées ne pourront pas prendre part à l'élaboration des conventions collectives susceptibles d'extension. Dans le cadre de l'entreprise, par contre - ajoute le gouvernement -, la liberté syndicale autorise toutes les négociations prévues par le Code du travail comme étant des manifestations normales des relations entre employeurs et employés.
  9. 259. Le texte qui traite de cette question en France est la loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs du travail, qui a porté modification du Code du travail et a été rendue applicable en Algérie. D'après ses dispositions, toute organisation syndicale de travailleurs a le droit de conclure des conventions collectives, mais seules les organisations syndicales nationales de travailleurs considérées comme les plus représentatives peuvent participer à la conclusion de conventions collectives pour l'ensemble du territoire, et seules les organisations syndicales de travailleurs les plus représentatives d'une branche d'activité peuvent conclure des conventions collectives régionales et locales susceptibles d'être rendues obligatoires pour tous les employeurs et travailleurs compris dans le champ d'application de la convention, par arrêté du ministre du Travail et de la Sécurité sociale (article 31 f) à 31 j) du chapitre IVbis du titre II du livre 1er du Code du travail).
  10. 260. La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères suivants : les effectifs ; l'indépendance ; les cotisations ; l'expérience et l'ancienneté du syndicat ; l'attitude patriotique pendant l'occupation (article 31 f)).
  11. 261. A plus d'une reprise, le Comité a exprimé l'avis que le droit aux négociations collectives constitue un aspect important du droit syndical et a souligné le principe que « les syndicats devraient avoir le droit, par voie de négociations collectives ou par d'autres moyens licites, de chercher à améliorer les conditions de vie et de travail de ceux qu'ils représentent et que les autorités publiques devraient s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal ». Dans le cas présent, le retrait de la représentativité n'a certes pas complètement privé les organisations intéressées de toute possibilité de négociation collective, puisque ces organisations conservent, de par la loi, la possibilité de conclure des conventions collectives ordinaires. Il n'en reste pas moins que lesdites organisations se sont vu refuser, par le retrait ou le refus de la représentativité, le droit de participer aux négociations présentant la plus grande importance du fait qu'elles aboutissent à la conclusion de conventions locales, régionales ou nationales ayant un vaste champ d'application et pouvant être rendues obligatoires à tous les employeurs et travailleurs intéressés par décision ministérielle. Il semble normal que le droit de participer à de telles négociations soit réservé à des organisations répondant à certains critères de représentativité, et le Code du travail établit des critères généraux à cet égard. La question qui pourrait donc se poser est de savoir dans quelle mesure les organisations auxquelles la représentativité a été retirée ou refusée ont cessé de répondre à ces critères, ou n'y ont jamais répondu.
  12. 262. Il semble ressortir de la réponse du gouvernement français que la cause du retrait ou du refus du caractère représentatif a une double origine : d'une part, le fait que l'U.G.S.A. s'est séparée d'avec la C.G.T et s'est déclarée autonome et « nationale », ce qui a décidé la suppression de la représentativité dont bénéficiaient les délégués élus ou désignés au titre de la C.G.T, et, d'autre part, l'activité politique des diverses organisations en question, qui aurait débordé largement le cadre syndical. Il est à noter du reste que l'un des plaignants attribue lui-même ce retrait de représentativité à la position prise par les organisations intéressées « en faveur des droits souverains du peuple algérien ». Le gouvernement a considéré que les organisations dont il s'agit ont placé au premier plan de leurs activités la promotion de doctrines propres à certains mouvements politiques auxquels elles seraient inféodées, partis qui préconisent et s'efforcent d'amener par la force le renversement de l'ordre établi. Cette position a été jugée par le gouvernement comme étant incompatible avec le critère de l'indépendance, qui est, en droit français, l'un de ceux dont on doit tenir compte pour déterminer si une organisation est ou n'est pas représentative.
  13. 263. La résolution adoptée par la Conférence à sa 35ème session, en 1952, et portant sur l'indépendance du mouvement syndical laisse entendre dans son article 5 que, lorsque les syndicats décident d'établir des relations avec un parti politique ou d'entreprendre une action politique, celle-ci devra être conforme à la Constitution et respecter les lois et usages en vigueur dans le pays. Le Comité a tenu compte de ce principe en examinant le cas no 62 relatif aux Pays-Bas, dans lequel le gouvernement intéressé a fait valoir que, quels que soient les critères pour déterminer si une organisation est représentative, il convient d'avoir la certitude que cette organisation « respecte la Constitution et a effectivement la volonté et la capacité de fournir une contribution constructive à l'oeuvre de collaboration et d'en assumer les responsabilités ».
