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- 218. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec ont présenté une plainte dans des communications datées, respectivement, des 12 mars et 16 octobre 1990. Le gouvernement fédéral, par lettre du 6 juin 1991, a transmis les observations et informations du gouvernement du Québec.
- 219. Le Canada a ratifé la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 220. Dans sa communication du 12 mars 1990, la CSN allègue que la loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux (dite "loi no 160"), adoptée le 11 novembre 1986 par le gouvernement du Québec, constitue une grave atteinte aux droits syndicaux et aux conventions internationales ratifiées par le Canada. Cette loi, adoptée à la suite d'une grève de vingt-quatre heures des syndicats des services de santé et des services sociaux, qui ordonnait le retour au travail des salariés de ces secteurs les empêche de négocier librement leurs conditions de travail, leur nie le droit de grève et comporte de lourdes sanctions en cas d'infraction. Selon la CSN, cette loi, essentiellement répressive, a pour seul but de sanctionner le non-respect de la loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (dite "loi no 37") qui a déjà fait l'objet d'une plainte au Comité de la liberté syndicale. (Voir cas no 1356, 248e rapport, paragr. 67-147.)
- 221. En outre, les obligations et interdictions prévues dans la loi no 160 sont sanctionnées par de lourdes pénalités cumulatives:
- - modifications unilatérales des conditions de travail relatives à l'organisation du travail (article 9);
- - fortes amendes pouvant aller jusqu'à 10.000 dollars pour un salarié, 60.000 dollars pour un dirigeant syndical et 100.000 dollars pour une association de salariés par jour ou partie de jour, et ce par infraction (articles 10 à 17);
- - suspension du droit pour un syndicat de bénéficier de la retenue à la source des cotisations syndicales, et ce pour une durée de douze semaines par jour ou partie de jour pendant lequel dure un arrêt de travail (articles 18 et 19);
- - réduction de traitement, pour le travail effectué après la violation, d'un montant égal au traitement qu'un salarié aurait reçu pour chaque période d'arrêt de travail s'il avait été au travail (articles 20 à 22);
- - perte d'une année d'ancienneté pour chaque jour ou partie de jour d'arrêt de travail (article 23);
- - renversement du fardeau de la preuve en matière pénale et civile;
- - présomption de culpabilité à l'encontre des salariés.
- Ces sanctions s'ajoutent à celles qui sont déjà prévues par le Code du travail du Québec.
- 222. Au printemps et à l'été 1989, les salariés des secteurs de la santé et des services sociaux ont tenté de négocier leurs conditions de travail en utilisant le processus de médiation prévu par le Code du travail, mais sans succès. A la mi-septembre, ils ont déclenché une grève pour appuyer leurs revendications. Les membres affiliés de la CSN ont fait grève de trois à six jours, et quelque 40.000 infirmières ont été en grève durant sept jours. Durant cette période, les syndiqués ont assuré les services essentiels prévus par le code d'éthique syndical de la Fédération des affaires sociales/CSN. Une trêve a ensuite été décrétée pour faciliter la reprise des négociations.
- 223. Les sanctions prévues dans la loi no 160 (contestée dès 1986 devant les tribunaux pour des motifs constitutionnels) n'ont été appliquées qu'en septembre 1989 suite à la grève des syndicats affiliés à la CSN. Les plaignants ont demandé aux tribunaux d'ordonner au gouvernement de surseoir à l'application de cette loi jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa constitutionnalité. La décision est actuellement en suspens devant la Cour d'appel du Québec.
- 224. Les plaignants soutiennent que la loi no 160 viole les garanties judiciaires prévues par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, en ce qu'elle rend l'employeur juge de l'application des sanctions prévues par la loi, crée une présomption contre les salariés et prévoit un mécanisme inéquitable d'imposition des sanctions qui contrevient aux principes les plus élémentaires de justice fondamentale.
- 225. En outre, les sanctions pénales et disciplinaires pour fait de grève prévues dans la loi no 160 ne sont pas conformes aux exigences de la convention no 87, notamment en ce que cette loi impose de multiples sanctions pour un même fait, telles la perte d'ancienneté, l'imposition d'une amende pour chaque jour ou partie de jour de grève et la perte du droit de percevoir à la source les cotisations syndicales; cette dernière sanction prive les organisations syndicales des moyens financiers nécessaires à l'accomplissement de leurs obligations. De plus, les salariés membres des syndicats affiliés aux organisations plaignantes et les syndicats eux-mêmes sont traités différemment de tous les autres groupes du secteur privé et du secteur public couverts par le Code du travail du Québec. Pour un fait de grève identique à celui des plaignants, ces autres groupes ne se voient pas imposer des sanctions d'une telle sévérité.
- 226. Il s'agit là d'un cas de récidive de la part du gouvernement du Québec qui a déjà fait l'objet de plaintes semblables devant le Comité de la liberté syndicale dans les cas nos 1171 et 1356. Dans ce dernier cas, qui concernait la loi no 37, le comité a notamment invité le gouvernement à permettre aux parties de pouvoir recourir à un arbitrage indépendant en vue du règlement des différends. Or celui-ci a plutôt choisi, par le biais de la loi no 160, d'imposer des sanctions qui durcissent encore les dispositions de la loi no 37.
- 227. Dans sa communication du 16 octobre 1990, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ) reprend pour l'essentiel les informations fournies par la CSN sur les lois nos 160 et 37, et donne les précisions suivantes sur les faits et conséquences de ces lois touchant plus directement les quelque 40.000 infirmières du Québec affiliées à la FIIQ.
