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Observation (CEACR) - adoptée 2005, publiée 95ème session CIT (2006)

Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 - Colombie (Ratification: 1991)

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A.  Communication de l’Union syndicale ouvrière

1. La commission prend note des commentaires de l’Union syndicale ouvrière (USO) sur l’application de la convention, qui ont été reçus le 31 août puis transmis au gouvernement le 7 septembre 2005. La commission note que les observations du gouvernement à propos de ces commentaires n’ont pas été reçues. L’USO indique que la communication a été élaborée en accord avec les représentants des conseils communautaires de Curbaradó et Jiguamiandó, lesquels ont apporté des informations, et avec la Commission interéglises de la justice et de la paix, la Commission colombienne de juristes et la Corporation collective d’avocats José Alvear Restrepo. Deux CD-ROM ont été reçus ultérieurement mais trop tard pour pouvoir être pris en compte dans ces commentaires. Ils ont été transmis au gouvernement en vue de leur examen ultérieur.

2. Article 1 de la convention. Champ d’application personnel. La première partie de la communication porte sur la discrimination à l’encontre des descendants d’Africains dont le taux d’analphabétisme est trois fois supérieur à celui du reste de la population, dont le taux de mortalité infantile est de 151 pour mille, alors que la moyenne nationale est de 39 pour mille. De plus, 76 pour cent de ces personnes vivent dans l’extrême pauvreté. En Colombie, les communautés de descendants d’Africains représentent 26,83 pour cent de la population. La plus grande partie de la communication porte sur deux de ces communautés, celle de Curbaradó et de Jiguamiandó (municipalité de Carmen de Darién, département du Chocó). La communication fait état de leur déplacement forcé et de la culture extensive de la palme africaine, en violation de leurs droits fonciers et sans consultation préalable. L’USO déclare que les communautés de Curbaradó et de Jiguamiandó répondent aux critères de peuple tribal établis dans la convention. Elles comptent 2 125 personnes, 515 familles descendantes d’Africains pour la plupart, qui utilisent leur territoire conformément à leurs pratiques ancestrales et traditionnelles. Ces communautés indiquent que la loi no 70 de 1993, article 2, paragraphe 5, établit qu’une communauté noire est l’ensemble des familles d’ascendance afro-colombienne qui ont une culture propre, qui partagent une histoire, qui ont leurs traditions et coutumes dans les zones rurales qu’elles habitent, et qui transmettent et maintiennent la conscience de leur identité, ce qui les distingue d’autres groupes ethniques. De plus, les communautés font état de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (décision T-955, M.P.: Alvaro Tafur Galvis, 17 oct. 2003). Dans cette décision, la Cour constitutionnelle a déclaré que le droit des communautés noires sur leur territoire collectif se fonde sur la charte politique et sur la convention no 169, sans préjudice de la redélimitation de leurs terres dont il est question dans la loi no 70. Le droit de propriété collective en question prévoit, comme cela a toujours été le cas, la faculté des communautés noires d’utiliser, de jouir et de disposer, de façon viable, des ressources naturelles renouvelables qui existent sur leurs territoires. Ainsi, depuis 1967, conformément à la loi no 31, il est reconnu aux communautés noires nationales, en tant que peuples tribaux, le droit de propriété collective des terres qu’elles occupent depuis des temps ancestraux. L’USO indique aussi que des aspects fondamentaux de la convention sont développés par la législation, par exemple le fait que les consultations sont réglementées dans la loi no 70, ainsi que dans le décret no 1320 de 1998 qui réglemente la consultation des communautés indigènes et d’origine africaine.

3. La commission note que, dans son premier rapport sur l’application de la convention, le gouvernement avait indiqué que l’on ne considère pas que les communautés afro-américaines de la Colombie relèvent du champ d’application de la convention: s’il est vrai que des secteurs de cette population, à savoir les communautés du littoral du Pacifique, et certaines populations aux caractéristiques analogues qui vivent dans les vallées situées entre les fleuves, ont été considérées comme des groupes ethniques, le gouvernement colombien, s’appuyant sur la nouvelle Constitution colombienne, estime que ces groupes ne relèvent pas de la catégorie des peuples indigènes ou tribaux.