  14. 264. Par ailleurs, il y a lieu de constater en l'occurrence que, s'il apparaît que les organisations intéressées ont eu une activité politique d'une portée dépassant celle qui s'attache normalement aux activités professionnelles des syndicats, cette activité, qui a été jugée par le gouvernement comme portant atteinte à leur indépendance, n'a pas été considérée comme de nature à justifier l'ouverture d'une procédure judiciaire visant à faire prononcer leur suspension ou dissolution, puisque - comme le gouvernement l'indique - les organisations en question continuent à avoir leur siège et à exercer des activités syndicales. Il y a lieu de tenir compte, en outre, du fait qu'en ce qui concerne les effectifs de ces organisations - qui constituent un autre des critères de la représentativité - le gouvernement ne conteste pas leur importance numérique, mais que, depuis que l'U.G.S.A. s'est détachée de la C.G.T, des élections syndicales ne paraissent pas s'être déroulées en Algérie pour permettre d'apprécier si l'importance de cette organisation a ou non été affectée par cette décision. Enfin, il y a lieu de constater que les décisions relatives à la représentativité d'une organisation sont prises par les autorités exécutives sur la base des critères généraux établis par la loi de 1950.
  15. 265. Dans ces conditions, le Comité estime approprié de recommander au Conseil d'administration de noter que, si le retrait de la représentativité ou le refus de reconnaître le caractère représentatif des organisations intéressées n'a pas supprimé pour ces organisations toute possibilité de négociation collective, il a eu cependant pour effet de réduire leur autorité et de les priver de la possibilité de participer aux négociations présentant la plus grande importance, et d'appeler l'attention du gouvernement français sur le fait que si, compte tenu de la situation existant à l'heure actuelle en Algérie, la décision en question peut, dans une certaine mesure, s'expliquer par les activités politiques de ces organisations, il serait néanmoins souhaitable que, pour éviter toute possibilité d'abus et de critique, des décisions ayant de telles conséquences soient dans tous les cas prises en vertu d'une procédure offrant toutes garanties d'impartialité, et cela étant donné l'importance que le Conseil d'administration attache au droit pour les syndicats de chercher à améliorer, par voie de négociations collectives, les conditions de vie et de travail de ceux qu'ils représentent, sans que les autorités publiques interviennent de manière à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
  16. 266. D'autre part, étant donné qu'il apparaît que les organisations intéressées ont eu une activité politique d'une portée dépassant celle qui s'attache normalement aux activités professionnelles des syndicats, le Comité estime approprié, comme il l'a fait dans des circonstances analogues, de recommander au Conseil d'administration d'exprimer l'avis que, dans l'intérêt du développement normal du mouvement syndical en Algérie, il serait désirable que les parties intéressées s'inspirent des principes énoncés dans la résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session, en 1952, qui prévoit notamment que l'objectif fondamental et permanent du mouvement syndical est le progrès économique et social des travailleurs, et que, lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec les partis politiques ou d'entreprendre une action politique pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays.
    • Allégations relatives à des mesures prises à l'encontre de militants syndicalistes
  17. 267. Les plaignants allèguent que les autorités publiques prennent de sévères mesures antisyndicales et ont notamment procédé à l'arrestation ou à la déportation de nombreux dirigeants et militants syndicaux dont les plaignants donnent des listes. L'un des plaignants allègue en outre que trois militants syndicaux, MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour auraient été assassinés après leur arrestation le 27 mars 1956.
  18. 268. Dans sa réponse, le gouvernement commence par opposer un démenti formel aux allégations selon lesquelles les détenus auraient été l'objet de sévices. Il invoque à l'appui de son affirmation les constatations de la Croix-Rouge internationale, dont les représentants ont à plusieurs reprises effectué des inspections dans les camps et les prisons.
  19. 269. D'autre part, le gouvernement déclare que toutes les mesures visant les individus mentionnés par les plaignants ont été prononcées régulièrement en application de la loi. Il s'agit en l'occurrence d'une législation de circonstance pour le rétablissement de l'ordre en Algérie, la loi du 16 mars 1956 sur les pouvoirs spéciaux. Cette loi donne au gouvernement le pouvoir d'appliquer des mesures d'ordre administratif (assignation en résidence, interdiction de séjour) lesquelles sont essentiellement provisoires et limitées à l'Algérie ; elles ont, précise le gouvernement, un caractère exceptionnel justifié par les nécessités de la protection des personnes et des biens.
