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Observation (CEACR) - adoptée 1995, publiée 83ème session CIT (1996)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Brésil (Ratification: 1957)

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Dans ses précédents commentaires, la commission s'était référée à une situation sévissant dans différents secteurs de l'économie rurale et des mines, où plusieurs milliers de travailleurs, dont des mineurs, sont soumis au travail forcé dans le cadre d'un système de servitude pour dettes, après avoir été attirés vers cet emploi par des procédés d'embauche fallacieux, et sont victimes d'une violence tendant à les empêcher de s'échapper ou à châtier ceux qui tentent de le faire.

La commission avait suspendu l'examen de cette question, dans l'attente des conclusions du comité tripartite constitué par le Conseil d'administration pour examiner la réclamation présentée en 1993 par la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT, alléguant l'inexécution des conventions nos 29 et 105 par le Brésil.

A sa session de novembre 1995, le Conseil d'administration a adopté le rapport du comité chargé d'examiner cette réclamation (document GB.264/16/7), qui préconise dans ses recommandations le suivi de ces questions par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.

La commission prend note du rapport du comité chargé de l'examen de la réclamation (document GB.264/16/7).

Allégations

Les allégations examinées par le comité portent sur la situation de nombreux travailleurs soumis à la servitude pour dette dans différents secteurs de travail en milieu rural. Ces travailleurs sont engagés en recourant à des manoeuvres fallacieuses, avant d'être déplacés de leur lieu d'origine ou domicile, immobilisés sur des lieux de travail isolés et difficiles d'accès et dépossédés de leurs documents d'identification de travailleur. Ils sont contraints de travailler dans des conditions inhumaines, dans bien des cas sans salaire, parfois uniquement en échange d'une alimentation déficiente, et sont soumis à une durée de travail excessive et logés dans des conditions précaires, insalubres et peu sûres. Toute possibilité de rompre leur relation avec leur employeur leur est interdite par des moyens de coercition relevant de la violence physique et morale.

La commission prend note des éléments contenus dans le rapport, qui dénoncent la pratique de l'"aliciamiento", consistant à circonvenir les travailleurs afin de les transférer d'un lieu à l'autre du territoire national. Cette forme de recrutement, illégale en vertu de l'article 207 du Code pénal du Brésil, est pratiquée par des intermédiaires, que l'on appelle des "gatos", qui promettent de bons salaires dans des régions où sévissent chômage et pauvreté, et obtiennent ainsi que les travailleurs acceptent d'être transférés vers des lieux éloignés de leur lieu d'origine ou domicile. Ce déplacement accroît la vulnérabilité du travailleur, qui ignore dans bien des cas l'emplacement exact du lieu où il se trouve, ce qui facilite la coercition. Le travailleur arrive à sa destination en ayant contracté une "dette" par effet de l'acompte (une avance en numéraire), du transport, de la fourniture d'aliments et d'outils, etc. Sur le lieu de travail, cette dette s'accroît au "magasin", où le travailleur doit s'approvisionner, sans autre possibilité, en denrées indispensables à sa subsistance. Le service de cette dette permet de maintenir sur place le travailleur, qui travaille ainsi sans percevoir de salaire pendant des mois et même des années.

La commission prend note également des témoignages de travailleurs présentés par la CLAT, qui se réfèrent à des pratiques de rétention des documents, de châtiments corporels, de tortures et de menaces de mort visant à dissuader ces travailleurs de quitter le lieu de travail.

La CLAT considère que la pratique du travail forcé dans le pays est intimement liée à la modernisation de l'agriculture et aux effets de l'action du système financier dans ce secteur.

Avec les objectifs de modernisation et de développement de la région, les mesures fiscales d'encouragement ont attiré vers ces zones rurales d'importants groupes financiers et industriels, qui pouvaient bénéficier de réductions d'impôts allant jusqu'à 50 pour cent à condition d'investir les deux tiers de l'économie ainsi réalisée dans des projets agricoles ou industriels en "Amazonie légale". Au nombre de ces investisseurs ont été cités plusieurs groupes bancaires nationaux: Bradesco, BCN (Banco de Crédito Laboral), Banco Real, Banco Bamerindus, ainsi que des multinationales comme Volkswagen, Nixdorf et Liquigaz. Du fait que le volume des ressources accordées dépendait de l'ampleur des territoires considérés, ces projets ont entraîné un financement de la grande propriété foncière, avec une aggravation consécutive du problème de la concentration des terres, favorisant en fin de compte l'exploitation des travailleurs ruraux. L'organisation plaignante cite à titre d'exemple le cas des exploitations Reunida et Alto Rio Capim, propriétés de Bradesco, où l'on a constaté l'existence d'un travail en esclavage. Cette organisation signale une forte concentration de cas de "travail en esclavage" dans des zones où ont été développés des projets tels que le programme Carajas, à l'initiative de la Banque mondiale.

