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Observation (CEACR) - adoptée 2000, publiée 89ème session CIT (2001)

Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 - Türkiye (Ratification: 1967)

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1. La commission prend note du rapport du gouvernement ainsi que des commentaires annexés de la Confédération turque des associations d’employeurs (TISK) et de la Confédération des syndicats turcs (TURK-IŞ).

2. La TISK fait état d’une progression marquée de l’emploi des femmes dans le secteur privé, invoquant à cet égard les statistiques du monde du travail publiées par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, dont le BIT n’a malheureusement pas reçu copie. La commission constate cependant que les statistiques communiquées par le gouvernement dans son rapport dénotent un recul de l’emploi global des femmes (de 34 pour cent en 1990 à 27,9 pour cent en 1998), avec un taux d’emploi encore plus faible pour les citadines (10 pour cent). La commission note que, d’après des données contenues dans le rapport relatif à la situation des femmes sur les plans de l’instruction et de l’emploi, le niveau d’instruction chez les femmes est extrêmement bas. Les données communiquées font ressortir qu’en octobre 1998 les femmes illettrées étaient pratiquement quatre fois plus nombreuses que les hommes. La commission tient à souligner que, si une composante de la population n’a pas les mêmes chances d’atteindre le même niveau d’instruction que les autres, des disparités correspondantes continueront de se répercuter au niveau de l’emploi.

3. Discrimination fondée sur le sexe, la religion et l’opinion politique. Dans une communication en date du 9 mai 1999, la Maison des Travailleurs de la République islamique d’Iran, organisation de travailleurs, allègue, en se référant à la discrimination sur la base du sexe, de la religion et de l’opinion politique, que le gouvernement turc n’a pas respecté la convention. L’organisme en question déclare qu’une députée appartenant au parti pro-islamique de la Vertu a été traitée de manière discriminatoire en raison même de cette appartenance lorsqu’elle s’est présentée à la cérémonie d’investiture à la Grande Assemblée nationale le chef couvert d’un voile à la manière islamique et qu’à la suite des protestations des autres députés elle a été contrainte de quitter la salle sans avoir pu être assermentée. Ce même organisme dénonce également comme une discrimination dans l’emploi, en violation de la convention, l’interdiction de porter le voile à l’université, dans les établissements académiques, de même que pour les fonctionnaires.

4. En réponse à la demande d’éclaircissements de la part du gouvernement à propos de l’applicabilité de la convention aux membres du Parlement ou députés, la commission invite le gouvernement à se reporter au paragraphe 79 de son étude spéciale de 1996 sur l’égalité dans l’emploi et la profession, où sont discutés le sens des termes «profession», «personnes employées pour le compte d’une autre» et «travail». C’est ainsi qu’il apparaît que le champ d’application de la convention est très large puisqu’il s’étend à tous les secteurs d’activité et couvre aussi bien les emplois publics que les emplois privés (voir également étude d’ensemble de 1988 sur l’égalité dans l’emploi et la profession, paragr. 86, dans lequel on cite le rapport IV (1) (de la 42esession de la Conférence internationale du Travail, 1958, annexe) intitulé«Discrimination dans le domaine de l’emploi et de la profession»). La commission fait également observer qu’aux termes de l’article 3 d) de la convention, les Etats qui ratifient cet instrument s’engagent, par des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, à formuler et à appliquer, sous le contrôle direct d’une autorité nationale, une politique nationale visant à promouvoir l’égalité de chances et de traitement en matière d’emploi et de profession.

5. Dans son rapport, le gouvernement convient que l’apparition, dans la salle de la Grande Assemblée, de cette députée revêtue du foulard a soulevé des protestations de la part de certains membres du Parlement. Le gouvernement se réfère à un code vestimentaire s’appliquant aux parlementaires hommes et femmes, qui prescrit à ces dernières de porter dans la salle une veste et une jupe. Le gouvernement dit néanmoins que la pratique du port du foulard n’empêche pas les femmes d’être élues à une charge parlementaire. Il mentionne d’ailleurs à cet égard une autre femme députée qui a été investie le même jour sans incident mais qui apparemment ne portait pas le foulard ce jour-là même si elle avait notoirement coutume de le faire dans la vie courante. Notant que le code vestimentaire ne semble pas exclure expressément le port du foulard par les députées, la commission prie le gouvernement de communiquer copie de l’article 56 du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale turque.

