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Rapport intérimaire - Rapport No. 24, 1956

Cas no 144 (Guatemala) - Date de la plainte: 02-MAI -56 - Clos

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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 223. Dans sa communication en date du 2 mai 1956, la Confédération des travailleurs d'Amérique latine allègue que diverses dispositions du Code du travail de 1947 ont été abandonnées au mépris des intérêts des travailleurs et en violation des principes contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et des résolutions adoptées par l'O.I.T. Parmi les avantages perdus par les travailleurs, figurent le dimanche payé, les congés payés et le paiement des heures supplémentaires; les salaires ont été abaissés et l'indemnisation en cas de licenciement a été supprimée.
  2. 224. Par une décision arbitraire, les travailleurs agricoles se sont vu refuser le droit d'organisation, de sorte qu'ils se trouvent à la merci des propriétaires ; des travailleurs agricoles auraient été assassinés par leurs patrons ou par les agents de leurs patrons, auxquels on se serait borné, à infliger une amende. On aurait interdit aux travailleurs des services publics de se syndiquer; cette mesure, qui a pour effet d'empêcher les travailleurs de défendre leurs droits légitimes et supprime tout moyen d'appel en cas de licenciement, a été appliquée fréquemment depuis que le gouvernement actuel se trouve au pouvoir. Des centaines de travailleurs au service de l'Etat, notamment des instituteurs, des cheminots et des employés des travaux publics, ont été licenciés sans qu'il leur soit permis de se défendre. Le Syndicat de l'enseignement non seulement aurait été dissous arbitrairement, mais encore aurait vu confisquer ses biens, qui se montaient à 40.000 quetzales, provenant des cotisations de ses membres. La Confédération générale des travailleurs (C.G.T.G.) et la Confédération agricole nationale (C.N.C.G.) auraient été dissoutes arbitrairement et contre le voeu de leurs adhérents. La même mesure aurait frappé, sur tout le territoire national, les fédérations syndicales et agricoles.
  3. 225. Le mouvement syndical libre et représentatif serait constamment persécuté ; de nombreux obstacles seraient dressés contre sa réorganisation, et il se heurterait aux plus grandes difficultés lorsqu'il s'agit pour lui de défendre ses droits devant les tribunaux du travail. Sous couvert de lutte contre le communisme, les dirigeants syndicaux auraient été brimés et persécutés ; des centaines de dirigeants et de militants syndicaux auraient été emprisonnés illégalement, et de nombreux syndicalistes auraient été contraints de chercher asile à l'étranger sans espoir de retour.
    • ANALYSE DE LA REPONSE
  4. 226. Dans sa communication du 18 juin 1956, le gouvernement guatémalien déclare que le titre IV de la Constitution du 6 février 1956 s'inspire précisément de la Déclaration universelle des droits de l'homme. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le gouvernement violerait les conventions internationales du travail, le gouvernement signale que le Guatemala n'a ratifié que quatorze de ces instruments. Aux termes de l'article 116 de la Constitution, « sont considérés comme des principes fondamentaux de la législation du travail », le droit du travailleur à un jour de repos rémunéré par semaine, le droit à des vacances annuelles payées, à la rémunération des heures supplémentaires de travail, et l'obligation pour l'employeur d'octroyer une indemnité aux travailleurs licenciés sans motif justifié - toutes dispositions constitutionnelles qui infligent un démenti aux allégations de la C.T.A.L.
  5. 227. Aux termes du paragraphe 9 de l'article 116 de la Constitution, sont considérés comme des principes fondamentaux de la législation du travail, le droit d'organisation des travailleurs et des employeurs à des fins exclusives de défense des intérêts économiques et de promotion du progrès social ; « la loi réglementera ce droit en tenant compte du caractère des diverses professions et des différentes conditions où sont placés les travailleurs et les employeurs, ruraux ou urbains ». Le gouvernement invoque ces dispositions pour réfuter l'allégation selon laquelle les travailleurs agricoles ne jouissent pas du droit d'organisation. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle des travailleurs agricoles auraient été assassinés sans que les coupables encourent de sanctions, le gouvernement indique que le Code pénal prévoit pour les délits des sanctions adéquates, sanctions qui seraient appliquées dans tous les cas, quelle que soit la qualité du coupable.