Selon la CLAT, les activités liées à la production de charbon de bois, à l'abattage du bois et à la reforestation, à la production d'alcool et à la culture et la récolte du café et des tomates sont les principaux secteurs de l'économie dans lesquels les cas de travail forcé ont été constatés.

Les charbonnières représentent, selon la CLAT, le principal foyer de servitude du pays. Dans son rapport, le comité chargé d'examiner la réclamation prend note des informations contenues dans le rapport du fonctionnaire du BIT ayant participé à la mission d'enquête menée dans les charbonnières (production de charbon de bois) du Mato Grosso do Sul, qui démontrent la réalité de la situation de servitude pour dette à laquelle sont réduits les travailleurs employés à l'abattage du bois et ceux qui sont préposés au four. Le même rapport fait ressortir que la journée de travail dépasse les douze heures, dans une atmosphère fortement polluée, et que l'on constate une incidence élevée des maladies pulmonaires imputables à la fumée et aux autres sources de pollution de l'air ambiant. La chaleur intense est à l'origine d'inflammations oculaires entraînant en l'espace de quelques années la perte de la vue. La femme et les enfants du travailleur sont employés, eux aussi, dans les mêmes conditions, dans le but d'accroître le rendement, les enfants s'occupant d'extraire le charbon des fours, tâche qui présente des risques considérables et donne lieu à d'innombrables accidents du fait que le charbon est retiré à la pelle. Les logements ne sont guère qu'à une trentaine de mètres des fours, la fumée est omniprésente, les travailleurs et leurs familles, qui ne disposent d'aucun mobilier, dorment à même des planches.

La CONTAG (Confédération des travailleurs de l'agriculture), dans ses commentaires communiqués en juin 1994, évoque les causes qu'elle considère être à l'origine de la situation dans les charbonnières du nord de l'Etat de Minas Gerais. Cette organisation cite la concentration de la propriété des terres, l'absence de réforme agraire, la forte pénétration des activités de foresterie et l'absence d'inspection.

La CLAT considère elle aussi que la déforestation a servi de prétexte à divers groupes financiers pour obtenir les importants avantages fiscaux accordés au titre des programmes des organismes financiers internationaux. Le recours à des intermédiaires chargés du déboisement pour le compte de ces groupes a pour effet d'établir une coupure juridique entre les travailleurs et les intérêts économiques en jeu dans le cadre de tels projets. Néanmoins, le travail en servitude dans ce secteur d'activité remonte, à travers un réseau complexe de relations, à d'importants groupes financiers.

La CLAT dénonce également les atermoiements de la justice, l'inefficacité du système d'inspection et l'impunité des coupables.

Observations du gouvernement

La commission prend note des observations formulées par le gouvernement dans son rapport en réponse à ces allégations. Elle note la mise en place de différents programmes et différentes commissions pour lutter contre le travail forcé: le PERFOR (Programme d'éradication du travail forcé), en 1992; le Conseil national du travail (auprès du ministère du Travail), à l'intérieur duquel a été constituée une "Commission pour l'élimination du travail en servitude", dans laquelle siègent les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, des organes de l'Etat et des organisations non gouvernementales; et, en juin 1995, le GERTRAF (Groupe exécutif de répression du travail forcé).

En ce qui concerne le système d'inspection du travail, la commission note que le gouvernement communique les tableaux récapitulatifs des inspections effectuées comme suite aux dénonciations de travail forcé, en application de l'Instruction normative intersecrétariale no 1 du 23 mars 1994 sur la procédure d'inspection en milieu rural, qui fixe les critères de qualification de la situation de travail en servitude et de la pratique de l'"aliciamiento" (transfert illégal de travailleurs dans d'autres régions du pays).

