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- 99. Le comité a examiné pour la dernière fois la présente affaire à sa 61e session, tenue à Genève le 30 mai 1972, à l'occasion de laquelle il a présenté au conseil d'administration un rapport intérimaire contenu aux paragraphes 119 à 148 de son 131e rapport. Ce rapport a été adopté par le Conseil d'administration à sa 186e session (Genève, 2-3 juin 1972).
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 100. A la suite du dernier examen du cas par le comité, seule une série d'allégations - relative à l'arrestation et au décès du syndicaliste Olavo Hansen - restait en suspens.
- 101. Les allégations relatives à M. Olavo Hansen avaient été formulées par la Confédération latino-américaine syndicale chrétienne (CLASC) dans une communication en date du 8 juin 1970, par la Confédération mondiale du travail (CMT) dans une communication du 17 juin 1970 et par la Fédération syndicale mondiale (FSM) dans une communication en date du 19 juin 1970. Le gouvernement avait fait parvenir ses observations par une communication du 27 octobre 1970.
- 102. Les plaignants soutenaient qu'un syndicaliste de Sao Paulo, M. Olavo Hansen, avait été arrêté en même temps que seize de ses camarades, alors qu'ils participaient à la célébration du 1er mai, officiellement autorisée, sur le terrain de sports "Maria Zelia" à Sao Paulo. Il était allégué, en outre, que M. Hansen aurait été soumis à des interrogatoires prolongés par la police politique (DEOPS) et aurait fait l'objet de sévices tels que, après avoir réintégré sa cellule, il ne pouvait même plus se tenir debout. Durant quelques jours, il serait demeuré étendu sur son grabat, incapable de se lever, de parler ou même d'uriner. Le 13 mai, son cadavre aurait été retrouvé à proximité du musée d'Ipiranga; le corps aurait été couvert de lésions et de contusions, conséquences des tortures brutales qui lui avaient été infligées. Son décès, dont l'acte a été dressé le 9 mai 1970, n'aurait été notifié à sa famille que le 13 mai de la même année, soit le jour où le cadavre a été découvert.
- 103. Le gouvernement a présenté ses observations sur les allégations analysées ci-dessus dans sa communication du 27 octobre 1970. La réponse du gouvernement consistait essentiellement en un résumé du rapport dont a été saisi le juge instructeur au sujet de l'enquête menée par le parquet pour déterminer les causes du décès d'Olavo Hansen. D'après ce document, Olavo Hansen et d'autres personnes ont été arrêtés le 1er mai 1970, au parc des sports de "Vila Maria Zelia", et une enquête de police a été ordonnée contre eux pour atteinte à la sécurité de l'Etat, plus précisément, pour avoir distribué des tracts subversifs. Selon le gouvernement, Hansen était un élément militant de l'aile trotskyste qui avait déjà été traduit, en 1964, devant la justice militaire et était en contact avec des personnes inculpées d'atteinte à la sécurité nationale; en outre, il était un des responsables du journal "Frente Operaria", organe du Parti ouvrier révolutionnaire travailliste.
- 104. Le gouvernement déclarait également que, après avoir passé par le 1er bataillon de police, puis par l "Operaçao Bandeirante" (OBAN), Hansen avait été entendu le 4 mai 1970 par le Département de l'ordre politique et social (DEOPS). M. Dias, chargé des interrogatoires préliminaires, a alors constaté qu'il "ne montrait pas avoir subi de sévices ou de mauvais traitements de quelque sorte que ce soit".
- 105. Le gouvernement ajoutait que, le 8 du même mois, Hansen, se sentant mal, avait demandé la présence d'un médecin et avait été examiné par le docteur Ciscato (médecin de la polyclinique du DEOPS), qui a décidé son transfert à l'hôpital militaire de Sao Paulo, où il a été hospitalisé et assisté comme il se devait. Hansen est décédé le lendemain 9 mai vers les six heures, le médecin de l'hôpital militaire ayant indiqué comme "causa mortis" une insuffisance rénale due à une poussée aiguë d'une affection chronique. Il ressort du procès-verbal d'autopsie, établi le même jour, que l'examen interne du cadavre a donné un résultat négatif des points de vue anatomo-pathologique et médico-légal. Cependant, un examen du contenu de l'estomac et de prélèvement du sang et du foie aux fins d'analyse toxicologique s'est révélé positif en ce qui concerne l'insecticide "Paration".