- 228. Au terme de longues négociations infructeuses, les syndicats affiliés à la FIIQ ont fait grève du 5 au 12 septembre 1989, tout en assurant les services essentiels suffisants pour ne pas mettre en danger la santé et la sécurité du public. Le 6 septembre 1989, le gouvernement a pris, aux termes de la loi no 160, trois décrets (nos 1473, 1474 et 1475) visant la FIIQ et ses syndicats affiliés. Le décret no 1473 dispose que les retenues de traitement imposées aux salariés sont versées à des organismes de bienfaisance énumérés en annexe (en application de l'article 20 de la loi no 160); le décret no 1474 prévoit le remplacement, la modification ou la suppression de certaines dispositions de la convention collective (en application de l'article 9 de la loi no 160); le décret no 1475 dispose que tout salarié perd un an d'ancienneté pour chaque jour ou partie de jour pendant lequel il est absent du travail, à partir du 8 septembre 1989, en raison de la grève.
- 229. Près de 30.000 infirmières, membres de la FIIQ, ont subi et subissent encore les sanctions prévues aux articles 20 à 23 de la loi no 160, certaines d'entre elles ayant perdu jusqu'à quatre années d'ancienneté. L'application de ces sanctions leur cause un préjudice grave et irréparable puisque l'ancienneté est le critère déterminant pour le droit aux vacances, l'obtention d'un poste, les possibilités de remplacement et le choix de certains quarts de travail, sans compter des pertes pécuniaires importantes. La FIIQ et ses syndicats affiliés ont subi et subissent encore les conséquences de la suspension automatique de la retenue des cotisations syndicales, et ce pour une période de 96 semaines; cette sanction porte atteinte à la liberté syndicale en ce qu'elle prive les syndicats de leur financement et les syndiqués des services auxquels ils ont droit.
- 230. La loi no 37, qui restreint déjà substantiellement les dispositions du Code du travail encadrant la négociation collective dans les secteurs public et parapublic, élimine à toutes fins pratiques le droit de grève dans les établissements du secteur hospitalier en établissant des pourcentages très élevés de salariés assurant des services essentiels et qui ne peuvent donc faire grève (90 pour cent dans les établissements dispensant des soins de longue durée; 80 pour cent dans les autres centres hospitaliers; 60 pour cent dans les centres locaux de services communautaires; 55 pour cent dans les centres de services sociaux). La loi no 160 renforce la loi no 37 par des sanctions extrêmement sévères; les salariés du secteur de la santé et des services sociaux, et plus spécifiquement les infirmières, ne disposent d'aucun mécanisme compensatoire, telle une procédure impartiale de conciliation et d'arbitrage obligatoire.
- 231. En conclusion, les plaignants estiment que le gouvernement met en danger le droit à la liberté syndicale, tente d'affaiblir les organisations syndicales du Québec, entrave la libre négociation collective et perturbe gravement le réseau de la santé et des affaires sociales. La CSN exprime enfin le souhait qu'une mission de l'OIT vienne au Québec rencontrer la CSN et les autres organisations syndicales qui subissent les effets de la loi no 160.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 232. Dans sa communication du 6 juin 1991, le gouvernement du Québec relate l'historique des relations professionnelles dans le secteur de la santé de 1960 à 1991, décrit le cadre législatif actuellement applicable, le différend et les grèves illégales de 1989, ainsi que leurs effets dans les établissements du secteur de la santé. La CSN et la FIIQ ayant intenté un recours devant la Cour supérieure du Québec afin de faire déclarer la loi no 160 inconstitutionnelle pour imcompatibilité avec les chartes canadienne et québecoise des droits et libertés (notamment l'article 3 de la Charte québecoise, qui consacre entre autres la liberté d'association), le gouvernement invite le comité à différer l'examen du cas en attendant le jugement à venir, qui sera selon lui de nature à apporter des éléments supplémentaires d'information. Le gouvernement fournit par ailleurs les observations qui suivent au cas où le comité jugerait opportun de procéder immédiatement à l'examen de la plainte.
- 233. Le régime juridique des relations du travail actuellement en place au Québec a été élaboré au terme d'une longue série de négociations collectives difficiles ayant donné lieu, de 1960 à 1985, à des perturbations importantes et répétées dans les services publics, y compris certains services essentiels, notamment dans le secteur de la santé; diverses commissions consultatives ont été constituées au cours des années et plusieurs lois, d'ordre général ou répondant à des circonstances particulières, ont été adoptées sur la base de leurs rapports.
- 234. Les règles générales encadrant les relations professionnelles au Québec sont contenues dans le Code du travail, qui comporte les principales caractéristiques suivantes: monopole de représentation syndicale accordé à l'organisation regroupant la majorité absolue des salariés d'une unité de négociation; retenue des cotisations syndicales à la source; obligation faite aux parties de négocier avec diligence et de bonne foi; mécanismes de règlement des différends (conciliation, arbitrage); interdiction de la grève ou du lock-out durant la convention collective; interdiction faite à l'employeur d'embaucher des personnes ou d'utiliser les services d'autres salariés de l'entreprise pour remplacer des employés en grève légale ou en lock-out; arbitrage final et exécutoire des griefs sur l'interprétation ou l'application des conventions collectives. Les dispositions du code s'appliquent aux relations du travail dans les secteurs public et parapublic, sous réserve de certaines adaptations. Par exemple, les négociations dans ces secteurs se déroulent sur une base sectorielle, ce qui déroge au régime général de négociation au niveau de chaque entreprise.
- 235. Le code prévoit par ailleurs des mécanismes visant à assurer le maintien de services essentiels durant un conflit de travail dans les services publics, telles les entreprises de gaz ou d'électricité, et les services dispensés par les secteurs public ou parapublic (ce qui vise notamment le secteur de la santé et des services sociaux). Le Conseil des services essentiels (CSE) a été créé en 1982 pour veiller à l'application de ces mécanismes, en aidant notamment les parties à identifier les services à maintenir durant un conflit. Le CSE est composé de huit membres: un président et un vice-président, deux membres provenant des associations de salariés les plus représentatives dans les domaines des services publics et de la santé et des services sociaux, deux des associations d'employeurs les plus représentatives dans ces mêmes domaines et deux autres membres choisis après consultation de la Commission des droits de la personne, de l'Office des personnes handicapées du Québec, du Protecteur du citoyen et d'autres personnes ou organismes.
