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Observation (CEACR) - adoptée 2004, publiée 93ème session CIT (2005)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Soudan (Ratification: 1957)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Soudan (Ratification: 2021)

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Abolition des pratiques analogues à l’esclavage

1. Depuis plusieurs années, la commission examine, au regard de l’application de la convention, les informations relatives aux pratiques d’enlèvement, de traite et de travail forcé affectant des milliers de femmes et d’enfants dans les régions du pays où se déroule un conflit armé. Le gouvernement a été prié de fournir des informations détaillées sur les mesures prises pour combattre la pratique du travail forcé par l’intermédiaire de l’enlèvement de femmes et d’enfants et pour garantir que, conformément à la convention, des sanctions sont imposées aux coupables.

2. La commission prend note du rapport du gouvernement reçu en octobre 2004 et de la note d’informations à propos des activités de la Commission pour l’éradication de l’enlèvement des femmes et des enfants (CEAWC) transmise en janvier 2004, ainsi que de la discussion qui a eu lieu au sein de la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2004. Elle prend note également des observations datées du 31 août 2004 reçues de la part de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) concernant l’application de la convention par le Soudan, lesquelles ont été transmises au gouvernement en septembre 2004 pour tous commentaires que celui-ci estimerait appropriés. Etant donné que le rapport du gouvernement reçu en octobre 2004 ne comporte aucune référence à ces observations, la commission espère que le gouvernement ne manquera pas de communiquer, dans son prochain rapport, ses commentaires à leur sujet.

Commission de l’application des normes de la Conférence

3. La commission note que, dans ses conclusions adoptées en juin 2004, la Commission de la Conférence a expriméà nouveau sa profonde préoccupation au sujet des rapports continus d’enlèvements et d’esclavage, particulièrement dans la région du sud du Darfour, et a estimé nécessaire d’inviter le gouvernement à prendre des mesures efficaces et rapides pour mettre un terme à ces pratiques et punir les responsables, mettant ainsi fin à l’impunité. Tout en prenant note des mesures positives prises par le gouvernement, la Commission de la Conférence a exprimé le ferme espoir que le prochain rapport du gouvernement décrira les résultats concrets obtenus et a rappelé que le gouvernement pouvait avoir recours à l’assistance technique du BIT.

Organismes des Nations Unies

4. La commission note que, dans sa décision 2004/128 du 23 avril 2004 sur la situation des droits de l’homme au Soudan (E/CN.4/DEC/2004/128), la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a exprimé sa profonde préoccupation à propos de la situation au Soudan et en particulier au Darfour - Soudan occidental -, et a appelé le gouvernement à promouvoir et à protéger de manière active les droits de l’homme et le droit humanitaire international à travers le pays. La commission prend note également du rapport du représentant du Secrétaire général sur les personnes déplacées à l’intérieur du pays «Mission au Soudan -  la crise du Darfour» (E/CN.4/2005/8 du 27 septembre 2004), dans lequel il constate que «ce auquel le monde assiste aujourd’hui au Darfour s’est produit dans le sud du pays pendant la presque totalité de la guerre civile avec notamment des incendies de villages, des assassinats, la destruction et le pillage des propriétés, le recours aux milices tribales arabes, le déplacement massif des populations de leurs territoires et l’enlèvement des femmes et des enfants» (paragr. 16). La commission prend note aussi d’un rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans la région du Darfour au Soudan (E/CN.4/2005/3), dans lequel il se réfère à«l’esclavage sexuel» et à«la prostitution forcée» qui «constituent des crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque générale ou systématique dirigée contre la population civile» (paragr. 69). Selon les recommandations contenues dans le rapport, «les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire doivent être examinées de manière approfondie et rapide et les auteurs poursuivis devant la justice» (paragr. 97).