6. La commission note que la Constitution turque stipule que la Turquie est un Etat démocratique, séculier et social et proclame le principe de la laïcité dans les affaires et la politique de l’Etat, mais aussi la liberté religieuse. Dans le contexte de la communication de la Maison des Travailleurs de la République islamique d’Iran, la commission rappelle que les considérations de religion, comme source de distinction dans la vie sociale et, plus spécialement, dans la vie professionnelle, peuvent présenter des caractères divers (voir son étude spéciale de 1996 précitée, paragr. 41). Les risques de discrimination sont aussi souvent la conséquence de l’absence de confession religieuse ou de la croyance en des principes éthiques différents, de l’absence de liberté religieuse ou de l’intolérance: notamment si une religion déterminée est définie comme la religion de l’Etat, ou si l’Etat est officiellement antireligieux, ou encore si la doctrine politique dominante est hostile à toute religion (ibid.). Le but de la convention est d’assurer une protection contre la discrimination fondée sur la religion et affectant l’emploi et la profession, discrimination qui résulte souvent de l’absence de liberté religieuse ou de l’intolérance et qui peut donner lieu à un certain nombre de situations. Dans certains cas, la discrimination peut résulter d’une attitude d’intolérance à l’égard des personnes qui professent une religion donnée ou des convictions religieuses spécifiques. La libre pratique d’une religion peut, dans certains cas, se heurter aux contraintes d’un emploi ou d’une profession, notamment lorsque cette pratique prescrit le port d’une certaine tenue vestimentaire (voir étude d’ensemble de 1988 susmentionnée, paragr. 47). A cet égard, la commission fait valoir que la protection prévue par la convention contre la discrimination sur le plan de l’égalité de chances et de traitement au motif de la religion serait privée de sa substance si elle n’incluait pas les aspects les plus importants de la pratique religieuse (voir étude d’ensemble de 1988 susmentionnée, paragr. 51).

7. Dans son rapport, le gouvernement confirme que, comme le font ressortir les commentaires de la Maison des Travailleurs, les fonctionnaires et les étudiants ont l’obligation d’avoir la tête nue lorsqu’ils sont, pour les premiers, en service et, pour les seconds, dans un établissement d’enseignement. Cette règle peut avoir une incidence pour les personnes qui - essentiellement des femmes - se couvrent le chef pour l’exercice de leur pratique religieuse. La commission fait valoir que des situations, des règlements ou des pratiques présentant l’apparence de la neutralité peuvent en fait se traduire par un traitement inégal des personnes répondant à certaines caractéristiques et résulter de ce fait en une discrimination indirecte sur la base de certains des critères visés à l’article 1, paragraphe 1 a), de la convention. On peut considérer qu’il y a discrimination indirecte lorsqu’une même condition, un même traitement ou un même critère s’applique à toutes les personnes mais que son application a des conséquences d’une rigueur disproportionnée pour certaines d’entre elles en raison de facteurs tels que le sexe ou la religion, sans avoir de rapport étroit avec les exigences inhérentes à l’emploi considéré (voir étude spéciale de 1996 sur l’égalité dans l’emploi et la profession, paragr. 25 et 26). La règle prescrivant aux fonctionnaires et aux étudiants d’avoir la tête nue risque en fait d’avoir des conséquences disproportionnées pour les femmes musulmanes, et même d’altérer ou annihiler purement et simplement le droit proclamé par la convention d’accès à l’enseignement et à l’emploi sur un pied d’égalité pour des raisons de pratiques religieuses.

