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Observation (CEACR) - adoptée 1992, publiée 79ème session CIT (1992)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Brésil (Ratification: 1957)

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Dans des commentaires antérieurs, la commission s'était référée aux observations présentées en 1986 par la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) dans lesquelles ces organisations alléguaient l'existence du travail forcé et de la servitude pour dettes dans certaines régions du pays. La commission avait pris note de la déclaration du gouvernement relative aux obstacles qu'il rencontrait pour déceler, empêcher et réprimer les violations de la loi sur le travail, en raison de l'immensité du territoire et des difficultés d'accès à certaines régions. La commission avait également pris note de l'engagement du gouvernement à combattre toutes les formes de travail forcé, ainsi que de l'accord "Termo de Compromisso" signé par le ministère du Travail, le ministère de la Réforme et du Développement agraire, la Confédération nationale de l'agriculture (CNA) et la Confédération nationale des travailleurs de l'agriculture (CONTAG) dont l'objectif est l'éradication de toute forme de travail d'esclave (trabalho escravo).

La commission a pris note des informations communiquées par le gouvernement dans ses derniers rapports selon lesquelles l'action conjointe des organismes qui ont signé le "Termo de Compromisso" en 1986 a permis à l'inspection du travail de prendre en compte un grand nombre de dénonciations du travail d'esclave dans différents Etats du pays. Le résultat de ces investigations a été transmis aux organes compétents afin que soit établie la responsabilité pénale des contrevenants.

La commission note les indications fournies par le gouvernement dans les rapports communiqués en septembre 1990 et octobre 1991, selon lesquelles le "Termo de Compromisso" précité est en cours de révision, et le gouvernement continue pour sa part à combattre intensivement le travail forcé en collaboration avec les organes de l'inspection fédérale et la police fédérale, et en prenant les mesures qui s'imposent en matière de police, de justice et d'inspection.

La commission note les observations présentées par l'Association des inspecteurs du travail (AGITRA) en mai et octobre 1991 sur l'application des conventions nos 29 et 105, dont copie a été communiquée au gouvernement en juillet et octobre 1991, respectivement, afin qu'il puisse présenter les commentaires qu'il estime opportuns.

La commission note également les observations sur l'application des conventions nos 29 et 105 présentées par la Fédération internationale des travailleurs des plantations agricoles et assimilées (FITPAS) en novembre 1991, qui ont été communiquées au gouvernement le même mois.

La commission relève que le gouvernement n'a pas fait de commentaires sur les allégations formulées par les deux organisations précitées.

La commission constate la convergence des allégations présentées par les deux organisations syndicales, qui sont amplement étayées par des rapports émanant d'organisations syndicales nationales (Travailleurs ruraux sans terre, Centrale unique des travailleurs (CUT)), d'organisations non gouvernementales et d'églises, ainsi que par de nombreux articles de la presse nationale et internationale.

Les allégations se réfèrent à la situation de milliers de travailleurs, parmi lesquels des enfants et adolescents mineurs, qui sont soumis au travail forcé dans différents secteurs de l'économie rurale et dans les mines.

Selon les allégations reçues, l'embauche se fait à des milliers de kilomètres du lieu de travail, sur la base de fausses promesses quant aux conditions de travail et aux salaires de la part de ceux que l'on appelle les "gatos", administrateurs des propriétés (haciendas) et intermédiaires entre les propriétaires et les travailleurs, qui se chargent du transport jusqu'au lieu de travail. En général, une fois les travailleurs arrivés à destination, leurs salaires se révèlent être inférieurs à ce qui avait été promis, et le transport ainsi qu'un logement exigu sont à leur charge. L'endroit en question étant isolé, l'unique possibilité d'obtenir de la nourriture consiste à faire recours à l'économat ou à l'épicerie de la propriété qui fournit, à des prix excessifs, les produits, dont le montant est retenu sur le salaire. Dans bien des cas, la nourriture (paniers de vivres ou plats préparés) est remise directement aux travailleurs par les "gatos" en guise de salaire.

Lorsqu'ils réclament leur salaire, les travailleurs découvrent qu'il a été intégralement dépensé, la "dette" contractée au titre du transport et de la nourriture fournie en excédant le montant. Au fil du temps, la "dette" va en augmentant et le travailleur n'a pas d'autre choix que de continuer à travailler pour régler une dette que son travail, bien qu'il soit de douze heures par jour, ne lui permet pas de rembourser; elle lui permet encore moins de pouvoir disposer de l'argent nécessaire pour retourner dans son lieu d'origine ou de résidence, où il a bien souvent laissé sa famille. Les travailleurs qui tentent de fuir sont poursuivis par les bandits (pistoleros) au service de la propriété et, après avoir été capturés, sont ramenés à la propriété et soumis à des mauvais traitements (voies de fait, coups de fouet, blessures, mutilations, sévices sexuels); dans bien des cas, le châtiment est la mort du travailleur.

