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Informe definitivo - Informe núm. 368, Junio 2013

Caso núm. 2943 (Noruega) - Fecha de presentación de la queja:: 20-ABR-12 - Cerrado

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Allégations: L’organisation plaignante allègue l’ingérence du gouvernement dans le processus de négociation collective

  1. 700. La plainte figure dans une communication de la Confédération des syndicats de professionnels (Unio) en date du 20 avril 2012. L’Union des services de police des pays nordiques (NPF), la Fédération norvégienne des associations de professionnels (Akademikerne), la Confédération des syndicats de professionnels (YS) et la Confédération européenne de la police (EUROCOP) ont appuyé la plainte dans des communications des 25 avril et 3, 7 et 24 mai 2012, respectivement.
  2. 701. Le gouvernement a transmis sa réponse aux allégations dans une communication en date du 14 novembre 2012.
  3. 702. La Norvège a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail (fonction publique), 1978, ainsi que la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 703. Dans une communication en date du 20 avril 2012, l’organisation plaignante (Unio) allègue que le gouvernement a violé les conventions de l’OIT qu’il a ratifiées et s’est indûment ingéré dans le processus de négociation collective en imposant des dispositions à la loi norvégienne sur les conditions de travail, avec l’intention de contrôler les négociations en cours sur les heures de travail des services de police.
  2. 704. L’organisation plaignante indique que, en vertu de la loi norvégienne et dans le cadre des conventions de l’OIT, les forces policières norvégiennes bénéficient pleinement de la liberté syndicale, du droit de négociation collective et du droit de grève.
  3. 705. Selon l’organisation plaignante, au printemps 2009, dans le cadre des négociations en cours entre l’Unio et le ministère de l’Administration, de la Réforme et des Cultes (FAD) concernant la convention collective régissant une série de dispositions sur la durée du travail des policiers, le gouvernement a adopté, le 26 juin 2009, un Règlement (entré en vigueur le 1er juillet 2009) soustrayant les policiers, etc., aux dispositions sur la durée du travail contenues dans la loi sur les conditions de travail. Ce règlement comporte des dispositions sur les périodes de repos journalier pour certains groupes d’employés des services de police, y compris le personnel civil. Auparavant négociées collectivement, ces dispositions étaient intégrées à la convention collective en vigueur intitulée «Accord sur la durée du travail des services de police et de shérif» (ci-après «l’Accord ATB»).
  4. 706. L’organisation plaignante ajoute qu’en dépit de son caractère obligatoire le règlement adopté par le gouvernement peut être amendé par les dispositions d’une convention collective entre ce dernier et les confédérations. Cependant, les actions du gouvernement ont pesé sur les négociations en cours puisque ce règlement constituait finalement une demande relativement non négociable, dans la mesure où ses dispositions s’appliquaient si les parties ne parvenaient pas à s’entendre. Les négociations sont donc devenues en partie illusoires, contribuant à amener les parties à une issue prédéterminée favorisant la position de l’employeur. La possibilité offerte aux syndicats de protéger les intérêts de leurs membres s’est donc trouvée affaiblie, notamment parce que les négociations se menaient dans le cadre d’une obligation de paix sociale. Dans ces conditions, les syndicats n’avaient d’autre choix que d’accepter les dispositions de fond du règlement, qui ont été intégrées dans un nouvel accord global sur la durée du travail, conclu par les confédérations et le FAD (compte rendu du 9 juillet 2009).
  5. 707. Pour l’organisation plaignante, la décision du gouvernement constitue une violation flagrante des conventions de l’OIT. Cela ressort à l’évidence du fait que le gouvernement a usé de son autorité législative pour s’ingérer indûment dans les négociations sur la durée du travail des policiers, en réglementant les dispositions relatives aux périodes de repos – dispositions déjà définies par la convention collective existante. En outre, ce qui est plus grave, le gouvernement a exercé ce pouvoir alors même qu’il est l’employeur de la police, et donc partie prenante aux négociations. Il est intervenu sans le soutien du Parlement et en l’absence de toute crise en Norvège qui aurait exigé une telle action gouvernementale. En adoptant ce règlement, le gouvernement s’est donc ingéré dans le droit des syndicats à la libre négociation et a négligé son obligation d’encourager la négociation libre. Si le gouvernement ne s’abstient pas d’intervenir de la sorte, les négociations futures continueront à être orientées dans la direction voulue par lui.
  6. 708. L’organisation plaignante indique que l’Unio a été fondée en décembre 2001 comme organisation politiquement indépendante; elle est la deuxième plus grande confédération syndicale en Norvège. Professionnellement très qualifiés, ses membres appartiennent notamment aux professions suivantes: enseignants, infirmières, chercheurs, policiers, membres du clergé, physiothérapeutes, ergothérapeutes, consultants et diacres.
  7. 709. L’organisation plaignante donne également la liste de ses dix syndicats affiliés, qui regroupent quelque 300 000 membres: le Syndicat des enseignants de Norvège (148 909 membres, dont des enseignants/pédagogues aux niveaux maternel, primaire, secondaire, collégial et universitaire); l’Organisation des infirmiers/ères de Norvège (NNO) (89 992 membres, dont des infirmières, sages-femmes, infirmières spécialisées, infirmières en santé publique et étudiants en soins infirmiers); l’Association norvégienne des chercheurs (NAR) (17 430 membres, y compris des enseignants, des employés administratifs et de bibliothèque, au sein d’universités, de collèges, d’instituts de recherche, de musées et de l’administration publique); la Fédération des policiers norvégiens (12 534 membres, y compris des policiers, des cadres des forces de police et leur personnel civil); l’Association norvégienne des physiothérapeutes (NPA) (9 238 membres); l’Association norvégienne des ergothérapeutes (NETF) (3 422 membres); l’Union des diplômés universitaires et collégiaux (2 937 membres, y compris le personnel administratif, possédant un minimum de trois ans d’enseignement universitaire ou collégial); l’Association norvégienne des membres du clergé (2 593 membres, y compris le clergé et les théologiens); l’Association norvégienne des comptables et vérificateurs fiscaux (504 membres); et l’Association norvégienne des diacres (485 membres, dont les diacres employés à temps plein par l’Eglise de Norvège et les diacres engagés dans les œuvres sociales et les services de santé de l’Etat et de l’Eglise).