- 236. La loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (dite "loi no 37"), adoptée en juin 1985 après consultation parlementaire de toutes les parties intéressées, instaurait des mécanismes nouveaux répondant aux particularités du secteur public. Cette loi prévoit notamment la création de l'Institut de recherche et d'information sur la rémunération ("l'Institut") et consacre la possibilité pour une partie de demander l'intervention d'un médiateur. Les stipulations de la convention collective qui portent sur les salaires sont négociées à l'échelle nationale pour une période d'une année. Pour chacune des deux années qui suivent, les salaires sont, à défaut d'entente entre les parties, déterminés par voie réglementaire, après publication du rapport de l'Institut. En aucun cas les salaires ne peuvent être inférieurs à ceux de l'année précédente et ces salaires font partie de la convention collective. Les négociations locales sont possibles sur les matières définies par les parties lors des négociations à l'échelle nationale. Quant aux établissements du réseau, ils ont le pouvoir de convenir d'arrangements locaux sur certaines matières prévues dans une annexe de la loi. Enfin, il y a maintien du droit de grève, soumis à la négociation d'une entente sur les services essentiels ou, à défaut, au dépôt d'une liste prévoyant la prestation d'un pourcentage minimum de services, laquelle doit être approuvée par le CSE, qui dispose de pouvoirs de redressement en cas de non-respect de ces obligations.
- 237. Le gouvernement soulève une exception préalable en ce qui concerne les allégations des plaignants sur la loi no 37, soutenant que le comité a déjà examiné ces dispositions lors de l'étude du cas no 1356 et les a considérées comme étant dans l'ensemble conformes aux normes internationales. Il en conclut que les arguments des plaignants sur ce sujet sont irrecevables puisque le comité en a déjà traité et ne devrait pas rouvrir le cas.
- 238. En novembre 1986, suite à des grèves illégales, l'Assemblée nationale a voté la loi sur le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux (dite "loi no 160") pour assurer le respect des dispositions de la loi no 37. Pour ce faire, la loi no 160 prévoit des mesures sévères (suspension de la perception des cotisations syndicales à la source, coupures de salaire, perte d'ancienneté, modification des conventions collectives) qui reflètent le sérieux que le législateur attache aux grèves illégales dans ce secteur. Le gouvernement souligne que la loi no 160 n'a pas pour objet d'établir un régime de négociation particulier dans le secteur de la santé et des services sociaux. Elle ne fait que prescrire des mesures afin d'assurer le respect des services essentiels dans ce secteur en cas de grève illégale. Pour que cette loi puisse trouver application, il faut que le déclenchement d'une grève ou d'un arrêt de travail soit fait en contravention des articles du Code du travail stipulant qu'un préavis de grève doit être donné au ministre du Travail et que le CSE doit avoir approuvé l'entente des parties sur les services essentiels ou, à défaut, une liste des services essentiels devant être maintenus durant la grève. Ce sont là des exigences raisonnables et admissibles en regard des normes internationales du travail. Si ces dispositions du Code du travail sont respectées et les services essentiels maintenus, il n'y a pas d'interdiction absolue et générale du droit de grève dans le secteur de la santé et des services sociaux.
- 239. En 1988-89, les négociations collectives dans le réseau de la santé et des services sociaux se sont tenues dans le même cadre juridique. Elles ont été marquées par d'importantes grèves illégales d'une durée variant entre un et huit jours, provoquant ainsi l'application des mesures prévues à la loi no 160. Les moyens de pression et grèves illégales ont évolué comme suit:
- - du 25 avril au 15 mai 1989: refus des salariés représentés par la FIIQ d'effectuer des heures supplémentaires;
- - du 15 mai au 22 juin 1989: non-respect, par ces mêmes salariés, des listes de disponibilité des employés inscrits sur les listes de rappel (le CSE a rendu des ordonnances assimilant ces deux moyens de pression à des grèves illégales);
- - du 23 juin au 7 août 1989: consultation et rejet par les membres de la FIIQ d'une entente de principe conclue en juin;
- - du 7 août au 5 septembre 1989: poursuite des moyens de pression par la FIIQ;
- - du 5 au 12 septembre 1989: grève illégale de la FIIQ;
- - du 12 au 17 septembre 1989: grève illégale des salariés représentés par la Confédération des syndicats nationaux (CSN);
- - les 13 et 14 septembre 1989: grève illégale des salariés représentés par la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ);
- - le 20 septembre 1989: grève illégale des salariés représentés par le Cartel des professionnels de la santé (CPS).
- 240. Ces grèves ont eu de nombreuses et sévères répercussions dans l'ensemble du réseau:
- - la grande majorité des centres locaux de services communautaires (CLSC), qui assurent les services médicaux, infirmiers et psychosociaux courants, les services à domicile et les services aux groupes à risque, ont dû fermer leurs portes par manque de personnel;
- - dans les centres de services sociaux (CSS), seuls ont été maintenus les services d'urgence sociale (protection de la jeunesse, violence familiale);
- - dans les centres d'hébergement et les centres hospitaliers de soins de longue durée, 377 et 72 établissements respectivement, dont les patients sont des personnes très âgées (plus de 82 ans en moyenne) et en perte d'autonomie, l'ordre de grève fut majoritairement suivi, ce qui a eu pour effet, entre autres, d'annuler les bains, et ce pour des périodes allant jusqu'à trois jours, et de retarder les services des repas, parfois jusqu'à deux ou trois heures, le tout se limitant à des repas froids. Des bénévoles et des membres des familles des bénéficiaires, qui se sont présentés dans certains établissements pour offrir aux bénéficiaires les services de base, se sont vu refuser l'accès par les syndiqués ayant dressé des lignes de piquetage;
- - dans les 140 centres de réadaptation (qui offrent des services d'adaptation ou de réadaptation à des clientèles multiples: jeunes contrevenants et mésadaptés sociaux-affectifs; personnes qui présentent une déficience intellectuelle, physique ou sensorielle; alcooliques ou toxicomanes; jeunes mères en difficulté d'adaptation), très peu de services furent maintenus. Les secteurs plus touchés furent ceux des services alimentaires, de l'entretien et des services psychosociaux. Le maintien des services essentiels ne fut aucunement respecté dans les centres de réadaptation, l'essentiel des interventions étant assumé par le personnel-cadre de chaque établissement;
- - les 143 centres hospitaliers reçoivent des personnes à des fins de prévention, de diagnostic, de traitement médical et de réadaptation physique ou mentale. Ils se répartissent en trois groupes: les centres hospitaliers généraux et spécialisés, les centres hospitaliers et instituts universitaires, et les centres hospitaliers psychiatriques. Cette catégorie d'établissements fut la plus touchée par les moyens de pression et les grèves de 1989. Afin de limiter les effets de ces arrêts de travail sur les bénéficiaires et de préserver un minimum de qualité dans les soins dispensés, chaque administration a dû procéder à la réduction des admissions électives, c'est-à-dire des patients en attente d'être admis au centre hospitalier pour y recevoir des soins. Cette mesure se traduisit par la fermeture d'un certain nombre de lits qualifiés de "courte durée" (lits utilisés pour des périodes d'hospitalisation de moins de 60 jours).
