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Observation (CEACR) - adoptée 2000, publiée 89ème session CIT (2001)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Soudan (Ratification: 1957)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Soudan (Ratification: 2021)

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Suppression de pratiques esclavagistes

Depuis plusieurs années, la commission examine, au regard de l’application de la convention, les informations relatives aux pratiques d’enlèvement, de trafic et d’esclavage affectant des milliers de femmes et d’enfants dans les régions du sud du pays où se déroule un conflit armé, mais également dans des régions sous contrôle du gouvernement. Dans sa dernière observation, la commission avait prié le gouvernement de communiquer des informations détaillées sur les mesures mises en œuvre pour éliminer ces pratiques, notamment dans les cas où les troupes gouvernementales et/ou des forces alliées y prennent part. Elle demandait également au gouvernement de fournir des informations sur les enquêtes menées et le détail de mesures concrètes qui ont été prises, y compris les affaires portées devant les tribunaux et le nombre de condamnations, de sanctions et de mesures correctives prises.

Dans les conclusions adoptées en juin 2000 par la Commission d’application des normes de la Conférence, celle-ci, tout en notant les mesures positives prises par le gouvernement, y compris la création du Comité pour l’élimination des rapts de femmes et d’enfants, a exprimé sa profonde préoccupation face à la persistance des informations concernant les enlèvements et l’esclavage et exhorté le gouvernement à poursuivre ses efforts avec vigueur. Elle avait exprimé l’espoir que le rapport du gouvernement indiquerait les mesures prises, y compris les sanctions à l’encontre des responsables pour assurer l’application de la convention en droit et en pratique. La commission avait décidé d’inclure les conclusions sur le cas du Soudan dans un paragraphe spécial de son rapport.

La commission a pris note des commentaires présentés par la Confédération mondiale du travail (CMT) dans une communication du 16 octobre 2000, qui ont été transmis au gouvernement par communication du 31 octobre 2000 pour qu’il puisse formuler les commentaires qu’il juge appropriés. Les commentaires de la CMT, sur la base des informations recueillies par Christian Solidarity International et Christian Solidarity Worldwide, font état de la persistance de pratiques d’enlèvements de femmes et d’enfants accompagnées de violences et dans le but de réduire ces personnes en esclavage. Selon les témoignages recueillis par Christian Solidarity International au cours de plusieurs missions dans le pays (janvier- mai-juin 2000), «Les raids sont pratiqués principalement par les milices formées à l’intérieur des Forces populaires de défense et de l’armée régulière. Ils sont accompagnés d’atrocités telles que meurtres, tortures, viols (…) et destruction de propriétés. L’objectif principal de ces raids sont la communauté dinka du Bahr El-Ghazal et la population de la région des monts Nouba». Les commentaires se réfèrent également à la persistance de pratiques esclavagistes à grande échelle dans des régions contrôlées par le gouvernement, spécialement dans les régions de Darfur et Kordofan, et à«l’esclavage d’Etat» qui, selon Christian Solidarity International, continue d’exister dans les camps appelés camps de la paix où, selon cette organisation, sont placés des centaines de milliers de femmes et d’enfants, ces derniers étant obligés de suivre l’enseignement coranique et les femmes obligées à travailler dans des fermes ou des maisons particulières. Christian Solidarity Worldwide se réfère également à la participation du Front national islamique dans l’enlèvement et la réduction en esclavage des centaines de femmes et d’enfants utilisés comme force de travail dans l’agriculture au nord du pays. Les documents communiqués contiennent un nombre important de témoignages de personnes ayant été enlevées qui confirment que leur expérience a été celle décrite dans les allégations que la commission reçoit depuis de nombreuses années.

La commission note les commentaires communiqués par la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) en août 2000. Le BIT a transmis au gouvernement une copie de cette communication le 18 septembre 2000.

La commission a pris note du rapport sur la situation des droits de l’homme au Soudan du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies (A/55/374) du 11 septembre 2000. «Au cours de sa mission, le Rapporteur spécial a reçu des informations d’ordre général confirmant des données recueillies antérieurement, selon lesquelles entre 5 000 et 15 000 enfants et femmes dinka avaient été enlevés et transférés vers les zones contrôlées par la tribu arabe baggaara. Les rapts auraient lieu au cours des raids organisés par la milice armée baggaara, par des groupes ou des bandits indépendants ou des membres du Front démocratique populaire (PDF) affilié au gouvernement. Les personnes ayant fait l’objet de rapt sont ensuite contraintes de garder le bétail, de travailler aux champs, d’aller chercher de l’eau, de creuser des puits, de faire le ménage et de se livrer à des actes sexuels. Elles sont traitées de manière extrêmement dure, et il n’est pas rare qu’elles soient malmenées, torturées ou violées, voire même tuées (paragr. 30).»