    Le système de négociation norvégien

  1. 710. L’organisation plaignante déclare que la législation norvégienne reconnaît les principes de la liberté syndicale, le droit de négociation collective et le droit de grève. Pour les employés du secteur public, ces principes sont fixés dans une loi générale sur les négociations du secteur public, à savoir la loi du 18 juillet 1958 sur les différends dans le service public, qui n’opère aucune distinction entre les différents employés du secteur public. Ainsi, les employés des services de police en Norvège bénéficient intégralement de la liberté syndicale, du droit de négociation collective et du droit de grève. La loi sur la police contenait auparavant une disposition interdisant la grève à ces personnels, qui a toutefois été abrogée par le décret royal no 8 du 3 février 1995.
  2. 711. Selon l’organisation plaignante, les syndicats des services de police et leurs membres jouissent donc des mêmes droits que tous les autres fonctionnaires. Ils exercent leur droit à la liberté syndicale et à la négociation collective depuis plus de cinquante ans et disposent du droit de grève depuis 1995. Les droits de négociation collective des policiers qui font l’objet de la présente plainte ne sont donc pas restreints, et le gouvernement ne s’est jamais prévalu de son droit de limiter les droits de négociation collective pour la police en invoquant l’article 5 de la convention no 98. Les conventions pertinentes de l’OIT s’appliquent donc intégralement.
  3. 712. L’organisation plaignante ajoute que la convention collective générale nationale énonce les dispositions de base régissant les salaires et les conditions de travail des fonctionnaires norvégiens. Il existe un droit de grève lié aux négociations sur les conventions collectives nationales. Cependant, la loi sur les différends dans le service public permet la conclusion d’accords séparés sur les questions non couvertes par la convention collective nationale; en règle générale, il n’existe pas de droit de grève associé à la négociation de ces accords séparés. Depuis les années soixante-dix au moins, les dispositions sur la durée du travail des policiers étaient fixées dans des conventions collectives distinctes pour les divers groupes de fonctionnaires. Lorsque les conventions collectives n’encadrent pas la durée du travail, les dispositions de la loi norvégienne sur les conditions de travail trouvent alors application. Cela signifie également qu’à l’expiration d’une convention collective sur la durée du travail les dispositions de la loi sur les conditions de travail s’appliquent.

