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Observation (CEACR) - adoptée 2020, publiée 109ème session CIT (2021)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Turkménistan (Ratification: 1997)

Autre commentaire sur C105

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La commission a procédé à l’examen de l’application de la convention sur la base des observations reçues le 21 septembre 2020 de la Confédération syndicale internationale (CSI), ainsi que sur la base des informations dont elle disposait en 2019. La commission prie le gouvernement de fournir sa réponse aux observations de la CSI.
La commission note également les observations de la CSI reçues le 1er septembre 2019.
Article 1 b) de la convention. Imposition de travail obligatoire en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique. Production de coton. Dans ses commentaires précédents, la commission a noté que, selon l’article 7 de la loi sur le régime juridique des urgences de 1990, l’État et les autorités gouvernementales peuvent recruter des citoyens pour travailler dans des entreprises, institutions et organisations, en vue de mobiliser la main-d’œuvre à des fins de développement économique et de prévenir les urgences. La commission a considéré que la notion de «fins de développement économique» ne semble pas satisfaire la définition de la «force majeure» définie dans la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, et est donc incompatible à la fois avec l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention no 29 et avec l’article 1 b) de la convention no 105, qui interdit le travail obligatoire en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique. La commission a également noté que le gouvernement a déclaré que la loi sur l’état d’urgence, la loi sur les interventions d’urgence et la loi sur la préparation et la mise en œuvre de la mobilisation au Turkménistan ne se réfèrent pas à la notion de «fins de développement économique», mais que des citoyens peuvent être employés dans des entreprises, des organisations et des institutions pendant la mobilisation afin d’assurer le fonctionnement de l’économie du pays et de produire des biens et services essentiels pour satisfaire les besoins de l’État, des forces armées et de la population en cas d’urgence. En outre, l’article 19 du Code du travail prévoit qu’un employeur peut exiger d’un travailleur qu’il effectue un travail sans lien avec son emploi dans des cas spécifiés par la loi.
Dans les conclusions qu’elle a adoptées en juin 2016, la Commission de la Conférence a prié instamment le gouvernement: i) de prendre des mesures efficaces, en droit et dans la pratique, pour veiller à ce que nul ne soit contraint, pas même les exploitants agricoles et les travailleurs des secteurs public et privé, de participer à la récolte de coton organisée par l’État ni menacé de sanctions si les quotas de production ne sont pas atteints, sous prétexte de «fins de développement économique»; ii) d’abroger l’article 7 de la loi de 1990 sur le régime juridique régissant les situations d’urgence; et iii) de solliciter l’assistance technique du BIT afin de respecter la convention, en droit et dans la pratique, et d’élaborer un plan d’action national pour éliminer le travail forcé dans le cadre de la récolte du coton organisée par l’État.
La commission a noté que, dans ses observations de 2016, l’Organisation internationale des employeurs (OIE) a exprimé sa profonde préoccupation face aux pratiques de travail forcé signalées dans la production de coton, qui affectent les exploitants agricoles, les entreprises et les travailleurs des secteurs public et privé, sous la menace de sanctions si les quotas de production n’étaient pas atteints. En outre, les observations de 2016 de la CSI ont mis l’accent sur les pratiques de mobilisation forcée par le gouvernement des salariés d’un large éventail d’institutions des secteurs public et privé pour la récolte du coton, notamment ceux d’institutions d’enseignement et de soins de santé, d’antennes locales de l’administration, de bibliothèques, de musées, d’instituts météorologiques, de centres culturels, d’organisations sportives, d’entreprises du secteur public, et d’entreprises manufacturières et des secteurs de la construction, des télécommunications et de la pêche. Ceux qui ont refusé se sont exposés à des sanctions administratives, telles que la censure publique, la cessation du paiement de leur salaire et la résiliation de l’emploi. À cet égard, la commission a noté que le gouvernement avait indiqué que, dans certaines régions du pays, l’administration locale et les producteurs agricoles, secondés par les services locaux de l’emploi, ont organisé des campagnes de recrutement volontaire parmi les personnes inscrites à l’agence pour l’emploi pendant la saison de la récolte du coton afin d’offrir un emploi saisonnier à ce segment de la population.
La commission a noté par ailleurs d’après le rapport de la mission consultative technique du BIT de septembre 2016 que, bien que les représentants des organisations internationales et des ambassades étrangères rencontrés par la mission aient indiqué l’existence de la pratique du travail forcé, dans la plupart des cas, ils ne disposaient pas de preuve directe du fait de la difficulté de se rendre dans les champs de coton. Le rapport de mission du BIT a noté les multiples stratégies nationales et plans d’action mis en place par le gouvernement, comme le Plan d’action national pour les droits de l’homme (2016-2020); le Plan d’action national de lutte contre la traite des personnes (2016-2018); l’Accord-cadre de partenariat des Nations Unies pour le développement signé en avril 2016; et les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en septembre 2016. La mission a également dûment pris note de la réelle volonté politique du gouvernement de s’attaquer au problème du travail forcé dans la récolte du coton. La commission a prié instamment le gouvernement de continuer à collaborer avec le BIT afin d’éliminer, en droit comme dans la pratique, le travail forcé associé à la récolte du coton organisée par l’État.