La commission note le rapport de la mission canadienne d’évaluation, de janvier 2000, sur la sécurité humaine au Soudan. Cette mission avait été mandatée par les ministres soudanais et canadien des Affaires étrangères pour mener de manière indépendante une investigation sur les violations aux droits de l’homme, particulièrement sur les allégations d’esclavage et de pratiques similaires au Soudan. Le rapport indique que l’allégation fondamentale d’esclavage au Soudan n’est pas une plainte sensationnaliste qui peut être critiquée pour l’inflation des chiffres ou en invoquant l’ignorance de la complexité, mais qu’il s’agit d’un fait avéré. Selon le rapport, c’est l’agression continue contre la vie et la liberté de la population dinka de Bahr El-Ghazal par des milices arabes, les Moudjahidin, armés au début par le gouvernement en 1985, et figurant, d’une manière ou d’une autre, dans la stratégie de guerre du gouvernement soudanais aujourd’hui. Dans le rapport sont cités trois auteurs des opérations d’enlèvement: 1) «Des groupes tribaux connus pour organiser des razzias avec des «représentants» d’autres groupes arabes»; 2) «Nous croyons que le gouvernement recrute formellement des milices pour protéger le train (qui transporte les marchandises du nord à travers Aweil et Wau au Bahr El-Ghazal) des attaques du SPLA. Ces Moudjahidin, engagés par le gouvernement mais non rémunérés, attaquent les villages suspectés de collaborer avec le SPLA sur le chemin de Babanusa à Wau et retour. Leur butin ne consiste pas seulement en biens mobiliers, mais est également composé de femmes et d’enfants, et la question d’abolir cette pratique des enlèvements perdurera tant que ces personnes n’auront pas d’autre rémunération que leur butin»; 3) des razzias punitives faites par les Moudjahidin et le gouvernement qui, en vertu de la loi sur la défense populaire, jouissent du statut de milices organisées et sponsorisées par l’Etat, les Forces populaires de défense (PDF).

La commission a pris note du rapport du gouvernement et des informations que celui-ci a communiquées oralement à la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2000.

Dans son rapport, le gouvernement réitère sa volonté d’éliminer l’enlèvement des femmes et des enfants et de coopérer avec la communauté internationale à cet égard. La commission note que le gouvernement n’a pas répondu aux commentaires formulés par la Confédération internationale des syndicats libres en septembre 2000.

La commission avait précédemment noté la création, en mai 1999, du Comité pour l’élimination des rapts de femmes et d’enfants (CERFE) dont le mandat est de faciliter, en priorité, le retour dans leurs familles des femmes et enfants enlevés en appuyant financièrement et administrativement les efforts des chefs de tribu, d’investiguer les cas d’enlèvement des femmes et d’enfants soumis au travail forcé ou à des pratiques similaires, à amener devant les tribunaux les personnes suspectées d’appuyer et de participer dans ces pratiques et qui ne coopèrent pas avec le CERFE. Le CERFE devra, en outre, recommander les moyens à mettre en œuvre pour éliminer cette pratique. (Ordonnance sur l’élimination des enlèvements des femmes et des enfants, 1999.)

Dans sa déclaration devant la Commission de l’application des normes de la Conférence (juin 2000), le représentant gouvernemental a indiqué que 1 230 cas d’enlèvements ont été traités et que 1 258 personnes ont pu retourner dans leur foyer. En outre, il a indiqué que des missions d’enquête, des constructions de refuges pour les personnes enlevées et l’établissement de bureaux dans les zones touchées étaient prévus pour l’année 2000.

La commission a pris note du rapport du CERFE pour la période mai 1999-juillet 2000 dans lequel elle a retrouvé le chiffre de 1 230 cas traités énoncé par le gouvernement en juin 2000. Le rapport donne pour le retour dans leurs foyers de personnes enlevées le chiffre de 353, contrairement au chiffre de 1 258 cité par le représentant gouvernemental devant la Commission de l’application des normes de la Conférence. Le rapport du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme cite également le chiffre de 353 enfants qui ont pu retourner dans leurs familles sur 1 230 cas documentés de rapts d’enfants qui ont pu être retrouvés et récupérés dans le cadre des missions sur le terrain (A/53/374, paragr. 32). La commission prie le gouvernement de fournir des explications concernant cette différence des chiffres en ce qui concerne le nombre des personnes qui ont pu retourner dans leur foyer et de communiquer les prochains rapports d’activité du CERFE.

En ce qui concerne l’efficacité du CERFE, la commission note que:

-  d’après le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, «malgré la ferme détermination dont ont fait preuve certains membres du CERFE, le processus avait été excessivement lent et coûteux». Selon le Rapporteur spécial, «aucune enquête sérieuse n’avait été menée pour déterminer les causes profondes de la pratique des enlèvements, sans doute en raison du faible intérêt manifesté par les hauts dirigeants politiques à l’égard du processus ou de leur réticence à coopérer» (paragr. 33 à 35). Il a également manifesté sa déception à propos d’un nouveau raid intervenu après la création du CERFE «opéré par le PDF le 21 février 2000 aux villages des comtés de l’Aweil oriental et du Twic dans le Bahr El-Ghazal nord, tuant 16 civils, enlevant quelque 300 femmes et enfants»;

-  selon les conclusions de la mission canadienne d’évaluation, «la création du CERFE est un premier pas, mais pour le moment c’est insuffisant pour en finir avec une pratique qui doit cesser, celle d’enlever quelqu’un dans le but de le réduire àêtre la propriété d’un autre»;

-  la CISL, dans ses commentaires, sur la base des informations recueillies par Anti-Slavery International, fait état du chiffre de 14 000 personnes originaires du sud et se trouvant actuellement à Darfour ou à Kordofan du Sud. Beaucoup d’entre elles, femmes et enfants, appartiennent au groupe ethnique dinka et avaient été enlevées à Bahr El-Ghazal; certains seraient encore soumis au travail forcé et très peu parmi plusieurs centaines de personnes qui ont été libérées ont pu retourner dans leur foyer.