    Informations générales sur les négociations concernant les heures de travail de la police

  1. 713. L’organisation plaignante souligne qu’un Accord paritaire sur la durée du travail, à savoir «l’ATB», existe depuis les années quatre-vingt-dix pour tous les groupes d’employés au sein des services de police. Conclu le 3 septembre 1999, le premier ATB a pris effet le 1er novembre 1999 et a depuis lors été renégocié périodiquement. Ces négociations se déroulent dans le cadre d’une obligation de paix sociale, ce qui signifie que la législation n’autorise pas les actions collectives au soutien des revendications des parties à la négociation. Ce modèle de négociation et les négociations elles-mêmes ont bien fonctionné par le passé et ont permis d’élaborer des dispositions sur la durée du travail par la voie de la libre négociation, tenant compte de façon équilibrée des intérêts des deux parties.
  2. 714. Selon l’organisation plaignante, l’ATB a permis de préciser au fil du temps les droits de ces travailleurs en ce qui concerne la durée quotidienne et hebdomadaire du travail, les vacances, les congés, les périodes de repos, etc., et d’établir des règles sur l’organisation du travail. Depuis le 1er juin 2007, l’ATB comporte des clauses instituant des dérogations importantes aux dispositions sur les périodes de repos prévues par la loi norvégienne sur les conditions de travail, qui stipule que les employés ont généralement droit à 11 heures de repos entre deux quarts de travail principaux; toutefois, avec l’accord des représentants du personnel dans les lieux de travail liés par une convention collective, cette période de repos peut être réduite à huit heures. Ces droits généraux ont été modifiés par l’ATB qui permet maintenant des périodes de repos inférieures à 11 heures, voire huit heures.
  3. 715. L’organisation plaignante affirme également que, dans le secteur public, seules les confédérations, et non les syndicats, peuvent approuver de tels écarts majeurs par rapport aux droits énoncés dans le chapitre de la loi sur les conditions de travail traitant de la durée du travail (art. 10-12(4); art. 25(2), de la loi sur les différends du travail dans le service public). L’ATB a donc été conclu par des confédérations du secteur public.

