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Observation (CEACR) - adoptée 2017, publiée 107ème session CIT (2018)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 1961)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 2016)

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La commission prend note des observations de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM), reçues respectivement le 1er et le 4 septembre 2017, ainsi que de celles formulées par l’Organisation internationale des employeurs (OIE), reçues le 1er septembre 2017.

Suivi des conclusions de la Commission de l’application des normes (Conférence internationale du Travail, 106e session, juin 2017)

Article 1, paragraphe 1, article 2, paragraphe 1, et article 25 de la convention. Esclavage et séquelles de l’esclavage. Dans ses précédents commentaires, la commission a pris note du rapport de la mission de contacts directs qui s’est rendue en Mauritanie en octobre 2016 et a demandé au gouvernement de poursuivre son action de lutte contre l’esclavage et ses séquelles. Elle a spécialement insisté sur la nécessité de: a) renforcer la chaîne pénale, en particulier les trois cours criminelles spéciales compétentes en matière d’esclavage, pour assurer l’application effective de la loi de 2015 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes (ci-après «loi de 2015»); b) avoir des données fiables sur la nature et la prévalence des pratiques esclavagistes; c) accompagner l’approche multisectorielle et la coordination interministérielle suivies dans la lutte contre l’esclavage par une démarche inclusive des partenaires sociaux et de la société civile; et d) renforcer la protection des victimes pour qu’elles puissent faire valoir leurs droits et faire face à toute pression sociale.
La commission prend note de la discussion qui a eu lieu en juin 2017 au sein de la Commission de la Conférence et observe que cette dernière a instamment prié le gouvernement de poursuivre ses efforts pour lutter contre l’esclavage et ses séquelles. Elle a exprimé ses vives préoccupations face à la persistance de l’esclavage et au faible nombre de poursuites engagées à l’encontre des auteurs du crime d’esclavage. La Commission de la Conférence a demandé au gouvernement de prendre une série de mesures qui sont détaillées ci-après ainsi que de solliciter l’assistance technique du BIT et d’accepter une mission de haut niveau.
La commission salue le fait que le gouvernement ait accepté de recevoir la mission de haut niveau en avril 2018 et que le projet de coopération technique du BIT visant à appuyer l’application de la loi de 2015 et à renforcer les efforts entrepris par le gouvernement pour mettre fin aux séquelles de l’esclavage poursuive ses activités. La commission se félicite également du fait que le gouvernement ait revu avec les responsables du projet de coopération technique les activités devant être menées en tenant compte des 12 recommandations faites par la Commission de la Conférence au gouvernement. La commission veut croire que le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires, tant dans le cadre du projet de coopération technique que du comité interministériel chargé de la mise en œuvre de la feuille de route, pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission de la Conférence ainsi que celles formulées par cette commission.
a) Application effective de la législation. S’agissant de l’application effective de la loi de 2015, la commission a précédemment souligné qu’il était indispensable que les trois cours criminelles spéciales compétentes en matière d’esclavage fonctionnent de manière efficace et, plus généralement, que l’ensemble du système répressif soit renforcé. La Commission de la Conférence a aussi rappelé l’importance de constituer des unités spécialisées au sein du ministère public et des forces de l’ordre pour rassembler les preuves et pour que les actions engagées devant les cours criminelles spéciales soient traitées dans des délais raisonnables. Dans son rapport, le gouvernement se réfère à l’organisation par le ministère de la Justice, avec le soutien du projet de coopération technique, de séminaires sur la mise en œuvre de la loi de 2015 dans différentes capitales régionales et dans les trois régions de Nouakchott. De même, des consultations ont été menées pour évaluer les connaissances et les besoins en matière de formation des fonctionnaires des cours criminelles spéciales, des forces de l’ordre et des autorités administratives et municipales en ce qui concerne le champ d’application de la loi de 2015. Des modules de formation ont ainsi été discutés avec tous les acteurs concernés. En outre, un groupe d’experts a été constitué pour préparer des modules de formation spécifiques concernant la gestion effective des plaintes, destinés à tous les acteurs intervenant dans les procédures judiciaires.
La commission note que, dans ses observations, la CSI indique que l’application effective de la loi de 2015 représente toujours un défi majeur. Ainsi, bien qu’elles aient été établies depuis deux ans, les cours criminelles spéciales de Nouakchott et de Nouadhibou n’ont pas rendu un seul verdict. La Cour de Néma a quant à elle prononcé une seule décision en mai 2016, aux termes de laquelle les peines imposées étaient bien en deçà de celles prévues dans la loi. La CSI ajoute que les organisations de la société civile ne sont pas au courant de l’existence d’autres affaires en cours ou même programmées devant les cours criminelles spéciales. A cela, plusieurs raisons: la résistance de la police et des autorités judiciaires à enquêter ou à entamer des poursuites suite aux cas portés à leur attention par les associations; la requalification des faits en délits moins sévères; le règlement informel de certains cas; et l’absence de mécanisme pour identifier et protéger les victimes avant et pendant le procès.
