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Observation (CEACR) - adoptée 2022, publiée 111ème session CIT (2023)

Convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 - Türkiye (Ratification: 1952)

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La commission prend note des observations de la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK), reçues le 31 août 2022; ainsi que de celles de la Confédération syndicale internationale (CSI), et de la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DİSK), reçues le 1er septembre 2022, qui concernent les questions examinées dans le présent commentaire, et de la réponse du gouvernement à ces observations. La commission prend également note des observations de la Confédération turque des associations d’employeurs (TISK), communiquées avec le rapport du gouvernement.
La commission note en outre que le Comité de la liberté syndicale a attiré son attention sur les aspects législatifs du cas 3410 (Rapport no 399, juin 2022, paragr. 352). Ces questions sont examinées ci-après.
Articles 1 à 6 de la convention. Champ d’application de la convention. Personnel pénitentiaire. La commission avait noté dans ses précédents commentaires que le personnel pénitentiaire ne jouissait pas du droit d’organisation, même s’il était couvert par les conventions collectives conclues dans la fonction publique comme tous les autres fonctionnaires. Le gouvernement indique à cet égard que: i) les dispositions pertinentes des conventions ratifiées sur la liberté syndicale et la négociation collective ont été prises en compte lors de l’élaboration de la loi no 4688; ii) l’article 15 exclut du droit de constituer des syndicats et de s’y affilier les personnes travaillant dans des organisations d’importance stratégique et occupant des postes qui recourent aux pouvoirs de la police et aux services de renseignement de l’État, y compris le personnel pénitentiaire; et iii) cette disposition a été rédigée en tenant compte du fait que l’interruption de certains services publics ne peut être compensée, comme la sécurité, la justice et la haute fonction publique. La commission note avec préoccupation qu’en dépit des observations qu’elle formule depuis longtemps au titre des conventions nos 87 et 98, le gouvernement ne fait état d’aucun progrès concernant la reconnaissance du droit syndical du personnel pénitentiaire. Elle rappelle à cet égard qu’aux termes de la convention no 98, le personnel pénitentiaire a le droit de négociation collective, ce qui inclut le droit d’être représenté dans les négociations par l’organisation de son choix. Notant l’indication du gouvernement concernant une éventuelle «perturbation» des services assurés par les catégories de travailleurs exclus au titre de l’article 15, la commission rappelle que le droit de constituer des organisations et de s’y affilier, ainsi que de négocier collectivement par l’intermédiaire de l’organisation de son choix, doit être distingué du droit de grève. La commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, notamment la révision de l’article 15 de la loi no 4688, en vue de garantir que le personnel pénitentiaire peut effectivement être représenté par les organisations de son choix dans les négociations collectives. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur tous les progrès réalisés à cet égard.
Travailleurs suppléants et fonctionnaires dépourvus de contrat de travail écrit. Dans son précédent commentaire, la commission avait noté que ces catégories de travailleurs sont exclues du champ d’application de la loi no 4688 et avait prié le gouvernement de fournir des informations détaillées sur leur liberté syndicale et leur droit de négociation collective. Le gouvernement indique que l’article 51 de la Constitution reconnaît le droit de se syndiquer comme un droit constitutionnel aux travailleurs, aux employeurs et aux fonctionnaires. Les fonctionnaires sont définis à l’article 3(a) de la loi no 4688 et les personnes travaillant à titre de remplaçants dans les institutions publiques (travailleurs suppléants) ne peuvent être employées dans aucun cadre ou poste visé à l’article 3(a), et ne peuvent donc pas être membres des syndicats établis en application de la loi no 4688. Prenant note des indications du gouvernement et considérant que les dispositifs relatifs au travail de suppléance concernent notamment les travailleurs des secteurs publics de l’éducation et de la santé, tels que les enseignants, les sage-femmes et les infirmières, la commission rappelle qu’en vertu des articles 5, paragraphe 1, et article 6 de la convention, seuls les «membres des forces armées et de la police» et les «fonctionnaires commis à l’administration de l’État» peuvent être exemptés des garanties consacrées par la convention et que le statut contractuel des employés du secteur public, ou l’absence de statut contractuel, ne devrait pas affecter la jouissance de leurs droits au titre de la convention. La commission prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, notamment législatives, pour que ces catégories de travailleurs puissent exercer leur droit d’organisation et de négociation collective, soit en leur permettant de s’affilier à des organisations constituées en vertu de la loi no 4688, soit en leur offrant un cadre dans lequel ils peuvent constituer leurs propres organisations. Elle prie en outre le gouvernement de fournir des informations sur toute mesure prise à cet égard.