  6. 228. En ce qui concerne les employés de l'Etat, le gouvernement indique, dans sa communication du 24 septembre 1956, qu'il étudie actuellement un projet de statut des fonctionnaires publics, conformément aux dispositions de la Constitution. Entre temps, le décret gouvernemental no 584 du 29 février 1956 intitulé « Des employés de l'Etat », et dont copie a été jointe à la réponse du gouvernement, régit les conditions de travail de ces employés. Ce décret réglemente la question à titre provisoire. Le gouvernement indique que depuis l'entrée en vigueur dudit décret, aucune des organisations syndicales des employés de l'Etat ne s'est vu retirer la personnalité juridique.
  7. 229. Pour ce qui est de la dissolution et de la confiscation des biens du Syndicat de l'enseignement, le gouvernement indique qu'étant donné les infiltrations communistes qui se sont produites dans ce syndicat, les autorités se sont vues contraintes de le dissoudre ; cette dissolution toutefois ne saurait être considérée comme arbitraire, puisque semblable sanction est prévue par la législation du travail guatémalienne en vigueur depuis 1947. Le gouvernement estime que cette mesure ne porte pas atteinte à l'esprit des conventions nos 87 et 98, qui ont été ratifiées par le Guatemala. Les biens du syndicat dissous seront incorporés au patrimoine national, tant il est vrai que les statuts mêmes du syndicat le prévoyaient. C'est pour les mêmes raisons que le gouvernement a dissous la Confédération générale des travailleurs et la Confédération nationale des travailleurs agricoles.
  8. 230. Pour démentir des allégations du plaignant selon lesquelles les dirigeants syndicaux seraient persécutés et empêchés de reconstituer leurs organisations le gouvernement mentionne les articles 43, 44, 47, 54 et 76 de la Constitution, qui disposent que nul ne pourra être arrêté sauf en vertu d'une décision judiciaire ; que toute personne a le droit de faire ce que la loi n'interdit pas ; qu'aucun Guatémalien ne pourra être expulsé et qu'on ne pourra lui refuser l'entrée dans le pays ; que « les habitants de la République ont le droit de s'associer librement en vue de promouvoir, d'exercer ou de défendre leurs intérêts individuels, politiques, économiques, religieux, sociaux, culturels, professionnels ou de tout autre ordre ». Les lois ou autres instruments réglementant l'exercice des droits garantis par la Constitution seront nuls ipso jure s'ils diminuent, restreignent ou dénaturent ces droits. Enfin, le gouvernement indique que les fonctions et les attributions des organes de l'Etat sont définies par la Constitution: « Les fonctionnaires ne sont pas détenteurs de l'autorité, mais uniquement chargés de la faire respecter ; ils sont responsables de leur conduite dans le service ; ils sont soumis à la loi. » (Article 2, paragraphe 3.)

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 231. Le gouvernement du Guatemala a ratifié le 13 février 1952 la convention (n 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (n 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 ; ces conventions sont entrées en vigueur le 13 février 1953.