- Le gouvernement joint en annexe un tableau complet de l'évolution des fermetures de lits et autres conséquences du manque d'effectifs (fermeture de salles d'opération, situation dans les salles d'urgence, etc.).
- 241. Durant les grèves de 1989, les organisations syndicales ont violé l'ensemble des dispositions relatives aux services essentiels. Ainsi, au lieu de négocier avec les employeurs une entente sur les services à maintenir en cas de grève et de soumettre cette entente au Conseil des services essentiels pour approbation, conformément à la loi, ou à défaut d'entente, de lui soumettre pour approbation leur liste des services à maintenir en tel cas, les syndicats ont unilatéralement déterminé les services essentiels qu'ils estimaient nécessaire de maintenir. Les syndicats contrôlaient tout l'exercice: ils déterminaient quels salariés seraient au travail et à quel poste sans même permettre à l'employeur d'être entendu sur cette question. Si ce dernier estimait les services insuffisants, compte tenu des dispositions législatives applicables et de la situation réelle de son établissement, il était obligé de demander aux syndicats l'ajout de services essentiels et ceux-ci décidaient des suites à y donner, le cas échéant. Dans certains cas, les syndicats n'assignaient pas nécessairement les travailleurs à leur poste habituel. A titre d'exemple, dans l'un des plus gros hôpitaux psychiatriques, aucun travailleur n'était autorisé par le syndicat à travailler aux cuisines ou à l'entretien ménager. De plus, à la buanderie où 12.000 tonnes de linge sont traitées chaque jour par cent travailleurs, le syndicat n'a assigné que douze personnes pour effectuer tout le travail.
- 242. Certains syndicats ont refusé le processus de médiation institué par la loi no 37, lequel constitue un préalable à l'acquisition du droit de grève. En outre, les syndicats n'ont pas donné les préavis de grève. En conséquence, le CSE est intervenu à plusieurs reprises, en vue d'assurer le respect des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux. Le gouvernement joint six de ces décisions à sa réponse.
- 243. Suivant la jurisprudence du comité, il est bien établi que le droit de grève peut être limité, voire interdit "dans les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou d'une partie de la population". A plusieurs reprises, le comité a reconnu que le secteur de la santé et des services sociaux constituait en regard de ce critère un service essentiel. Il a également indiqué dans une décision récente (265e rapport, cas no 1421, Danemark, paragr. 95) que l'ensemble des services essentiels devait être maintenu durant une grève. La situation était d'autant plus grave que les syndicats n'ont aucunement cherché à mettre à profit les procédures de négociations établies par la loi no 37; ils ont ainsi choisi, en contravention de l'article 8 de la convention no 87, de sortir du cadre de la légalité en déclenchant une grève sans assurer les services essentiels à la population et sans donner les avis requis. Ils s'exposaient ainsi aux pleines conséquences de la loi no 160, que le gouvernement commente comme suit.
- 244. En ce qui concerne la suspension de la retenue des cotisations syndicales à la source, il s'agit d'une mesure temporaire (12 semaines par jour ou partie de jour de grève) prise à la suite d'une grève illégale, qui n'empêchait pas les syndicats de percevoir eux-mêmes les cotisations en s'adressant à leurs membres. Le gouvernement s'étonne qu'une organisation syndicale qui prétend agir au meilleur des intérêts des personnes qu'elle représente et selon leur volonté se sente menacée dans sa puissance économique si elle doit percevoir elle-même de ces personnes l'argent destiné à financer ses activités, et qu'elle invoque les avantages que lui procure une partie du Code du travail alors qu'elle se place en situation d'illégalité par rapport à d'autres dispositions du même code. Le gouvernement a opté pour la responsabilisation des organisations syndicales qui doivent mesurer les conséquences des gestes posés, par elles-mêmes comme par leurs membres.
- 245. S'agissant des coupures de salaire, la jurisprudence interne en relations du travail reconnaît qu'il est approprié de suspendre, voire de congédier selon les circonstances, un travailleur qui se place en situation de grève illégale. Ce sont d'ailleurs les mesures disciplinaires généralement utilisées. Dans le secteur de la santé et des services sociaux, à cause du caractère essentiel des services dispensés par ce réseau, le législateur a conservé l'aspect pécuniaire de la suspension sans toutefois en retenir le second volet, c'est-à-dire l'absence du travailleur de son poste. Par ailleurs, dans ce secteur, des mesures telles que la suspension ou le congédiement s'avèrent impraticables lorsque le manquement est massif, car le remède serait alors pire que le manquement qu'il vise à prévenir ou à faire cesser. Il était en effet impensable de suspendre les quelque 110.849 travailleurs du réseau pour une durée égale à celle de la grève illégale. Le gouvernement a plutôt retenu une mesure adaptée à la réalité des établissements concernés et proportionnelle au manquement reproché: les salariés n'ont pas été payés pour les périodes de grève illégale et se sont vu imposer en outre une réduction de traitement égale au traitement qu'ils auraient perçu pour la durée de la grève illégale. Toute mésentente sur l'application de cette mesure peut être soumise à un arbitre de griefs. Si la mesure est confirmée, les sommes prélevées sont versées à une oeuvre de charité désignée par décret du gouvernement. En pratique, les décrets des 6 et 13 septembre ont désigné des organismes oeuvrant auprès des bénéficiaires du réseau de la santé et des services sociaux. Le gouvernement considère que, situées dans leur contexte, ces coupures de salaire ne constituent pas une violation de la liberté syndicale. Il s'agit d'une mesure beaucoup moins sévère que le congédiement pour participation à une grève illégale, que le comité a déjà admis dans le cas de la grève des contrôleurs aériens américains, même s'il a estimé qu'une telle mesure extrême n'était pas de nature à favoriser le développement de relations professionnelles harmonieuses.
