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Observation (CEACR) - adoptée 2002, publiée 91ème session CIT (2003)

Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 - Türkiye (Ratification: 1967)

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La commission prend note du rapport du gouvernement ainsi que des commentaires de la Confédération turque des associations d’employeurs (TISK) et de la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DISK).

1. La TISK fait état d’une progression marquée, ces dernières années, de l’emploi des femmes dans le secteur privé, tandis que la DISK argue que les problèmes liés à la discrimination à l’égard des femmes, que la commission avait évoqués antérieurement, persistent. La commission prend note des statistiques pour l’année 2000 communiquées par le gouvernement, statistiques faisant apparaître que le taux d’alphabétisation des femmes et la part représentée par celles-ci dans la population active restent très bas. Ainsi, le nombre de femmes analphabètes reste pratiquement quatre fois supérieur à celui des hommes analphabètes, et ce phénomène ne sévit pas seulement en milieu rural, puisque l’on compte 2,4 millions d’analphabètes sur 6 millions de personnes vivant en milieu urbain. La part représentée par les hommes dans la population active globale est de 73,1 pour cent, celle représentée par les femmes étant de 25,5 pour cent. En 2000, le chômage des femmes en zone urbaine était de 13,1 pour cent, contre 7,9 pour cent pour les hommes. La commission prie le gouvernement de continuer de fournir des statistiques sur la situation des femmes au regard de l’enseignement et de l’emploi, et des informations sur les mesures prises pour assurer l’égalité de chances et de traitement des femmes dans l’emploi et la profession.

2. Discrimination fondée sur le sexe et sur la religion. La commission rappelle la teneur d’une communication de la Maison des Travailleurs de la République islamique d’Iran en date du 9 mai 1999, dans laquelle cette organisation signalait qu’une députée portant le voile à la manière islamique a été traitée de manière discriminatoire puisqu’elle a été contrainte de quitter la salle de la Grande Assemblée nationale sans avoir pu être assermentée. Dans cette communication, ce même organisme dénonçait également comme une discrimination l’interdiction de porter le voile à l’université, dans les établissements académiques, de même que pour les fonctionnaires. La commission avait fait observer que la règle prescrivant aux fonctionnaires et aux étudiants d’avoir la tête nue risque en fait d’avoir des conséquences disproportionnées pour les femmes portant le voile, et même d’altérer ou d’annihiler purement et simplement, pour des questions de pratiques religieuses, le droit d’accès à l’enseignement et à l’emploi sur un pied d’égalité. De plus, elle avait appelé l’attention sur les conséquences que l’interdiction du port du foulard peut avoir si on la replace dans le contexte d’un faible niveau d’instruction chez les femmes et d’un faible taux de participation de celles-ci à la vie active.

3. Dans ce même contexte, la commission prend note de l’article 56 du règlement de la Grande Assemblée nationale, aux termes duquel «dans la salle, les membres du Parlement, les membres du Sénat turc, les ministres, les fonctionnaires de la Grande Assemblée nationale et les autres fonctionnaires publics sont tenus de porter veste et cravate. Quant aux femmes, elles doivent porter un tailleur». Constatant que ce code vestimentaire n’empêche pas les femmes députées de porter le voile, la commission exprime l’espoir que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour assurer l’égalité d’accès des femmes à la Grande Assemblée nationale, sans considération de leur sexe ni de pratiques religieuses totalement étrangères aux qualifications exigées pour la fonction considérée.