Articles 1, 2 et 3 de la convention. Licenciements en masse dans le secteur public en application des décrets adoptés pendant l’état d’urgence. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté qu’à la suite de la tentative de coup d’État de 2016, un nombre élevé de syndicalistes et de responsables syndicaux avaient fait l’objet de suspensions et de licenciements dans le cadre de l’état d’urgence et qu’une commission d’enquête avait été créée pour examiner les plaintes déposées contre les mesures prises dans ce contexte, dont les décisions pouvaient faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs. La commission avait prié le gouvernement de fournir des informations sur le nombre de demandes reçues de la part de syndicalistes et sur le nombre et l’issue des recours en cas de décision négative de la commission d’enquête les concernant, et de répondre aux allégations concernant les cas de licenciement de membres du Syndicat des travailleurs de l’éducation et de la science de Turquie (EĞİTİM SEN). Le gouvernement indique à cet égard que: i) le licenciement de fonctionnaires, qui peut inclure certains représentants syndicaux en vertu des décrets sur l’état d’urgence, est fondé sur leur appartenance, leur affiliation ou leur lien avec des organisations terroristes; ii) les décisions de la commission d’enquête peuvent faire l’objet d’un recours devant neuf chambres du tribunal administratif d’Ankara qui sont spécifiquement mandatées par le Conseil des juges et des procureurs; iii) au 27 mai 2022, la commission avait reçu 127 130 demandes et rendu des décisions concernant 124 235 cas, le nombre de demandes dont l’examen est toujours en cours s’élevant donc à 2 985. Dans les 33 mois qui ont suivi le début de l’activité de la commission, 87 pour cent des demandes ont été examinées; iv) 106 970 demandes ont été rejetées et 17 265 ont été jugées recevables. Sur ce dernier nombre, 61 demandes concernent l’ouverture d’organisations qui ont été fermées, y compris des associations; v) il n’y a pas de données statistiques sur le nombre de représentants syndicaux concernés par les décrets d’état d’urgence ou ceux qui ont saisi la justice. Cependant, deux confédérations et dix syndicats dissous en raison de leur lien avec l’organisation terroriste FETO ont saisi la commission d’enquête et leurs cas sont toujours en instance; vi) selon les chiffres figurant dans l’observation de l’Internationale de l’éducation, le taux des membres de l’EĞİTİM SEN ayant été réintégrés est beaucoup plus élevé que le taux moyen (38,5 pour cent et 11,5 pour cent respectivement), ce qui montre qu’il n’y a pas de discrimination à l’égard des membres de l’EĞİTİM SEN. La commission prend également note des observations de la KESK à cet égard, signalant que: i) au total, 4 267 membres de la KESK issus de tous les secteurs publics ont été licenciés en application des décrets émis pendant l’état d’urgence; ii) plus de cinq ans après les licenciements, plusieurs demandes de syndicalistes et dirigeants syndicaux licenciés de la KESK sont toujours en instance devant la commission d’enquête. L’organisation allègue que le retard dans l’examen de leurs demandes est délibéré et précise que la procédure complète, y compris l’appel, peut prendre jusqu’à dix ans; iii) les membres de la KESK qui avaient signé la pétition appelant à la fin des combats en Anatolie de l’Est et du Sud-Est six mois avant la tentative de coup d’État, et qui ont ensuite été licenciés en application des décrets adoptés pendant l’état d’urgence, ont eu gain de cause devant la Cour constitutionnelle le 26 juillet 2019. La Cour a souligné qu’aucune sanction ne peut être imposée à ces universitaires pour avoir signé la pétition; toutefois, la commission d’enquête n’a pas pris ce jugement en considération; iv) il n’existe aucune base légale pour accuser les membres de la KESK de lien avec des organisations terroristes ou toute autre organisation menant des activités contre la sécurité nationale. Les licenciements ont eu lieu de manière arbitraire et les employés n’ont pas été informés des accusations à leur