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Observation (CEACR) - adoptée 2004, publiée 93ème session CIT (2005)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Brésil (Ratification: 1957)

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La commission a pris note des informations communiquées par le gouvernement dans son rapport et des commentaires présentés conjointement par l’Association Gaúcha des inspecteurs du travail (AGITRA) et l’Association des agents de l’inspection du travail du Paraná (AAIT/PR) ainsi que ceux présentés par la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) qui ont été transmis au gouvernement respectivement le 30 mars 2004 et le 1er septembre 2004.

La commission reconnaît que, depuis plusieurs années, le gouvernement a adopté une série de mesures importantes démontrant son engagement dans la lutte contre le travail forcé- mesures dont elle a pris note en détail dans sa précédente observation. Malgré cela, le phénomène persiste dans de nombreuses régions où un nombre élevé de travailleurs est soumis à des conditions de travail dégradantes et à la servitude pour dettes. Si les contrôles menés par le Groupe spécial d’inspection mobile permettent chaque année de libérer davantage de travailleurs du joug des employeurs qui les exploitent, il ne semble pas pourtant que les infractions constatées débouchent sur l’imposition de sanctions suffisamment dissuasives à l’encontre des personnes ayant imposé du travail forcé pour éradiquer ce phénomène.

Cadre juridique

1. Article 149 du Code pénal. La commission note que, suite à l’adoption de la loi no 10.803 du 11 décembre 2003, l’article 149 du Code pénal, qui condamnait le fait de réduire une personne à des conditions analogues à l’esclavage à une peine de deux à huit ans de prison, a été modifié. Elle note avec intérêt que désormais la notion de «réduction d’une personne à la condition analogue à l’esclavage» est complétée, puisque l’article 149 la qualifie en indiquant les hypothèses dans lesquelles la réduction à la condition analogue à l’esclavage est constituée, à savoir: en soumettant quelqu’un à des travaux forcés ou à des journées de travail harassantes ou en l’assujettissant à des conditions de travail dégradantes ou encore en restreignant, par quelque moyen que ce soit, sa mobilité en raison de la dette contractée vis-à-vis de l’employeur ou de son préposé. Sont passibles de la même peine de prison ceux qui retiennent les travailleurs sur leur lieu de travail soit en les empêchant d’utiliser des moyens de locomotion, soit en retenant leurs papiers ou leurs biens personnels, soit en maintenant une surveillance ostensible.

2. Projet d’amendement à l’article 243 de la Constitution (PEC no 438/2001). La commission avait noté que, parmi les mesures prévues dans le Plan national d’action pour l’éradication du travail esclave, lancé en mars 2003 par le Président de la République, figurait l’approbation de la proposition d’amendement de l’article 243 de la Constitution qui vise à exproprier, sans indemnisation, les exploitations dans lesquelles l’utilisation de main-d’œuvre esclave aura été constatée. Les terres expropriées seront destinées à la réforme agraire et réservées en priorité aux personnes qui travaillaient sur lesdites exploitations. Le gouvernement indique que la proposition, approuvée par le Sénat, est actuellement en discussion à la Chambre des députés et il promet de s’engager politiquement pour son approbation rapide.

La CISL considère favorablement cette proposition qui, si elle est adoptée, permettra d’imposer une véritable sanction à ceux qui utilisent de la main-d’œuvre esclave et d’éviter aux travailleurs, en accédant à la terre, de retourner dans le travail en servitude. Ceci est très important dans la mesure où les statistiques montrent que 40 pour cent des travailleurs libérés l’ont déjàété plus d’une fois. La CISL souligne cependant que, depuis 1995, des propositions d’amendement similaires ont déjàété discutées au Congrès, sans avoir abouti.

La commission espère que, comme il s’y est engagé, le gouvernement ne manquera pas de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour accélérer le processus devant mener à l’adoption de cette proposition qui, lorsqu’elle sera adoptée, permettra d’imposer des sanctions réellement dissuasives aux propriétaires d’exploitation recourant à la main-d’œuvre esclave.