Commentaires formulés par les organisations de travailleurs

5. Dans les observations de 2004 susmentionnées, la CISL conteste la déclaration du gouvernement devant la Commission de la Conférence en juin 2004 selon laquelle les enlèvements se sont complètement arrêtés. La CISL se réfère à un rapport sur la situation au Darfour établi par Amnesty International en juillet 2004, qui contient des informations obtenues à partir de déclarations de témoins oculaires au sujet de cas d’enlèvements de femmes et d’enfants par la milice Janjaweed, et notamment de plusieurs cas d’esclavage sexuel. Se référant aux informations reçues de la part de différentes sources, et notamment du rapport du Département d’Etat des Etats-Unis sur le rapport relatif au Soudan, la CISL soutient que les enlèvements, dont l’existence a été documentée ces dernières années, se sont poursuivis en 2003 et 2004. Elle partage aussi l’avis exprimé par le Groupe des sages dans son rapport de 2002 selon lequel ces enlèvements sont «le produit d’une stratégie contre-insurrectionnelle» poursuivie par le gouvernement, qui «a omis de reconnaître sa propre responsabilité dans les actes commis par les milices et d’autres forces placées sous son autorité».

6. Se référant à la déclaration du représentant du gouvernement à la Commission de la Conférence, selon laquelle il n’existe pas de preuve du nombre de personnes enlevées et les estimations ont confondu les cas d’enlèvements avec d’autres cas de personnes déplacées, la CISL souligne que, la Commission des chefs Dinka (DCC) estime qu’il y a environ 14 000 personnes qui ont été enlevées et que ce chiffre a été admis par la CEAWC. Selon les estimations de la CEAWC, de la DCC et d’autres sources, il y a toujours 10 000 personnes enlevées attendant d’être identifiées et réunifiées avec leurs familles. Pour ce qui est des poursuites à l’encontre des auteurs des enlèvements, la CISL fait remarquer qu’elle n’est au courant d’aucune poursuite engagée jusqu’à ce jour et que, selon le rapport du Groupe des sages, en ce qui concerne l’esclavage et les enlèvements, aucune poursuite pénale n’a été engagée devant les tribunaux soudanais au cours des seize dernières années.

7. Tout en accueillant favorablement les développements positifs, tels que la conclusion des trois accords de paix en mai 2004, la CISL est d’avis que ces derniers ne permettront pas automatiquement de mettre un terme aux enlèvements et aux violations des droits de l’homme, comme l’ont montré les récents événements au Darfour, et appelle le gouvernement à déclarer publiquement que toutes ces pratiques sont illégales et à donner la prioritéà la poursuite des auteurs des nouveaux enlèvements et de ceux qui ne coopèrent pas avec la CEAWC.

Réponse du gouvernement

8. Dans son rapport de 2004, le gouvernement réitère sa condamnation de toutes les formes d’esclavage et de travail forcé et confirme son engagement de coopérer avec les organisations internationales pour éradiquer le phénomène des enlèvements. Suite aux informations sur les activités sur le terrain de la CEAWC, fournies au BIT en janvier 2004, la commission note, d’après le rapport du gouvernement reçu en octobre 2004 et la déclaration du représentant du gouvernement à la Commission de la Conférence en juin 2004, qu’au cours de la période de mars à mai 2004, la CEAWC a été en mesure de libérer, avec le financement du gouvernement, plus de 1 000 personnes enlevées qui ont rejoint leurs familles, notamment dans les zones contrôlées par l’armée de libération du peuple du Soudan (SPLA). Le gouvernement répète aussi sa précédente déclaration selon laquelle les enlèvements se sont arrêtés complètement. Se référant aux observations de 2004 ci-dessus formulées par la CISL, dans lesquelles cette déclaration du gouvernement a été contestée, la commission espère que le gouvernement répondra à ces observations et continuera à fournir des informations sur l’application dans la pratique du décret présidentiel no 14 de 2002 concernant la réinstallation du CEAWC en indiquant, en particulier, le nombre de personnes enlevées identifiées et libérées et le nombre d’auteurs poursuivis.