Les informations recueillies par Anti-Slavery et soumises par la CISL se réfèrent également aux milices qui accompagnent le train de ravitaillement des garnisons de l’armée à Aweil et Wao, villages du Bahr El-Ghazal situés sur la route du train, et indiquent qu’aussi longtemps que le train qui traverse Bahr El-Ghazal sera accompagné de ces groupes armés il est prévisible que les rapts continueront. Référence a été faite aux enlèvements du 21 février 2000. Anti-Slavery indique qu’aucune mesure n’a été prise par le gouvernement pour mettre un terme aux razzias dans lesquelles des civils non armés sont enlevés et soumis au travail forcé ou à l’esclavage. Le gouvernement n’a pas non plus fourni les ressources nécessaires pour assurer la réunification avec leurs familles de ceux qui ont été libérés. Le résultat étant que certains enfants, qui avaient été libérés et qui avaient quitté les familles baggara pour lesquelles ils travaillaient, ont été arrêtés par des agents du gouvernement en raison de l’absence de planification des arrangements pour leur retour au foyer. Anti-Slavery indique encore que le CERFE a fait appel à d’importantes sommes de la part des donateurs, mais le gouvernement du Soudan ne semble pas disposéà participer aux coûts assez élevés des opérations de rapatriement.

Article 25 de la convention. La commission note qu’aux termes du mandat du Comité pour l’élimination des rapts des femmes et des enfants (CERFE) celui-ci devra amener devant les tribunaux les personnes suspectées d’appuyer et de participer aux pratiques d’enlèvement des femmes et des enfants.

La commission note que le rapport du gouvernement ne comporte pas d’information permettant de s’assurer du respect des dispositions de l’article 25 de la convention selon lequel «le fait d’exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales, et tout membre ayant ratifié cet instrument a l’obligation de s’assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées».

La commission note les dispositions des articles 161, 162 et 163 du Code pénal (The Criminal Act 1991) sur l’enlèvement, le rapt et le travail forcé. La commission note que la peine prévue pour l’exaction du travail forcé est seulement d’une année d’emprisonnement.

La commission note, d’après les indications d’Anti-Slavery International communiquées par la CISL, que le CERFE n’a pas enregistré l’identité des personnes qui détenaient les femmes et les enfants, apparemment pour éviter que ces personnes refusent de collaborer par crainte d’être poursuivies. Selon Anti-Slavery, ceci aurait comme effet d’assurer l’impunité de ceux qui exploitent le travail forcé. 

La commission prie le gouvernement d’indiquer sur la base de quelles dispositions de la loi pénale seront jugées les personnes reconnues coupables d’enlèvement et d’imposition du travail forcé et quelle sera la procédure permettant d’instruire l’action pénale contre ces personnes.

La commission veut croire que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour garantir que, conformément à la convention, des sanctions pénales sont infligées aux personnes convaincues d’avoir imposé du travail forcé et qu’il communiquera copie des décisions de justice prononcées.

La commission observe et relève, une fois de plus, la convergence des allégations et le large consensus tant des instances et des agences des Nations Unies que des organisations représentatives de travailleurs et des organisations non gouvernementales en ce qui concerne l’existence et l’étendue des pratiques d’enlèvement et d’imposition du travail forcé. La commission observe que les situations considérées constituent de graves violations de la convention no29 sur le travail forcé puisque les personnes se font imposer, par la force, l’accomplissement d’un travail pour lequel elles ne se sont pas offertes volontairement, dans des conditions d’extrême dénuement, accompagnées de mauvais traitements physiques allant jusqu’à la torture et la mort, travail qui, par ailleurs, dans la plupart des cas, implique pour les femmes l’exigence de services d’ordre sexuel. Tout en notant qu’une première mesure a été prise avec la création du CERFE, la commission constate que l’extension et la gravité du problème sont telles qu’il est nécessaire d’engager une action systématique et d’intensité proportionnelle.

La commission prie le gouvernement d’indiquer les mesures qui ont été prises pour porter à la connaissance des groupes, identifiés comme des auteurs d’enlèvements, l’intention du gouvernement de mettre fin à ces pratiques et de communiquer des informations sur toute autre mesure destinée àéliminer l’imposition du travail forcé.

La commission espère que le gouvernement pourra faire état dans son prochain rapport de mesures efficaces qu’il aura prises pour assurer le respect de la convention.

[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 89esession et de communiquer un rapport détaillé en 2001.]

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