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Observation (CEACR) - adoptée 2011, publiée 101ème session CIT (2012)

Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, 1999 - Sénégal (Ratification: 2000)

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La commission prend note de la communication de la Confédération syndicale internationale (CSI) du 31 août 2011 ainsi que de la réponse du gouvernement datée du 17 novembre 2011.
Articles 3 a) et 7, paragraphe 1, de la convention. Vente et traite à des fins d’exploitation économique, travail forcé et sanctions. Mendicité. Dans ses commentaires précédents, la commission a noté que le Comité des droits de l’enfant, dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique du Sénégal d’octobre 2006 (CRC/C/SEN/CO/2, paragr. 60 et 61), s’est dit inquiet des pratiques dans les écoles coraniques dirigées par des marabouts qui consistent à utiliser à grande échelle les enfants talibés à des fins économiques en les envoyant travailler dans des champs agricoles ou mendier dans les rues ou effectuer d’autres travaux illégaux qui rapportent de l’argent, les empêchant ainsi d’avoir accès à la santé, à l’éducation et à de bonnes conditions de vie. Elle a pris note des commentaires de l’Union nationale des syndicats autonomes du Sénégal (UNSAS) qui indiquent que la situation des enfants de la rue demeure plus que jamais préoccupante à cause du phénomène de la mendicité qui prend de l’ampleur, notamment dans les grandes agglomérations du pays. Elle a constaté que, d’après un rapport conjoint OIT/IPEC, UNICEF et Banque mondiale intitulé «Enfants mendiants dans la région de Dakar» de novembre 2007, l’ampleur du phénomène de la mendicité, dans la seule région de Dakar, touche environ 7 600 enfants. Les enfants talibés constitueraient la grande majorité des enfants mendiants (90 pour cent). La commission a exprimé sa grave préoccupation face à l’ampleur du phénomène de l’instrumentalisation des enfants talibés à des fins purement économiques au Sénégal.
La commission prend note des observations de la CSI qui indiquent que le nombre d’enfants talibés forcés à mendier – pour la plupart, des garçons âgés entre 4 et 12 ans – était estimé à 50 000 en 2010. La CSI observe que la plupart de ces enfants viennent de zones rurales reculées du Sénégal ou ont fait l’objet de traite depuis les pays voisins, notamment le Mali et la Guinée-Bissau. Elle insiste sur le fait que ces enfants reçoivent en réalité très peu d’éducation et sont extrêmement vulnérables car ils dépendent totalement de leur professeur coranique ou marabout. Ils vivent dans des conditions d’insalubrité et de pauvreté et font l’objet de sévices physiques et psychiques s’ils ne réussissent pas à rapporter leur quota financier en mendiant. En ce qui concerne les causes de ce phénomène, la CSI explique que la pauvreté ne peut expliquer à elle seule cette forme d’exploitation, étant donné que des preuves tendent à montrer que certains marabouts gagnent davantage grâce à la mendicité des enfants que le revenu nécessaire à l’entretien de leur daaras (écoles coraniques). La CSI affirme en outre qu’il n’y a eu aucune trace d’arrestations, de poursuites ni de condamnations de marabouts pour avoir obligé des talibés à mendier jusqu’en août 2010, lorsque le Premier ministre a annoncé l’adoption d’un décret interdisant la mendicité dans les lieux publics. Suite à cet événement, sept maîtres coraniques auraient été arrêtés et condamnés à des peines de prison en application de la loi no 02/2005 du 29 avril 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes. Néanmoins, ces jugements n’auraient jamais été appliqués. En effet, la CSI révèle que des filiales des associations des maîtres coraniques auraient condamné l’application de la loi no 02/2005 et menacé de retirer leur soutien au Président lors des élections de février 2012. En octobre 2010, le Président revenait ainsi sur la décision de son gouvernement. Enfin, la CSI souligne l’existence d’une ambiguïté dans la législation nationale sénégalaise concernant l’interdiction de la mendicité puisque l’article 245 du Code pénal n’interdit pas «le fait de solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrés par les traditions religieuses».
La commission note que, dans sa réponse aux allégations de la CSI, le gouvernement indique que le Code pénal ne contient aucune ambiguïté sur l’interdiction de la mendicité en général, et particulièrement celle des enfants, et que la loi no 02/2005 fait partie intégrante du Code pénal. En ce qui concerne l’application de la loi, le gouvernement indique que la question de publier des informations sur les cas de poursuites sera étudiée en relation avec le ministère de la Justice en vue de déterminer sa faisabilité.
La commission constate néanmoins avec préoccupation que, bien que l’article 3 de la loi no 02/2005 interdise d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit ou d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue de le faire, l’article 245 du Code pénal dispose que «le fait de solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrés par les traditions religieuses ne constitue pas un acte de mendicité». Elle fait ainsi observer qu’à la lecture conjointe des ces deux dispositions il semblerait que le fait d’organiser la mendicité des enfants talibés ne puisse être incriminé puisqu’il ne s’agit pas d’un acte de mendicité au sens de l’article 245 du Code pénal. La commission observe également que la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, dans son rapport du 28 décembre 2010 présenté au Conseil des droits de l’homme à la suite de sa mission au Sénégal (A/HRC/16/57/Add.3), a noté l’incohérence entre l’article 3 de la loi no 02/2005 et l’article 245 du Code pénal (paragr. 31). En outre, elle note que le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, dans ses observations finales du 3 décembre 2010 (CMW/C/SEN/CO/1, paragr. 26), a noté avec préoccupation que plus de la moitié des enfants contraints à la mendicité dans la région de Dakar viennent de pays limitrophes et que le gouvernement sénégalais n’a pas adopté de mesures concrètes pour mettre un terme à la traite régionale des enfants à des fins de mendicité.