- 106. Le gouvernement relevait en outre que, à la veille de son arrestation, M. Hansen travaillait à l'entreprise "Industria Agro-Pecuaria", laquelle utilise des engrais et des insecticides, le produit "Paration" figurant dans la formule de certains de ces insecticides. S'il n'a pas été établi que, au moment de l'arrestation, l'intéressé était porteur d'une certaine quantité de "Paration", la police a été d'avis qu'il aurait pu en receler dans ses vêtements ou dans son corps. De plus, notait le gouvernement, le docteur Ciscato, appelé dans la nuit du 8 mai à examiner l'intéressé, a déclaré que celui-ci lui avait dit avoir souffert de troubles rénaux il y a de nombreuses années et qu'il était en traitement. Selon le médecin, le décès devait être attribué à l'insuffisance rénale du patient.
- 107. Le gouvernement déclarait, en conclusion, que l'enquête ordonnée pour éclaircir les circonstances de la mort de M. Hansen avait montré que la cause la plus probable du décès était une intoxication provoquée par l'insecticide "Paration", tout portant à croire que l'intéressé, lors de son arrestation, avait sur lui une certaine quantité de ce poison, ou qu'il souffrait déjà d'une intoxication chronique qui a été à l'origine de son insuffisance rénale. Le gouvernement soutenait en conséquence que, du moment que Hansen souffrait de cette affection avant d'avoir été admis à l'hôpital militaire et qu'il y reçut les soins médicaux nécessaires, le décès était dû à des circonstances naturelles si bien qu'il ne pouvait être imputable à des tiers.
- 108. à sa session de février 1971, le comité avait noté que, d'après les observations du gouvernement, une enquête avait eu lieu, qui avait permis de conclure que le décès d'Olavo Hansen ne pouvait être attribué à des tiers. Il avait cependant cru devoir relever que, si l'enquête avait établi que M. Hansen était décédé le 9 mai 1970 par suite d'une intoxication provoquée par le produit "Paration", à un moment où l'intéressé souffrait déjà de troubles rénaux, le gouvernement n'avait pas fait de commentaires ou présenté d'observations au sujet de l'allégation selon laquelle le corps de la victime aurait été retrouvé, couvert de contusions et d'hématomes, à proximité du musée d'Ipiranga, le 13 mai 1970, soit le jour où le décès a été notifié à la famille. Le comité avait estimé qu'il devrait disposer d'informations complémentaires du gouvernement pour être à même de formuler ses conclusions sur cet aspect de la plainte.
- 109. Le comité avait donc recommandé au Conseil d'administration, d'une part, de prier le gouvernement de lui fournir des informations détaillées sur les procédures suivies lors de l'inter rogatoire de M. Olavo Hansen, d'autre part, de demander au gouvernement de communiquer ses observations au sujet des allégations selon lesquelles le cadavre d'Olavo Hansen a été retrouvé, couvert de contusions et d'hématomes, à proximité du musée d'Ipiranga le 13 mai 1970, ainsi que le texte de la décision du tribunal et des attendus.
- 110. Dans une communication du 20 octobre 1971, le gouvernement s'est borné à répéter que M. Hansen était décédé à l'hôpital militaire général de Sao Paulo, ce qui, à ses yeux, retirait tout fondement aux allégations mentionnées au paragraphe précédent.
- 111. à sa session de novembre 1971, dans l'espoir d'y voir plus clair, le comité a demandé aux plaignants toutes précisions et tous éléments de preuve disponibles sur cet aspect du cas.
- 112. A sa session de mai 1972, le comité a constaté qu'aucun élément nouveau ne lui avait été communiqué sur l'aspect de l'affaire dont il est question.
- 113. Dans ces conditions, le comité avait recommandé au Conseil d'administration: a) de constater, comme il l'avait déjà fait, la gravité des allégations relatives aux circonstances de la mort de M. Olavo Hansen; b) de donner aux plaignants une nouvelle occasion de fournir les informations mentionnées au paragraphe 111 ci-dessus et de demander à nouveau au gouvernement que celui-ci fournisse les informations dont la nature est précisée au paragraphe 109 ci-dessus.
- 114. Depuis lors, la FSM, dans une communication en date du 6 juin 1972, déclare avoir été assurée par des syndicalistes brésiliens de la véracité des faits rapportés au paragraphe 102 ci-dessus. La FSM joint à sa communication des extraits de la presse brésilienne de l'époque qui font état de la mort violente de M. Olavo Hansen, du fait de la police politique.