- 246. Quant à la perte d'ancienneté, l'article 23 de la loi no 160 prévoit qu'un travailleur perd un an d'ancienneté par jour ou partie de jour de grève illégale. Cette mesure n'est pas automatique en ce sens qu'elle n'est applicable qu'à compter de la date déterminée par décret du gouvernement. De cette façon, le législateur a confié au gouvernement le soin d'évaluer la situation et de déterminer le moment opportun pour que cette mesure commence à s'appliquer, s'assurant ainsi d'une certaine progression dans l'application des mesures. Dans les faits, le gouvernement a décidé de rendre applicable la mesure relative à l'ancienneté lorsqu'il est devenu évident, après quelques jours de grève illégale, soit les 6 et 13 septembre 1989, respectivement, pour les membres de la FIIQ et de la CSN, que les autres mesures (suspension des retenues syndicales à la source, réductions de traitement et même l'éventualité de sanctions pénales) ne seraient pas suffisantes à elles seules, que le mouvement de grève illégale se prolongeait et prenait même de l'ampleur en ayant un effet d'entraînement sur d'autres organisations syndicales et leurs membres. Le législateur a donc fait preuve de retenue en prévoyant une mesure proportionnelle au manquement: un an par jour ou partie de jour plutôt qu'une perte totale d'ancienneté. Or, même en sachant le risque qu'ils couraient, les travailleurs et leurs organisations ont poursuivi le mouvement de grève illégale en prétendant qu'ils étaient les plus compétents, sinon les seuls à pouvoir déterminer les services qui devaient être maintenus. En l'espèce, les organisations syndicales n'ont même pas tenté de négocier en recourant aux moyens de pression dans le cadre légal applicable au maintien des services essentiels. En effet, il n'est pas démontré, faute par les organisations syndicales de l'avoir essayé, qu'une grève légale serait sans effet sur leur pouvoir de négociation ou qu'une telle grève ne constituerait pas un moyen efficace pour faire valoir les intérêts des travailleurs qu'elles représentent. Il est vrai que la promotion des intérêts des travailleurs est considérée à juste titre comme très importante; toutefois, dans une société démocratique, nul n'est au dessus des lois et ceux qui violent ces lois publiquement et en toute connaissance de cause ébranlent les fondements même d'une telle société. C'est justement un semblable comportement que l'article 8 de la convention no 87 vise à proscrire.
- 247. En ce qui concerne la modification des conventions collectives, le gouvernement souligne que la loi no 160 lui permet, en cas de grève illégale seulement, de remplacer, modifier ou supprimer toute disposition d'une convention collective applicable dans le réseau afin "de pourvoir au mode selon lequel l'employeur comble un poste, procède à l'embauche de nouveaux employés et à toute matière se rapportant à l'organisation de travail", et ce "uniquement aux fins d'assurer les services essentiels" (article 9 de la loi no 160). Ce pouvoir est accordé au gouvernement "à compter de la date, pour la période et aux conditions qu'il fixe". Deux décrets furent ainsi adoptés les 6 et 13 septembre 1989 concernant les membres de la FIIQ et de la CSN. Les décrets stipulent qu'ils demeurent en vigueur tant que les syndicats visés et les travailleurs ne se conforment pas à la loi. Ils cessent toutefois d'être en vigueur "lorsqu'une nouvelle convention collective intervient entre les parties négociantes habilitées à cette fin". Il s'agissait donc d'une mesure limitée quant à son objet et temporaire quant à ses effets, puisque les grèves illégales se terminèrent le 17 septembre 1989 et que des conventions collectives furent effectivement signées le 10 novembre 1989 avec la FIIQ, le 27 avril 1990 avec la FAS (CSN) et le 11 mai 1990 avec la FPPCQ (CSN). Etant donné le court laps de temps entre l'adoption des décrets et la fin des grèves, le gouvernement souligne que ces décrets sont demeurés sans effet pratique.
- 248. Le gouvernement souligne par ailleurs que, même si les articles 10 à 17 de la loi no 160 prévoient des sanctions pénales, aucune poursuite pénale ne fut intentée contre les travailleurs ou leurs organisations, malgré la gravité des actions concertées et malgré les dangers auxquels était exposée la population. Les mesures imposées aux organisations syndicales et aux travailleurs ayant débrayé illégalement ne sont que des mesures disciplinaires usuelles en droit du travail et ne constituent pas des sanctions criminelles ou pénales. Les mesures prévues par la loi no 160 étaient justifiées et proportionnelles aux actions menées dans l'illégalité par les travailleurs et leurs organisations syndicales, actions concertées effectuées au mépris de la vie ou des conditions normales d'existence des bénéficiaires des services de santé et des services sociaux.