8. L’effet potentiellement discriminatoire de l’interdiction du port du foulard revêt une importance particulière à la lumière des informations communiquées par le gouvernement concernant le faible niveau d’instruction des femmes en Turquie (une femme sur deux à la recherche d’un emploi n’a qu’une instruction primaire), ce que reflète leur situation sur le marché du travail. La commission, qui s’est déclarée en d’autres occasions préoccupée par les conséquences de règles vestimentaires imposant le port du foulard ou d’autres éléments vestimentaires à l’égard des femmes fonctionnaires, se déclare non moins préoccupée par des règles interdisant à quiconque de se conformer, dans sa tenue vestimentaire, à certaines prescriptions religieuses, notamment au port du foulard, surtout lorsque ce particularisme n’a pas d’incidence sur l’accomplissement des tâches prévues par l’emploi ou la profession considérés. A cet égard, la commission prie le gouvernement de communiquer copie du règlement évoqué dans le rapport et d’indiquer les mesures prises ou envisagées pour assurer que ce règlement n’altère pas le droit des femmes musulmanes d’exercer un emploi dans le secteur public ou d’accéder aux moyens de l’enseignement. Elle le prie également de communiquer copie des jugements rendus par la Cour suprême d’appel et par le Conseil d’Etat (cour administrative suprême) dont il est fait mention dans le rapport. Elle rappelle également l’importance qui s’attache au respect des individus, à la tolérance, à la compréhension et à l’acceptation mutuelle des diverses religions et des divers groupes ethniques dans le cadre d’une politique d’égalité de chances et de traitement dans l’emploi. Elle prie le gouvernement de faire connaître toute mesure prise pour sensibiliser le public à cet égard.

9. Situation des fonctionnaires qui ont été licenciés ou mutés sous la loi martiale pendant la période 1980-87. La commission se réfère à ses précédents commentaires concernant la réintégration des victimes d’une discrimination fondée sur des motifs politiques, en application de la loi martiale no 1402. Faisant suite à sa précédente observation, dans laquelle elle demandait des précisions sur les raisons pour lesquelles 753 des fonctionnaires mutés et 202 des employés publics mutés qui avaient demandé leur réintégration ne l’avaient pas obtenue, la commission note que, selon les déclarations du gouvernement, les intéressés n’ont pas été réintégrés soit parce qu’ils ne l’ont pas demandé soit parce qu’ils ne satisfaisaient plus aux exigences de l’emploi considéré du fait des peines d’emprisonnement qui leur avaient été infligées en application du Code pénal. La commission prie le gouvernement de fournir des informations détaillées sur le pourcentage de quelque 955 agents mutés qui n’ont pas été réintégrés à cause des peines d’emprisonnement subies, en précisant pour chacun d’entre eux le chef d’inculpation et la peine infligée. S’agissant de la réintégration, en vertu de la loi no4045, des membres militaires et civils des forces armées et des membres civils des forces de sécurité, la commission note que, selon la déclaration du gouvernement, 148 membres de ces personnels ont été réintégrés à des postes équivalents dans d’autres institutions publiques.

10. Amendements à la loi martiale no1402. Le rapport du gouvernement ne contient pas de réponse aux commentaires antérieurs de la commission concernant la nécessité d’abroger ou de modifier l’article 3 d) de la loi martiale no 1402, lequel investit les commandants de la loi martiale de vastes pouvoirs leur permettant de licencier des travailleurs et des fonctionnaires ou bien de les muter dans d’autres régions, pouvoir discrétionnaire qui, aux yeux de la commission, peut aboutir à une discrimination dans l’emploi sur la base de l’opinion politique en contravention avec la convention. La TURK- IŞ déclare que les commandants de la loi martiale restent toujours investis, en vertu de l’article 3 d) de la loi no1402, du pouvoir discrétionnaire de licencier des travailleurs et des fonctionnaires et de les envoyer dans une autre région sans aucune décision judiciaire et sans, non plus, que ne soient ménagées les voies de recours prévues à l’article 4 de la convention. La commission demande à nouveau au gouvernement de fournir des statistiques sur le nombre de recours formés contre l’application de cet article 3 d) de la loi no1402 et sur leur issue.