    • Allégations relatives aux violations des droits de l'homme et de la législation du travail guatémalienne
  2. 232. Le plaignant se borne à alléguer, en des termes généraux, que la Déclaration des droits de l'homme aurait été violée et que divers droits reconnus par la législation guatémalienne - dimanche payé, congés payés, indemnité de congédiement, indemnisation des heures supplémentaires, etc. - auraient été abolis. Le gouvernement, pour sa part, cite divers paragraphes de l'article 116 de la Constitution du 6 février 1956 qui énoncent expressément, comme des « principes fondamentaux de la législation du travail » - ces garanties ne peuvent être supprimées ni par voie législative ni par voie réglementaire - les droits mêmes des travailleurs qui, selon le plaignant, auraient été méconnus. Le titre IV de la Constitution, « Droits de l'homme », s'inspire, selon le gouvernement, de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
  3. 233. Dans ces conditions, le Comité note, d'une part, que le plaignant ne fait état d'aucune violation précise des droits de l'homme et, d'autre part, que les allégations relatives à l'abolition de divers droits reconnus par la législation du travail guatémalienne ont trait à des questions telles que le congé hebdomadaire, les congés payés, l'indemnité de licenciement, les heures supplémentaires etc., qui ne sont pas directement en rapport avec les services du droit d'organisation syndicale et, partant, ne relèvent pas de sa compétence. Dans le cas no 94 (Cuba), le Comité a eu l'occasion de se prononcer sur les allégations relatives à la violation des divers droits de l'homme et a conclu qu'il ne lui appartenait pas de procéder à l'examen de la plainte, étant donné que ces allégations étaient sans rapport avec la liberté syndicale : dans le cas no 34 (Ceylan) a, le Comité a estimé qu'il ne lui appartenait pas d'examiner les questions de droit commun sans rapport avec la liberté syndicale. Dans le cas présent, étant donné que les droits des travailleurs mentionnés dans la plainte sont expressément reconnus par la Constitution du Guatemala comme des « principes fondamentaux de la législation du travail », le Comité estime que, même à considérer l'importance qui s'est toujours attachée à l'application effective des dispositions légales qui reconnaissent des droits fondamentaux, il n'est pas nécessaire, étant donné la teneur de la plainte, d'examiner la question de l'application effective de ces garanties constitutionnelles et que, partant, cet aspect de la plainte n'exige pas un examen plus approfondi.
    • Allégations relatives au droit d'organisation des travailleurs agricoles
  4. 234. Selon l'organisation plaignante, les travailleurs agricoles se sont vu refuser le droit d'organisation. Ils se trouveraient à la merci des propriétaires et auraient fait l'objet de graves sévices sans que les coupables aient été dûment châtiés. Pour sa part, le gouvernement reproduit le paragraphe 9 de l'article 116 de la Constitution, lequel garantit le droit d'organisation en des termes généraux et prévoit que la loi réglementera ce droit en tenant compte des différentes conditions où sont placés les travailleurs et les employeurs ruraux ou urbains.
  5. 235. Le Comité - écartant l'allégation générale, qui ne se fonde sur aucun élément probant et est sans rapport avec l'exercice des droits syndicaux, selon laquelle les employeurs se seraient rendus coupables de délits de droit commun au préjudice des travailleurs agricoles - note que le texte constitutionnel, qui reconnaît le droit d'organisation des travailleurs agricoles, prévoit l'adoption ultérieure d'un réglementation spécifique. Le Code du travail de 1947, dont l'application a été prorogée par le décret no 216 du 31 janvier 1955, établit en ses articles 235-238 une réglementation spéciale pour les « syndicats agricoles v.
  6. 236. Ces articles ont la teneur suivante:
  7. 235. Les syndicats agricoles ont pour but de défendre et d'améliorer les conditions de vie des travailleurs agricoles, des membres de leurs familles et des compagnons qui sont à leur charge, et de contribuer en même temps au développement et au progrès des entreprises agricoles et d'élevage du pays. En vue d'atteindre ces objectifs fondamentaux, ils doivent essentiellement se consacrer aux fins suivantes:
    • a) à organiser des coopératives avec leurs membres et à créer et stimuler par tous les moyens à leur disposition l'esprit de coopération de ceux-ci ; ...
    • b) à établir, administrer ou encourager des institutions d'assistance et de prévoyance sociale dans l'intérêt mutuel de leurs membres; ...
    • c) par tous les moyens à leur disposition, à répandre, parmi leurs membres et les personnes illettrées de la famille de ceux-ci, la connaissance de la lecture et de l'écriture.
  8. 236. La constitution d'un syndicat de travailleurs agricoles requiert le concours de cinquante d'entre eux au minimum.
  9. 237. Le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale doit, par les soins de l'Inspection générale du travail, faciliter les travaux des syndicats agricoles et les conseiller constamment en tout ce qui concerne leur fonctionnement.