  20. 270. En ce qui concerne les raisons qui sont à l'origine des mesures adoptées par le gouvernement, celui-ci déclare qu'elles sont absolument étrangères à la qualité syndicale des personnes qui en ont été l'objet ou même à leurs opinions politiques. Il précise que toutes les personnes arrêtées ou placées sous surveillance l'ont été en raison des activités subversives auxquelles elles se livraient et indique que les motifs retenus contre elles ont été les suivants : reconstitution de ligues dissoutes, collectes de fonds en faveur des insurgés, passages d'armes, assistance matérielle aux rebelles, propagation de mots d'ordre subversifs ou d'appels à l'émeute.
  21. 271. Répondant enfin à la demande d'information complémentaires formulée au nom du Comité par le Directeur général, le gouvernement indique que les personnes qui ont été l'objet des mesures incriminées ont la faculté de former un recours en annulation de l'arrêté qui les a frappées et d'être assistées d'un avocat, et il précise que l'annulation de l'arrêté entraîne leur libération immédiate.
  22. 272. Il ressort assez clairement des réponses précises et circonstanciées du gouvernement que les mesures prises à l'encontre des personnes mentionnées dans les plaintes n'ont pour origine ni la qualité de syndicalistes de ceux qui en ont été frappés ni les activités syndicales de ces derniers, mais bien d'autres activités d'ordre politique et insurrectionnel dont la nature exacte est indiquée par le gouvernement (passages d'armes, assistance matérielle aux rebelles, appels à l'émeute, etc.). Dans des cas antérieurs relatifs au Pakistan et à l'Iran, le Comité a estimé que les mesures prises par les gouvernements intéressés avaient été justifiées. Toutefois, dans plusieurs cas soumis précédemment au Comité, et dans lesquels il était allégué que des membres de syndicats avaient été l'objet de mesures de détention préventive, ce qui paraît bien être le cas en ce qui concerne les personnes mises en cause dans la présente affaire, le Comité a exprimé l'opinion que les mesures de détention peuvent impliquer une grave ingérence dans les activités syndicales, qui semblerait devoir être justifiée par l'existence d'une crise sérieuse et qui pourrait donner lieu à des critiques, à moins qu'elle ne soit accompagnée de garanties juridiques appropriées, mises en oeuvre dans des délais raisonnables ; il a déclaré, d'autre part, que chaque gouvernement devrait veiller à assurer le respect des droits de l'homme, et tout spécialement du droit de toute personne détenue de faire l'objet d'un jugement équitable dans les plus brefs délais possible.
  23. 273. Dans le cas présent, le gouvernement soutient que l'adoption de mesures d'ordre administratif à caractère préventif en Algérie est due à l'existence d'une crise de caractère exceptionnel. Tout en reconnaissant le caractère exceptionnel de la situation actuelle en Algérie, et tout en prenant acte de la déclaration du gouvernement selon laquelle les personnes internées peuvent former un recours en annulation de l'arrêté qui les a frappées, le Comité estime nécessaire néanmoins de réaffirmer l'importance qu'il a toujours attachée, dans les cas de ce genre, à la garantie d'une procédure judiciaire régulière. D'autre part, lorsque, à l'occasion de cas précédents, les gouvernements ont répondu aux allégations selon lesquelles des dirigeants syndicaux ou des travailleurs avaient été arrêtés pour activités syndicales en déclarant que les personnes en cause avaient en fait été arrêtées pour leurs activités subversives, pour des raisons de sécurité intérieure ou pour des crimes de droit commun, le Comité a toujours suivi la règle consistant à prier les gouvernements intéressés de fournir des informations complémentaires aussi précises que possible sur les arrestations, et en particulier sur la procédure légale ou judiciaire suivie à la suite des arrestations et sur le résultat de ces procédures.
  24. 274. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étant étrangers à leur activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante ; d'exprimer le voeu que le gouvernement tiendra compte de ce principe et lui fera connaître en temps utile les procédures légales ou judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, et le résultat de telles procédures.
  25. 275. Il apparaît enfin que le gouvernement, dans sa réponse, s'abstient de faire allusion aux cas de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, dont l'un des plaignants allègue l'assassinat. Dans les cas où la mort d'un homme était alléguée, le Comité a toujours estimé qu'il lui était nécessaire d'obtenir les informations les plus complètes sur les circonstances qui ont conduit au décès des personnes mentionnées dans la plainte, si ce décès a effectivement eu lieu. En conséquence, le Comité recommande au Conseil d'administration de charger le Directeur général de demander, en son nom, au gouvernement français de bien vouloir lui fournir des informations détaillées sur cet aspect particulier du cas.