Le gouvernement signale en outre la tenue d'une série de séminaires sur le thème du travail forcé, notamment à l'initiative de la Commission de travail de l'administration et des services publics, avec la participation de la CPT (Commission pastorale de la terre), de la CONTAG, de la CUT, du Procureur de la République et d'une dizaine de parlementaires. Ces séminaires ont mis en cause, dans leurs conclusions, les atermoiements de la justice et du ministère du Travail, les difficultés liées à l'imprécision de la notion de travail en servitude et à l'attribution des compétences, l'impunité des coupables et l'absence d'une action conjointe entre les pouvoirs publics et la société.

Le gouvernement a fourni des informations sur les inspections réalisées dans les fabriques d'alcool où des pratiques d'esclavage ont été dénoncées et dans les exploitations produisant du soja et des tomates. Il a en outre transmis le rapport établi en 1993 par le secrétariat d'Etat à la justice de l'Etat d'Espiritu Santo, à la suite de la dénonciation faite par le SINTRAL (Syndicat des travailleurs de l'exploitation du bois d'oeuvre et de combustion) dans le nord de cet Etat. Ce rapport reproduit les conclusions de l'enquête réalisée par les fonctionnaires de l'inspection du travail, qui confirme l'existence d'une véritable "situation d'esclavage de la main-d'oeuvre" et qui indique que le phénomène de "tercerizaçao" (embauche de travailleurs par une tierce partie) favorise l'exploitation de travailleurs dans des conditions d'esclavage ainsi que l'impunité des grandes entreprises bénéficiant de ces pratiques.

En septembre 1994, le gouvernement a communiqué les rapports des inspections effectuées dans les cas dénoncés par l'organisation plaignante. Le comité a noté que, dans la plupart des cas, même lorsque l'inspection a confirmé l'existence d'un travail en servitude, les mesures prises ont consisté en simples amendes ou en sommations pour régulariser la situation dans un délai fixé, sous peine d'amende en cas de non-exécution.

La commission note que, dans son rapport de 1995 sur les conflits survenus en 1994 en secteur rural, la Commission pastorale de la terre indique que les chiffres des cas de travail en servitude constatés en 1994 révèlent une aggravation de la situation. Le nombre des victimes est passé de 19 940 en 1993 à 25 193 en 1994, hausse qui peut être attribuée aux situations constatées dans différentes charbonnières de la région de Montes Claros, dans le Minas Gerais, qui portaient sur 10 000 travailleurs, et dans six communes du Mato Grosso do Sul, qui portaient sur 8 000 adultes et 2 000 mineurs. L'emploi de mineurs à des travaux pénibles dans les campagnes a été, selon la CPT, le phénomène le plus marquant et alarmant en 1994. En ce qui concerne l'usage de la violence pour imposer le travail forcé, le rapport cite plusieurs cas dans lesquels les personnes dénoncées par les travailleurs ayant témoigné sont identifiées. Dans le cas des plantations de café Santa Teresa (Espiritu Santo) les travailleurs mentionnaient l'obligation de travailler sous la menace de châtiments corporels et dénonçaient le cas d'un travailleur de 65 ans gravement blessé par le surveillant pour avoir demandé à regagner son lieu d'origine. Dans la plantation de Livramento (Rondonia), l'assassinat de travailleurs a été dénoncé; dans l'exploitation Estrela de Maceio (Santana do Araguaia), un travailleur a témoigné de l'usage de châtiments corporels ainsi que du cas d'un travailleur (répondant au nom de "Negao") qui, ayant tenté de s'échapper, a été ramené à l'exploitation par le gérant et, après avoir été menacé de mort, n'a plus jamais été revu. Dans l'exploitation Vila Rica, un surveillant parle avec d'autres surveillants du fait qu'il a assassiné un travailleur. Dans l'exploitation Tervoy, l'assassinat d'un travailleur a été dénoncé et un autre est devenu paralysé après avoir reçu une balle dans la colonne vertébrale. Dans l'exploitation Santa Maria (Rondonia), où une milice armée a pour mission d'empêcher les fuites, cinq travailleurs ont disparu. Dans l'exploitation Castanhal, les gardes armés menacent de mort ceux qui tentent de s'échapper, et l'assassinat de travailleurs a également été dénoncé dans l'exploitation Peralta. Les familles des travailleurs de l'exploitation Bannach (Rio Maria, Pará) dénoncent la disparition de deux travailleurs. Le rapport mentionne également le cas de la fabrique Alcool do Pantanal Ltd., affiliée à ALCOPAN (Coopérative des producteurs de canne à sucre de Poconé, Mato Grosso), dans laquelle, selon les constatations de la délégation régionale du travail chargée de l'inspection, 500 travailleurs, dont une fillette de 14 ans, étaient soumis à des journées de travail interminables, ne pouvaient quitter le lieu de travail qu'avec une autorisation et travaillaient sous la surveillance de "gatos" armés. Le rapport fait état de situations similaires dans les exploitations de Tapete Verde (Pará), Cabeça de Egua (Sao Felix do Xingú) et Adao.