    • Ledit ministère doit veiller à ce que les syndicats agricoles ne se livrent à aucune autre activité que celles qui sont énumérées à l'article 235 et à l'alinéa b) de l'article 214 tant qu'ils ne peuvent faire la preuve qu'ils se livrent à l'une des deux formes d'activité prévues aux paragraphes a) et b) dudit article 235 et que 60 pour cent ou davantage de leurs membres savent lire et écrire. Quant à ce dernier point, les syndicats agricoles doivent indiquer dans leur acte constitutif et dans l'état nominatif annuel de leurs membres, en regard des nom et prénoms de chacun de ceux-ci, s'il sait lire et écrire, et leurs indications sur ce point doivent être confirmées par le « Vu pour approbation » d'un instituteur au service du ministère de l'Instruction publique travaillant dans la localité où le syndicat dont il s'agit est domicilié ou a sa résidence.
  10. 238. Les syndicats d'entreprises agricoles ou d'élevage ayant à leur service cinq cents travailleurs ou davantage seront régis par les dispositions du chapitre I du titre VI du présent Code (« Dispositions générales; des syndicats urbains »).
  11. 237. Le Comité, en examinant les articles susmentionnés, note que, selon la législation guatémalienne, les syndicats agricoles sont des organisations ayant des buts précis (coopération, diffusion de l'enseignement) et que - sauf s'ils comptent plus de 50 affiliés et si 60 pour cent de leurs membres savent lire et écrire - ils ne peuvent exercer les droits reconnus ordinairement aux organisations syndicales, par exemple le droit de « passer des contrats collectifs de travail et des conventions collectives sur les conditions du travail », que le Code du travail, en son article 214, reconnaît aux « syndicats urbains ». A ce propos, il y aurait lieu de signaler que la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, laquelle a été ratifiée par le Guatemala, dispose expressément que « les travailleurs... sans distinction d'aucune sorte » ont le droit de constituer des organisations de leur choix, et que l'article 237 du Code du travail du Guatemala introduit une restriction incompatible avec ce principe puisqu'il prescrit que plus de 60 pour cent des affiliés devront savoir lire et écrire. L'article 1 de la convention (no 11) sur le droit d'association (agriculture), 1921, - qui n'a pas été ratifiée par le Guatemala - confirme ce principe et dispose que « tout Membre de l'Organisation internationale du Travail ratifiant la présente convention s'engage à assurer à toutes les personnes occupées dans l'agriculture les mêmes droits d'association et de coalition qu'aux travailleurs de l'industrie... ».
  12. 238. Dans le cas présent, la réglementation applicable spécialement aux « syndicats agricoles » limite de toute évidence des droits que devraient avoir les travailleurs, « sans distinction d'aucune sorte », de constituer des organisations et celui d'organiser librement leurs activités, que l'article 2 de la convention no 87 reconnaît à tous les syndicats. Lorsqu'une plainte porte sur l'application d'une convention ratifiée, et même si l'allégation est libellée en des termes généraux, il appartient au Comité d'examiner s'il n'y a pas eu effectivement violation de l'engagement que prennent les Etats d'appliquer scrupuleusement les conventions ratifiées.
  13. 239. Compte tenu, néanmoins, du fait que les restrictions en question ont été imposées par une loi promulguée en 1947, soit avant la ratification de la convention no 87, et que le plaignant mentionne une violation plus récente de la liberté syndicale des travailleurs agricoles, sans fournir à l'appui de la plainte à ce propos aucun élément probant qui permette de conclure que le droit d'organisation des travailleurs agricoles a récemment fait l'objet d'une nouvelle réglementation de caractère restrictif, et eu égard, en outre, au fait que l'article 116 de la Constitution de 1956 prévoit que la réglementation des syndicats agricoles fera dans l'avenir l'objet d'une nouvelle réglementation spéciale, le Comité, considérant que la réglementation existante impose aux syndicats agricoles des conditions de caractère restrictif incompatibles avec les dispositions de la convention no 87 qui a été ratifiée par le Guatemala, estime utile d'appeler l'attention du gouvernement sur cette circonstance et sur la nécessité qu'il y a à ce qu'il prenne les mesures voulues en vue de mettre sa législation en harmonie avec les dispositions de la convention.