- 249. En conclusion, le gouvernement prie le comité:
- - de surseoir à l'examen du cas en attendant la décision à intervenir au plan interne qui sera selon lui de nature à apporter des éléments supplémentaires d'information;
- - de considérer que la plainte n'appelle pas un examen plus approfondi; et
- - d'inviter les salariés et les organisations syndicales au respect des normes internationales du travail et au maintien des services essentiels dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 250. Dans le présent cas, les plaignants critiquent le contenu de la loi no 160 du 11 novembre 1986, adoptée par le Québec afin d'assurer le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux. Ils allèguent que cette loi viole les garanties judiciaires prévues par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, et que les sanctions qu'elle prévoit pour faits de grève ne sont pas compatibles avec les exigences de la convention no 87. Selon eux, cette loi a pour seul but de sanctionner les violations de la loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (dite loi no 37).
- 251. En ce qui concerne la demande d'ajournement de l'examen du cas, le comité observe que, quelle que soit l'issue des poursuites judiciaires engagées devant les tribunaux nationaux par la CSN et la FIIQ, cela n'aura pas réellement d'incidence sur la présente plainte qui s'inscrit dans un ordre juridique tout à fait distinct et doit s'analyser par rapport aux normes et principes internationaux sur la liberté syndicale. En outre, les parties ont fourni au comité des observations et des renseignements fort complets, appuyés par une abondante documentation (la réponse du gouvernement, avec ses annexes, comporte à elle seule plus de 200 pages) concernant tant la législation que les faits. Le comité n'estime donc pas opportun dans les circonstances de différer l'examen du cas puisque les jugements à venir ne sont pas susceptibles d'apporter des éléments supplémentaires d'information pertinents dans le cadre de la présente plainte.
- 252. En ce qui concerne les faits, le comité relève une certaine contradiction entre les allégations des organisations plaignantes, selon qui un niveau suffisant de services essentiels était maintenu ou prévu, et les observations du gouvernement qui fait état de graves perturbations dans les hôpitaux durant la période en cause. A cet égard, le comité a pris note des décisions rendues par le Conseil des services essentiels lorsqu'il a été appelé à intervenir dans les divers mouvements de pressions et grèves en juin et septembre 1989.
- 253. Le conseil a rendu plusieurs décisions (les 4, 8, 13 et 21 septembre) où il a statué que les grèves, annoncées ou en cours, étaient illégales. Il a ordonné aux syndicats et fédérations concernés de prendre toutes les mesures voulues pour faire rentrer leurs membres au travail, et à ces derniers de reprendre le travail. Le conseil a par ailleurs étudié en détail la situation factuelle dans plusieurs grands hôpitaux du Québec durant toute cette période, notamment dans ses décisions des 8 et 21 septembre, où le comité relève les conclusions et considérants suivants: "Non seulement le mode d'acquisition du droit de grève (dans les secteurs public et parapublic) est-il fort différent du régime général du Code du travail, mais l'exercice du droit de grève est soumis à des règles strictes et impératives. Il est clair que l'arrêt de travail orchestré par la fédération est illégal. Absolument aucune des prescriptions du Code du travail n'a été respectée ni en ce qui a trait aux avis ni en ce qui a trait aux services essentiels à maintenir pendant la grève ... Mentionnons que, dans une situation de grève illégale, il ne s'agit pas d'évaluer les services comme en temps de grève légale qu'entend fournir un syndicat. Nulle part dans le Code du travail, il n'est prévu qu'un syndicat puisse déclencher une grève illégale et ensuite fournir au besoin, selon sa propre évaluation, cas par cas, des effectifs comme voudrait le faire le syndicat dans le présent cas ... Les témoins entendus et l'examen des listes déposées décrivant les services de soins qui seront maintenus nous forcent à conclure que le conflit, s'il est déclenché, est vraisemblablement susceptible de causer préjudice aux services de santé auxquels la population a droit. Les infirmières jouent un rôle vital dans l'organisation des soins en milieu hospitalier. Les gestes qu'elles posent sont réglementés et exclusifs à leur corporation professionnelle. Leur absence tant dans les hôpitaux que dans les centres d'accueil peut causer préjudice à un service auquel le public a droit. Les fermetures de lits auxquelles sont contraints les employeurs, le refus des admissions avant même que ne soit déclenchée la grève, des ratios infirmières-patients nettement inférieurs aux standards usuels sont les facteurs qui nous forcent à conclure ainsi." (Pages 12 et 13 de la décision du 8 septembre.) La décision du 21 septembre est sensiblement au même effet.
- 254. Le comité observe que les parties ont été entendues par le conseil et ont pu présenter leurs arguments avant que celui-ci ne rende sa décision. Au demeurant, le conseil est sans aucun doute le mieux placé pour évaluer objectivement la réalité de la situation compte tenu de sa composition et des éléments d'information dont il dispose. Il semble donc avéré que les grèves de septembre 1989 ont effectivement causé de sérieuses perturbations dans les services de santé du Québec, rendant nécessaires dans plusieurs cas diverses mesures: fermeture de lits, refus d'admissions non urgentes, fermetures de cliniques externes, etc.
- 255. En ce qui concerne la législation, les critiques des organisations plaignantes visent la loi no 160 et l'éventail des mesures qu'elle introduit pour assurer l'application de la loi no 37. Le gouvernement soutient que les arguments des organisations plaignantes au sujet de la loi no 37 sont irrecevables puisque le comité a déjà examiné ces dispositions dans le cas no 1356, et "les a considérées dans l'ensemble comme conformes aux normes internationales". Le gouvernement soutient donc que le comité ne devrait pas rouvrir le cas puisqu'il a formulé des recommandations définitives à ce sujet. Avant de poursuivre l'examen quant au fond, le comité tient à rectifier cette perception et la conclusion que le gouvernement en tire.
- 256. La loi no 160 n'existe et n'a de signification que par rapport à la loi no 37: le comité ne saurait donc l'analyser isolément. Autrement dit, il serait illogique et inapproprié d'examiner la loi accessoire (loi no 160) sans tenir compte des dispositions de la loi principale (loi no 37). La question que doit se poser le comité est donc de savoir si l'ensemble législatif que constituent les lois nos 37 et 160 est compatible avec les principes de la liberté syndicale découlant des conventions internationales en la matière. Ce faisant, le comité ne procède pas à la réouverture d'un cas; il se borne à examiner les différentes composantes d'un régime juridique de négociation, ce qui peut l'amener à constater que des conclusions et recommandations antérieures sur une loi donnée ont, ou n'ont pas, été suivies d'effets.