La commission rappelle que, en vertu de l’article 25 de la convention, les Etats ont l’obligation de s’assurer que les sanctions pénales prévues par la loi pour exaction de travail forcé sont réellement efficaces et strictement appliquées. Tout en observant les efforts déployés pour diffuser la connaissance de la loi de 2015 et renforcer la formation des différents intervenants de la chaîne répressive à cet égard, la commission observe que ces efforts ne se sont pas encore traduits dans la pratique par l’examen d’un certain nombre de cas d’esclavage par les cours criminelles spéciales. Par conséquent, la commission exprime le ferme espoir que le gouvernement continuera de prendre les mesures nécessaires pour renforcer la connaissance et les capacités de tous les acteurs du système répressif concernant la loi de 2015, de manière à ne laisser aucun cas d’esclavage impuni. Rappelant à cet égard qu’il est important que ces autorités soient en mesure de rassembler des preuves, de qualifier correctement les faits et d’initier les procédures judiciaires correspondantes, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur la création d’unités spécialisées au sein du ministère public et des forces de l’ordre. Enfin, la commission renouvelle sa demande d’informations sur le nombre de cas d’esclavage dénoncés auprès des autorités, le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice et le nombre et la nature des condamnations prononcées. Prière également d’indiquer si les victimes d’esclavage ont été indemnisées du préjudice subi, conformément à l’article 25 de la loi de 2015.
b) Etat des lieux de la réalité de l’esclavage. Dans ses précédents commentaires, la commission a noté que la mission de contacts directs a considéré que «l’esclavage et les séquelles de l’esclavage sont deux phénomènes qui ne recouvrent pas les mêmes situations, ils n’ont pas la même ampleur et ils appellent des mesures ciblées différentes». Elle a également indiqué qu’«une étude qualitative et/ou quantitative devrait permettre de poser en des termes concrets et objectifs les discussions, contribuant ainsi à apaiser le débat et le démystifier, tant au niveau national qu’international». La nécessité de mener une étude a été soulignée depuis un certain nombre d’années tant par cette commission que par la Commission de la Conférence qui a demandé au gouvernement, en juin 2017, de réaliser une analyse complète de la nature et de l’incidence de l’esclavage pour permettre d’affiner les actions nécessaires à l’éradication de ce fléau. La commission salue l’indication du gouvernement, dans une communication du 27 septembre 2017, selon laquelle les termes de référence d’une étude qualitative ont été élaborés et seront validés dans le cadre d’une table ronde qui sera organisée avant la fin de l’année, de concert avec les services compétents du BIT. L’étude va dresser un bilan des modalités de recrutement, des conditions de travail et des facteurs de vulnérabilité qui peuvent entraîner une relation d’exploitation, permettant ainsi d’évaluer les situations de risque de travail forcé.
La commission rappelle que la relation existant entre les victimes et leur maître est multidimensionnelle. La mission de contacts directs a souligné à ce sujet que la dépendance économique, sociale et psychologique dans laquelle les victimes se trouvent revêt des degrés divers et entraîne un large éventail de situations. La commission veut croire que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour mener rapidement, avec l’assistance du BIT, l’étude programmée et que cette dernière permettra de disposer de données fiables sur la nature et la prévalence des pratiques esclavagistes en Mauritanie. A cet égard, la commission encourage vivement le gouvernement à veiller à ce que la question de la dépendance économique, sociale et psychologique soit prise en compte au moment d’évaluer si une personne exprime un consentement libre et éclairé au travail et si le consentement exprimé est réellement un consentement dénué de toute menace ou pression. La commission attire aussi l’attention du gouvernement sur la nécessité d’impliquer au plus tôt l’ensemble des acteurs concernés, et notamment les partenaires sociaux, dans le processus de réalisation de cette étude (termes de référence, définitions, mise en œuvre).
c) Action coordonnée et inclusive. La commission a précédemment noté l’approche multisectorielle et la coordination interministérielle qui ont été mises en place pour lutter contre l’esclavage et ses séquelles, à travers l’adoption de la Feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Elle a observé que la mise en œuvre des recommandations de la feuille de route relevait d’un comité interministériel présidé par le Premier ministre et que 70 pour cent des recommandations avaient été mises en œuvre. La commission a exprimé l’espoir que, après la mise en œuvre des 29 recommandations prévues dans la feuille de route, le comité technique interministériel procéderait à l’évaluation de l’impact des mesures prises. La commission note que le gouvernement a indiqué au sein de la Commission de la Conférence que l’évaluation avait eu lieu en avril 2017. La commission regrette que le gouvernement n’ait pas fourni d’informations plus précises au sujet de l’évaluation menée et des conclusions auxquelles elle a abouti. Rappelant que la lutte contre l’esclavage nécessite l’engagement de tous dans le cadre d’une action coordonnée et menée au plus haut niveau, la commission demande une nouvelle fois au gouvernement de fournir des informations sur les conclusions de l’évaluation de la mise en œuvre de la feuille de route en précisant les résultats obtenus et les obstacles identifiés. Prière également de préciser les décisions prises par le comité interministériel à cet égard. La commission prie le gouvernement d’indiquer les nouvelles actions à mener qui ont été identifiées et de préciser comment les organisations de la société civile agissant dans le domaine de la lutte contre l’esclavage et ses séquelles et les partenaires sociaux ont été associés à l’ensemble de ce processus.