    Les négociations de 2008-09 sur les heures de travail des policiers

  1. 716. L’organisation plaignante réitère qu’un accord séparé concernant la durée du travail des policiers a été conclu en 2007. Cet accord était en vigueur du 1er juin au 31 décembre 2007 et devait ensuite se prolonger par périodes d’une année, sauf dénonciation par les parties. L’article 5(5) de cet accord énonce la règle fondamentale de 11 heures de repos entre deux quarts de travail, reprenant ainsi la règle de base de la loi sur les conditions de travail, elle même identique à la règle principale prévue par la directive sur la durée du travail. Toutefois, afin de permettre des périodes de repos inférieures aux dispositions concernant les minima de 11 et huit heures de repos, il existait également des règles permettant des dérogations à la règle de base. Comme il a été mentionné précédemment, ces dérogations pouvaient donner lieu à des écarts importants par rapport aux droits prévus par la loi sur les conditions de travail, qui ont ensuite été acceptées par les confédérations.
  2. 717. L’organisation plaignante indique également que l’accord a été prolongé à plusieurs reprises, après négociations. Prorogé une première fois du 1er janvier au 30 juin 2008, il a toutefois été renégocié au printemps 2008, les syndicats ayant constaté que les exemptions concernant les courtes périodes de repos étaient employées assez souvent. Durant ces négociations, ils ont tenté en vain de conclure un accord prévoyant un recours plus judicieux et approprié aux exemptions. Les parties sont tout de même convenues que l’arrangement, y compris le régime d’exemptions, serait réexaminé avant le 1er janvier 2009. L’ATB a ensuite été prorogé du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2009, tout en prévoyant que les dérogations concernant les périodes de repos (c’est-à-dire l’article 5(5) de l’accord), ne resteraient en vigueur que jusqu’au 30 juin 2009 (six mois avant l’expiration de l’ATB).
  3. 718. L’organisation plaignante déclare que l’évaluation a été effectuée par un groupe désigné paritairement afin d’établir une meilleure base pour la négociation des exemptions. L’évaluation a révélé l’existence de plusieurs violations de la loi sur les conditions de travail et des dispositions de l’ATB, notamment des infractions aux règles sur l’évaluation des risques, la durée excessive des quarts de travail, l’absence de périodes de repos compensateur, des périodes de repos extrêmement brèves entre deux quarts de travail, etc. Elle a également révélé que, durant la première moitié de l’année 2008, il y a eu quelque 24 000 dérogations à la règle de base prévoyant 11 heures de repos au cours d’une période de 24 heures. Cela indique que les exemptions ont été largement employées et ont entraîné une détérioration des conditions de travail, ainsi qu’une augmentation des risques sanitaires, environnementaux et sécuritaires pour de nombreux employés des services de police.
  4. 719. En outre, l’organisation plaignante indique qu’un rapport publié en 2008, intitulé «La police à l’horizon 2020», a conclu qu’il fallait deux policiers pour 1 000 citoyens, alors que le ratio était à l’époque de seulement 1,8 pour 1 000, qu’il fallait donc embaucher un nombre important de policiers supplémentaires pour combler ces postes et que le ratio se détériorerait encore durant la période 2012-13.
  5. 720. Selon l’organisation plaignante, il existait un sentiment généralisé d’insatisfaction et de frustration au sein des services de police durant l’automne 2008 et le printemps 2009 en raison du manque d’effectifs et des dispositions relatives à la durée du travail, y compris les périodes de repos. Bon nombre d’entre eux considéraient que ces dispositions étaient appliquées de façon irresponsable, les effectifs insuffisants ayant entraîné un recours excessif aux heures supplémentaires, de longs quarts de travail et une réduction des périodes de repos entre ceux-ci. Il est apparu de plus en plus clairement que les policiers ne voyaient aucun intérêt à prolonger le régime dérogatoire à la loi sur les conditions de travail, à moins que les exemptions soient organisées de façon à mieux protéger leur santé et leur bien-être. De fait, plusieurs d’entre eux ont refusé d’effectuer des heures supplémentaires et ont demandé à être exemptés de certaines fonctions. Au printemps 2009, les confédérations et les syndicats sont intervenus afin de prévenir toute action illégale. La correspondance disponible indique qu’aucune action illégale ne s’est produite, pas plus que le gouvernement n’a accusé des employés de la police d’avoir commis des actes illégaux.
  6. 721. L’organisation plaignante indique que, le 26 janvier 2009, le gouvernement a annoncé son intention d’adopter un règlement semblable au régime d’exemptions négociées dans le cadre de l’ATB malgré les problèmes qu’elles avaient causés. Cette annonce survenait le jour même où le gouvernement allouait des fonds supplémentaires pour de nouveaux postes civils au sein du service de police mais sans répondre aux besoins identifiés dans le rapport de 2008. Les confédérations norvégiennes ont réagi unanimement, estimant que cela constituait une violation de la longue tradition de négociation et une atteinte au droit de négocier librement les dispositions sur la durée du travail. Tous les représentants des travailleurs ont considéré cette action du gouvernement comme une tentative d’exercer son autorité pour encadrer le régime traditionnel de négociation et influencer les négociations sur ces sujets, au détriment des syndicats et de leurs membres. Avec ce règlement en leur faveur, les employeurs n’étaient plus tenus de s’engager dans de difficiles négociations sur la régulation des temps de repos. Cela donnait évidemment au gouvernement tout le contrôle sur cet aspect particulier de l’accord séparé, qui constituait un élément central des négociations. Le 29 janvier 2009, une grève politique légale d’une heure et demie a eu lieu contre l’annonce du gouvernement relative au règlement.