  14. 240. Le Comité ayant été informé que le premier rapport envoyé par le gouvernement du Guatemala sur l'application de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, conformément à l'article 22 de la Constitution de l'O.I.T avait été reçu récemment par le Bureau, et qu'il sera examiné par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations à sa prochaine session (mars 1957), il estime qu'il serait désirable que les observations ci-dessus soient signalées à la Commission d'experts.
    • Allégations relatives au droit d'organisation syndicale des travailleurs au service de l'Etat
  15. 241. Selon l'organisation plaignante, les travailleurs au service de l'Etat, notamment les instituteurs, les cheminots et les employés de travaux publics, ne pourraient s'associer en vue de se défendre contre les licenciements arbitraires décrétés par le gouvernement actuel. Quant au gouvernement, il déclare étudier actuellement un projet de statut des fonctionnaires ; entre temps, le décret gouvernemental no 584 du 29 février 1956 intitulé « Des employés de l'Etat» régit provisoirement les conditions de travail de ces employés. Le gouvernement indique que, depuis l'entrée en vigueur dudit décret, aucune des organisations syndicales des employés de l'Etat ne s'est vu retirer la personnalité juridique.
  16. 242. L'alinéa 2) de l'article 9 du décret no 584 - qui s'applique aux fonctionnaires, employés publics et travailleurs au service de l'Etat - dispose ce qui suit : « Il est interdit aux travailleurs visés par le présent décret de constituer des organisations syndicales. » Il y a lieu de remarquer, à ce sujet, que la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Guatemala, reconnaît formellement à tous les travailleurs sans exception le droit de constituer des syndicats, puisqu'elle dispose en son article 2 que « les travailleurs... sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix » ; ce droit est confirmé a contrario par la disposition de l'article 9, selon lequel des limites pourront être imposées à la liberté syndicale des forces armées et de la police uniquement.
  17. 243. Dans ces circonstances, étant donné que la réglementation en vigueur au Guatemala interdit expressément aux travailleurs au service de l'Etat de constituer des organisations syndicales, le Comité estime opportun, compte tenu du principe qu'il a énoncé à propos du cas no 5 (Inde) quant à «l'importance que le droit de constituer et d'enregistrer des syndicats revêt pour les employés au service de l'Etat », de mettre en évidence l'incompatibilité qui existe entre l'interdiction portée à l'article 9 du décret no 584 et l'article 2 de la convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, convention qui a été ratifiée par le Guatemala. Bien que, selon les indications données par le gouvernement, le décret no 584 institue simplement un régime provisoire pour la période d'étude du projet de statut permanent des travailleurs de l'Etat et qu'aucune organisation syndicale existante n'a été dissoute depuis son entrée en vigueur, le Comité note que l'interdiction faite actuellement aux fonctionnaires, aux employés et aux travailleurs de l'Etat, de constituer des syndicats est en contradiction avec la convention no 87, ratifiée par le Guatemala, et appelle l'attention du gouvernement sur cette circonstance et sur la nécessité qu'il y a de prendre les mesures voulues pour que le texte définitif du statut des employés de l'Etat soit conforme à cet instrument.
  18. 244. Pour les mêmes raisons que celles qui sont exposées au paragraphe 240 ci-dessus, le Comité estime qu'il serait désirable que ces observations soient signalées à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
    • Allégations relatives à l'emprisonnement et à la persécution des dirigeants et militants syndicaux
  19. 245. L'organisation plaignante allègue, sans donner de détails, que le mouvement syndical libre est persécuté et brimé. Sous le couvert de la lutte contre le communisme, des dirigeants et militants syndicaux auraient été persécutés, emprisonnés illégalement ou contraints de s'exiler. Le gouvernement, pour réfuter cette allégation, reproduit diverses dispositions constitutionnelles disposant que nul ne peut être arrêté, sauf en vertu d'une décision judiciaire ; qu'aucun Guatémalien ne peut être expulsé et qu'on ne peut lui refuser l'entrée dans le pays, etc.