d) Identification, protection et réinsertion des victimes. La commission a précédemment souligné que les victimes d’esclavage se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité qui requiert une action spécifique de l’Etat. Tant cette commission que la Commission de la Conférence ont demandé au gouvernement de s’assurer que les victimes qui sont identifiées ou qui dénoncent leur situation sont protégées contre toute mesure de représailles ou pression sociale; qu’elles bénéficient de mesures d’insertion sociale et économique; et qu’elles obtiennent réparation du préjudice subi. La commission note les informations communiquées à cet égard sur les activités entreprises dans le cadre du projet de coopération technique. S’agissant de l’identification des victimes, la Direction générale du travail, en étroite coordination avec l’inspection du travail, élabore une proposition technique pour un mécanisme d’identification des victimes. Est également à l’étude l’adaptation de la liste des indicateurs du travail forcé de l’OIT au contexte national. Quant à la suggestion de la mission de contacts directs de mise en place d’un mécanisme de prise en charge des victimes, le gouvernement souligne que l’Agence Tadamoun (Agence nationale pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage) et les organisations de la société civile assurent cette fonction en bénéficiant de subventions de l’Etat. En ce qui concerne la réinsertion des victimes, le gouvernement indique que le ministère du Travail et l’Agence Tadamoun développent une initiative conjointe destinée à promouvoir les moyens de subsistance des victimes, dont les deux piliers seront la formation professionnelle et le renforcement de la capacité d’entreprendre. Enfin, la commission note les informations détaillées concernant les activités menées par l’Agence Tadamoun dans les domaines de la construction d’infrastructures de base (scolaires, sanitaires, alimentation en eau, logements sociaux) et de la lutte contre la pauvreté (modernisation des moyens de production des agriculteurs, microprojets d’activités génératrices de revenus). La commission prend note des mesures ciblées prises par le gouvernement visant à réduire la grande pauvreté dans laquelle se trouve une frange de la population. La commission considère que ces activités contribuent à réduire le risque pour ces personnes de se trouver dans une situation de dépendance économique et sociale qui pourrait conduire à leur exploitation. La commission encourage le gouvernement à poursuivre ce type d’actions préventives.
Toutefois, s’agissant des victimes d’esclavage, la commission observe que leur identification et leur prise en charge effective demeurent un défi à relever. En témoigne le manque d’informations sur le nombre de victimes identifiées par les autorités publiques, le nombre de celles qui ont bénéficié d’une prise en charge juridique et d’une assistance sociale et de celles qui ont obtenu réparation. La commission veut croire que le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que l’ensemble des autorités compétentes sont formées à l’identification et à la protection des victimes et qu’elles coopèrent avec les organisations de la société civile à cette fin. Elle prie le gouvernement d’indiquer le nombre de cas dans lesquels l’Agence Tadamoun s’est portée partie civile et le nombre de victimes ayant été accompagnées par l’agence aux stades de l’enquête et de la procédure judiciaire. Enfin, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur l’assistance apportée aux victimes d’esclavage en vue de leur réinsertion économique et sociale.
e) Sensibilisation et lutte contre la stigmatisation. La commission note que, dans ses observations, la CGTM souligne que la sensibilisation constitue l’un des enjeux majeurs le plus efficace pour éradiquer l’esclavage dont les racines sont assez profondes. La CGTM se réfère à la nécessité de surmonter les obstacles que sont l’ignorance, le conservatisme et le niveau faible du progrès social. La CSI indique par ailleurs que les personnes qui sont considérées comme appartenant à la caste des esclaves mais qui ne vivent plus en esclavage sont victimes de stigmatisation et de discrimination et sont marginalisées tant sur le plan économique que politique. Enfin, la commission constate que tant la CGTM que la CSI font état du harcèlement et des détentions dont sont victimes certains militants en raison de l’action qu’ils mènent pour dénoncer l’esclavage. La commission prend note des informations communiquées par le gouvernement concernant les mesures prises dans le domaine de la sensibilisation, telles que l’organisation d’une nouvelle campagne de sensibilisation; la sélection et formulation de messages clés autour de la feuille de route; et l’organisation d’événements lors de la Journée nationale de lutte contre les séquelles de l’esclavage.
La commission veut croire que le gouvernement continuera à développer des actions visant non seulement à sensibiliser sur la loi de 2015 mais également à délégitimer l’esclavage et à lutter contre la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les esclaves et leurs descendants. Elle prie le gouvernement de se référer aux commentaires qu’elle formule au titre de l’application par la Mauritanie de la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958. Par ailleurs, la commission prie instamment le gouvernement de s’assurer que les personnes et les organisations de la société civile qui dénoncent l’esclavage et mènent des actions pacifiques à cette fin ne font l’objet d’aucune mesure d’intimidation.
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