3. Liste des personnes utilisant ou ayant utilisé de la main-d’œuvre esclave. En novembre 2003, une liste de 52 noms de personnes physiques ou morales ayant été jugées définitivement pour avoir utilisé de la main-d’œuvre esclave a été adoptée dans le but d’éviter que celles-ci ne puissent bénéficier de financements publics. D’après le décret MTE no 1234/2003 du 17 novembre 2003, transmis par le gouvernement, la liste doit être communiquée tous les six mois à différentes institutions publiques afin que ces dernières prennent les mesures relevant de leur compétence. En outre, le décret no 1150 du 18 novembre 2003 précise que le département de gestion des finances pour le développement régional du ministère de l’Intégration nationale doit communiquer cette liste aux banques administrant les fonds constitutionnels et régionaux de financement afin qu’aucun crédit public ne soit concédé aux personnes incluses dans la liste. Le gouvernement ajoute que le ministère des Finances et la Banque centrale cherchent àétendre cette interdiction aux banques privées en ce qui concerne les ressources contrôlées par le gouvernement fédéral. Il reconnaît que la question de la concession d’aides ou de crédits aux personnes qui utilisent de la main-d’œuvre esclave est un grave problème, surtout en Amazonie où plusieurs institutions de crédit mettent à disposition des ressources pour le développement régional.

La CISL fait état à ce sujet de sa préoccupation face à l’absence de mécanisme administratif de suivi permettant de s’assurer que ceux qui figurent sur la liste ne bénéficient pas de financements ou d’avantages publics.

La commission avait déjà considéré qu’en cherchant à porter directement atteinte aux intérêts financiers de ceux qui exploitent de la main d’œuvre esclave l’adoption de la liste constituait une étape importante dans la lutte contre le travail forcé. Elle note à cet égard avec intérêt que la liste a été mise à jour et contient désormais 49 noms (décret no 540 du ministère du Travail et de l’Emploi du 15 octobre 2004). Selon l’article 4 de ce décret, pendant les deux ans suivant l’inclusion d’un nom dans la liste, l’inspection du travail vérifiera les conditions de travail dans les exploitations concernées. S’il n’y a pas de récidive et si les amendes et les dettes envers les travailleurs ont été acquittées, le nom peut sortir de la liste. La commission prie le gouvernement de bien vouloir continuer à fournir des informations à ce sujet, notamment sur la révision de la liste, sur l’extension aux banques privées de l’interdiction de concéder des crédits aux personnes figurant sur la liste et sur la manière dont il s’assure du respect de cette interdiction dans la pratique.

Mise en œuvre

1. Prévention et sensibilisation. Ces deux dernières années, le gouvernement a adopté une série de mesures visant à combattre le travail esclave dont l’adoption en 2002 du Plan national pour l’éradication du travail esclave, la création de la Commission nationale pour l’éradication du travail esclave (CONATRAE), en mars 2003, et le lancement de la campagne nationale pour l’éradication du travail esclave, en septembre 2003. La CONATRAE, composée d’organes gouvernementaux et non gouvernementaux, dote le pays d’un cadre permanent efficace pour la coordination de l’ensemble des actions devant être prises dans le cadre du plan national d’action. Le gouvernement se réfère également au projet de coopération entre le BIT et le gouvernement «Combattre le travail forcé au Brésil» (2002-2007). Les objectifs de ce projet sont les suivants:

-           le renforcement et la coordination des actions menées par la CONATRAE;

-           le développement de campagnes nationales de sensibilisation;

-           le développement de la base de données collectant les données sur le travail forcé provenant de différentes sources afin d’aider le gouvernement à mieux cibler et planifier ses actions;

-           le renforcement du Groupe spécial d’inspection mobile; et

-           la mise en place de programmes pilotes destinés à assister les travailleurs libérés.

La commission prend note avec intérêt de l’ensemble de ces actions qui témoignent de l’engagement du gouvernement à lutter contre le travail esclave, à sensibiliser l’opinion publique et à mener une action concertée dans ce domaine. La commission espère que le gouvernement poursuivra cette action et le prie de continuer à fournir des informations sur les mesures prises pour poursuivre la mise en œuvre du Plan national pour l’éradication du travail esclave, sur les résultats obtenus et sur les difficultés rencontrées.