4. Pour ce qui est de l’interdiction faite aux fonctionnaires de porter le voile dans les bâtiments publics, la commission note que l’article 5(a) du règlement portant code vestimentaire du personnel des institutions et établissements publics du 16 juillet 1982 prévoit que les femmes doivent avoir la tête découverte en toutes circonstances. Cette règle s’applique d’une manière générale à tous les fonctionnaires, à tout employé sous contrat ou engagé temporairement et aux ouvriers des établissements et institutions couverts par le budget général et les budgets supplémentaires, les administrations locales, les institutions à capital variable et les entreprises publiques, de même que les corps et établissements qui leur sont attachés (art. 2). S’agissant de l’interdiction de porter le voile à l’université, la commission prend note de l’arrêt du 7 mars 1989 rendu par la Cour constitutionnelle à propos de la loi no 3511 du 10 décembre 1988 modifiant la loi sur les universités. Dans cet arrêt, la Cour déclare inconstitutionnelles certaines dispositions de la loi no 3511 qui, par dérogation à l’interdiction générale du port du voile dans les locaux de l’université, autorisent le port du voile pour des raisons religieuses. Le raisonnement de la Cour se fonde essentiellement sur la primauté du principe de sécularisme posé par l’ordre constitutionnel de la Turquie, tandis que les dispositions incriminées ont été jugées contraires au principe d’égalité et de droit à la liberté de conscience et de croyance. Pour la Cour, les lois de l’Etat séculier doivent être exemptes de tout contenu religieux pour protéger la démocratie et les droits fondamentaux. Le port du voile à l’université constituerait une pression à l’égard des femmes ne se couvrant pas la tête et favoriserait indûment un groupe particulier. Pour la Cour constitutionnelle, pour assurer l’égalité et la liberté de conscience et de pensée de tous, il n’est pas possible à notre époque d’autoriser le port du voile islamique.

5. Sur les considérations qui précèdent, la commission, concevant la complexité de la situation, réitère ses craintes de voir que l’interdiction généralisée du port du voile pour les étudiantes et les fonctionnaires risque de mener à des situations incompatibles avec le principe d’égalité tel qu’envisagé par la convention. Comme déjà dit, une telle obligation risque en fait d’affecter de manière disproportionnée les femmes musulmanes et, peut-être, d’altérer ou de nier purement et simplement leur droit d’accès sur un pied d’égalitéà l’éducation et à l’emploi au motif de leurs pratiques religieuses. La commission juge nécessaire de rappeler au gouvernement qu’à travers la présente convention il s’est engagéà formuler et à appliquer une politique nationale visant à promouvoir, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, l’égalité de chances et de traitement en matière d’emploi et de profession, afin d’éliminer toute discrimination, notamment sur la base du sexe et de la religion, en cette matière. Elle rappelle également que, pour être admissible au regard de la présente convention, toute distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession doit être fondée sur les qualifications exigées pour l’emploi considéré. Il est donc demandé au gouvernement d’étudier les modalités propres à favoriser et garantir l’égalité d’accès des femmes musulmanes à l’emploi dans la fonction publique sans préjudice de leurs pratiques religieuses, et de tenir la commission informée de tout nouveau développement à cet égard. Rappelant que l’accès des femmes à l’éducation est l’un des facteurs déterminants de leur participation à la vie active et que le niveau général d’instruction des femmes et leur taux de participation à la vie active en Turquie restent bas, la commission prie également le gouvernement de donner des informations sur les mesures prises ou envisagées pour assurer que toutes les femmes, y compris les femmes et les jeunes filles musulmanes, jouissent de droits égaux en matière d’éducation, y compris au niveau universitaire. La commission prie à nouveau le gouvernement de fournir des statistiques sur le nombre de femmes n’ayant pu accéder à l’université ou obtenir un emploi dans la fonction publique ou conserver un tel emploi en raison de l’interdiction du port du voile.

6. Situation des fonctionnaires révoqués ou mutés sous la loi martiale. La commission se réfère à ses précédents commentaires concernant la réintégration des personnes victimes d’une discrimination fondée sur leurs convictions politiques en conséquence de la loi martiale no 1402. Elle avait demandé des précisions sur les raisons pour lesquelles 753 des fonctionnaires mutés et 202 des employés publics mutés qui avaient demandé leur réintégration ne l’avaient pas obtenue. Le gouvernement avait répondu que les intéressés n’ont pas été réintégrés soit parce qu’ils ne l’ont pas demandé soit parce qu’ils ne satisfaisaient plus aux exigences de l’emploi considéré du fait des peines d’emprisonnement qui leur avaient été infligées en application du Code pénal. Rappelant qu’elle avait demandé au gouvernement de fournir des informations détaillées sur le pourcentage de quelque 955 agents publics mutés qui n’ont pas été réintégrés à cause des peines d’emprisonnement infligées, en précisant pour chacun d’eux le chef d’inculpation et la peine infligée, la commission note que le gouvernement déclare que les informations demandées ne sont pas disponibles dans les archives des ministères et institutions compétentes. La commission réitère sa demande et exprime l’espoir que le gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour se procurer les informations nécessaires et les lui communiquer avec son prochain rapport.