  20. 246. Le Comité note que la plainte ne mentionne aucun cas précis où il y a eu arrestation et persécution d'un dirigeant ou d'un militant syndical déterminé, et attire l'attention sur le fait qu'il a soumis ses conclusions sur certains cas précis de cette nature au Conseil d'administration aux paragraphes 174 à 186 du présent rapport dans le cadre du cas no 131. Dans ces conditions, le Comité, tout en insistant une fois encore sur l'importance qu'il attache à ce que tout syndicaliste arrêté jouisse de toutes les garanties de la procédure légale appropriée, estime que les allégations de la plainte formulées dans le cas présent sont trop vagues pour permettre l'examen quant au fond de cet aspect du cas.
    • Allégations relatives à la dissolution du Syndical de l'enseignement et d'autres organisations
  21. 247. Selon l'allégation de la C.T.A.L, le Syndicat de l'enseignement aurait été dissous arbitrairement, ainsi que la Confédération générale des travailleurs et la Confédération agricole nationale. Le gouvernement indique que les autorités se sont vues contraintes de prononcer la dissolution de ces organisations en raison des infiltrations communistes qui s'y étaient produites ; il estime ne pas avoir porté atteinte à l'esprit des conventions nos 87 et 98, qui ont été ratifiées par le Guatemala.
  22. 248. A propos du cas no 109, le gouvernement a déjà eu l'occasion d'examiner de façon précise le cas de la dissolution de la Confédération générale des travailleurs et de la Confédération agricole nationale. Ces organisations ont été dissoutes par le décret no 48 adopté par la Junte gouvernementale le 10 août 1954. Les dispositions dudit décret - qui a été analysé dans le cas no 109 - peuvent se résumer comme suit : aux termes de l'article premier, sont déclarées dissoutes quinze organisations syndicales et politiques, outre « tous autres partis politiques, groupes ou associations qui seraient d'inspiration arévalo-arbenciste ou qui auraient milité pour la cause communiste » ; la Confédération générale des travailleurs est mentionnée à l'alinéa a), la Confédération agricole nationale à l'alinéa b), et le Syndicat de l'enseignement à l'alinéa e). D'après l'article 2, la personnalité juridique est retirée à toutes les organisations dissoutes ; l'article 6 précise que le décret a le caractère d'une mesure de sécurité.
  23. 249. A propos du cas no 109, le Comité a affirmé qu'aux termes du Code du travail du Guatemala, les seuls organismes compétents pour prononcer la dissolution des syndicats sont les tribunaux du travail, s'ils ont la preuve que les syndicats se sont rendus coupables d'actes contraires à la loi (intervention dans les affaires politiques, dans des conflits religieux ou raciaux, activités contraires au régime démocratique, etc.) (art. 226). L'article 4 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Guatemala, dispose que les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative ; l'article 6 prévoit que ces dispositions s'appliquent également aux fédérations et confédérations. Le décret no 48 ayant été promulgué par la Junte gouvernementale, le Comité a déclaré dans ses conclusions que « le décret no 48, prononçant la dissolution de la Confédération générale du travail et de la Confédération agricole nationale, a été pris par le gouvernement » et qu'il estime que «la dissolution prononcée par le pouvoir exécutif dans l'exercice des fonctions législatives dont le gouvernement est investi en vertu de son acte constitutif, à l'instar d'une dissolution par voie administrative, ne permet pas d'assurer les droits de défense qui ne peuvent être garantis que par la procédure judiciaire normale, procédure que le Comité, conformément à l'opinion qu'il avait exprimée dans d'autres cas, considère toujours comme étant de toute première importance». Néanmoins, tenant compte de la situation politique dans laquelle se trouvait le Guatemala, le Comité a recommandé au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement « sur l'opportunité qu'il y aurait à prendre toutes mesures nécessaires afin de faire en sorte : i) que des organisations centrales de travailleurs et de paysans libres et indépendants ainsi que des fédérations et syndicats y affiliés puissent se reconstituer, conformément aux dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical... ». Le Conseil d'administration a fait sienne cette recommandation, puisqu'il a adopté le 18 novembre 1955, le dix-septième rapport du Comité de la liberté syndicale, qui a été communiqué au gouvernement du Guatemala par lettre du Directeur général du B.I.T le 1er décembre 1955.