2. L’action de l’inspection du travail. La commission avait noté le rôle prépondérant joué par l’inspection du travail dans la lutte contre le travail forcé en soulignant que l’action du Groupe spécial d’inspection mobile (GEFM) constituait le préalable sans lequel les travailleurs ne pouvaient être libérés ni les coupables condamnés. Tout en notant les mesures déjà prises par le gouvernement, elle avait espéré qu’il continuerait à mobiliser tous les moyens à sa disposition pour renforcer davantage les services d’inspection. Le gouvernement indique que le GEFM intervient à l’improviste, sur la base des plaintes reçues. Les inspecteurs du travail sont accompagnés par la police fédérale qui est responsable de leur sécurité et est en même temps compétente en matière de police judiciaire. Le but de ces interventions est de libérer les travailleurs, d’obtenir le versement des sommes qui leur sont dues et, à la fin de l’opération, de transmettre le dossier au ministère public fédéral si la situation relève du crime de réduction d’une personne à une condition analogue à l’esclavage ou de toute autre infraction pénale. En 2003, le GEFM a été doté de 16 véhicules à traction particulièrement adaptés aux inspections devant être menées et, en 2004, d’une sixième équipe. Suite à l’ouverture d’un concours, 150 inspecteurs du travail ont été admis et sont entrés en fonctions en mai 2004. Ils seront affectés en priorité dans les zones où se concentre le travail forcé. De manière générale, l’année 2003 a enregistré le plus grand nombre d’opérations du GEFM depuis sa création en 1995; il en est de même du nombre de travailleurs libérés. Ainsi, 196 établissements ont été inspectés dans le cadre de 66 opérations, ce qui a permis de libérer 4 879 travailleurs.

La CISL reconnaît que l’augmentation du nombre de travailleurs libérés démontre l’efficacité du GEFM. Elle est cependant préoccupée par le déclin du nombre de travailleurs libérés, observé au premier semestre 2004, qui pourrait signifier que le travail du GEFM est entravé par son manque de ressources et par le climat d’intimidation et d’impunité. En outre, les délais entre le dépôt d’une plainte et le déroulement des inspections se sont accrus. Selon la CISL, il est nécessaire de renforcer le GEFM tant en ressources humaines qu’en moyens de locomotion adéquats pour garantir des inspections rapides et dans les régions moins accessibles. Le manque de moyens de l’inspection du travail constitue également un sujet de préoccupation pour l’AGITRA. Par ailleurs, ces deux organisations syndicales sont préoccupées par le climat d’intimidation et de violence qui s’exerce à l’encontre des inspecteurs du travail, des juges, des procureurs et de tous ceux qui luttent contre le travail esclave. L’assassinat de trois inspecteurs du travail et de leur chauffeur, le 28 janvier 2004, illustre ce climat. L’AGITRA considère que le combat est d’autant plus difficile à mener que des notables sont impliqués. La CISL insiste sur la nécessité pour le gouvernement de protéger ceux qui travaillent à combattre le travail esclave et de s’assurer que ceux qui utilisent la violence et l’intimidation sont sanctionnés et jugés.

La commission prend note de l’ensemble de ces informations et souhaite que le gouvernement continue à fournir des données détaillées sur l’action déployée par le GEFM et les moyens mis à sa disposition par le gouvernement ainsi que sur le nombre d’opérations menées, la durée moyenne écoulée entre la réception d’une plainte et la visite du GEFM et le nombre de travailleurs libérés. La commission est par ailleurs préoccupée par le contexte de violence dans lequel doivent travailler les inspecteurs du travail, les procureurs, les juges et plus généralement les personnes impliquées dans la lutte contre le travail esclave. Elle relève qu’en août 2003, avant l’assassinat des inspecteurs du travail, face aux nombreuses menaces subies par leurs membres, plusieurs institutions dont le Procureur fédéral des droits de l’homme, l’Association nationale des magistrats du travail, le ministère public du Travail, l’Ordre des avocats du Brésil, la Commission pastorale de la terre ont publié un communiqué de presse relatant la situation et demandant que les mesures appropriées soient prises. Ce communiqué a été repris sous la forme d’une motion d’appel au Président de la République et au ministre de la Justice notamment, afin que le gouvernement adopte les mesures urgentes pour garantir la vie et la sécurité des personnes engagées dans la mise en œuvre du Plan national d’éradication du travail esclave. La commission espère que le gouvernement ne manquera pas de fournir des informations sur les mesures prises à cet égard.