9. La commission note, d’après le rapport du gouvernement et la discussion au sein de la Commission de la Conférence, qu’en mai 2004 le gouvernement du Soudan a signé trois protocoles de paix, et notamment un protocole sur le partage du pouvoir, comportant des dispositions sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales et se référant à ce propos aux instruments internationaux, en particulier à ceux relatifs aux droits de l’enfant et à l’abolition de l’esclavage. Le gouvernement déclare que l’application de ces accords devrait résoudre les problèmes en suspens.

10. Tout en prenant note de ces développements positifs et de l’engagement renouvelé du gouvernement de résoudre le problème, la commission demande instamment au gouvernement de poursuivre ses efforts avec fermeté en vue de combattre la pratique du recours au travail forcé par l’intermédiaire de l’enlèvement de femmes et d’enfants, menée sur une large échelle dans le pays. La commission constate à nouveau la convergence des allégations et le large consensus parmi les organismes des Nations Unies, les organisations représentatives des travailleurs et les organisations non gouvernementales au sujet de l’existence continue et de l’ampleur des pratiques d’enlèvement et de recours au travail forcé. La commission constate que les situations concernées constituent des violations flagrantes de la convention, vu que les victimes sont forcées d’accomplir un travail pour lequel elles ne se sont pas offertes de plein gré, dans des conditions extrêmement dures et accompagnées de mauvais traitements pouvant comporter la torture et l’assassinat. La commission estime qu’il est nécessaire d’engager une action urgente et systématique qui réponde à l’ampleur et à la gravité du problème.

Article 25 de la convention

11. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté qu’aux termes de l’article 162 du Code pénal l’enlèvement est passible de dix ans d’emprisonnement et avait demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour garantir que, conformément à la convention, des sanctions pénales soient appliquées aux coupables. Le gouvernement avait cependant estimé dans son rapport de 2002 que toute poursuite engagée contre les auteurs d’enlèvements risquerait, à l’heure actuelle, de porter atteinte aux recommandations émanant des réunions de conciliation tribales, organisées parmi les différentes tribus concernées par les cas d’enlèvements, dans une tentative d’éradiquer le phénomène des enlèvements réciproques, dans le cadre de la coexistence pacifique entre les tribus. La commission note, d’après la note d’informations sur les activités de la CEAWC, transmise en janvier 2004, et d’après la déclaration du représentant du gouvernement à la Commission de la Conférence en juin 2004, que la CEAWC estimait que les actions en justice représentaient le meilleur moyen d’éradiquer les enlèvements, alors que les tribus, et notamment la DCC, avaient demandé au CEAWC de ne pas recourir aux actions en justice à moins que les efforts de conciliation des tribus n’aient échoué.

12. La commission souligne à nouveau qu’une telle approche pourrait avoir pour effet d’assurer l’impunité aux auteurs d’enlèvements qui exploitent le travail forcé. Rappelant qu’aux termes de l’article 25 de la convention «le fait d’exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales et que tout Membre ratifiant la présente convention aura l’obligation de s’assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées», la commission veut croire que les mesures nécessaires seront bientôt prises pour que les poursuites légales soient engagées contre les auteurs et que des sanctions soient imposées à l’encontre des personnes convaincues d’avoir recouru au travail forcé, comme exigé par la convention.

13. La commission avait précédemment pris note des indications du gouvernement dans son rapport de 2002 concernant la création par le ministre de la Justice de tribunaux spéciaux chargés de poursuivre les auteurs d’enlèvements de femmes et d’enfants. La commission espère que le gouvernement fournira, dans son prochain rapport, des informations sur le fonctionnement de ces tribunaux dans la pratique, en indiquant le nombre de tribunaux créés et le nombre de poursuites engagées et en transmettant des copies des décisions de justice.

[Le gouvernement est prié de fournir des détails complets à la Conférence à sa 93e session.]

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