    • Allégations relatives à l'interdiction et à la saisie de publications syndicales
  26. 276. Les plaignants allèguent que plusieurs publications syndicales, parmi lesquelles le Travailleur algérien, organe officiel de l'Union générale des syndicats algériens, et l'Ouvrier algérien, organe de l'U.G.T.A, auraient été plusieurs fois saisis et que le premier aurait finalement été interdit.
  27. 277. Dans sa réponse, le gouvernement confirme la mesure d'interdiction alléguée par les plaignants. Il précise cependant que, dans l'esprit des dirigeants communistes de l'U.G.S.A., le Travailleur algérien était destiné à remplacer le quotidien Alger-Républicain et l'hebdomadaire Liberté, organes du Parti communiste algérien, dissous par décret le 12 septembre 1955. Le gouvernement reproduit à l'appui de son affirmation certains extraits du Travailleur algérien qui tendent à montrer que cette publication ne se bornait pas à donner dans ses colonnes des informations de caractère corporatif et syndical, mais reprenait les thèmes de propagande communiste qui figuraient jadis dans les journaux interdits. Le gouvernement indique en outre qu'avant l'interdiction d'Alger-Républicain, l'U.G.S.A. faisait toutes les semaines paraître des articles dans ce journal. Le gouvernement conclut en déclarant que les mesures prises à l'encontre des publications mentionnées par les plaignants l'ont été, non pas en raison du caractère syndical desdites publications, mais uniquement à cause de leur caractère politique et de leur action subversive.
  28. 278. Le Comité signale de nouveau, comme il l'a fait dans le cas no 125 concernant le Brésil, qu'il n'est pas appelé à examiner les questions relatives à la liberté de la presse en général, mais uniquement celles qui ont trait à la presse syndicale.
  29. 279. D'autre part, lors de l'étude d'une interdiction telle que celle qui est à examiner ici, il convient, comme le Comité l'a fait dans le cas no 75 (France-Madagascar), de distinguer parmi les publications syndicales celles qui traitent de problèmes normalement considérés comme rentrant directement ou indirectement dans la compétence des syndicats et celles qui ont manifestement un caractère politique ou antinational.
  30. 280. Dans le cas d'espèce, il semble ressortir des données dont dispose le Comité que si les publications qui ont fait l'objet d'une mesure de saisie ou d'interdiction étaient bien, en fait, des publications syndicales, ces publications avaient également un caractère éminemment politique que le gouvernement invoque pour justifier sa décision. En conséquence, tout en réaffirmant - comme il l'a fait dans le cas no 101 (Royaume-Uni-Guyane britannique) - que le droit d'exprimer des opinions au moyen de journaux ou de publications constitue un élément essentiel de la liberté syndicale, le Comité recommande au Conseil d'administration d'exprimer l'avis que les organisations syndicales, lorsqu'elles font paraître leurs publications, doivent tenir compte, dans l'intérêt du développement du mouvement syndical, des principes énoncés par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session « pour la protection de la liberté et de l'indépendance du mouvement syndical et la sauvegarde de sa mission fondamentale, qui est d'assurer le développement du bien-être économique et social de tous les travailleurs ».
    • Allégations relatives à l'occupation de locaux syndicaux
  31. 281. Les plaignants allèguent que les locaux de nombreuses organisations syndicales auraient été occupés par l'armée.
  32. 282. Dans sa réponse, le gouvernement commence par déclarer que le retrait de tout caractère représentatif à l'U.G.S.A. aurait dû normalement s'accompagner immédiatement de la suppression de l'occupation par cette organisation des locaux municipaux, avantage qui avait été concédé à la C.G.T. Il ajoute cependant qu'aucune mesure générale n'a été prise quant à présent et que l'occupation des locaux municipaux par l'U.G.S.A. se poursuit. En ce qui concerne les occupations de locaux alléguées par divers plaignants, le gouvernement indique qu'il s'agit de réquisitions effectuées par l'armée dans la mesure de ses besoins. Il ajoute que ces réquisitions sont en nombre très limité et donne une liste des locaux réquisitionnés, d'où il ressort qu'il ne s'agit pas uniquement de locaux syndicaux ouvriers mais aussi de locaux patronaux, d'écoles, etc. Le gouvernement déclare que l'armée ne s'est résolue à procéder aux réquisitions de locaux syndicaux qu'en l'absence de tous autres locaux disponibles.