La Commission pastorale de la terre (CPT) évoque également dans son rapport la disparité des attitudes des autorités compétentes en matière de travail dans les différents Etats et son incidence sur l'éradication du travail en servitude. Selon la CPT, la Commission permanente d'enquête sur les conditions de travail dans les charbonnières et les fabriques d'alcool du Mato Grosso do Sul (constituée en 1993 et composée de 11 secrétariats d'Etat et autres organes gouvernementaux et de 16 organisations non gouvernementales) mène des enquêtes approfondies. Trois procédures d'enquête publique ont été ouvertes par le Procureur régional du travail, suite à des dénonciations d'exploitation de main-d'oeuvre indigène dans les charbonnières et les fabriques d'alcool. Dans le Minas Gerais, la DRT (Délégation régionale du travail), en collaboration avec le ministère du Travail et la FETAEMG (Fédération des travailleurs de l'agriculture), a inspecté environ 110 établissements et dressé 125 constats d'infraction. L'Assemblée législative a constitué en mai 1994 une Commission parlementaire d'enquête sur la situation des travailleurs du secteur du charbon de bois et un rapport décrivant cinq formes différentes de travail en servitude a été publié en juin. En décembre, cette même commission a proposé dans ses conclusions que les inspections s'effectuent sous l'autorité conjointe du ministère du Travail, du secrétariat d'Etat, des syndicats de travailleurs ruraux et des syndicats d'employeurs, et que des dispositions législatives spécifiques soient adoptées pour obliger les entreprises à appliquer la législation du travail. Sous l'égide du Procureur régional du ministère public, 25 entreprises sidérurgiques ont signé un accord par lequel elles s'engagent à assumer la responsabilité directe des entreprises administrant les travailleurs par sous-traitance. Le rapport précise que le délégué régional du travail ayant réalisé l'inspection a été révoqué en 1994. Dans l'Etat du Pará, la situation a été différente. Selon la CPT, le rapport d'enquête de la Délégation régionale du travail sur les cas de travail en servitude en 1993 constate "l'inexistence d'un travail en servitude" dans les 15 cas signalés. La CPT, qui s'inscrit en faux contre de telles conclusions, a rappelé à la DRT du Pará que, dans le cas de l'exploitation Uniao (Agua Azul), l'existence d'un travail en servitude a effectivement été constatée par le délégué de la police civile de Xinguara, qui a recueilli le témoignage de six fugitifs. La DRT du Pará a admis ne pas avoir inspecté l'exploitation Uniao ni l'exploitation Santa Cristina, à Santana do Araguaia.

Le rapport indique que la police civile a libéré des travailleurs en servitude dans l'exploitation Santa Maria (Corumbiara) et arrêté les propriétaires, qui ont été remis en liberté le lendemain, sous caution.

La CPT considère, par ailleurs, que l'adoption de l'Instruction normative sur les procédures d'inspection en milieu rural et le projet de loi de réforme du code pénal constituent des étapes importantes dans la lutte contre le travail en servitude.

La commission prend note avec intérêt de l'abondante information fournie par le gouvernement en rapport avec ces questions.

Le gouvernement communique une récapitulation des enquêtes menées sur les plaintes pour travail forcé en 1994. La commission constate que sur les 38 cas examinés quatre ont donné lieu à des procédures civiles publiques, deux à des enquêtes civiles publiques et, dans un cas (exploitation Santa Teresa (Marabá)), un exploitant ayant reconnu avoir frappé un travailleur, ainsi qu'un surveillant armé ont été arrêtés; dans l'exploitation Acapulco (Xinguara) un "gato" a été arrêté pour avoir été trouvé en possession de trois armes à feu.