  7. 722. Pour l’organisation plaignante, l’adoption du règlement était motivée par les conditions particulières de ce cycle de négociations et par la volonté des autorités de parvenir à un résultat prédéterminé. Une preuve supplémentaire se trouve dans un document du ministère du Travail en date du 20 mars 2009, qui indique: «Compte tenu de la situation au sein des services de police, le gouvernement a décidé d’adopter un règlement prévoyant des dérogations à certaines dispositions de la loi sur les conditions de travail concernant la durée du travail et d’introduire des règles particulières en cette matière.»
  8. 723. Le règlement régit principalement les dérogations à la règle de base de la loi sur les conditions de travail concernant les périodes de repos, de sorte que ses articles 2 et 3 autorisent des périodes de repos journalier inférieures à 11 et huit heures, respectivement. L’article 4 définit le droit aux périodes de repos compensateur ou à d’autres garanties appropriées et expose les règles relatives au nombre de périodes de repos et de travail sur appel.
  9. 724. L’organisation plaignante déclare que le règlement a été élaboré et adopté en même temps que les négociations sur le nouvel ATB. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2009. Il a été rapidement remplacé par un nouvel accord sur la durée du travail, conclu par les confédérations et le FAD (compte rendu du 9 juillet 2009), comportant des dispositions sur les périodes de repos largement semblables à celles du règlement. L’ATB est en vigueur du 1er octobre 2009 au 31 décembre 2012. Les négociations ont pris fin à la date de son acceptation. Cependant, le règlement n’a jamais été formellement abrogé, même lorsqu’il est devenu superflu, à la date où l’ATB a commencé à régir la durée du travail des policiers.
  10. 725. Selon l’organisation plaignante, les syndicats ont essentiellement accepté le nouvel ATB parce qu’ils ne pouvaient pas refuser les dispositions de fond du règlement lors des négociations. Ils étaient privés de leur pouvoir et de leur influence sur un aspect essentiel de ces négociations puisque le gouvernement avait déjà adopté le règlement; ils étaient donc moins en mesure de protéger la santé et le bien-être de leurs membres, dans un domaine qui revêt pourtant une importance considérable pour la santé, l’environnement et la sécurité. La déclaration du Service norvégien d’inspection du travail, lors de l’audience du 7 mai 2009, est très instructive à cet égard: «A notre avis, la proposition décrite dans l’article 2 va trop loin en permettant des périodes de repos inférieures à 11 heures. De plus, la période de repos réduite ne devrait pas excéder plus d’une nuit à la fois, principalement en raison du risque de fatigue accumulée, qui peut se manifester dès le deuxième quart de travail. En outre, le règlement ne devrait pas autoriser des périodes de repos inférieures à huit heures par périodes de 24 heures car, à notre avis, le manque de sommeil affecterait sérieusement l’aptitude du salarié à travailler en toute sécurité durant son quart suivant.»
  11. 726. L’organisation plaignante conclut que le gouvernement a modifié la pratique habituelle en Norvège, où la loi sur les conditions de travail établit des règles générales quant à la durée du travail mais y autorise des dérogations – y compris par voie de convention collective – en fonction des besoins et préférences des deux parties. Si ces dernières ne parviennent pas à s’entendre lors des négociations, les règles générales relatives à la durée du travail stipulées par la loi sur les conditions de travail devraient alors s’appliquer. Les syndicats de policiers considèrent que le règlement imposé par le gouvernement a sapé cette pratique bien établie. Selon l’organisation plaignante, le gouvernement a pu conforter sa position en se fondant sur ce texte réglementaire pour imposer des conditions très stressantes quant à la durée du travail si les parties ne parvenaient pas à un accord durant leurs négociations. Il a adopté le règlement pour renforcer son pouvoir de négociation, lui permettant ainsi de dicter certaines conditions d’emploi concernant la durée du travail, ce qui signifiait notamment que ce texte restait en vigueur sans aucune limite de temps. En outre, le fait que le gouvernement ait adopté lui-même le règlement signifie que le Parlement n’a pas été saisi de ce texte; en d’autres termes, il a été adopté sans l’aval de l’autorité démocratique qui a accordé les droits de liberté syndicale et de négociation collective à tous les syndicats norvégiens.
  12. 727. L’organisation plaignante estime que, en raison de cette ingérence du gouvernement dans les droits de négociation collective, la Norvège ne respecte pas ses obligations aux termes des conventions nos 98 et 154, qu’elle a toutes deux ratifiées. Etant donné que, selon le gouvernement, la directive sur la durée du travail ne s’applique pas en général aux activités de la police, les conventions de l’OIT relatives à la négociation collective constituent les principaux instruments qui protègent les droits professionnels des employés et des syndicats des services de police. La Norvège n’a adopté aucune exception lorsqu’elle a ratifié la convention no 98; or la règle fondamentale et non ambiguë énoncée à l’article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) veut que les réserves à certaines parties des conventions doivent être officiellement exprimées lors de leur ratification. Le gouvernement n’a formulé aucune réserve à cet égard; selon l’organisation plaignante, conformément aux règles du droit international et des droits humains, il est donc lié par le texte de la convention no 98, et notamment la disposition fondamentale suivante: «Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi.» (art. 4).
  13. 728. Pour l’organisation plaignante, cette disposition implique que les autorités doivent veiller à ce que personne, y compris le gouvernement lui-même, n’impose une solution aux travailleurs sans négociation ou n’instaure un cadre de négociation décrétant des résultats prédéterminés. Au contraire, le gouvernement doit veiller à ce que les négociations respectent la liberté de choix et l’autonomie des syndicats. Par conséquent, les obligations du gouvernement ont un aspect tant positif que négatif: il doit encourager les négociations et s’abstenir de toute ingérence dans ces dernières. L’article 4 de la convention no 98 vise les négociations sur «les conditions d’emploi»; cette convention protège donc clairement les négociations collectives sur la durée du travail, y compris les périodes de repos journalier et hebdomadaire.