- 257. Le comité n'entend pas revenir longuement sur l'analyse de la loi no 37 qu'il avait faite dans le cadre du cas no 1356. (248e rapport, paragr. 67-147, approuvé par le Conseil d'administration à sa 235e session.) Il souligne toutefois qu'il s'agissait surtout dans lesdits cas d'organisations d'enseignants alors que la présente plainte concerne exclusivement le secteur de la santé et des services sociaux, que le comité et la commission d'experts ont toujours considéré comme des services essentiels au sens strict du terme, dans lesquels le droit de grève peut être restreint, voire interdit. Le comité rappelle par ailleurs les commentaires qu'il avait ajoutés, reprenant en cela une jurisprudence établie de longue date: "... si le droit de grève fait l'objet de restriction ou d'interdiction dans la fonction publique ou les services essentiels, les garanties appropriées doivent être accordées pour protéger les travailleurs privés d'un moyen essentiel de défense de leurs intérêts professionnels. Les restrictions doivent être compensées par des procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides, aux diverses étapes desquelles les intéressés doivent pouvoir participer, les décisions arbitrales devant être obligatoires pour les deux parties et les jugements rendus devant être exécutés rapidement et de façon complète." (Ibid., paragr. 144.) Il avait en conséquence formulé, entre autres, la recommandation suivante: "Au sujet de la fixation des salaires pour les deuxième et troisième années d'une convention collective dans le secteur public, le comité suggère au gouvernement, en l'absence du droit de recourir à la grève, au cas où le mécanisme mis en place par la loi aboutirait à une impasse, d'envisager la possibilité d'établir au-delà dudit mécanisme une procédure permettant aux deux parties de faire appel à un médiateur ou à un arbitre indépendant pour résoudre le différend. Les décisions arbitrales devant être obligatoires pour les deux parties." (Ibid., paragr. 147 b).)
- 258. Le comité a dûment pris note des explications du gouvernement sur les raisons qui l'ont amené à établir le système de négociation existant et sur les contraintes, notamment économiques, auxquelles il doit faire face. Toutefois, le comité constate qu'en dernière analyse les salaires dans le secteur de la santé sont déterminés à l'échelle nationale par voie réglementaire. Après publication du rapport de l'Institut, le Conseil du trésor négocie avec les associations de salariés en vue de conclure une entente (article 53). Le président du Conseil du trésor doit déposer en mars de chaque année devant l'Assemblée nationale un projet de règlement fixant les échelles de salaires pour l'année en cours; les parties doivent être entendues devant une commission parlementaire avant que le projet de règlement ne puisse être soumis au gouvernement pour adoption (article 54); les échelles de salaires, non inférieures à celles de l'année précédente, sont celles prévues dans le règlement adopté par le gouvernement (article 55).
- 259. Les salariés du secteur de la santé, par conséquent, ne bénéficient toujours pas d'un mécanisme compensatoire de règlement impartial et indépendant, notamment en ce qui concerne les différends sur les salaires. Par ailleurs, même s'ils disposent d'un droit de grève, celui-ci est privé de toute efficacité réelle en raison des pourcentages minima élevés de services essentiels devant être maintenus (90, 80, 60 et 55 pour cent selon la nature de l'établissement). Le comité invite donc à nouveau le gouvernement à établir une procédure, lorsque les employés n'ont pas le droit de grève ou ont un droit de grève si restreint qu'il est dépourvu d'efficacité réelle, permettant aux deux parties en cas d'impasse dans les négociations de recourir à une procédure de conciliation et de médiation puis à faire appel à un arbitre indépendant pour résoudre le différend, les décisions arbitrales devant être obligatoires pour les deux parties et être exécutées complètement et rapidement. Le comité rappelle à cet égard qu'il est "... essentiel que tous les membres des organismes investis de fonctions de conciliation et d'arbitrage non seulement soient impartiaux, mais encore soient considérés comme tels par les intéressés, s'ils veulent gagner et garder la confiance de ceux-ci, confiance dont dépend réellement le succès de ces procédures." (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 370.)
- 260. Ce faisant, le comité souligne que ce n'est pas l'intégralité de la loi no 37 qui est ici en cause, mais uniquement l'absence d'un mécanisme compensatoire, impartial et indépendant pour le règlement des différends, notamment salariaux en cas d'impasse des négociations. Les autres volets du mécanisme de négociation mis en place par la loi no 37 ne posent pas de problème de principe du point de vue de la liberté syndicale. En particulier, le comité a noté le rôle confié à l'Institut de recherche et d'information sur la rémunération, organisme paritaire qui, outre son mandat de recherche et d'analyse sur la rémunération, "a pour fonction d'informer le public de l'état et de l'évolution comparés de la rémunération globale des salariés du gouvernement ..., d'une part, et de la rémunération globale des autres salariés québécois ..., d'autre part". (Article 19, loi no 37.) Le comité a également relevé avec intérêt le passage suivant dans une décision du conseil, où ce dernier explique comment il perçoit son rôle: "Le conseil a pour mandat d'intervenir lors d'un conflit, lorsqu'il estime qu'il y a préjudice à un service auquel le public a droit: c'est là sa première mission. Le Conseil des services essentiels demeure tout à fait étranger aux négociations qui ont lieu entre les parties et a pour seul rôle de veiller à ce que la population continue de recevoir les services de santé auxquels elle a droit. A plusieurs reprises, dans le cadre de ses décisions, le conseil a fait savoir aux parties qu'il croyait fermement que le meilleur moyen d'assurer la continuité des services était un bon climat de relations de travail dans les établissements du réseau de la santé et la possibilité pour les parties d'en arriver à un contrat de travail négocié. C'est la philosophie adoptée par le conseil dans l'exercice de son mandat." (Page 4 de la décision du 19 juin.)