Application de sanctions efficaces

1. Sanctions administratives. Considérant que l’application effective de sanctions en cas d’infraction à la législation du travail est un élément fondamental de la lutte contre le travail forcé dans la mesure où la réunion de plusieurs de ces infractions caractérise certaines situations de travail forcé, la commission espère que le gouvernement veille à ce que les amendes infligées en cas d’infraction à la législation du travail soient effectivement collectées, de manière à garantir le caractère dissuasif des sanctions. Le gouvernement indique que le ministère public du Travail, par l’intermédiaire des procureurs régionaux du travail, a initié différentes actions en vue de pénaliser ceux qui utilisent de la main-d’œuvre esclave et que 439 procédures d’investigations sont en cours. La CISL et l’AGITRA ont quant à elles exprimé leur crainte face à des amendes trop basses pour être dissuasives et au fait que beaucoup d’amendes restent impayées. La CISL regrette l’absence de données officielles sur le montant des amendes infligées et le montant de celles collectées. La commission prend note de ces informations. Elle a également pris connaissance de plusieurs décisions des tribunaux régionaux du travail qui, en plus d’exiger le paiement des arriérés de salaires et autres cotisations sociales, ont condamné les accusés à des amendes et des indemnisations, notamment pour préjudice social collectif. Elle souhaiterait que le gouvernement fournisse des informations complètes sur les décisions rendues par les tribunaux du travail ainsi que sur les difficultés rencontrées pour collecter les amendes imposées.

2. Sanctions pénales. Depuis de nombreuses années, la commission demande au gouvernement de communiquer des informations sur le nombre de cas de travail forcé dénoncés devant le ministère public fédéral par les services de l’inspection du ministère du Travail, sur la manière dont ces cas sont traités, en particulier le pourcentage de plaintes ayant abouti à l’ouverture de poursuites pénales par rapport au nombre total de plaintes reçues de la part des services d’inspection, et sur le nombre de condamnations prononcées en application des dispositions pénales pertinentes, notamment l’article 149 du Code pénal. Le gouvernement indique dans son rapport qu’entre février 2003 et mai 2004 le Procureur général de la République a initié 633 procédures administratives pour vérification des allégations de travail esclave. A cet égard, la commission a pris connaissance, sur le site Internet du Procureur général de la République (http://www.pgr.mpf.gov.br/pgr/pfdc/pfdc.html), d’une liste d’affaires dans lesquelles le ministère public fédéral a demandéà la juridiction compétente d’accueillir sa plainte (denúncia) en vue de l’ouverture d’un procès criminel, en se basant notamment sur l’article 149 du Code pénal. Malgré l’absence d’informations de la part du gouvernement sur le nombre de condamnations prononcées en application dudit article 149, la commission a pu constater avec intérêt que de telles condamnations avaient été prononcées (voir notamment la décision no 2001.04.01.045970-8/SC du tribunal régional fédéral de la quatrième région confirmant en appel la condamnation à une peine de réclusion de deux ans et huit mois pour le crime prévu à l’article 149 du Code pénal).

Dans ces conditions, la commission espère que dans son prochain rapport le gouvernement fournira des informations plus complètes sur les procédures en cours, que ce soit les procédures administratives menées par le Procureur général de la République pour vérification des faits, auxquelles le gouvernement s’est référé dans son rapport, les suites données aux plaintes déposées par le ministère public fédéral en vue de l’ouverture d’un procès criminel ou les jugements effectivement rendus par les juridictions pénales. La commission rappelle à ce sujet que, conformément à l’article 25 de la convention, le gouvernement doit s’assurer que les sanctions pénales imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées.

Se référant à ses précédents commentaires, la commission souhaiterait savoir si le problème de la détermination de la juridiction compétente - juridictions fédérales ou des Etats - pour juger le crime de réduction d’une personne à la condition analogue à l’esclavage (art. 149 du Code pénal) a été résolu et si une décision définitive a été rendue à ce sujet.

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