  14. 729. L’organisation plaignante reconnaît toutefois qu’en vertu du droit international, la Norvège peut restreindre les droits de négociation dans les services de police, comme le permettent l’article 5, paragraphe 1, de la convention no 98 et l’article 1, paragraphe 2, de la convention no 154, qui prévoient: «La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s’appliqueront aux forces armées et à la police sera déterminée par la législation nationale.» Ce libellé implique cependant que, sauf si de telles restrictions sont effectivement imposées, les dispositions des conventions sur la liberté syndicale et le droit de négociation collective s’appliquent intégralement, même à la police. Une interprétation fidèle des conventions de l’OIT et du principe norvégien de légalité exige que toute restriction aux droits de négociation collective des policiers soit claire, non équivoque et prévue par un texte de loi. Or la législation norvégienne ne prévoit aucune limitation de cet ordre en ce qui concerne les droits de négociation collective. L’organisation plaignante souligne en outre que le règlement en question ne s’applique pas seulement aux policiers mais aussi à certains civils, à savoir «les personnels pénitentiaires civils, y compris les chefs», qui ont le droit de négocier sans aucune restriction en vertu de la convention no 98.
  15. 730. L’organisation plaignante indique également que les articles 1-2(3) et 10 à 12(9) de la loi sur les conditions de travail permettent au gouvernement d’adopter des règlements concernant la durée du travail; depuis longtemps, certaines dispositions sur les heures supplémentaires des policiers sont encadrées par une réglementation (art. 1-2(4) de la loi sur les conditions de travail; règlement no 1567 du 16 décembre 2005 relatif aux dérogations à la loi sur les conditions de travail pour certains types de travail et groupes d’employés). Toutefois, le droit du gouvernement d’adopter une réglementation publique sur la durée du travail ne l’autorise pas à limiter la portée et le contenu des négociations, sauf si cela est énoncé expressément ou implicitement dans les textes ou dans les documents préparatoires, ce qui n’est pas le cas ici. Par ailleurs, les dispositions du règlement sont d’ordre général et s’appliquent également à d’autres groupes que les policiers, c’est-à-dire des groupes de travailleurs dont le gouvernement ne peut absolument pas restreindre les droits à la négociation collective.
  16. 731. L’organisation plaignante estime donc que cette réglementation ne peut en aucun cas être appliquée de manière à légitimer une ingérence directe dans les négociations lorsque la législation nationale ne restreint pas expressément les droits de négociation collective et que les négociations ont toujours été libres. Interpréter l’article 5, paragraphe 1, de la convention no 98 et l’article 1, paragraphe 2, de la convention no 154, de manière à permettre au gouvernement d’invoquer ses pouvoirs pour imposer des dérogations à des groupes de travailleurs visés par ces conventions signifierait que celles-ci sont inadaptées pour protéger véritablement les professions visées à l’article 5, ce qui contreviendrait clairement à la lettre et à l’esprit de ces instruments.
  17. 732. L’article 4 de la convention no 98 et l’article 1 de la convention no 154 imposent à la Norvège l’obligation de garantir la libre négociation et d’interdire les ingérences dans le processus de négociation susceptibles de limiter les droits de négociation collective. Le gouvernement est également tenu de promouvoir la négociation collective et de prendre des dispositions permettant la tenue de libres négociations. Compte tenu de la protection offerte par ces conventions, l’appréhension et l’insatisfaction des autorités face à l’issue possible des négociations ne constituaient pas des raisons juridiquement fondées pour mettre un terme aux négociations et leur permettre d’exercer leur pouvoir afin d’orienter le résultat des négociations. Si les autorités norvégiennes estiment qu’il y a violation de la paix sociale ou que d’autres actes illicites ont été posés par les organisations de travailleurs, elles doivent y répondre par des sanctions pénales ordinaires, et non en restreignant les droits de négociation collective.
  18. 733. En conclusion, l’organisation plaignante demande que le règlement soit abrogé afin d’éviter que la même situation ne se reproduise à l’expiration de la convention collective actuelle.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 734. Dans une communication en date du 14 novembre 2012, le gouvernement rappelle que la Norvège a ratifié la convention no 98 de l’OIT concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective en 1955 et qu’elle est entrée en vigueur en 1956. Conformément à son article 5, paragraphe 1, la mesure dans laquelle les garanties prévues par la convention s’appliquent aux forces armées ou à la police sera déterminée par la législation nationale.
  2. 735. Le gouvernement rappelle en outre que la Norvège a ratifié la convention no 154 concernant la promotion de la négociation collective en 1982. Le champ d’application de cette convention est précisé en son article 1, paragraphe 2, qui prévoit que la mesure dans laquelle les garanties prévues par la convention s’appliquent aux forces armées et à la police peut être déterminée par la législation ou la pratique nationales.
  3. 736. Le gouvernement déclare qu’il existe en Norvège une longue tradition de négociation collective et de conventions collectives, et ce dans l’ensemble du marché du travail. Les droits d’organisation et de négociation collective sont des éléments fondamentaux de la justice norvégienne et sont consacrés par la législation, qui a mis en place des institutions et des règles de procédure pour le règlement des différends. Le droit de grève fait partie du droit à la libre négociation collective dans le pays, où il n’existe aucune interdiction de grève ou de lock-out, sauf en ce qui concerne les forces armées et les fonctionnaires de niveau supérieur. Ces groupes bénéficient néanmoins du droit de se syndiquer et de négocier collectivement. Les autorités considèrent la négociation collective et les conventions collectives comme une condition essentielle au bon fonctionnement du modèle norvégien de coopération tripartite.