7. Amendements à la loi martiale  no 1402. La commission constate que le rapport du gouvernement ne contient pas d’informations nouvelles concernant la nécessité d’abroger ou de modifier l’article 3(d) de la loi martiale no 1402. Elle rappelle que cet article  3(d) investit les chefs militaires appliquant la loi martiale de vastes pouvoirs discrétionnaires leur permettant de licencier des travailleurs et des fonctionnaires ou bien de les muter dans d’autres régions. De l’avis de la commission, un tel pouvoir discrétionnaire peut aboutir à une discrimination dans l’emploi sur la base de l’opinion politique, ce qui est contraire à la convention. La commission avait exprimé l’espoir que des modifications appropriées seraient prises pour assurer que les mesures destinées à préserver la sécurité de l’Etat soient définies et délimitées avec assez de précision pour ne pas risquer de conduire à une telle discrimination. Rappelant que le gouvernement avait assuré qu’en vertu de l’article 125 de la Constitution et de la loi no 2577 concernant les procédures administratives il est possible de faire appel d’une décision fondée sur l’article  3(d) de la loi no 1402, la commission prie à nouveau le gouvernement de fournir des statistiques sur le nombre des appels interjetés contre une décision rendue en application de l’article 3(d) de la loi no 1402, en indiquant l’issue de ces appels.

8. Enquêtes de sécurité. La commission rappelle ses précédents commentaires concernant la résolution du Conseil des ministres no 90/245 du 8 mars 1990 et l’article 1 de la loi no 4045 du 26 octobre 1990 concernant les enquêtes de sécurité. La commission avait déclaré craindre que la formulation particulièrement large de ces dispositions ne conduise à une discrimination dans l’emploi et la profession sur la base, notamment, de l’opinion politique. Dans ce contexte, elle prend note de l’adoption du règlement du 14 février 2000 relatif aux enquêtes de sécurité et à la consultation des archives, qui remplace le règlement du même objet tel que contenu dans la résolution no 90/245 du 8 mars 1990. La commission note que les enquêtes de sécurité et la consultation des archives ne visent que le personnel devant être employé dans des unités et départements de ministères et institutions publiques ou autres organes détenteurs d’informations ou de documents classés, de même que le personnel devant être employé dans les forces armées turques, les organes de sécurité et de contre-espionnage, et les prisons et centres de détention. Le gouvernement est prié de préciser quels sont, conformément à l’article 6 du règlement, les unités, départements et postes des ministères et autres institutions publiques considérées comme unités et départements détenteurs d’informations encore tenues secrètes. Elle prie également le gouvernement d’expliquer le sens et la teneur de la clause traitant de «toute connexion avec les forces de police et organes de contre-espionnage» que l’on retrouve dans les rubriques «enquêtes de sécurité» et «consultation d’archives» dont il est question à l’article 4(f) et (g). La commission note qu’une «enquête de sécurité» tend notamment àétablir si l’intéressé s’est livréà des «activités destructives ou séparatistes» ou a agi en contravention de la loi no 5816 relative aux délits contre Atatürk ou les principes et réformes d’Atatürk (art. 4(g) et 11(c)). Elle note avec intérêt que le sens des «activités destructives et séparatistes» a été limité aux «activités tendant à violer l’intégrité indivisible de l’Etat, de son territoire et de la nation et à mettre en danger l’existence de l’Etat et de la république ou anéantir les droits et libertés fondamentaux» (art. 4 (k)). Elle prie le gouvernement de donner des informations sur l’application de cette disposition dans la pratique, notamment en précisant le nombre et la nature des cas d’exclusion ou de transfert ayant résulté de l’application de l’article 11(c), en conjonction avec l’article 4(g) et (k). Elle le prie également de communiquer copie des instructions de service prévues à l’article 12(e) du règlement des autorités habilitées à enquêter. La commission prend acte, d’une manière générale, des progrès concernant l’amélioration de la précision de certains termes contenus dans la législation antérieure et quant à la limitation du champ des enquêtes de sécurité. Cependant, elle est conduite à souligner qu’il reste nécessaire d’assurer que les mesures prises par les autorités habilitées à ordonner et conduire des enquêtes de sécurité soient, dans la pratique, conformes aux règles posées par la convention.