- 115. Dans sa communication, la FSM déclare que le leader du mouvement démocratique brésilien (MDB), M. Pedroso Horta, député, a soulevé la question de la mort de M. Hansen devant la Chambre des députés en exigeant du gouvernement qu'il ordonne une enquête sur le décès de l'intéressé à la prison de Santo André et qu'il prenne des mesures pour faire punir les tortionnaires d'Olavo Hansen. Le chef adjoint du parti du pouvoir (Alianza Renovadora), M. Cantidio Sampao, aurait déclaré qu'une enquête serait organisée qui aboutirait à la punition des responsables, "car le gouvernement ne soutenait pas de tels actes".
- 116. Le même jour, poursuit la FSM, le député Humberto Lucena a lu à la tribune de la Chambre un télégramme adressé par les syndicats de Sao Paulo au Président de la République, "l'informant de l'assassinat d'Olavo Hansen par la police politique dans la prison de Santo André". Ayant entendu cette dénonciation, M. Cantidio Sampao aurait déclaré qu'il était surprenant qu'on ait pu déclarer dans ces conditions que la cause de la mort d'Olavo Hansen était "indéterminée" comme l'avait fait l'Institut de médecine légale.
- 117. La FSM déclare ensuite que les parents de M. Olavo Hansen se sont présentés devant la chambre des députés pour demander à M. Pedroso Horta, leader du Mouvement démocratique brésilien, qu'il obtienne la condamnation "de l'acte criminel commis par la police politique". Le député Pedroso Horta aurait déclaré aux parents de M. Hansen qu'il était inutile de poursuivre leurs efforts, "car le gouvernement jouissait d'une large majorité au Parlement et qu'il était impossible de faire adopter l'organisation d'une enquête".
- 118. En conclusion, la FSM s'exprime en ces termes: "La mort de Olavo Hansen dans les prisons de Sao Paulo a eu de très grandes répercussions dans les milieux syndicaux du pays aussi bien que dans l'opinion publique. En refusant systématiquement l'ouverture d'une enquête, comme cela avait été proposé à la Chambre des députés et par les organisations syndicales de Sao Paulo, le gouvernement du Brésil ne fait qu'admettre la réalité du crime commis en la personne du travailleur Olavo Hansen, ouvrier de l'industrie chimique de Sao Paulo, membre du syndicat des travailleurs des industries chimiques et pharmaceutiques de Santo André et Maria."
- 119. Le gouvernement, de son côté, a présenté de nouvelles observations par une communication en date du 30 octobre 1972.
- 120. Dans cette communication, le gouvernement relève que les informations complémentaires du 6 juin 1972 de la FSM - dont le texte lui avait été transmis - n'ajoutent rien de nouveau à la plainte déposée le 19 juin 1970 par cette organisation. En effet, déclare le gouvernement, ces informations se limitent à fournir un résumé très unilatéral des informations publiées par certains journaux à l'époque de la mort de M. Hansen, alors que les résultats de l'enquête menée par le pouvoir judiciaire sur la mort de M. Hansen n'étaient pas encore connus.
- 121. Le gouvernement estime que toutes les questions soulevées par la mort de M. Hansen ont été suffisamment éclaircies par sa première note, datée du 27 octobre 1970, par laquelle tous les renseignements fournis au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale par les organes compétents du pouvoir judiciaire ont été dûment communiqués au comité. Il présente cependant les observations analysées dans les paragraphes qui suivent.
- 122. Le cas concernant M. Olavo Hansen, déclare le gouvernement, comme celui-ci l'a toujours indiqué, n'a aucun rapport avec l'exercice d'activités syndicales; la vraie nature des activités auxquelles se livrait M. Hansen au moment de son arrestation est démontrée clairement par les textes que lui et ses compagnons étaient en train de distribuer; en fait, ces textes visaient surtout à inciter les ouvriers à la subversion de l'ordre public et étaient signés par le "Parti ouvrier révolutionnaire, section brésilienne de la IVe Internationale".
- 123. M. Olavo Hansen, déclare le gouvernement, comme il a été indiqué à plusieurs reprises, est décédé à l'hôpital militaire général de Sao Paulo, où il avait été transporté d'urgence pour recevoir l'assistance médicale exigée par une crise aiguë d'insuffisance rénale; après avoir été examiné par un groupe de médecins de l'Institut de médecine légale, le corps a été rendu à la famille pour l'enterrement; ces experts ont déclaré que la "causa mortis" était une insuffisance rénale qui n'avait jamais été convenablement soignée.