    Dispositions de la loi sur les conditions de travail concernant la durée du travail

  1. 737. Le gouvernement déclare que la loi sur les conditions de travail (chap. 10) définit le cadre général de la durée du travail, auquel les entreprises (publiques et privées) peuvent déroger sous certaines conditions, par voie de convention collective ou en vertu d’exemptions accordées par l’autorité de surveillance (art. 10-12). Cela permet l’adoption de solutions adaptées aux conditions de l’entreprise ou du secteur d’activité.
  2. 738. Les accords majeurs concernant les aménagements de la durée du temps de travail doivent être conclus par un syndicat regroupant des effectifs importants (précisés par la loi); dans le secteur public, il s’agit généralement des confédérations syndicales (art. 10-12(4)). Cette condition a pour but de garantir que la santé, la protection sociale et les intérêts à long terme des travailleurs sont pris en compte.
  3. 739. L’article 10-12(9) du chapitre 10 de la loi confère en outre au ministère du Travail le droit d’exempter certains types de fonctions des dispositions de ce chapitre et d’adopter des règlements particuliers établissant le cadre général de la durée du travail. La loi comporte également une disposition instituant le fondement juridique d’une exemption générale (partielle ou complète) à la loi pour une partie de l’administration publique (art. 1-2(4)).

    Accord sur «La durée du travail des services de police et de shérif»

  1. 740. Le gouvernement déclare qu’il existe dans le pays une longue tradition entourant la négociation de conventions collectives particulières sur les salaires et les conditions de travail des services de police. Un accord paritaire spécial couvrant tous les policiers, l’«Accord sur la durée du travail des services de police et de shérif» (Accord ATB), a été conclu en 1999. L’ATB, qui puise son fondement juridique dans l’article 10-12(4) de la loi sur les conditions de travail, couvrait tous les fonctionnaires investis d’une autorité policière, à l’exception des officiers supérieurs qui bénéficient d’une structure de rémunération distincte et des personnels pénitentiaires. L’accord prévoyait plusieurs dérogations aux dispositions concernant les périodes normales de travail et de repos et devait rester en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009, avec reconduction tacite par périodes d’un an, sauf dénonciation par l’une des parties. Toutefois, les dispositions relatives aux périodes de repos comprenaient une clause prévoyant leur abrogation au 1er juillet 2009.
  2. 741. Selon le gouvernement, lorsqu’il survient des différends au sujet de ces accords spéciaux, ils ne peuvent donner lieu à des actions collectives. Dans le secteur public, ces conflits sont généralement tranchés par la Commission des salaires de la fonction publique ou par un comité distinct. Toutefois, ces mécanismes ne permettent pas de régler les litiges concernant les dispositions sur la durée du travail. Si les parties ne s’entendent pas, les dispositions générales de la loi s’appliquent.
  3. 742. Le gouvernement ajoute que le nouvel ATB, entré en vigueur le 1er octobre 2009, a une portée plus large que l’accord précédent car il s’applique également à d’autres groupes de travailleurs: inspecteurs du contrôle des frontières, fonctionnaires des services du Procureur général, enquêteurs spéciaux, agents de transport de fonds, ainsi qu’à certains agents du service de renseignement. L’ATB est un accord assez large, qui comporte 17 sections couvrant un vaste éventail de clauses liées à la durée du travail et aux heures supplémentaires. Les dispositions relatives aux périodes de repos sont prévues à l’article 5(5), lui-même fondé sur l’article 10-12(4) de la loi.