La commission note, d’après les observations de la CSI de 2019, qu’en novembre 2018, des travailleurs de tous les secteurs de l’économie nationale ont été envoyés dans les champs de coton, certains d’entre eux ayant même été envoyés dans des contrées éloignées à des centaines de kilomètres de leur domicile. Pour la première fois en quinze ans, des enseignants ont été forcés de passer leurs vacances d’automne, d’une durée de neuf jours, à récolter le coton. Dans la région de Mary, la proportion d’enseignants forcés de récolter le coton pendant la saison des récoltes de 2018 a été estimé à 70 pour cent. La CSI déclare également que les personnes travaillaient depuis l’aube jusqu’à la tombée de la nuit, avec une pause déjeuner comprise entre trente et soixante minutes, et que le soir, on les raccompagnait en bus en ville. Ceux qui étaient envoyés aux champs pour dix jours ou plus étaient logés dans des locaux d’habitation provisoires dont le sol était en terre, sans installations sanitaires. Les exploitants agricoles devaient produire une récolte importante de coton; devaient atteindre les quotas fixés par l’État; et payer les travailleurs que le gouvernement forçait à travailler pour la récolte du coton. Les autorités menaçaient les exploitants agricoles de leur enlever leurs terres s’ils n’atteignaient pas les quotas imposés par le gouvernement.
La commission note l’information contenue dans le rapport du gouvernement selon laquelle la décision du Conseil public, adoptée en septembre 2018, vise à améliorer les méthodes de travail dans le secteur de l’agriculture, à moderniser le travail dans ce domaine et à prévoir un vaste recrutement de producteurs privés dans l’agriculture. Conformément à cette décision, des lopins de terre devront être offerts sur une base contractuelle à des sociétés à capital social, des exploitations agricoles familiales et à d’autres entités juridiques ou d’autres producteurs, pour une période de 99 ans, aux fins de la production végétale telle que le blé et le coton. La commission prend note également de l’information du gouvernement selon laquelle il s’est procuré des machines à récolter le coton, de sorte que le recrutement de masse de ressources humaines à cette fin n’est plus nécessaire. Le gouvernement indique que, pendant la saison des récoltes de 2017, 1 200 machines de récolte ont été utilisées et, en 2018, 500 machines supplémentaires ont été achetées à l’Ouzbékistan. De plus, un contrat de 200 machines de ce type a été signé avec un fabricant de matériels agricoles. En outre, la commission note que le gouvernement indique que, en collaboration avec les partenaires sociaux, un projet de programme de coopération a été élaboré et envoyé au BIT pour examen. Ce projet établit les mesures concernant la mise en œuvre des normes et règles internationales, le travail décent, les salaires équitables et la protection sociale, de même que la participation active des partenaires sociaux sur les questions relatives au travail décent et à l’emploi. La commission note cependant qu’il n’y a pas eu d’accord sur ce projet de programme de coopération.
La commission note en outre, d’après les observations récentes de la CSI, que pendant les récoltes de coton de 2019, des employés du secteur public, notamment des enseignants, des médecins, des employés des services municipaux et des entreprises de services publics ont continué à être mobilisés pour la récolte du coton ou ont été contraints de payer des récolteurs de remplacement. Ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas récolter le coton ont dû verser une partie substantielle de leurs revenus. En octobre 2019, les membres du personnel enseignant avaient payé 285 manats (16 dollars des États-Unis) chacun, alors que leur revenu mensuel moyen était d’environ 90 dollars des États-Unis. D’autres preuves montrent que les travailleurs du secteur public sont mobilisés pour la récolte 2020.
La commission note que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, dans ses observations finales d’octobre 2018, s’est déclaré préoccupé par les informations selon lesquelles nombre de travailleurs et d’étudiants continueraient à être forcés à travailler pendant la récolte du coton, sous peine de sanctions (E/C.12/TKM/CO/2, paragr. 23). Elle note également, d’après le Résumé des observations des parties prenantes sur le Turkménistan, de février 2018, présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, que des personnes obligées à récolter du coton ont été forcées à signer des déclarations sur une participation «volontaire» à la récolte (A/HRC/WG.6/30/TKM/3, paragr. 49).
La commission doit exprimer sa profonde préoccupation face à la persistance des pratiques de travail forcé dans le secteur du coton et les mauvaises conditions de travail des personnes employées dans ce secteur. La commission prie donc instamment le gouvernement de prendre des mesures pour éliminer le recours au travail obligatoire des travailleurs des secteurs public et privé, ainsi que des étudiants, dans la culture du coton. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises à cette fin et sur les résultats concrets obtenus, en précisant les violations qui ont été constatées et les sanctions qui ont été appliquées. À cet égard, la commission encourage vivement le gouvernement à recourir à l’assistance technique du BIT afin d’éliminer, en droit comme dans la pratique, le travail forcé associé à la récolte du coton organisée par l’État, et d’améliorer le recrutement et les conditions de travail dans le secteur du coton.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement, qui reprend le contenu de sa précédente demande adoptée en 2019.
À la lumière de la situation décrite ci-dessus, la commission ne peut que noter l’absence de progrès tangible dans le traitement de la question de la mobilisation de personnes à des fins de travail forcé dans la récolte du coton depuis la discussion de ce cas par la Commission de la Conférence et la visite d’une mission consultative technique du BIT dans le pays en 2016. La commission note avec une profonde préoccupation que les pratiques de travail forcé persistent dans le secteur du coton.
[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 109e  session et de répondre de manière complète aux présents commentaires en 2021.]
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