11. Mesures en vertu de la réglementation de 1990 sur les enquêtes de sûreté. La commission rappelle ses précédents commentaires sur la manière dont le gouvernement s’assure que les règlements de 1990, dont les définitions et le champ d’application sont très larges, ne sont pas appliqués de manière à interdire l’emploi en violation de la convention. Elle note que, selon le rapport, les dispositions de cette réglementation de 1990 qui n’entrent pas en conflit avec celles de la loi no 4045 restent applicables et que la Direction générale de la sûreté continue de mener des investigations en application à la fois de la loi no 4045 et de celles des dispositions de la réglementation de 1990 qui sont conformes à ce premier instrument. Rappelant que, selon l’article 7 provisoire de la loi no 4045, des dispositions réglementaires d’application devaient être adoptées dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi, le 2 novembre 1994, la commission prie le gouvernement de la tenir informée des progrès de la procédure d’adoption des règles d’application en question. Elle souhaiterait également que le gouvernement précise quelles sont les dispositions de la réglementation de 1990 qui sont appliquées par la Direction générale de la sûreté dans le cadre de ses investigations, et d’exposer de manière détaillée les modalités selon lesquelles ces dispositions sont appliquées dans la pratique.

12. Loi de 1991 sur la lutte contre le terrorisme. Se référant à ses précédents commentaires concernant l’article 1 de la loi sur la lutte contre le terrorisme, qui définit les actes de terrorisme et prévoit une peine d’emprisonnement pour de tels actes, la commission note que, selon la déclaration du gouvernement, cet article 1 limite la définition du terrorisme aux actes de violence. La commission note que cet article définit le terrorisme comme incluant tous les actes fomentés par une ou plusieurs personnes appartenant à une organisation qui entend changer les fondements de l’ordre politique, légal, social, séculaire ou économique du pays. A cet égard, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a constaté que plusieurs journalistes ont été condamnés sur le fondement de cette loi pour avoir exprimé leurs opinions ou fait un reportage sur des questions délicates telles que la question kurde (E/CN.4/1999/62/Add.2, 28 décembre 1998, paragr. 8). La commission attire à nouveau l’attention du gouvernement sur le paragraphe 45 de son étude spéciale de 1996 sur l’égalité dans l’emploi et la profession, dans lequel elle explique que la protection assurée par la convention contre la discrimination dans l’emploi et la profession s’étend à l’expression ou à la manifestation d’une opposition à des principes politiques établis ou, simplement, l’expression d’une divergence. La protection à l’égard d’opinions politiques ne s’applique certes pas lorsqu’il est fait recours à des méthodes violentes pour les exprimer ou les manifester. En conséquence, la commission invite à nouveau le gouvernement à envisager de restreindre le champ d’application de l’article 1 de la loi de manière à garantir que nul ne puisse être privé de son emploi ou de sa profession - par effet de cette loi -au motif de l’expression d’une opinion politique.

13. S’agissant de l’article 8 de la loi sur la lutte contre le terrorisme qui contient une définition très large de la propagande, assortie d’une peine de prison, la commission note qu’un nouveau projet d’amendement de cette disposition a été soumis à la Grande Assemblée nationale turque mais n’a pas encore été adopté. Elle saurait gré au gouvernement de la tenir informée du devenir de ce projet et d’en communiquer copie lorsqu’il aura été adopté. Elle apprécierait également qu’il lui soit communiqué copie de toute décision judiciaire ou administrative interprétant et appliquant les articles 1 et 8 de la loi susmentionnée.

14. Non-discrimination sur la base des autres critères. La commission prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle tous les citoyens turcs sont égaux devant la loi, sans considération de langue, race, couleur, sexe, opinion politique, convictions philosophiques et religieuses, appartenance ethnique ou autres caractéristiques. La commission rappelle sa précédente demande directe, où elle demandait des informations à propos de divers critères de discrimination visés à l’article 1, paragraphe 1 a), de la convention - la race, l’ascendance nationale et la couleur. La commission constate que le rapport du gouvernement ne contient pas de réponse quant aux mesures prises pour promouvoir l’égalité de chances et de traitement en ce qui concerne les groupes minoritaires tels que les Kurdes. En conséquence, elle réitère sa demande à cet égard.

15. La commission adresse par ailleurs une demande directe au gouvernement sur certains autres points.

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