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Observation (CEACR) - adoptée 1998, publiée 87ème session CIT (1999)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Japon (Ratification: 1932)

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1. La commission note le rapport du gouvernement en réponse à ses commentaires antérieurs ainsi que plusieurs observations présentées par des organisations de travailleurs. Les questions soulevées dans ces commentaires et examinées par le gouvernement se rapportent à deux points principaux qui sont traités séparément ci-dessous.

I. Femmes détenues pendant la guerre dans les "comfort stations"

2. Dans ses observations antérieures, la commission avait noté les observations présentées par l'Osaka Fu Special English Teachers' Union (OFSET), se rapportant à des allégations de violations flagrantes des droits de l'homme et à des abus sexuels à l'encontre des femmes détenues dans les garnisons militaires appelées "comfort stations", durant les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale et durant celle-ci. Les femmes détenues avaient été forcées de fournir des services sexuels aux militaires. La commission avait considéré que cette situation violait les exigences de la convention et que des abus aussi intolérables devaient donner lieu à des réparations pécuniaires mais qu'elle n'était pas habilitée à prescrire des réparations. La commission avait également déclaré que ces réparations ne peuvent être allouées que par le gouvernement et elle avait exprimé l'espoir que, compte tenu du temps qui s'était écoulé depuis ces événements, le gouvernement accorderait toute l'attention et la diligence voulues à cette question.

3. Dans sa dernière observation adoptée à sa session de 1996, la commission avait noté le point de vue du gouvernement selon lequel, indépendamment de la question de savoir s'il y a eu ou non une violation de la convention, il s'est sincèrement acquitté de ses obligations selon les accords internationaux applicables, et que de ce fait les questions ont été réglées en droit entre le Japon et les autres parties à ces accords. Le gouvernement avait indiqué qu'il a exprimé ses excuses et regrets à cet égard et qu'il a accordé son plus grand soutien au "Fonds des femmes asiennes" qui a été établi en 1995 afin de réaliser la réparation que le peuple japonais fournit aux femmes qui avaient été détenues pendant la guerre dans des "comfort stations" et pour leur verser des réparations pécuniaires. La commission avait pris note des informations détaillées fournies par le gouvernement, y compris qu'il assumait l'intégralité des frais opérationnels du "Fonds des femmes asiennes", de même qu'une assistance médicale et sociale s'appuyant sur les moyens du gouvernement. La commission avait exprimé qu'elle voulait croire que le gouvernement continuerait d'assumer sa responsabilité pour les mesures nécessaires pour répondre aux attentes des victimes et avait demandé des informations sur ce que le gouvernement aurait entrepris.

4. L'une des organisations de travailleurs, l'OFSET, a présenté les éléments suivants dans une lettre du 14 octobre 1998 accompagnée d'annexes. Le syndicat déclare que le problème reste fondamentalement inchangé, qu'aucune réparation n'a été versée par le gouvernement et qu'aucune excuse n'a été présentée, qui aurait été fondée sur une responsabilité en droit à l'égard des victimes. Le syndicat a fourni des informations tendant à montrer que la majorité des femmes coréennes, taiwanaises, indonésiennes et philippines ont refusé l'argent du Fonds, au motif que ces sommes ne constituaient pas des réparations au nom du gouvernement, mais provenaient de donations faites par des organismes privés. Le syndicat a également indiqué que les cinq femmes philippines qui ont accepté les versements du Fonds ont refusé la lettre d'excuse envoyée par le Premier ministre et l'ont renvoyée au motif qu'elle n'établissait pas que le gouvernement reconnaissait officiellement qu'il avait à répondre des abus perpétrés contre elles par les militaires. Le syndicat fournit en outre des informations sur les versements opérés par les gouvernements de Corée du Sud et de Taiwan dans leur propre pays aux femmes qui avaient refusé l'argent du Fonds. La Confédération coréenne des syndicats fait valoir des points similaires dans une communication en date du 31 juillet 1998, accompagnée d'annexes. Le syndicat a déclaré que le gouvernement n'avait pas encore pris de véritables mesures, puisqu'il n'a pas modifié son argumentation selon laquelle la question de l'esclavage sexuel militaire aurait été réglée en droit entre le Japon et les pays asiatiques victimes de la situation. Le syndicat a mentionné l'importance accordée à la question par la présente commission, par les Nations Unies et d'autres organismes. Il a noté que, bien que quelques femmes aient accepté de l'argent de la part du Fonds, la plupart l'avaient refusé comme étant de l'argent alloué par "sympathie" et non une réparation en droit.