Les deux organisations signalent l'une et l'autre qu'il est difficile de se faire une idée précise de l'ampleur du phénomène du travail forcé au Brésil, étant donné qu'un grand nombre de cas ne deviennent connus que lorsque les travailleurs parviennent à fuir et ont le courage d'affronter des représailles éventuelles pour dénoncer la situation et témoigner. Elles indiquent néanmoins que la pratique du travail forcé, connue au Brésil sous le nom d'esclavage blanc (escravidade branca), est dénoncée dans des propriétés et des distilleries de différentes régions depuis 1984, essentiellement dans les Etats de Para et de Mato Grosso. Selon l'AGITRA, entre 1980 et 1991, on a appris que 3.144 personnes avaient été soumises à du travail forcé dans 32 propriétés du sud de Para. Dans les annexes présentées par cette organisation figure une liste de 56 propriétés situées dans le sud de Para dans lesquelles du travail forcé a été dénoncé. Au plan national, on a recensé 8.886 cas; en 1991, 53 de ces personnes ont été assassinées et quatre ont disparu.

Dans ses commentaires, la FITPAS se réfère à huit cas qui lui ont été signalés entre janvier 1979 et juin 1990 dans quatre Etats et qui concernent les propriétés Arizona (Redençao), Sao Luis Agropecuaria (Para), Santa Inés (Para), Espíritu Santo (Para), Belauto (Para), Fazendas Reunidas Nossa Senhora de Fatima (Mato Grosso), Suia Missu (Mato Grosso) et Fazenda Escondida (Mato Grosso).

Pour l'AGITRA, il est inquiétant en outre de constater qu'il ne s'agit pas seulement de cas intervenus dans des régions isolées, mais que certains ont été dénoncés dans des localités proches des régions les plus développées du pays. Elle allègue qu'en 1990, par exemple, l'inspection du travail a pu constater que 200 familles travaillaient en esclavage à l'écorçage de l'acacia dans la localité de Paquete, à 100 kilomètres de Porto Alegre, la capitale de l'Etat de Rio Grande do Sul, et qu'à Cidreira, à 110 kilomètres de Porto Alegre, 50 personnes ont travaillé pendant trois mois sans salaire en se nourrissant exclusivement de pâtes et de haricots. En 1991, le Centre de défense des droits de l'homme a dénoncé le fait qu'environ 70 personnes, dont quatre enfants, travaillaient dans des conditions de semi-esclavage dans la région rurale de Paraibuna, à 120 kilomètres à l'est de Sao Paulo.

Dans ses observations, la FITPAS indique que dans la plupart de ces cas les travailleurs ayant fui ou ayant été libérés ont dénoncé devant les autorités compétentes la situation précédemment décrite et ont indiqué le nombre approximatif de ceux qui sont restés dans les propriétés. Dans le cas de la propriété Santa Inés, la police a pu libérer 43 travailleurs, mais le propriétaire n'a pas été interpellé et les personnes arrêtées ont été rapidement relâchées. Dans d'autres cas, soit il n'a pas été donné suite à la demande d'enquête, soit les personnes responsables n'ont pas été traduites en justice, pas plus que n'ont été appliquées les sanctions prévues, même lorsque des personnes ont été accusées d'avoir causé la mort de certains travailleurs.

Travail des enfants et des adolescents

La commission note les allégations relatives au travail forcé des enfants et adolescents selon lesquelles, dans le cas de la propriété Santa Inés (Para), en libérant 43 travailleurs comme il a été indiqué plus haut, la police a pu constater que 14 d'entre eux étaient des adolescents âgés de 14 à 18 ans. En mai 1991, la Division des relations de travail (DRT) a relevé la présence d'adolescents de 15 ans dans la compagnie de distillation de Cachoeira (Rio Brilhante), qui travaillaient jusqu'à douze heures par jour dans des conditions déplorables. Il est indiqué également qu'un groupe de parlementaires a pu constater que, dans les régions de coupe de l'acacia, plus précisément dans l'entreprise Tanac, située à l'intérieur d'Encruzilhada do Soul (à 172 kilomètres de Porto Alegre), des hommes, des femmes et des enfants de 10 ans à peine travaillaient douze heures par jour dans une relation de dépendance totale vis-à-vis de l'employeur. Les enfants et adolescents travaillent sans être payés, espérant pouvoir augmenter la production de leurs parents et régler la dette qui maintient leur famille liée à l'employeur.