La commission se doit à nouveau d’exprimer sa profonde préoccupation devant le grand nombre d’enfants talibés instrumentalisés à des fins purement économiques et face au défaut d’application de la loi no 02/2005 à l’égard des maître coraniques qui utilisent la mendicité des enfants talibés à des fins économiques, situation qui a notamment conduit à la libération des sept marabouts condamnés en 2010. La commission rappelle au gouvernement qu’en vertu de l’article 1 de la convention des mesures immédiates et efficaces doivent être prises de toute urgence pour assurer l’interdiction et l’élimination des pires formes de travail des enfants et qu’en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la convention il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective et le respect des dispositions donnant effet à la convention, y compris par l’établissement et l’application de sanctions suffisamment efficaces et dissuasives. Par conséquent, la commission prie instamment le gouvernement de prendre des mesures immédiates et efficaces, en droit et dans la pratique, afin de garantir que les personnes qui se livrent à la vente et à la traite des enfants talibés de moins de 18 ans à des fins d’exploitation économique ou qui utilisent ces enfants pour la mendicité à des fins purement économiques, soient effectivement poursuivies et que des sanctions suffisamment efficaces et dissuasives leur soient imposées. A cet égard, la commission prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour harmoniser sa législation nationale de manière à garantir que l’utilisation de la mendicité des enfants talibés à des fins d’exploitation économique puisse être incriminée au titre de l’article 245 du Code pénal et de la loi no 02/2005. Elle le prie de communiquer des informations sur les mesures prises à cet égard, ainsi que sur le nombre d’enquêtes menées, de poursuites engagées, de condamnations prononcées et de sanctions imposées à l’égard de ces personnes.
Article 7, paragraphe 2. Mesures efficaces prises dans un délai déterminé. Alinéa d). Enfants particulièrement exposés à des risques. Enfants talibés. Dans ses commentaires précédents, la commission a pris note des commentaires de l’UNSAS qui indiquaient que les mesures prises à l’égard des enfants talibés demeuraient insuffisantes. La commission a également noté qu’un partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants de la rue (PARRER) a été créé en février 2007, lequel regroupe à la fois des membres de l’administration sénégalaise, d’ONG, du secteur privé, des partenaires au développement, d’organisations religieuses, de la société civile et des médias.
La commission prend note des commentaires de la CSI qui indiquent que le gouvernement a adopté des mesures en faveur d’un programme de daaras modernes gérés ou régulés par l’Etat. Elle note ainsi que le gouvernement a instauré l’Inspectorat des daaras en 2008 pour mener à bien le programme de modernisation des daaras et d’intégration des daaras modernes dans l’enseignement public. Elle note également que le ministère de l’Education a signé un accord avec le PARRER afin d’élaborer un programme scolaire harmonisé pour les écoles coraniques. Ce programme, financé par le PARRER, a été lancé en janvier 2011. En outre, au début des années deux mille, le gouvernement a commencé à recruter des inspecteurs spécialisés dont la mission sera d’inspecter les daaras modernes.
Dans sa réponse aux observations de la CSI, le gouvernement affirme être engagé à mieux gérer et encadrer le système de l’enseignement au niveau des daaras. Il indique ainsi que, dans le cadre de l’Inspectorat des daaras, un certain nombre d’actions sont envisagées, notamment en vue de former les maîtres coraniques et les talibés au métier de leur choix. Il envisage également d’intégrer certaines actions dans sa stratégie de prévention de la mendicité des enfants, comme la mise en place de mesures de protection sociale dans les zones d’origine des enfants migrants, la mise en place de programmes de transfert conditionnel pour les familles vulnérables, l’appui à la création d’activités génératrices de revenus des marabouts ainsi que l’élargissement du contenu enseigné dans les écoles coraniques afin de faciliter l’insertion des jeunes talibés dans la vie active.
La commission note que, selon les informations contenues dans le rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies du 28 décembre 2010, le Centre d’accueil, d’information et d’orientation des enfants en situation difficile (Centre GINDDI), rattaché au ministère de l’Education, a pour mission, depuis 2003, d’assurer le retrait et la réinsertion des enfants de la rue et de fournir un accompagnement psychologique et une assistance sociale aux filles et garçons victimes de la traite (paragr. 68). Ainsi, en 2009, 896 enfants de la rue et enfants talibés auraient été pris en charge par le Centre GINDDI. La Rapporteuse spéciale des Nations Unies a cependant relevé l’absence de procédure formelle et harmonisée pour l’assistance et la prise en charge des enfants en danger, ainsi que l’absence de service social de proximité (paragr. 67). La commission prie le gouvernement de renforcer ses efforts pour protéger les enfants talibés de moins de 18 ans du travail forcé ou obligatoire, tel que la mendicité. Elle le prie de communiquer des informations sur les mesures prises, notamment dans le cadre du programme financé par le PARRER, et les résultats obtenus, en précisant notamment le nombre d’enfants talibés qui auront été retirés des pires formes de travail des enfants et qui auront bénéficié de mesures de réinsertion et d’intégration sociale dans le Centre GINDDI. Elle le prie également de continuer à communiquer des informations sur les mesures prises ou envisagées dans le cadre du processus de modernisation du système des daaras.
La commission soulève d’autres points dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 101e session et de répondre en détail aux présents commentaires en 2012.]
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