4. La commission estime, à la lumière de ces informations, que les communautés noires de Curbaradó et de Jiguamiandó semblent réunir les conditions requises à l’article 1, paragraphe 1 a), de la convention, lequel s’applique «aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale». De plus, le paragraphe 2 du même article établit que «le sentiment d’appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s’appliquent les dispositions de la convention». Selon les informations fournies dans la communication, qui indiquent que les représentants des conseils communautaires de Curbaradó et de Jiguamiandó ont participé à l’élaboration de la communication, il semblerait que ces communautés, parce qu’elles demandent que la convention s’applique à elles, ont conscience de leur identité tribale. De plus, la définition de «communauté noire» qui figure dans la loi no 70 semble coïncider avec la définition de «peuples tribaux» de la convention. La commission demande au gouvernement et à l’USO de confirmer que ces communautés s’identifient comme des peuples tribaux au sens de l’article 1, paragraphe 1 a), de la convention. La commission demande aussi au gouvernement d’indiquer la proportion de descendants d’Africains qui satisfont aux exigences du même article de la convention. La commission demande au gouvernement, dans le cas où il considérerait que ces communautés ne constituent pas des peuples tribaux au sens de la convention, d’expliquer ses motifs.

Communautés de Curbaradó et de Jiguamiandó

5. L’USO indique que les membres de ces communautés ont été victimes d’agressions systématiques mettant en péril leur vie, leur liberté et leur intégrité, et de déplacements forcés. Elles affirment qu’en raison des crimes qui auraient été commis, selon la communication, en majorité par des membres de la force publique ou par des groupes militaires, groupe que des membres de la force publique laissent agir, tolèrent, ou font semblant de ne pas voir, ou dans certains cas par des groupes de guérilleros, les vingt-trois conseils communautaires de ces communautés ont décidé en août 2002 de s’installer dans des «zones humanitaires de refuge».

6. Terres et ressources naturelles. L’USO indique également que, depuis 2001, les violations des droits de l’homme contre ces communautés ont été liées à la progression des cultures extensives de la palme à huile ou de la palme africaine, et de l’élevage de bétail, malgré l’existence de titres collectifs qui portent sur ces territoires. Les communautés affirment qu’elles ont aussi été privées de leurs terres à la suite de recours en justice illicites des entreprises qui cultivent la palme et, entre autres, à la suite des actes suivants: conclusion de contrats qui vont à l’encontre de la loi no 70, usurpations d’identité, faux en tous genres, créations fictives de personnalités morales destinées à faire croire que ces communautés ont donné leur accord, usurpation de fonctions de représentants des communautés dûment reconnus et inscrits, accords en vue de la culture de terres accordées par des fonctionnaires membres des forces militaires, coercition et menaces directes à l’encontre des habitants qui, souvent, sont obligés de vendre leurs propriétés, sous la menace ou en l’absence d’autres possibilités qui leur conviennent. Dans les commentaires de l’USO sont mentionnées des menaces de mort, en mars, avril et juin 2005, à l’encontre de paysans de ces communautés qui n’avaient pas encore vendu ou abandonné leurs terres. Les commentaires indiquent aussi que la déforestation intensive en vue de la culture de la palme africaine et de l’élevage a eu des conséquences sociales et écologiques désastreuses.

7. Consultation. L’USO fait mention du décret no 1745 qui réglemente le troisième chapitre de la loi no 70 et qui définit le fonctionnement des conseils communautaires des communautés de descendants d’Africains. Il dispose que les conseils constituent la plus haute autorité de l’administration interne sur les terres des communautés noires. Les communautés signalent que ces autorités n’ont pas été consultées et donnent des exemples de réunions qui se sont tenues avec des personnes qui ne représentaient pas les communautés.