  33. 283. Il semblerait donc que l'occupation de locaux syndicaux par l'armée ne constitue en rien une mesure dirigée contre les organisations syndicales en tant que telles mais résulte d'opérations militaires qui obligent l'armée à procéder à des réquisitions, lesquelles ne sont d'ailleurs pas limitées à des locaux syndicaux.
  34. 284. Dans ces conditions, compte tenu, d'une part, des opérations militaires de grande envergure qui se déroulent en ce moment en Algérie, étant donné, d'autre part, que les réquisitions effectuées par l'armée n'ont pas été limitées à des locaux syndicaux mais ont porté sur des locaux très divers, le Comité estime que les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes tendant à montrer qu'il y aurait eu, en l'occurrence, atteinte aux droits syndicaux et recommande, en conséquence, au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
    • Allégations relatives à des sanctions pour faits de grève
  35. 285. L'un des plaignants (C.I.S.L) allègue qu'à la suite de grèves déclenchées en Algérie à la fin de 1956 et au début de 1957, les autorités auraient donné l'ordre aux employeurs de licencier les grévistes ; d'autre part, les travailleurs du secteur public ayant participé à des grèves auraient été suspendus et traduits devant les tribunaux.
  36. 286. Dans sa réponse, le gouvernement déclare que les grèves auxquelles les plaignants font allusion avaient toutes un caractère insurrectionnel évident et étaient totalement étrangères à toute revendication d'ordre économique ou professionnel. C'est pour cette raison et pour cette raison seule, déclare-t-il, que certaines mesures de sanction ont été prises par l'Administration à l'encontre de travailleurs du secteur public de l'économie ; ces mesures, ajoute le gouvernement, ont d'ailleurs toutes été suspendues à la date du 15 mars 1957. En ce qui concerne le secteur privé, le gouvernement nie formellement avoir incité les employeurs à licencier ceux de leurs employés qui avaient participé aux grèves.
  37. 287. Dans les circonstances particulières dont l'Algérie est actuellement le théâtre, il est difficile de déterminer avec certitude si les manifestations dont il s'agit ont eu un caractère essentiellement professionnel ou politique. En fait, il peut advenir qu'au cours d'une même manifestation les revendications d'ordre professionnel et les revendications d'ordre politique soient mêlées. Dans le cas d'espèce, les plaignants n'allèguent pas que les grèves auxquelles ils font allusion aient eu un caractère professionnel ou économique. De son côté, le gouvernement dénie formellement aux grèves en question un tel caractère. Il soutient qu'il s'agissait en fait de mouvements insurrectionnels destinés à provoquer du désordre et à troubler l'ordre public. Il affirme que toutes les mesures - du reste suspendues ultérieurement - qui ont été prises, l'ont été, non pas à la suite d'une grève ordinaire, mais en raison du caractère subversif du mouvement. Or, si le Comité a toujours considéré le droit de grève comme étant un des droits fondamentaux des travailleurs et de leurs organisations, c'est dans la mesure seulement où il constitue un moyen de défense de leurs intérêts économiques.
  38. 288. Certes, des mesures de police ou de répression qui tendraient délibérément à mettre obstacle aux activités de défense professionnelle des syndicats constitueraient des atteintes à la liberté syndicale. Il en serait de même de mesures qui porteraient préjudice à un travailleur en raison de ses seules activités syndicales. Il ne semble pas, toutefois, que les plaignants aient, dans le cas d'espèce, apporté des preuves suffisantes pour démontrer qu'il en ait été ainsi ; il ressort au contraire de la réponse du gouvernement qu'aucune entrave ne paraît avoir été apportée à l'exercice même du droit de grève à des fins de défense professionnelle.
  39. 289. Dans ces conditions, le Comité estime, pour les raisons indiquées aux paragraphes 285 à 288 ci-dessus et sous réserve des observations qui y sont contenues, que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi de la part du Conseil d'administration.
    • Allégations relatives à la restriction de l'activité des dirigeants syndicalistes
  40. 290. Il est allégué par l'un des plaignants (C.I.S.L) que les autorités compétentes se seraient opposées à la sortie du territoire algérien de certains représentants syndicaux qui devaient se rendre à l'étranger pour participer à des réunions syndicales internationales ; il en aurait notamment été ainsi du délégué de l'U.G.T.A, lequel aurait été empêché de se rendre à la Conférence régionale africaine de la C.I.S.L.
