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Observation (CEACR) - adoptée 1998, publiée 87ème session CIT (1999)

Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 - Afghanistan (Ratification: 1969)

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1. La commission note avec regret qu'aucun rapport n'a été reçu du gouvernement. Elle doit donc se référer à son observation antérieure dans laquelle elle notait avec une profonde préoccupation la communication de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) datée du 4 août 1997, alléguant la violation de la convention par les autorités talibanes. La communication de la CISL incluait deux rapports d'Amnesty International (AI) sur les graves atteintes aux droits de l'homme que subissent les femmes en Afghanistan (novembre 1996 et juin 1997). La commission avait noté que, d'après la communication de la CISL et les rapports qui y étaient joints, la milice armée talibane a enfermé les femmes dans leurs foyers et leur interdit d'aller travailler hors de chez elles; il est interdit aux jeunes filles et aux femmes d'aller en classe et de fréquenter des hautes écoles; dans plusieurs cas, des femmes qui ont transgressé ces ordres ont été battues en public par des Talibans armés de longues chaînes. La commission a également noté que l'action humanitaire des Nations Unies et des organisations non gouvernementales a été sérieusement entravée par les Talibans, qui n'autorisent pas le personnel féminin à participer aux programmes en cours, hormis dans le domaine de la santé. La communication de la CISL indique que, selon les estimations de l'UNICEF, 700 000 femmes sont devenues veuves après environ vingt ans de guerre dans le pays et, malgré quelques exceptions, beaucoup de ces femmes sont actuellement interdites de travailler pour se prendre en charge elles-mêmes ainsi que leurs familles. Même les femmes qui ont la permission de travailler ne sont pas en sécurité dans les zones contrôlées par les Talibans, et certaines d'entre elles ont été battues et humiliées en public. La commission avait noté que les communications susmentionnées indiquaient un manque de respect de l'obligation de mettre en oeuvre pour les jeunes filles et les femmes les droits fondamentaux de l'homme couverts par la convention. La commission était également consciente du fait que les mesures de ce type pourraient imposer d'énormes privations aux familles des femmes en question ainsi qu'aux autres personnes qui bénéficient de différentes manières des activités menées par les femmes.

2. La commission note avec une grande inquiétude les informations contenues dans le rapport du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies (A/52/493 du 167 octobre 1997) et le dernier rapport du Secrétaire général (E/CN.4/1998/71 du 12 mars 1998) sur la situation actuelle des droits de l'homme en Afghanistan. La commission note non seulement que la discrimination étendue imposant de dures conditions aux femmes et aux jeunes filles demeure l'un des aspects les plus préoccupants de la situation des droits de l'homme en Afghanistan, mais que celle-ci s'est détériorée de manière dramatique au cours des années 1997 et 1998. Les deux rapports confirment les détails de la communication citée ci-dessus et indiquent que les femmes continuent à se voir dénier le droit à un emploi rémunéré en dehors du foyer, excepté dans le secteur de la santé, le droit à la liberté d'association et le choix dans l'habillement personnel et les transports.

3. La commission a également pris note des textes réglementaires suivants émis par le Département pour la préservation de la vertu et la prévention du vice en Afghanistan, restreignant l'emploi des femmes:

i) une déclaration émise en décembre 1996, à laquelle est accordé le statut de document légal, dispose que les femmes afghanes ne peuvent prétendre à aucun emploi dans les agences étrangères et ne peuvent s'y rendre. La déclaration énonce que "..., si (des femmes) sont poursuivies, menacées et contrôlées par (le département), la responsabilité leur en incombera";

ii) deux règlements, tous deux datés du 16 juillet 1997, l'un pour toutes les agences, internationales et nationales, et l'autre pour les hôpitaux et les cliniques, imposent entre autres les restrictions suivantes à l'emploi des femmes: a) les femmes ne sont pas autorisées à être employées dans des départements gouvernementaux ou des agences internationales et les femmes ne devraient pas quitter leur foyer; b) l'assistance aux veuves et aux femmes nécessiteuses doit être apportée par leurs parents de sang masculins, sans passer par l'emploi des femmes; c) les femmes sont autorisées à travailler seulement dans le secteur de la santé, dans les hôpitaux et les cliniques; d) les femmes afghanes ne peuvent pas être nommées en tant que personnel féminin de grade supérieur dans les hôpitaux étrangers; e) quel que soit leur emploi, les femmes doivent préserver leur dignité, marcher calmement et éviter de faire du bruit par leurs pas; f) aucune femme afghane ne peut se déplacer dans un véhicule avec des étrangers; g) les femmes sont autorisées à travailler dans des secteurs de formation comme la broderie, le tissage, etc., mais elles ne peuvent quitter leur foyer, et le département doit en être préalablement informé par leurs parents de sang; h) si des agences internationales ou des organisations non gouvernementales afghanes décident d'employer ou d'assister des femmes, elles doivent d'abord en obtenir la permission par le département.