- 124. Le gouvernement admet que les débats concernant ce cas ont fait l'objet d'articles dans la presse brésilienne et de discussions au congrès national; il ajoute que cela ne fait que prouver l'existence au Brésil d'un climat normal de liberté d'expression qui "permet d'éclaircir des questions comme celle-ci". De plus, déclare le gouvernement, "on ne peut dire, sans fausser la vérité, que le gouvernement brésilien se soit opposé à une enquête en la matière: la Chambre des députés n'a pas jugé opportun d'en mener une du fait que, dans le cas particulier de la mort de M. Hansen, une enquête judiciaire avait été immédiatement ouverte par le juge auditeur de la seconde Circonscription judiciaire militaire, par ordre du secrétaire à la Sécurité publique de l'Etat de Sao Paulo".
- 125. "Le gouvernement brésilien - poursuit la réponse du gouvernement - considère cette affaire comme close. Elle a fait l'objet d'une décision judiciaire, datée du 19 décembre 1970, par laquelle le juge auditeur a conclu, après avoir examiné tous les éléments, à l'évidence de la mort naturelle de M. Hansen, due à une crise aiguë d'insuffisance rénale. La procédure judiciaire a suivi son cours et le cas est donc matière jugée. Par conséquent, le gouvernement brésilien n'a pas le droit d'en rouvrir l'examen."
- 126. Par une communication en date du 22 janvier 1973, adressée au Directeur général, la Fédération des travailleurs des industries chimiques et pharmaceutiques de l'Etat de Sao Paulo, en son nom et au nom de son affilié, le Syndicat des travailleurs des industries chimiques et pharmaceutiques de Santo André, demande que le cas de M. Olavo Hansen soit classé. A l'appui de cette demande, l'organisation en question avance que l'affaire a été élucidée de manière satisfaisante par les organismes nationaux compétents.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 127. Tout en prenant note de cette communication, le comité constate qu'elle émane d'une organisation qui n'est pas plaignante dans l'affaire. Etant donné que les plaignants d'origine n'ont pas, pour leur part, retiré leurs plaintes et que, par ailleurs, tant la FSM que le gouvernement ont fourni des informations nouvelles sur le fond de l'affaire, le comité n'estime pas que la communication de la Fédération des travailleurs des industries chimiques et pharmaceutiques de l'Etat de Sao Paulo soit de nature à l'amener à se dessaisir du cas et il considère qu'il doit examiner celui-ci au fond.
- 128. Le comité prend donc note des observations du gouvernement contenues dans sa communication du 30 octobre 1972 et analysées aux paragraphes 120 à 125 ci-dessus. Il regrette cependant que le gouvernement se soit abstenu de fournir, comme cela lui avait été demandé, des informations précises sur les procédures suivies lors de l'interrogatoire de M. Hansen, de même que ses observations sur les allégations spécifiques selon lesquelles le corps de M. Hansen, décédé le 9 mai 1970, aurait été retrouvé le 13 couvert de contusions et d'hématomes à proximité du musée d'Ipiranga; de tels renseignements auraient été utiles pour tenter de faire la lumière sur les faits évoqués dans les plaintes.
- 129. En dépit de ses efforts répétés en vue d'obtenir des informations susceptibles de l'aider à établir la vérité sur les circonstances troublantes du décès de M. Olavo Hansen, force est au comité de constater qu'il se trouve placé, depuis le début de son examen de l'affaire, devant deux versions contradictoires des faits, ce qui le met dans l'impossibilité de se prononcer en connaissance de cause.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 130. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de prendre note des informations complémentaires fournies par la Fédération syndicale mondiale, analysées aux paragraphes 114 à 118 ci-dessus, de même que des observations du gouvernement contenues dans la communication du 30 octobre 1972 de celui-ci et analysées aux paragraphes 120 à 125 ci-dessus;
- b) de regretter que le gouvernement se soit abstenu de fournir les informations précises demandées sur les points mentionnés au paragraphe 128 ci-dessus, qui lui auraient été utiles pour tenter de faire la lumière sur les faits évoqués dans la plainte;
- c) de déplorer le fait qu'en dépit de ses efforts répétés en vue d'obtenir des informations susceptibles de l'aider à établir la vérité sur les circonstances du décès de M. Olavo Hansen, le comité et, à sa suite, le Conseil d'administration restent placés devant deux versions contradictoires des faits, ce qui les met dans l'impossibilité de se prononcer en connaissance de cause au sujet d'allégations de la plus haute gravité.