encontre et n’ont pas pu se défendre. Ils ne peuvent toujours pas bénéficier d’un quelconque mécanisme transparent pour contester les prétendues preuves présentées contre eux; et v) bien que l’état d’urgence soit levé, les gouverneurs et les ministères ont continué à utiliser l’article provisoire 35 du décret-loi d’urgence no 375, licenciant, le 29 novembre 2021, 21 enseignants membres de l’EĞİTİM SEN de Diyarbakir. La commission note avec un profond regret, qu’une fois de plus, malgré les demandes répétées de la commission, le gouvernement ne fournit pas d’informations sur le nombre de cas concernant des syndicalistes dont sont saisis la commission d’enquête et les tribunaux administratifs, ni sur l’issue de ces affaires. Dans ce contexte, la commission prend note avec préoccupation des observations de la KESK concernant le retard pris par la commission d’enquête dans l’examen des demandes de syndicalistes, et les problèmes signalés concernant les droits de la défense, l’examen des preuves et la charge de la preuve. La commission rappelle à cet égard qu’une protection adéquate contre la discrimination antisyndicale exige des procédures efficaces et rapides, garantissant sans délai des enquêtes indépendantes, rapides et approfondies sur les allégations. Étant donné que le gouvernement continue à déclarer que les licenciements et les suspensions sont fondés sur des liens présumés avec des organisations terroristes, et compte tenu de l’allégation de la KESK selon laquelle il n’existe pas de mécanisme transparent permettant aux agents publics de contester les preuves retenues contre eux, la commission rappelle fermement que dans les procédures concernant des allégations de discrimination antisyndicale, faire peser sur les travailleurs la charge de prouver que l’acte en question a eu lieu à la suite d’une discrimination antisyndicale peut constituer un obstacle insurmontable pour établir la responsabilité et garantir un recours efficace. Compte tenu de ce qui précède, la commission exprime le ferme espoir que la commission d’enquête et les tribunaux administratifs qui examinent ses décisions statueront avec soin et diligence sur les motifs de licenciement des syndicalistes et des dirigeants syndicaux du secteur public et ordonneront la réintégration des syndicalistes licenciés pour des motifs antisyndicaux. La commission prie également le gouvernement de fournir des informations sur la manière dont les preuves sont examinées et la charge de la preuve appliquée dans les affaires concernant des syndicalistes devant la commission d’enquête et les tribunaux administratifs. Elle prie aussi à nouveau instamment le gouvernement de fournir des informations détaillées et précises sur le nombre et l’issue des demandes concernant des syndicalistes et des responsables syndicaux en cours devant la commission d’enquête, ainsi que sur le nombre et l’issue des recours contre les décisions rejetant ces demandes. Enfin, la commission prie le gouvernement de faire part de ses commentaires concernant l’allégation selon laquelle les pouvoirs d’exception continuent à être utilisés pour licencier des syndicalistes.
Article 1. Protection inadéquate contre les licenciements antisyndicaux. Secteur privé. La commission note que le cas no 3410 soumis au Comité de la liberté syndicale concerne en partie la question de l’insuffisance des recours juridiques offerts aux victimes de licenciements antisyndicaux dans le secteur privé. Elle note que les dispositions légales en question sont l’article 21(1) de la loi sur le travail (loi no 4857) et l’article 25(5) de la loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail (loi no 6356). La commission note que l’article 21(1) de la loi no 4857 dispose ce qui suit:
Si le juge ou l’arbitre conclut que le licenciement est injustifié [...], l’employeur doit réengager le salarié dans un délai d’un mois. Si l’employeur ne réintègre pas le salarié à son poste alors que ce dernier en fait la demande, l’employeur devra lui verser une indemnité qui ne peut être inférieure à quatre mois de salaire ni supérieure à huit mois de salaire.