5. La commission a reçu copie d'un jugement du 27 avril 1997 du Tribunal de première instance de Yamaguchi, Département de Shimoneshi, Section I. L'affaire concerne une des cinquante actions intentées devant les tribunaux japonais. Le juge a condamné le gouvernement à verser la somme de 300 000 yen plus les intérêts à trois requérantes sud-coréennes qui avaient été détenues dans les "comfort stations". Le jugement se fondait partiellement sur la présente convention et à titre principal sur le défaut du gouvernement à prendre les mesures législatives nécessaires dès lors que les manquements constatés relevaient des droits fondamentaux de l'homme. Des réparations ont été ordonnées en application de la loi sur la responsabilité des dommages occasionnés par l'Etat.

6. La Confédération coréenne des syndicats a noté que la réparation allouée était peu importante. Elle a indiqué également que le gouvernement a interjeté appel contre la décision auprès d'un tribunal de niveau supérieur, que l'épuisement des procédures pouvait prendre de 10 à 20 ans et que les femmes concernées avaient déjà atteint un âge avancé.

7. Dans son rapport, le gouvernement rappelle son rôle dans l'établissement du Fonds des femmes asiennes. Il indique qu'aux Philippines, en République de Corée et à Taiwan, environ 85 à 90 femmes ont reçu "l'argent du pardon" du Fonds et que certaines d'entre elles avaient exprimé leur gratitude de diverses façons. Le gouvernement indique en outre que les femmes à qui cet argent a été alloué reçoivent également une lettre d'excuses du Premier ministre. Le gouvernement déclare que plus de 483 millions de yen on été donnés au Fonds avec le soutien d'individus, d'entreprises, de syndicats, etc. En mars 1997, le Fonds a commencé à fournir une subvention pour des installations destinées aux personnes âgées en Indonésie, en priorité pour les personnes déclarant qu'elles ont été détenues dans les "comfort stations" -- en raison des difficultés du gouvernement d'Indonésie à identifier les personnes concernées. Le gouvernement a conclu un accord avec un groupe non gouvernemental des Pays-Bas pour un projet visant à contribuer à l'amélioration des conditions de vie des personnes qui ont subi des traumatismes physiques et psychologiques incurables pendant la guerre. Le gouvernement fait également état d'efforts pour mieux faire connaître les faits historiques dans le cadre de l'enseignement scolaire, et expose des mesures visant à traiter les questions contemporaines en rapport avec l'honneur et la dignité de la femme. Le gouvernement n'a fourni aucune information sur la décision judiciaire mentionnée ci-dessus.

8. L'observation envoyée par la Confédération des syndicats japonais (JTUC-RENGO) ajoute, en ce qui concerne les femmes coréennes détenues dans les "comfort stations", que le gouvernement de la République de Corée a commencé à leur verser des allocations de soutien à condition qu'elles ne reçoivent pas de dons du Fonds des femmes asiennes ou, si elles en ont reçu, à condition qu'elles les renvoient. Selon RENGO, "le règlement de cette histoire tragique est dans les mains des gouvernements du Japon et de Corée" et espère que "le dialogue conduira au règlement définitif du problème".

9. La commission note ces informations détaillées. Elle note en outre le rapport des Nations Unies (UN doc. E/CN.4/Sub.2/1998/13, 22 juin 1998) sur le viol systématique, l'esclavage sexuel et les pratiques analogues en période de conflits armés. La Rapporteuse spéciale a étudié, entre autres, la situation des femmes détenues dans les "comfort stations" et la responsabilité qui revient au gouvernement japonais. La commission veut croire à nouveau que le gouvernement prendra ses responsabilités pour que les mesures nécessaires soient prises afin de répondre à l'attente des victimes. Le refus de la plupart des femmes concernées d'accepter l'argent du Fonds des femmes asiennes parce qu'elles ne le considèrent pas comme une réparation au nom du gouvernement; le rejet par certaines de la lettre envoyée par le Premier ministre au petit nombre de femmes qui ont accepté l'argent du Fonds, parce que cette lettre ne démontre pas que le gouvernement reconnaît sa responsabilité; ces attitudes tendent à montrer qu'il n'a pas été répondu aux attentes de la majorité des victimes. La commission prie instamment le gouvernement de prendre action avec diligence, de donner réponse sur les mesures prises en exécution du jugement du tribunal et de donner des informations sur toute autre mesure visant à indemniser les victimes. L'urgence augmente avec le passage des ans.