9. Loi antiterrorisme de 1991. La commission rappelle avoir souligné dans ses précédents commentaires que cette loi définit de manière très large le terrorisme (art. 1) et les délits de propagande (art. 8). Elle avait déclaré craindre que ces définitions ne posent pas de critères suffisants pour assurer une protection contre un emprisonnement qui reposerait sur l’opinion politique ou certains autres critères visés par la convention. La commission avait pris note de la modification de l’article 8 introduisant dans cet article l’élément d’intention et restreignant de ce fait les interprétations trop larges et le risque de discrimination. Elle avait également pris note de la déclaration du gouvernement selon laquelle l’article 1 limite la définition du terrorisme aux actes de violence. Cependant, elle avait noté que des journalistes avaient été condamnés sur le fondement de la loi antiterrorisme pour avoir exprimé leur opinion. Croyant comprendre que les amendements évoqués de la législation sont intervenus, la commission prie le gouvernement de fournir des informations détaillées sur tout changement concernant la loi antiterrorisme ou une autre législation qui aurait pour effet de restreindre la possibilité des journalistes, écrivains et éditeurs privés de leur emploi ou de l’exercice de leurs métiers d’exprimer leur opinion politique. La commission prie à nouveau le gouvernement d’envisager la révision, pour parer à toute ambiguïté, de l’article 1 de la loi, de manière à garantir qu’aucune disposition de cet instrument ne donne lieu à une condamnation pour l’expression d’opinions politiques par des moyens non violents. Elle demande également de continuer de fournir des informations sur le nombre, la nature et le résultat des affaires portant sur des condamnations de journalistes, écrivains et éditeurs auxquelles cette loi donnerait lieu.

10. Discrimination sur d’autres critères. Le gouvernement réitère que l’égalité de tous les citoyens turcs devant la loi est garantie par la législation turque et que ceux-ci ne se heurtent à aucune discrimination quelle qu’elle soit quant aux droits que la loi leur reconnaît. Le gouvernement déclare également que la Turquie d’aujourd’hui englobe une multitude de composantes ethniques, religieuses et culturelles et que des identités ethniques diverses, kurde comprise, sont reconnues et acceptées. La commission rappelle que, si les dispositions législatives concernant l’égalité et la non-discrimination sont un élément important d’une politique nationale sur l’égalité telle qu’elle est conçue à l’article 2 de la convention, ces dispositions ne constituent pas en elles-mêmes une politique. La convention prévoit l’élimination de la discrimination en droit et dans la pratique et prescrit à cette fin de prendre des mesures décisives pour l’égalité de chances et de traitement de tous les travailleurs. A cet égard, la commission prend note des informations du gouvernement relatives aux projets de promotion de l’accès à l’éducation et à l’emploi menés par la direction régionale des projets pour l’Anatolie du sud-est, qui intéressent notamment des communautés nomades et semi-nomades. Notant que de récentes réformes introduisent la possibilité, pour les écoles privées, d’enseigner dans une langue autre que le turc, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur cette réforme et sur toutes autres mesures prises ou envisagées pour promouvoir l’égalité dans l’emploi et la profession, sans distinction de la race, la couleur, l’ascendance nationale ou l’origine sociale.

La commission adresse par ailleurs au gouvernement une demande directe sur certains autres points.

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