L’article 25 (5) de la loi no 6356 dispose ce qui suit:
Lorsqu’il a été établi que le contrat de travail a été résilié en raison d’activités syndicales, une indemnité syndicale est ordonnée indépendamment de toute demande de réintégration du salarié et de la décision de l’employeur de l’autoriser à réintégrer son poste ou de s’y opposer, conformément à l’article 21 de la loi no 4857. Toutefois, au cas où le travailleur n’est pas autorisé à reprendre le travail, l’indemnité prévue au premier paragraphe de l’article 21 de la présente loi no 4857 ne s’applique pas. Le fait de ne pas saisir la justice comme le prévoient les dispositions susmentionnées de la loi no 4857 ne constitue pas un obstacle pour le travailleur à réclamer séparément une indemnité syndicale.
La commission note également que le gouvernement, dans sa réponse aux allégations de l’organisation plaignante devant le Comité de la liberté syndicale, réitère que la législation nationale ne contient aucune disposition prévoyant la réintégration inconditionnelle au travail, et prévoit plutôt le droit de l’employeur de choisir d’engager à nouveau le salarié ou de lui verser une indemnité supplémentaire; en outre, selon le gouvernement, en vertu du droit civil, aucun employeur ne doit être contraint d’engager un travailleur. La commission prend également note des observations de la DİSK à ce sujet, indiquant que l’incapacité des tribunaux à ordonner à l’employeur de réintégrer les travailleurs licenciés permet à certains employeurs de se débarrasser plus facilement du syndicat sur le lieu de travail en licenciant simplement tous les membres actifs du syndicat. La DİSK se réfère également à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tek Gıda İş Sendikası v. Türkiye, dans lequel la Cour a déduit du refus de l’employeur de réintégrer les salariés licenciés et de l’octroi d’indemnités insuffisantes pour dissuader l’employeur de procéder à des licenciements abusifs, que la loi nationale, tel qu’appliquée par les juridictions, n’imposait pas de sanctions suffisamment dissuasives pour l’employeur qui, selon la Cour, en procédant à des licenciements massifs abusifs, a réduit à néant les droits du syndicat requérant. La commission prend également note des allégations de la CSI, indiquant que les syndicalistes en Turquie vivent sous la menace constante de représailles, toute tentative de former des syndicats étant dissuadée par le licenciement des organisateurs syndicaux. La CSI et la DİSK font tous deux réfèrent, dans leurs observations, à de nombreux cas de licenciements antisyndicaux dans différents secteurs. La commission rappelle que, dans ses observations précédentes, elle avait également noté de nombreuses allégations de discrimination antisyndicale, notamment des licenciements, dans la pratique. Compte tenu des indications récurrentes dénonçant la fréquence des licenciements antisyndicaux, la commission ne peut que constater que les voies de recours et sanctions juridiques disponibles contre les licenciements antisyndicaux ne semblent pas avoir un réel effet dissuasif. La commission note à cet égard qu’en vertu de la loi actuelle: i) les autorités judiciaires ne peuvent en aucun cas ordonner à un employeur du secteur privé qu’il réintègre un salarié; ii) l’article 25(4) de la loi no 6356 fixe un montant minimum pour «l’indemnité syndicale» en cas d’actes de discrimination antisyndicale autres que le licenciement, qui est le salaire annuel du travailleur, mais en cas de licenciement antisyndical, la loi ne fixe ni montant minimum ni plafond. La question semble être laissée à la discrétion de l’autorité judiciaire; et iii) le gouvernement ne fait référence à aucune autre pénalité ou sanction existante pour les licenciements antisyndicaux, et l’article 78 de la loi no 6356 concernant le volet pénal est muet sur la discrimination antisyndicale. La commission rappelle à cet égard qu’elle a toujours considéré que la réintégration devrait au moins faire partie de l’éventail des mesures pouvant être ordonnées par les autorités judiciaires en cas de discrimination antisyndicale; que l’efficacité des dispositions légales interdisant les actes de discrimination antisyndicale dépend également des sanctions prévues, qui doivent être efficaces et suffisamment dissuasives; et que l’indemnité doit avoir pour objet de compenser pleinement, tant sur le plan financier que professionnel, le préjudice subi. Compte tenu de ce qui précède, la commission prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour réviser la législation, en vue d’assurer une protection adéquate contre les licenciements antisyndicaux dans le secteur privé. Dans l’attente de la réforme législative, la commission exprime le ferme espoir que les autorités judiciaires tiendront compte des principes susmentionnés lorsqu’elles exerceront leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer le montant de l’«indemnité syndicale». La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur tout fait nouveau à cet égard.