  41. 291. Le gouvernement déclare qu'une seule personne - M. Abdelkader, représentant de l'U.G.T.A. - a fait une demande de passeport. Cette pièce ne lui a pas été délivrée car, disparu le 4 janvier, M. Abdelkader a été fait prisonnier le 29 mars au cours d'une opération contre le groupe armé de rebelles auquel il appartenait et il est actuellement inculpé d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat.
  42. 292. Dans ces conditions, tout en rappelant l'importance qu'il attache au principe selon lequel le droit des organisations nationales de travailleurs de s'affilier à des organisations internationales, droit qui constitue un aspect important de la liberté syndicale, entraîne normalement le droit pour les représentants des organisations nationales de se tenir en contact avec les organisations internationales auxquelles sont affiliées leurs organisations et de participer aux travaux de ces organisations internationales, le Comité estime que, dans le cas d'espèce, les plaignants n'ont pas apporté la preuve qu'il y ait eu atteinte au principe rappelé à l'instant et, en conséquence, recommande au Conseil d'administration de décider, sous réserve de l'observation qui précède, que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 293. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de noter que, si le retrait de la représentativité ou le refus de reconnaître le caractère représentatif de certaines organisations n'a pas supprimé pour ces organisations toute possibilité de négociation collective, il a eu cependant pour effet de réduire leur autorité et de les priver de la possibilité de participer aux négociations présentant la plus grande importance ; d'appeler l'attention du gouvernement français sur le fait que si, compte tenu de la situation existant à l'heure actuelle en Algérie, la décision en question peut, dans une certaine mesure, s'expliquer par les activités politiques de ces organisations, il serait néanmoins souhaitable que, pour éviter toute possibilité d'abus et de critique, des décisions ayant de telles conséquences soient, dans tous les cas, prises en vertu d'une procédure offrant toutes garanties d'impartialité, et cela étant donné l'importance qu'il attache au droit pour les syndicats de chercher à améliorer par voie de négociations collectives les conditions de vie et de travail de ceux qu'ils représentent, sans que les autorités publiques interviennent de manière à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal;
    • b) d'exprimer l'avis que, dans l'intérêt du développement normal du mouvement syndical en Algérie, il serait désirable que les parties intéressées s'inspirent des principes énoncés dans la résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session, en 1952, qui prévoit notamment que l'objectif fondamental et permanent du mouvement syndical est le progrès économique et social des travailleurs, et que, lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec les partis politiques ou d'entreprendre une action politique pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays ;
    • c) d'appeler l'attention du gouvernement de la France sur l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étant étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante ; d'exprimer le voeu que le gouvernement tiendra compte de ce principe et lui fera connaître en temps utile les procédures légales ou judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, et le résultat de telles procédures ;
    • d) de charger le Directeur général d'obtenir, en son nom, du gouvernement de la France, des informations détaillées sur les circonstances qui ont conduit au décès de MM. Ladjabi, Boudour et Bouzour, si ce décès est effectivement survenu, étant entendu que le Conseil d'administration sera de nouveau saisi d'un rapport lorsque les informations sollicitées du gouvernement seront devenues disponibles ;
    • e) de réaffirmer que le droit d'exprimer des opinions au moyen de journaux ou de publications constitue un élément essentiel de la liberté syndicale et d'exprimer l'avis que les organisations syndicales, lorsqu'elles font paraître leurs publications, doivent tenir compte, dans l'intérêt du développement du mouvement syndical, des principes énoncés par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session « pour la protection de la liberté et la sauvegarde de sa mission fondamentale, qui est d'assurer le développement du bien-être économique et social de tous les travailleurs » ;
    • f) de rappeler l'importance qu'il attache au principe selon lequel le droit des organisations nationales de travailleurs de s'affilier à des organisations internationales, droit qui constitue un aspect important de la liberté syndicale, entraîne normalement le droit pour les représentants des organisations nationales de se tenir en contact avec les organisations internationales auxquelles sont affiliées leurs organisations et de participer aux travaux de ces organisations internationales et, sous cette réserve, de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 290 à 292, les allégations relatives à l'activité de dirigeants syndicalistes n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi ;
    • g) de décider, pour les raisons indiquées aux paragraphes 281 à 284 et 285 à 289, que les allégations relatives à l'occupation de locaux syndicaux et aux mesures prises à l'encontre de grévistes n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi.
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