II. Travail forcé de guerre dans les industries

10. La commission a reçu des observations de deux syndicats, le Kanto Regional Council, All Japan Shipbuilding and Engineering Union (en septembre et décembre 1997 et mars 1998) ainsi que le Tokyo Local Council of Trade Unions (Tokyo-Chiyo) (en août et décembre 1998). Ces communications font état, pour la première fois auprès de l'OIT, de préoccupations au sujet de travailleurs de Chine et de Corée enrôlés de force dans des entreprises industrielles pendant la deuxième guerre mondiale. Le syndicat Shipbuilding and Engineering Union affirme que près de 700 000 travailleurs de Corée et environ 40 000 travailleurs des zones occupées de Chine ont été enrôlés de force pour le travail forcé dans des mines, usines et chantiers de construction du secteur privé. Les conditions de travail, à ce qu'on rapporte, étaient extrêmement dures, et beaucoup sont morts. Bien qu'ont ait promis à ces travailleurs des salaires et des conditions de travail semblables à celles des travailleurs japonais, selon les allégations, ces travailleurs n'ont reçu qu'un infime salaire ou point du tout. Le syndicat, appuyé par plus de 35 autres organisations de travailleurs qui ont cosigné la communication, demande que ces travailleurs soient dédommagés par le gouvernement et par les sociétés bénéficiaires pour les salaires non payés et pour le tort moral. Le syndicat indique qu'en raison des mauvaises relations entre les pays concernés et le Japon pendant une longue période après la guerre il a été pratiquement impossible de présenter des demandes individuelles au gouvernement ou aux sociétés en cause avant le rétablissement des relations. Tokyo-Chiyo a communiqué un rapport dont l'établissement, en 1946, a été attribué au ministère des Affaires étrangères du Japon (MOFA). Ce rapport MOFA, intitulé "Etude sur les travailleurs chinois et les conditions de travail au Japon", visait à rendre compte aux autorités chinoises après la guerre. Le rapport avait disparu mais il a été redécouvert, en 1994, de manière indépendante, en Chine et aux Etats-Unis. Le rapport décrit en détail des conditions de travail extrêmement dures et des traitements brutaux aboutissant à des taux de mortalité de 17,5 pour cent, voire 28,6 pour cent pour certaines activités.

11. En réponse à ces observations, le gouvernement déclare dans son rapport qu'il a, à maintes reprises, reconnu avec regret et remords, à l'égard du gouvernement de Corée du Sud, les dommages et les souffrances causées par sa domination coloniale. Le gouvernement a également indiqué qu'il a déclaré de même à la Chine qu'il était profondément conscient du grave tort qu'il a causé au peuple chinois lors de la guerre. Le gouvernement déclare qu'il a pris de nombreuses mesures positives en vue d'établir des relations amicales aussi bien avec la Chine qu'avec la République de Corée. Les dispositions en question incluent des visites de haut niveau, des déclarations à cette occasion et des accords dont les plus récents datent d'octobre-novembre 1998. Le gouvernement déclare qu'il a donné des informations détaillées à chacun des pays sur la situation des travailleurs enrôlés de force, y compris 110 000 travailleurs coréens. Il a conclu des accords avec les deux pays, comprenant le règlement juridique des questions de réparation, de propriété et d'indemnités relatives à la deuxième guerre mondiale. Ces accords ont été conclus en 1965 avec la République de Corée et en 1972 avec la Chine. Au cours des discussions qui aboutirent aux accords, les négociateurs du Japon et de la République de Corée sont arrivés à la conclusion que la perte des documents avait été si importante que seule une démarche globale pouvait être suivie. En conséquence, le Japon et la République de Corée ont convenu que les problèmes d'indemnisation en rapport avec la guerre seraient considérés comme définitivement et complètement réglés par l'octroi à la République de Corée d'une aide japonaise de 500 millions de dollars des Etats-Unis en 1965. Le gouvernement indique également qu'il a fourni à la République de Corée un montant total de 067 trillions de yen de 1965 à 1997, contribuant de manière considérable au développement économique de ce pays. De plus, le gouvernement a fourni une aide à la Chine pour un montant de 2,26 trillions de yen jusqu'en 1997. Le gouvernement a en outre pris des dispositions pour rendre fidèlement compte du passé historique. Aucun des deux gouvernements ne demande d'autre réparation, mais le gouvernement indique que quelques cas individuels sont en instance devant les tribunaux japonais.

12. La commission a noté les informations reçues et la réponse du gouvernement. La commission note que le gouvernement ne réfute pas le contenu général du rapport MOFA. Le gouvernement relève qu'il a effectué des versements aux gouvernements concernés. La commission considère que l'enrôlement forcé massif des travailleurs, en vue du travail dans les industries privées au Japon dans des conditions aussi condamnables, constituait une violation flagrante de la convention. Elle note qu'aucune mesure n'a été prise en vue de réparations individuelles pour les victimes dans le cadre des demandes en instance devant les tribunaux. La commission considère que des versements de gouvernement à gouvernement ne sauraient suffire à réparer les dommages causés aux victimes. La commission n'est pas habilitée à prescrire des réparations, mais veut croire que, tout comme dans le cas des femmes détenues dans les "comfort stations", le gouvernement acceptera la responsabilité de ses actions et prendra les mesures pour satisfaire l'attente des victimes. La commission prie le gouvernement de communiquer des informations sur toute évolution dans les affaires pendantes devant les tribunaux et sur toute action entreprise.

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