Discrimination antisyndicale dans le secteur public. La commission prend note des observations de la KESK, qui dénonce une fois de plus de nombreux cas de discrimination antisyndicale à l’encontre de syndicalistes et de dirigeants syndicaux, dont 35 mutations, 6 suspensions et 7 cas de mesures disciplinaires administratives comprenant des obstacles à la promotion et une réprimande. Selon les observations, les travailleurs ont fait appel de plusieurs de ces mesures, les procédures étant toujours en cours. La commission prend également note des commentaires du gouvernement sur ces allégations, indiquant que i) les fonctionnaires ont le droit de déposer des plaintes ou d’engager des procédures contre les actes de leurs supérieurs ou des organisations publiques; ii) la KESK ne fournit aucun motif plausible pouvant établir l’existence d’une discrimination antisyndicale et; iii) toutes les institutions publiques citées dans les observations de la KESK 2021 ont informé le ministère du Travail et de la Sécurité sociale (MOL&SS) que les mutations de personnel étaient rendues nécessaires par les exigences du service. Le gouvernement donne les indications suivantes concernant la protection contre la discrimination antisyndicale dans le secteur public: i) l’article 18 de la loi sur les syndicats de fonctionnaires et les conventions collectives (loi no 4688) interdit la discrimination antisyndicale à l’encontre des fonctionnaires, y compris les licenciements et les mutations; ii) les circulaires du Premier ministre introduisent des mesures pour lutter contre le mobbing sur les lieux de travail publics et privés et établissent une ligne d’assistance téléphonique; iii) le bureau de l’ombudsman est habilité à enquêter sur la discrimination antisyndicale dans le secteur public, à effectuer des inspections et à rédiger des rapports annuels qu’il peut publier et présenter au parlement, mais n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes administratives. La commission rappelle qu’elle a toujours insisté sur la nécessité d’adopter des dispositions formelles reconnaissant clairement la protection de tous les fonctionnaires et employés du secteur public qui ne sont pas commis à l’administration de l’État (y compris ceux qui ne sont pas des responsables syndicaux) contre les actes de discrimination antisyndicale, et de prévoir des sanctions efficaces et suffisamment dissuasives contre les responsables de tels actes. La commission note qu’à part une référence à l’article 118 du Code pénal, visant le délit de contrainte en matière d’affiliation et d’activités syndicales, le gouvernement ne mentionne aucune sanction susceptible être imposée aux auteurs de discrimination antisyndicale dans le secteur public, ni d’indemnité pouvant être accordée aux victimes. Par conséquent, la commission prie le gouvernement d’indiquer si la loi permet de sanctionner les personnes responsables de discrimination antisyndicale dans le secteur public et si une indemnité peut être accordée aux victimes. Si la loi ne contient pas de telles dispositions, la commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, en pleine consultation avec les partenaires sociaux, pour faire en sorte que la loi soit modifiée en vue d’assurer une protection adéquate contre la discrimination antisyndicale dans le secteur public. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur tout progrès réalisé à cet égard.
Collecte de données sur la discrimination antisyndicale dans les secteurs privé et public. La commission rappelle que, suite aux recommandations formulées en juin 2013 par la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail, qui priait le gouvernement de mettre en place un système de compilation de données sur les actes de discrimination antisyndicale dans les secteurs privé et public, elle avait prié le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises à cette fin. La commission note avecregret que le gouvernement ne fait état d’aucun progrès à cet égard. La commission souligne à nouveau la nécessité de prendre des mesures concrètes pour mettre en place le système de collecte de ces informations et attend du gouvernement qu’il fournisse dans son prochain rapport des informations sur toutes les mesures prises et tout progrès réalisés à cet égard.