La commission note les observations présentées par la Commission des droits de l'homme de l'Assemblée législative de l'Etat de Rio Grande do Sul, dans une communication que le BIT a reçue en novembre 1991, à propos des allégations formulées par l'AGITRA. Ladite commission confirme expressément la véracité et l'exactitude de ces allégations relatives à l'existence du travail d'esclave dans le Rio Grande do Sul et à la situation d'extrême pauvreté et de dépendance totale des travailleurs qu'elle dit avoir pu constater dans le cadre de sa participation à certaines enquêtes. Elle affirme en outre que cette situation se retrouve dans différentes municipalités de l'Etat en question et que les entreprises ne manifestent aucun désir de résoudre vraiment le problème.

La commission note qu'en vertu des articles 184 et 186 de la Constitution fédérale, il est permis d'exproprier pour des motifs d'intérêt social un immeuble qui ne remplit pas sa fonction sociale, laquelle se remplit, entre autres, en appliquant les dispositions qui régissent les relations de travail. La commission note également les articles 149, 197 et 207 du Code pénal qui prévoient des peines d'emprisonnement pour quiconque réduit une personne à une condition analogue à celle d'un esclave (art. 149), oblige une personne par la violence ou des menaces graves à exercer ou à ne pas exercer un art, un métier, une profession ou une occupation, ou à travailler ou à ne pas travailler pendant une certaine période (art. 197), recrute des travailleurs aux fins de les transférer dans une autre localité du territoire national (art. 207). La commission note en outre la loi no 8069 du 13 juillet 1990 sur le statut des enfants et des adolescents, qui porte sur les droits fondamentaux des mineurs et établit, outre les droits à la vie, la santé, la liberté et l'éducation, l'âge minimum d'admission à l'emploi (14 ans) et la protection au travail.

La commission note, selon les statistiques communiquées par le gouvernement sur les enquêtes qui ont été réalisées et le nombre des personnes jugées pour infraction aux articles 149, 197 et 207 du Code pénal, en 1990 et 1991, que sept personnes dans l'Etat de Para, trois dans le Mato Grosso et huit dans l'Espíritu Santo ont été jugées en application de l'article 149, et 18 au total l'ont été pour infraction à l'article 207 dans les Etats de Paraiba, Alagoas, Mato Grosso, Mato Grosso do Sul et Para.

A la lumière des allégations formulées et des informations communiquées par le gouvernement, la commission constate qu'il existe des lacunes importantes dans l'application des conventions nos 29 et 105. Les problèmes soulevés font apparaître des violations graves de la première, compte tenu de la situation alléguée de complète soumission dans laquelle se trouvent des milliers de travailleurs, empêchés de mettre fin à une relation de travail dans laquelle ils se sont engagés sur une base fallacieuse, qui se développe dans des conditions ne correspondant ni à ce qui avait été convenu, ni à ce qui est prévu dans la législation du travail nationale; en outre, ils ne sauraient mettre fin à cette relation de travail sans risquer de subir des mauvais traitements et des tortures qui peuvent leur être parfois fatals. De surcroît, une telle situation n'est pas en conformité avec l'obligation figurant à l'article 1 b) de la convention no 105 qui vise la suppression du travail forcé en tant que méthode d'utilisation de la main-d'oeuvre à des fins de développement économique.

La commission prend dûment note des actions entreprises par le gouvernement fédéral en vue d'éradiquer le problème soulevé dans les allégations; néanmoins, les mesures prises jusqu'ici, si elles constituent effectivement un premier pas, doivent être renforcées et déboucher sur une action systématique, proportionnée à l'ampleur et à la gravité du problème, si l'on veut résoudre celui-ci. A ce propos, la commission renvoie aux commentaires formulés sur l'application des conventions nos 81 et 95.

La commission ne doute pas que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour mettre fin aux pratiques par lesquelles des milliers de travailleurs, dont des enfants et des adolescents, sont soumis à du travail forcé. A cet égard, il paraît particulièrement nécessaire de donner effet à l'article 25 de la convention, aux termes duquel le fait d'exiger illégalement du travail forcé ou obligatoire sera passible de sanctions pénales, et tout Membre ratifiant la convention aura l'obligation de s'assurer que les sanctions imposées par la loi sont réellement efficaces et strictement appliquées. La commission espère que le gouvernement fournira des informations sur les actions entreprises au niveau fédéral et dans les différents Etats, et communiquera copie des décisions judiciaires prises en application des dispositions pertinentes de la législation nationale à l'encontre des personnes accusées d'exiger du travail forcé, en particulier dans les cas qui ont été signalés par les organisations syndicales dans leurs observations, et qui ont été communiqués au gouvernement.

[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la conférence à sa 79e session et de communiquer un rapport détaillé pour la période se terminant le 30 juin 1992.]

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