La commission note que, dans leurs conclusions, les rapports d'inspection ne mentionnent pas la condition des travailleurs en relation avec la "dette" et signalent, dans la plupart des cas, de graves infractions à la législation du travail. Elle constate que ces documents ne contiennent pas d'information sur les sanctions prises. Dans le cas de l'exploitation Santa Teresa, les conclusions du rapport font ressortir que la législation du travail est totalement bafouée, que les conditions d'hygiène et de logement sont les pires qui soient (baraques en plastique, promiscuité), que l'alimentation est assurée par la cantine de l'exploitation, sans que les travailleurs ne soient informés des prix, que les travailleurs sont surveillés par des gardes armés et que le gérant a confirmé avoir infligé des coups à un travailleur. Dans le cas de l'exploitation Rio Negro, les inspecteurs signalent qu'un "gato" (identifié), qui avait déjà quitté depuis lors l'exploitation, a assassiné deux travailleurs et qu'une plainte a été portée devant la police civile.

La commission prend note de la création du groupe spécial d'inspection mobile (ordonnance 550 MTb du 14 juin 1995) placé sous la direction immédiate du secrétariat à l'inspection, du ministère du Travail. Ce groupe a effectué des inspections dans les charbonnières du Mato Grosso do Sul et dans la région méridionale de l'Etat de Pará à la période où les embauches de travailleurs pour le défrichement des terrains sont fréquentes.

Le gouvernement signale une autre mesure prise, en l'espèce de la constitution d'un groupe de travail chargé de réviser l'Instruction normative intersecrétariale no 01 de 1994 sur les procédures d'inspection en milieu rural. Il ajoute que, si cette normative a marqué une nouvelle phase dans la prévention et la répression du travail forcé, l'expérience a démontré la nécessité d'orienter la démarche des inspecteurs du travail afin que ceux-ci, dans leurs rapports, constatent des éléments qui permettent d'ouvrir une procédure judiciaire.

S'agissant de la coordination avec les autres organes et instances, le ministère du Travail est intervenu dans le cadre de l'accord signé en novembre 1994 avec le ministère public fédéral, le ministère public du Travail et la police fédérale pour discuter, planifier et évaluer conjointement l'action déployée par l'Etat pour prévenir et réprimer le travail forcé. Le ministère du Travail a participé de même aux réunions mensuelles du Forum national contre la violence en milieu rural, dans lequel siègent des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux comme la Commission pastorale de la terre (CPT) et la Confédération nationale des travailleurs de l'agriculture (CONTAG). Lors de ces réunions, les plaintes sont présentées et les stratégies d'inspection et les mesures complémentaires sont étudiées.

En outre, pour remédier au problème des déplacements de travailleurs, qui favorisent la pratique du travail forcé, le ministère du Travail a signé un accord avec la CONTAG, sous l'égide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour réaliser une étude (actuellement en cours) dans les régions de recrutement et d'affectation de travailleurs ruraux.

Le gouvernement signale en outre la création, par le Président de la République, en juin 1995, du GERTRAF (Groupe exécutif de répression du travail forcé), constitué de représentants des ministères du Travail, de la Justice, de l'Environnement, des Ressources hydrauliques et de l'Amazonie "légale", de l'Agriculture, de la Réforme agraire, de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme, et qui a pour compétence d'élaborer, appliquer et superviser un programme de répression du travail forcé, de coordonner l'action des organes compétents en matière de répression du travail forcé, d'agir conjointement avec l'OIT et les ministères publics de l'Union et des Etats dans le but de faire respecter rigoureusement la législation pertinente et de proposer les instruments juridiques nécessaires à la mise en oeuvre du programme de répression du travail forcé.

La commission avait pris note des dispositions des articles 184 et 186 de la Constitution nationale, qui permettent de procéder à des expropriations de biens fonciers ruraux lorsque ces biens ne remplissent pas leur fonction sociale, fonction qui consiste, notamment, dans l'application des dispositions réglementant la relation d'emploi. La commission avait également pris note de l'article 149 du Code pénal, qui punit de deux à huit ans d'emprisonnement celui qui a réduit une personne à une condition analogue à celle d'esclave, et de l'article 207 du même code, qui punit d'une peine de deux mois à un an de prison celui qui transfère des personnes d'un lieu à l'autre du territoire national.