Article 4. Promotion de la négociation collective. Négociation intersectorielle. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté que si la négociation intersectorielle débouchant sur des «protocoles d’accord-cadre de conventions collectives du secteur public» était possible dans le secteur public, ce n’était pas le cas dans le secteur privé. La commission avait prié le gouvernement de considérer, en consultation avec les partenaires sociaux, la possibilité de modifier l’article 34 de la loi no 6356, de manière à ce qu’il ne restreigne pas la possibilité pour les parties dans le secteur privé de conclure des accords intersectoriels au niveau régional ou national, si elles le souhaitent. La commission note que le gouvernement réaffirme que le système existant est le produit d’un système de relations professionnelles bien établi depuis longtemps en Turquie et qu’il n’empêche pas les parties qui le souhaitent de conclure des accords au niveau régional et national, et ajoute que le MOL&SS est prêt à prendre en considération les propositions d’amendement qui devront être soumises conjointement par les partenaires sociaux concernant l’article 34, si les partenaires sociaux parviennent à un consensus à ce sujet. La commission note en outre l’observation de la TISK à cet égard, indiquant que l’article 34 est appliqué tel quel depuis longtemps et que, dans leurs discussions précédant l’adoption de la loi no 6356, les partenaires sociaux sont parvenus à un consensus sur le maintien du système existant. La commission prie le gouvernement d’envisager de prendre les mesures nécessaires pour engager un nouveau processus de consultation avec les partenaires sociaux, en vue de modifier l’article 34 de la loi no 6356, afin de garantir que les parties du secteur privé qui souhaitent conclure des accords intersectoriels régionaux ou nationaux puissent le faire sans entrave. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises à cet égard.
Conditions requises pour devenir un agent de négociation. Secteur privé. Triple seuil requis. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté que l’article 41(1) de la loi no 6356 énonçait la condition suivante pour devenir un agent de négociation collective: le syndicat doit représenter au moins 1 pour cent des travailleurs engagés dans la branche d’activité considérée, et plus de 50 pour cent des travailleurs en poste sur le lieu de travail et 40 pour cent des travailleurs de l’entreprise qui devrait être couvert par la convention collective. La commission rappelle que cette question a également été soulevée dans le cadre du cas no 3021 examiné par le Comité de la liberté syndicale. La commission avait prié le gouvernement de continuer à surveiller l’impact du maintien du seuil de 1 pour cent au niveau des branches sur le mouvement syndical et le mécanisme national de négociation collective dans son ensemble, et de fournir des informations à cet égard. Le gouvernement indique à cet égard qu’en juillet 2022, on comptait 218 syndicats en Turquie, dont 60, y compris cinq syndicats indépendants, dépassaient le seuil de 1 pour cent requis pour la négociation collective. Il y avait sept confédérations avec 105 syndicats affiliés, dont 55 syndicats qui dépassent le seuil de 1 pour cent. Le taux de syndicalisation dans le secteur privé est passé de 10,56 pour cent en janvier 2015, lorsque le seuil sectoriel a été ramené à 1 pour cent, à 14,32 pour cent en janvier 2022. Le gouvernement ajoute que le MOL&SS est prêt à prendre en considération les propositions d’amendement qui seront faites conjointement par les partenaires sociaux concernant l’article 41(1) si les partenaires sociaux parviennent à un consensus sur ces changements. La commission note également que la TISK considère que l’octroi du droit de négociation collective aux syndicats non habilités en vertu de la législation actuelle perturbera la paix industrielle existante, car la rivalité syndicale empêche souvent les syndicats d’agir ensemble, ce qui peut compromettre la conclusion de conventions collectives. La commission note également que la DISK indique à cet égard que les syndicats minoritaires devraient avoir le droit de représenter au moins leurs membres. La commission note que, selon les informations soumises par le gouvernement, seuls 27,5 pour cent de tous les syndicats turcs franchissent le seuil de 1 pour cent, le taux étant de 52,4 pour cent parmi les affiliés des grandes confédérations, mais seulement de 4,4 pour cent parmi les syndicats indépendants. Elle note en outre que l’abaissement du seuil au niveau de la branche en 2015 a eu un impact positif sur le taux de syndicalisation. La commission veut croire que la suppression du seuil de représentativité au niveau de la branche aura un impact positif similaire sur le taux de syndicalisation ainsi que sur la capacité des syndicats, en particulier des syndicats indépendants, à utiliser les mécanismes de négociation collective. La commission prie donc le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour engager le processus de consultation avec les partenaires sociaux, en vue de modifier l’article 41(1) de la loi no 6356 de manière à ce qu’un plus grand nombre d’organisations de travailleurs puissent s’engager dans la négociation collective avec les employeurs. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises à cet égard.