- 261. S'agissant de la loi no 160 proprement dite et des arguments d'ordre constitutionnel soulevés par les plaignants, le comité estime d'abord qu'il n'est pas compétent pour formuler une opinion sur la compatibilité de cette législation avec les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, question qui est du ressort des tribunaux nationaux.
- 262. Les autres arguments des plaignants concernent en réalité la sévérité des sanctions prévues par la loi no 160 afin d'inciter fortement - pour ne pas dire forcer - les syndicats et leurs membres à respecter la loi no 37:
- - article 9: modification des conventions collectives pour "toute matière se rapportant à l'organisation du travail ... uniquement aux fins d'assurer les services essentiels";
- - articles 10 à 17: possibilité de poursuites pénales sanctionnées par des amendes (25-100 dollars; 5.000-25.000 dollars pour les dirigeants syndicaux; 20.000-100.000 dollars pour les syndicats). Les personnes qui aident ou encouragent sciemment la commission d'une infraction à la loi sont passibles des mêmes pénalités;
- - articles 18 et 19: suspension des retenues de cotisations syndicales à la source; douze semaines par jour ou partie de jour d'infraction;
- - articles 20 à 22: pas de salaire pour la durée de la grève illégale; réduction supplémentaire de traitement pour une durée équivalente;
- - article 23: perte d'une année d'ancienneté par jour ou partie de jour de grève illégale.
- 263. Le gouvernement admet lui-même qu'il s'agit effectivement de sanctions sévères. Le comité relève toutefois que, lors des événements entourant les négociations collectives de 1989, aucune poursuite pénale n'a été engagée contre les travailleurs et leurs organisations et que les dispositions prévoyant la modification des conventions collectives n'ont pas été mises en oeuvre. Le comité observe également que la loi no 160 est un texte permanent et que ces dispositions pourraient être invoquées à l'occasion d'un futur différend. Restent, dans le cas d'espèce, les trois autres mesures.
- 264. En ce qui concerne les retenues de salaire, le comité observe qu'elles se décomposent en deux éléments: le salaire non payé pour les journées de grève, ce qui n'est pas vraiment une sanction puisque la prestation de travail n'a pas été fournie; une retenue supplémentaire équivalente aux heures de travail non effectuées qui, elle, constitue effectivement une sanction monétaire. Cette sanction a un caractère proportionnel dans la mesure où sa sévérité est fonction de la durée de l'infraction.
- 265. Quant à la suspension des retenues de cotisations syndicales, le gouvernement souligne que le syndicat peut continuer à percevoir les cotisations en s'adressant directement aux membres. Bien que théoriquement possible, cette option pose en pratique dans le contexte de ce cas des difficultés considérables même si ces mesures ont un caractère temporaire. Il s'agit donc d'une réelle sanction qui tarit les sources de financement du syndicat, entrave sa capacité de fonctionnement et réduit les services assurés aux membres.
- 266. S'agissant des pertes d'ancienneté, le comité estime que c'est peut-être la mesure la plus susceptible de créer des difficultés à moyen et long terme, en ce qu'elle risque de perturber durablement le climat des relations professionnelles dans les établissements du secteur de la santé. En effet, l'ancienneté est le critère déterminant pour l'obtention de nombreux droits ou avantages: choix des postes, droit préférentiel aux dates de vacances, mutations, etc. Les conséquences négatives dans les relations entre employés et entre employeurs et employés sont facilement prévisibles. En ce qui concerne les sanctions, notamment pour faits de grève, le comité estime qu'il doit exister une certaine proportionnalité entre les sanctions imposées et les infractions commises si l'on souhaite rétablir un climat de relations professionnelles harmonieuses une fois un différend terminé. Ce principe trouve particulièrement application quant aux pertes d'ancienneté prévues par la loi no 160.
- 267. Les plaignants ont fait état d'une décision antérieure du comité traitant d'une législation (loi spéciale no 111), adoptée en 1983 par le gouvernement du Québec, qui comportait des dispositions semblables: deux jours de retenue de salaire par jour de grève, perte de trois ans d'ancienneté par jour de grève, suppression du prélèvement de la cotisation syndicale, etc. (Cas no 1171, 230e rapport, paragr. 114-171.) Le comité souligne cependant que la plainte en question concernait essentiellement des enseignants, alors qu'il s'agit dans le cas d'espèce de services essentiels au sens strict du terme.
- 268. Le comité rappelle cependant que les employés privés du droit de grève parce qu'ils rendent des services essentiels doivent bénéficier de garanties appropriées destinées à sauvegarder leurs intérêts: interdiction correspondante du droit de lock-out, établissement d'une procédure paritaire de conciliation et, seulement lorsque ces méthodes de conciliation échouent, institution d'une procédure paritaire d'arbitrage. En ce qui concerne les caractères d'un tel système, le comité a signalé que la limitation du droit de grève devrait s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer, et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement (Recueil, paragr. 397).
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 269. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité invite à nouveau le gouvernement, dans les cas où les employés concernés n'ont pas le droit de grève ou ont un droit de grève si restreint qu'il est dépourvu d'efficacité réelle, à établir une procédure permettant aux deux parties, en cas d'impasse dans les négociations, de recourir à une procédure de conciliation et de médiation, puis à faire appel à un arbitre indépendant pour résoudre le différend, les décisions arbitrales devant être obligatoires pour les deux parties et être exécutées complètement et rapidement.
- b) Rappelant que des sanctions disproportionnées par rapport aux infractions commises ne sont pas de nature à favoriser un climat de relations professionnelles harmonieuses, le comité invite le gouvernement à tenir compte du critère de proportionnalité dans l'application de la loi no 160 aux employés et syndicats du secteur de la santé et des services sociaux. Il lui suggère, dans le but de rétablir des relations professionnelles harmonieuses, de réexaminer ou modifier les mesures et sanctions déjà imposées.
- c) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation des relations professionnelles dans les secteurs public et parapublic.