  24. 250. Dans le cas présent, le Comité note que la plainte de la C.T.A.L ne contient, en ce qui concerne la dissolution de la Confédération générale des travailleurs et de la Confédération agricole nationale, aucun nouvel élément d'appréciation mis à part le fait, confirmé par le gouvernement dans sa réponse, que la situation, malgré la recommandation formulée par le Comité à propos du cas no 109 en novembre 1955, était; inchangée à la date à laquelle la plainte a été présentée (mai 1956). Le Comité constate que le gouvernement indique dans sa réponse que cette mesure « ne porte pas atteinte à l'esprit des conventions nos 87 et 98, qui ont été ratifiées par le Guatemala » ; à ce propos, le Comité appelle à nouveau l'attention du gouvernement sur l'avis qu'il avait exprimé au sujet du cas no 109, avis qu'il confirme ici.
  25. 251. Pour ce qui est de la dissolution du Syndicat de l'enseignement - qui n'a pas encore été examinée par le Comité, puisqu'il n'en est pas question dans la plainte qui a fait l'objet du cas no 109 -, il ressort que la situation, de fait et de droit, est la même que celle des organisations mentionnées au paragraphe précédent, puisque ce syndicat a été dissous par décision administrative, en vertu du décret no 48 sur lequel le Comité s'est déjà prononcé.
  26. 252. Dans ces conditions, le Comité, tout en notant que la plainte examinée ne contient aucune nouvelle allégation concernant ces dissolutions qui n'ait pas déjà été examinée dans le cas no 109, renouvelle la recommandation qu'il a «présentée précédemment et appelle à nouveau l'attention du gouvernement du Guatemala sur la recommandation en question, qui avait trait à l'opportunité qu'il y aurait de prendre toutes mesures nécessaires afin de faire en sorte que des organisations centrales de travailleurs et de paysans libres et indépendants, ainsi que des fédérations et syndicats y affiliés, puissent se reconstituer, conformément aux dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
    • Allégations relatives à la confiscation des biens du Syndical de l'enseignement
  27. 253. L'organisation plaignante allègue que le gouvernement guatémalien, après avoir dissous le Syndicat de l'enseignement, en aurait confisqué les biens qui se montaient à 40.000 quetzals provenant des cotisations de ses membres. Pour sa part, le gouvernement ajoute que «les biens du syndicat dissous seront nécessairement incorporés au patrimoine national, tant il est vrai que les statuts mêmes du syndicat prévoyaient qu'en cas de dissolution, les biens lui appartenant passeraient à l'Etat ».
  28. 254. L'article 3 du décret no 48 de 1954 - qui porte dissolution du syndicat en question - dispose ce qui suit : « Les biens et les fonds des organismes mentionnés aux alinéas k), l), m), n), ñ) et o), (à savoir : Front universitaire démocratique, Parti guatémalien du travail, Parti de la révolution guatémalienne, Parti d'action révolutionnaire et Parti de rénovation nationale) de l'article premier du présent décret, seront gérés par le ministère de l'Intérieur. Les biens des organismes mentionnés aux autres alinéas seront gérés par le ministère de l'Economie et du Travail. Les deux ministères procéderont à la liquidation desdits organismes et garderont en dépôt leurs biens et leurs fonds. »
  29. 255. Il y a lieu d'observer, en premier lieu, que l'article 3 du décret de dissolution ne prévoit nullement la confiscation pure et simple des biens des organisations dissoutes, mais simplement qu'ils seront gérés par le ministère de l'Economie et du Travail, qui devra les garder en dépôt. D'autre part, le Comité note que le gouvernement, qui soutient que la confiscation a été effectuée en application des dispositions des statuts du syndicat dissous lui-même, a omis de communiquer au Comité un exemplaire desdits statuts ; dans ces conditions, le Comité ne peut s'empêcher de nourrir certains doutes quant à l'interprétation qui a pu être donnée à une clause aussi insolite dans les statuts d'une organisation syndicale, et, en admettant qu'il existe une disposition prévoyant le transfert des avoirs du syndicat à l'Etat en cas de dissolution, le Comité doute qu'une telle clause puisse s'appliquer en cas de dissolution obligatoire, imposée selon une procédure contraire aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur au moment de l'adoption desdits statuts, dispositions qui, ainsi qu'on l'a vu, ne prévoyaient pas l'éventualité d'une dissolution obligatoire imposée par décision administrative ; et il est particulièrement difficile de considérer une semblable clause comme étant applicable dans une situation où les pouvoirs publics peuvent retirer un avantage pécuniaire d'une dissolution qui a été imposée selon des modalités que l'organisation dissoute ne pouvait prévoir.