4. Les règlements ainsi mentionnés émis par les autorités talibanes constituent une confirmation supplémentaire de la politique explicite de discrimination contre les femmes et les filles dans l'éducation et dans l'emploi. La commission note que, selon les estimations des Nations Unies, pas moins de 150 000 femmes ont été exclues de l'emploi rémunéré à Kaboul, dont environ 30 000 veuves de guerre qui sont les seules personnes amenant des revenus pour leur famille. Il semble que seulement 20 pour cent de la main-d'oeuvre féminine autrefois occupée dans le secteur de la santé travaillent actuellement dans ce secteur. Quand l'Université de Kaboul a ouvert ses portes en 1997, seuls les étudiants masculins étaient admis. Plus de 100 000 étudiantes sont privées d'éducation, et les professeurs femmes qui constituaient 70 pour cent du corps professoral sont obligées de rester à domicile. La commission note d'après le rapport du Rapporteur spécial que des restrictions ont aussi été placées sur l'emploi des femmes dans la partie nord du pays qui est contrôlée par le Front islamique uni du Salut. De plus, l'éducation des garçons a considérablement souffert de l'exclusion de l'emploi des femmes, et l'éducation par les autorités talibanes dans les zones sous contrôle taliban ainsi que l'acheminement de l'assistance humanitaire ont été sérieusement obstrués. La commission exhorte le gouvernement de lui fournir des informations détaillées sur toutes les mesures prises pour éliminer les restrictions et interdictions qui touchent les femmes dans l'éducation et dans l'emploi.

5. La commission prend bonne note de la communication des Nations Unies qui inclut la décision du Kaboul Caretaker Shura du 28 avril 1998 suivant laquelle "en rapport avec le travail des professionnels femmes dans l'Emirat islamique de l'Afghanistan, une commission composée du ministre des Mines et des Industries, le ministre de la Santé publique et le vice-ministre des Statistiques centrales (...) doit rechercher tous conseils légaux pour la reprise de l'emploi de professionnels femmes". La décision déclare encore que, dans le cas d'un avis positif (autorisant l'emploi), "tous les ministères, bureaux et organisations étrangères devraient entreprendre les actions nécessaires pour nommer des professionnels femmes par le ministère des Mines et des Industries". La commission espère que cette décision puisse être le signe d'un changement dans la politique restrictive sur l'emploi des femmes; elle prie le gouvernement d'indiquer s'il y a eu nomination ou réintégration de professionnels femmes suite à cette décision et de fournir des informations générales sur la mesure dans laquelle cette décision a été appliquée dans la pratique.

6. Discrimination sur la base de l'opinion politique. La commission note avec préoccupation que, selon le rapport de 1998 du Secrétaire général des Nations Unies, d'anciens membres du Parti communiste ont été victimes de discrimination dans l'emploi. Le rapport déclare qu'en 1997 "quelque 70 professeurs et chargés de cours de l'Université de Kaboul et de l'Institut polytechnique avaient été licenciés par les autorités talibanes en raison d'allégations d'association avec les anciennes autorités communistes". En outre, et d'après le rapport, ces mesures ont également négativement affecté 48 employés du ministère taliban de la Santé publique et 122 procureurs militaires. La commission espère que le prochain rapport contiendra des informations complètes sur toute mesure prise pour assurer l'absence de discrimination dans l'emploi et la profession sur la base de l'opinion politique.

7. La commission note une nouvelle fois avec une profonde préoccupation qu'aucune réponse n'a été reçue à ses observations de 1996 et 1997, y compris la communication transmise par la CISL, qui demandait des informations plus détaillées. En conséquence, la commission exhorte que le prochain rapport contienne des informations complètes et détaillées sur tous les points couverts par ses commentaires. La commission se voit obligée de signaler que les développements ainsi décrits constituent non seulement une violation de la convention mais également une grave violation des droits fondamentaux de l'homme devant être garantis à toutes les femmes, comme aux hommes.

[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 87e session.]

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