Détermination du syndicat le plus représentatif et droits des syndicats minoritaires. En ce qui concerne les seuils de représentativité sur le lieu de travail et dans l’entreprise, la commission avait noté dans ses précédents commentaires l’article 42(3) de la loi no 6356, qui prévoit que lorsque aucun syndicat ne satisfait aux conditions d’habilitation à la négociation collective, toute partie ayant sollicité l’attribution de cette compétence doit en être avisée. Elle avait également noté que l’article 45(1) dispose qu’une convention conclue sans le certificat d’habilitation est nulle et non avenue. Tout en notant le principe d’«une seule convention pour un lieu de travail ou une entreprise» adopté par la législation turque, la commission avait rappelé qu’en vertu d’un système de désignation d’un agent négociateur exclusif, si aucun syndicat n’atteint le pourcentage requis de travailleurs pour être déclaré agent négociateur exclusif, tous les syndicats de l’unité considérée, conjointement ou séparément, doivent pouvoir participer à la négociation collective, tout au moins au nom de leurs propres membres. La commission avait souligné qu’en autorisant la négociation conjointe des syndicats minoritaires, la loi pouvait adopter une approche plus favorable au développement de la négociation collective sans compromettre le principe d’«une seule convention pour un lieu de travail ou une entreprise». La commission note avec regret que le gouvernement ne fournit pas d’informations sur un quelconque progrès à cet égard. La commission prie à nouveau le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier la législation, en consultation avec les partenaires sociaux, afin de garantir que, si aucun syndicat n’atteint le pourcentage requis de travailleurs pour être déclaré agent de négociation exclusif, tous les syndicats de l’unité considérée, conjointement ou séparément, doivent pouvoir participer à la négociation collective, tout au moins au nom de leurs propres membres. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur toutes les mesures prises ou envisagées à cet égard.
Contestations judiciaires de l’accréditation d’un agent de négociation collective. La commission prend note des observations de la DİSK indiquant que les employeurs ont le droit de contester le certificat de syndicat majoritaire délivré par le ministère du Travail et que, dans l’attente de l’issue de la procédure judiciaire, qui peut prendre 6 à 7 ans, le processus de négociation collective reste en suspens. La DİSK fait référence au cas de l’un de ses affiliés, Birleşik Metal-İş Union, qui a été impliqué dans 98 affaires judiciaires de ce type entre 2012 et 2020. Selon la DİSK, à l’issue de ces procédures, très souvent, le syndicat a déjà perdu sa majorité sur le lieu de travail. La commission note en outre que, selon les observations de la DİSK, les litiges relatifs à la détermination de la branche d’activité dont relève le lieu de travail peuvent également donner lieu à de longues procédures judiciaires qui entravent la négociation collective. Notant les éventuels effets négatifs que la multiplication de longues procédures judiciaires peut avoir sur le développement de la négociation collective, la commission prie le gouvernement de fournir ses commentaires sur les questions soulevées par la DİSK.
Articles 4 et 6. Droits de négociation collective des fonctionnaires qui ne sont pas commis à l’administration de l’État. Portée matérielle de la négociation collective. La commission avait noté dans ses précédents commentaires que l’article 28 de la loi no 4688, telle que modifiée en 2012, limitait le champ d’application des conventions collectives aux seuls «droits sociaux et financiers», excluant de ce fait les questions telles que la durée de travail, la promotion, le développement des carrières et les mesures disciplinaires, et avait prié le gouvernement de supprimer ces restrictions à la portée matérielle de la négociation collective dans le secteur public. La commission note avec regret que le gouvernement ne fait état d’aucun progrès à cet égard. Elle se voit donc obligée de rappeler une fois de plus que, si la convention est compatible avec des systèmes exigeant l’approbation par les autorités compétentes de certaines clauses de conventions collectives qui ont trait aux conditions de travail ou aux conditions financières dans le secteur public, les fonctionnaires qui ne sont pas commis à l’administration de l’État doivent bénéficier des garanties prévues par la convention et donc pouvoir négocier collectivement leurs conditions d’emploi, et que des mesures prises unilatéralement par les autorités pour restreindre le champ des questions négociables sont souvent incompatibles avec la convention. Compte tenu de la compatibilité avec la convention des modalités spéciales de négociation dans le secteur public mentionnées ci-dessus, la commission prie de nouveau le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que soient abrogées les restrictions concernant les questions soumises à la négociation collective, de sorte que le champ concret des droits de négociation collective des fonctionnaires qui ne sont pas commis à l’administration de l’État soit pleinement conforme à la convention.