La commission note que, dans ses conclusions, le comité chargé d'examiner la réclamation portée contre le Brésil pour inexécution des conventions nos 29 et 105, à la lumière des dispositions desdites conventions, après avoir examiné les éléments soulevés par l'organisation plaignante et amplement documentés par les informations communiquées par la Confédération nationale des travailleurs de l'agriculture (CONTAG), la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), l'Association des inspecteurs du travail (AGITRA), la Commission pastorale de la terre, des organisations non gouvernementales brésiliennes et internationales comme Anti Slavery International et Americas Watch, ainsi que par les observations du gouvernement, les rapports officiels d'inspection, les documents officiels de différents organes publics et les documents de la presse écrite, est parvenu à la conclusion que les allégations relatives au travail forcé imposé à des milliers de travailleurs, au nombre desquels des personnes mineures, dans certaines régions et dans certains types d'entreprises, par le mécanisme de la servitude pour dettes, étaient effectivement fondées et que ces situations constituent une violation des conventions nos 29 et 105, ratifiées par le Brésil.

Dans ses conclusions, le comité constate également que les allégations présentées quant aux délais excessifs des procédures ou actions en justice et quant au caractère minime des sanctions pénales infligées aux coupables de pratiques de travail forcé sont effectivement fondées. Le comité constate également que, dans les rares cas où l'on a jugé les responsables de contraintes de travail forcé, il s'agissait d'intermédiaires ou de petits propriétaires ou locataires, ce qui laissait dans l'impunité les propriétaires des grandes exploitations ou entreprises recourant aux "services" d'entreprises tierces ou d'intermédiaires individuels pour faire réaliser une partie de leurs activités de production dans les conditions de travail forcé et de servitude pour dette qui ont été décrites. Il a fait en outre observer que le phénomène désigné par le vocable de "tercerizaçao" (embauche de travailleurs par une tierce partie) favorise l'impunité de ceux qui, au bout du compte, tirent les plus gros avantages des pratiques de travail forcé.

La commission prend note des conclusions relatives à la question des sanctions, selon lesquelles "si les observations du gouvernement en réponse aux allégations permettent de considérer que celui-ci s'est engagé à entreprendre une action tendant à combattre la pratique du travail forcé", ces mêmes observations ne comportent pas d'élément permettant d'établir le respect des dispositions de l'article 25 de la convention no 29, lequel dispose que "le fait d'exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales et tout Membre ratifiant la présente convention aura l'obligation de s'assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées".

La commission note que les rapports du gouvernement sur les conventions nos 29 et 105 ne contiennent pas d'information sur les sanctions pénales effectivement infligées aux personnes responsables de l'imposition de travail forcé.

La commission constate que, malgré les actions entreprises au niveau fédéral et dans certains Etats dans le but de mettre fin au travail forcé, des lacunes considérables subsistent dans l'application des conventions no 29 et 105. Les problèmes soulevés constituent de graves violations de la convention no 29 du fait que des milliers de travailleurs se trouvent dans une situation de dépendance totale, en servitude pour dette, dans l'impossibilité de mettre fin à une relation d'emploi qui a été contractée dans des conditions viciant leur accord et qui donnent lieu à des conditions ne correspondant pas à ce qui était conclu ni à ce que prévoit la législation du pays, cette relation ne pouvant en outre être rompue sans que l'intéressé s'expose à des sévices, des tortures ou d'autres traitements dégradants et parfois même à la mort. Une telle situation n'est en outre pas conforme à l'obligation exprimée à l'article 1 b) de la convention no 105, qui tend à la suppression du travail forcé ou obligatoire en tant que méthode d'utilisation de la main-d'oeuvre à des fins de développement économique.

La commission veut croire que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour assurer, conformément à la convention et aux dispositions pertinentes de la législation nationale, que des sanctions pénales soient infligées à ceux qui ont été reconnus responsables de l'imposition de travail forcé, et qu'il communiquera copie des décisions de justice rendues en application des articles 149 et 207 du Code pénal, notamment dans les cas précités.

La commission espère que le gouvernement fournira des informations sur les mesures prises, au niveau fédéral et à l'échelon des différents Etats, pour donner suite aux recommandations formulées par le comité chargé, par le Conseil d'administration, de l'examen de la réclamation susmentionnée, en ce qui concerne l'activation des procédures engagées et le renforcement du système d'inspection. Elle le prie également de fournir des informations sur les activités déployées dans le cadre du programme intégré de répression du travail forcé, du ressort du GERTRAF.

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