  30. 256. Dans son premier rapport, le Comité a déjà signalé que «la protection des fonds syndicaux contre les abus qui pourraient en être faits », était l'une des questions qu'il y aurait lieu de considérer plus amplement, et il a eu l'occasion d'examiner un certain nombre de cas de saisie et de confiscation des fonds syndicaux. En examinant ces cas, le Comité s'est inspiré du critère, universellement accepté, selon lequel, en cas de dissolution d'une organisation, ses biens doivent être placés provisoirement en dépôt et répartis, en définitive, entre les membres de l'organisation dissoute ou transférés à l'organisation qui lui succède.
  31. 257. Dans ces conditions, le Comité recommande que le gouvernement du Guatemala soit prié de fournir des renseignements plus détaillés sur la confiscation (fondements légaux de cette mesure, destination donnée aux fonds, et moyens de défense à la disposition des membres du syndicat dissous) et sur son intention éventuelle de restituer ces biens aux intéressés au cas où il autoriserait la reconstitution de l'organisation dissoute, conformément à la recommandation que le Comité présente au paragraphe 252.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 258. Dans ces conditions, le Comité:
    • a) recommande au Conseil d'administration de décider que les allégations relatives à la violation des droits de l'homme, à la législation du travail guatémalienne, ainsi qu'à l'arrestation et à la persécution des dirigeants et militants syndicaux n'appellent pas un examen plus approfondi ;
    • b) recommande au Conseil d'administration, pour les raisons indiquées aux paragraphes 239 et 240 ci-dessus:
    • i) d'appeler l'attention du gouvernement sur le fait que le Code du travail en vigueur impose aux syndicats agricoles des conditions de caractère restrictif incompatibles avec la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Guatemala, et sur la nécessité de faire en sorte que la réglementation future dont la Constitution de 1956 prévoit la promulgation supprime les restrictions en question ; il recommande enfin au Conseil d'administration de demander au gouvernement de le tenir informé des dispositions de la réglementation nouvelle lorsque celle-ci sera promulguée;
    • ii) de signaler cette question à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations;
    • c) recommande au Conseil d'administration, pour les raisons indiquées aux paragraphes 243 et 244 ci-dessus:
    • i) d'appeler l'attention du gouvernement sur le fait que l'interdiction faite actuellement aux fonctionnaires, aux employés et aux travailleurs au service de l'Etat de constituer des syndicats est en contradiction avec la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Guatemala, et sur la nécessité de prendre les mesures voulues pour que le texte définitif du statut des employés de l'Etat soit conforme à la convention ; il recommande enfin au Conseil d'administration de demander au gouvernement de le tenir informé des dispositions de la réglementation nouvelle lorsque celle-ci sera promulguée;
    • ii) de signaler la question à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations ;
    • d) recommande au Conseil d'administration, pour les raisons indiquées au paragraphe 252, d'attirer l'attention du gouvernement sur la recommandation présentée par le Comité à propos du cas no 109 - recommandation que le Conseil d'administration a fait sienne en approuvant le dix-septième rapport du Comité - pour qu'il prenne toutes mesures nécessaires afin de faire en sorte que les organisations centrales de travailleurs et de paysans libres, ainsi que les fédérations et syndicats y affiliés, puissent se reconstituer conformément aux dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par le Guatemala ;
    • e) recommande au Conseil d'administration de prendre acte du présente rapport intérimaire pour ce qui est des allégations relatives à la confiscation des biens du Syndicat de l'enseignement, étant entendu que le Comité présentera un nouveau rapport dès qu'il aura reçu les renseignements sollicités au paragraphe 257.
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