Négociation collective dans le secteur public. Participation des syndicats de branche les plus représentatifs. La commission rappelle que dans son commentaire précédent, elle avait noté que, en vertu de l’article 29 de la loi no 4688, la Délégation des employeurs publics (PED) et la Délégation des syndicats d’employés des services publics (PSUD) sont parties aux conventions collectives conclues dans le service public. Même si les syndicats les plus représentatifs de la branche sont représentés au sein de la PSUD et prennent part aux négociations au sein des comités techniques de branche, leur rôle au sein de la PSUD est restreint dans la mesure où ils ne sont pas habilités à faire des propositions de conventions collectives, notamment lorsque leurs revendications sont qualifiées de générales ou applicables à plus d’une branche. Le gouvernement indique à cet égard que les propositions de conventions collectives pour chaque branche de service sont déterminées séparément par les syndicats compétents dans chaque branche et que ces propositions sont ensuite discutées au sein des comités techniques créés séparément pour chaque branche. Ces comités travaillent de façon indépendante les uns des autres et la conclusion d’une convention dans une branche ne signifie pas nécessairement que les autres branches sont dans l’obligation d’en conclure une également. La commission note que les indications du gouvernement ne font pas état de nouveaux développements concernant le rôle des syndicats de branche représentatifs au sein de la PSUD. Elle se voit donc dans l’obligation de prier à nouveau le gouvernement de veiller à ce que la loi no 4688 et son application dans la pratique permettent aux syndicats les plus représentatifs de chaque branche de faire des propositions pour les conventions collectives, y compris sur des questions qui peuvent intéresser plus d’une branche, pour les fonctionnaires qui ne sont pas commis à l’administration de l’État. La commission prie le gouvernement d’indiquer toute évolution à cet égard.
Conseil d’arbitrage des salariés du secteur public. Dans son précédent commentaire, la commission avait noté qu’en cas d’échec des négociations dans le secteur public, le président de la PED (le ministre du Travail), au nom de l’administration publique, et le président de la PSUD, agissant au nom des salariés du secteur public, peuvent saisir le Conseil d’arbitrage des salariés du secteur public. Les décisions de ce conseil sont définitives et ont le même effet et la même force que la convention collective. La commission avait prié le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour restructurer la composition du Conseil d’arbitrage des salariés du secteur public ou le mode de désignation de ses membres de façon à démontrer plus clairement son indépendance et son impartialité et gagner la confiance des parties. Le gouvernement indique à cet égard que le président du conseil est désigné par le président parmi les présidents, vice-présidents ou chefs de service de la Cour de cassation, du Conseil d’État (Cour suprême pour les juridictions administratives) et de la Cour suprême en matière de comptes publics. Selon le gouvernement, ces hautes juridictions et leurs magistrats ne sont pas liés hiérarchiquement au pouvoir exécutif et jouissent de l’indépendance judiciaire nécessaire. En outre, les autres membres du Conseil ne représentent pas la confédération concernée ou l’employeur public mais décident au nom de l’ensemble du pays. La commission note toutefois que le Président de la République désigne non seulement le président, mais aussi sept des onze membres du Conseil. Elle prend également note de l’observation de la KESK, qui indique que cela signifie que la plupart des membres du conseil sont désignés par le gouvernement. La commission note à cet égard que le gouvernement étant également l’employeur dans le secteur public, il est donc partie aux négociations sur lesquelles le conseil doit se prononcer. La commission prie donc une nouvelle fois le gouvernement d’envisager de revoir, en consultation avec les partenaires sociaux, le mode de désignation des membres du Conseil afin de démontrer plus clairement son indépendance et son impartialité et de gagner la confiance des parties.
[Le gouvernement est prié de répondre de manière complète aux présents commentaires en 2023.]
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