8. Initiatives à l’échelle nationale. La communication fait état de diverses initiatives à l’échelle nationale. Les communautés indiquent que l’Institut colombien du développement rural (INCODER), en novembre 2004, estimait à 4 993 hectares la superficie des cultures de palme dans les territoires collectifs de Jiguamiandó et de Curbaradó, et que l’élevage était pratiqué sur 810 hectares. Quatre-vingt treize pour cent des terres cultivées en palme se trouvent sur les territoires collectifs, et les sept pour cent restants sur des terres privées que l’INCORA a attribuées avant l’entrée en vigueur de la loi no 70. Les communautés citent, entre autres, la directive no 008 du 21 avril 2005 par laquelle le Procureur général de la nation a enjoint la corporation Codechocó, entité chargée de veiller à l’application de la loi sur l’environnement, et à INCODER de présenter dans un délai de quinze jours un rapport sur les initiatives prises à ce jour pour garantir effectivement la protection des droits fonciers de ces communautés et personnes, ainsi que sur le plan d’action prévu à cette fin. Les communautés mentionnent aussi la résolution no 30 des services du Défenseur du peuple, en date du 2 juin 2005, résolution intitulée «violation des droits de l’homme en raison de la culture de la palme africaine sur les territoires collectifs de Jiguamiandó et de Curbaradó». Dans cette résolution, le Défenseur du peuple, entre autres, a demandé aux entreprises qui cultivent la palme africaine de cesser immédiatement d’étendre cette culture. Le Défenseur du peuple a aussi demandé la restitution des territoires collectifs et des réserves indigènes touchées par la culture de la palme à huile, ainsi que des territoires destinés à l’élevage et à l’exploitation forestière. Le défenseur a aussi demandé instamment aux entités publiques compétentes de ne pas accorder de permis, d’autorisation ou de licence écologique en ce qui concerne les territoires collectifs des communautés noires de Jiguamiandó et de Curbaradó, ainsi que les réserves indigènes, sans satisfaire pleinement aux conditions prévues en matière d’environnement et de territoires.

9. La commission se réfère aux commentaires exprimés au paragraphe 4, selon lesquels les communautés en question semblent satisfaire aux conditions requises pour être couvertes par la convention. Sous réserve des observations que le gouvernement transmettra, la commission indique que, s’il est confirmé que ces communautés sont couvertes par la convention, il convient d’appliquer les articles 6, 7 et 15 sur la consultation et les ressources naturelles et les articles 13 à 19 sur les terres. En particulier, la commission se réfère aux droits qu’ont ces peuples de retourner sur leurs terres traditionnelles, dès que les raisons qui ont motivé leur déplacement et leur réinstallation cessent d’exister (article 16, paragraphe 3, de la convention) et aux mesures prévues par le gouvernement en cas d’entrée non autorisée sur les terres des peuples intéressés, ou de toute utilisation non autorisée de ces terres par des personnes qui y sont étrangères (article 18 de la convention). La commission, notant que la communication fait état à plusieurs reprises de menaces, de coercition et d’un climat de terreur, ainsi que de l’absence de sanctions à l’encontre des personnes qui ont enfreint le droit à la vie, à l’intégrité et à la liberté des communautés, ce qui a entraîné le déplacement forcé de ces communautés, demande au gouvernement de mettre tout en œuvre pour protéger la vie et l’intégrité des membres de ces communautés. La commission demande au gouvernement de communiquer ses commentaires à propos de la communication susmentionnée et d’indiquer les mesures prises pour donner suite à la résolution du Défenseur du peuple et à la directive no 008 du Procureur général de la République. La commission poursuivra l’examen de cette communication quand elle aura reçu les commentaires du gouvernement.

B.  Demande d’assistance technique du gouvernement

10. La commission note avec intérêt que le gouvernement a demandé l’assistance technique du Bureau pour faciliter la consultation du peuple U’wa dans le cadre des recommandations qu’a formulées le comité tripartite qui était chargé d’examiner la réclamation. Le Conseil d’administration a approuvé le rapport contenant ces recommandations à sa 212e session (novembre 2001). La commission note que ce projet se concrétisera bientôt et que le Bureau s’est dit entièrement disposé à contribuer à une meilleure application des recommandations des organes de contrôle. La commission attend un complément d’information sur le lancement et la réalisation de cette assistance.

[Le gouvernement est prié de répondre en détail aux présents commentaires en 2006].

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