    Règlement instituant des dérogations aux dispositions de la loi sur les conditions de travail concernant la durée du travail des policiers, etc.

  1. 743. Le gouvernement indique que, le 20 mars 2009, le ministère du Travail a publié un projet de règlement concernant les périodes de repos des policiers en vue d’une audience publique, qui devait se tenir au plus tard le 8 mai 2009. Les dispositions sur la durée du travail prévues dans l’ATB étaient censées expirer à la fin juin 2009; le ministère souhaitait donc que le règlement entre en vigueur le 1er juillet 2009 pour éviter qu’il n’empiète sur l’ATB en vigueur, intitulé «Règlement soustrayant les policiers, etc., aux dispositions de la loi sur les conditions de travail concernant la durée du travail», le texte a été adopté le 26 juin et est entré en vigueur le 1er juillet 2009.
  2. 744. Le règlement autorise, à certaines conditions, des périodes de repos inférieures à 11 heures et, dans certains cas limités, inférieures à huit heures, en rapport avec les heures supplémentaires. Il contient en outre des dispositions concernant les périodes de repos compensateur ou d’autres mesures de protection appropriées, le nombre de périodes réduites de repos consécutives, etc.
  3. 745. Le gouvernement affirme que la Norvège n’a pas violé les conventions nos 98 et 154 en adoptant le règlement en question et expose les arguments suivants:
    • – Les conventions pertinentes s’appliquent aux services de police. Le gouvernement convient que la législation nationale ne contient aucune exception juridique générale concernant la négociation collective au sein des services de police. Toutefois, cela ne signifie pas que la liberté de négociation collective est absolue. Les organisations doivent exercer cette liberté dans le cadre défini par la législation nationale, principe clairement exprimé à l’article 8, paragraphe 1, de la convention no 87.
    • – La liberté de conclure des conventions collectives existe toujours. La loi sur les conditions de travail définit le cadre régissant l’amplitude et les modalités de la durée du travail et précise les possibilités d’écart par rapport à ces normes par le biais des conventions collectives ou des dérogations accordées par les autorités. Le règlement concernant la durée du travail devrait normalement remplacer les dispositions de la loi. La loi ou les règlements pris en vertu de cette dernière ne régissent pas les obligations individuelles de travail, qui découlent des accords individuels ou collectifs. L’article 1-9 dispose que la loi n’empêche pas la conclusion d’accords offrant aux employés de meilleures conditions de travail que celles prévues par le texte législatif en question. Bien que le règlement puisse affecter le pouvoir de négociation des employés, la loi continue de protéger leur liberté de négocier et de conclure des conventions collectives concernant la durée du travail. Cela ressort clairement du fait que les parties ont mené des négociations à l’été 2009 et conclu une nouvelle convention collective concernant, notamment, les périodes de repos. Cet accord est toujours en vigueur et, par conséquent, le règlement n’a pas été invoqué à ce jour. En outre, la section de l’ATB comportant les dispositions relatives aux périodes de repos ne constitue qu’une partie mineure de l’accord (une disposition sur 17).
    • – Droit de recourir au pouvoir juridique d’adopter de nouveaux règlements. En outre, le gouvernement considère qu’il devrait exister une base juridique claire et forte pour pouvoir arguer que le gouvernement a définitivement renoncé à son droit d’adopter de nouveaux règlements lors de la conclusion de conventions collectives sur une question quelconque. Or il n’existe pas de telle base en l’occurrence. Au contraire, le règlement concernant les périodes de repos doit être évalué au mérite, en tenant compte du rôle particulier de la police dans une société.

    Fondements juridiques du règlement

  1. 746. Le règlement de 2009 sur les périodes de repos dans les services de police trouve son fondement juridique dans deux dispositions de la loi sur les conditions de travail. En vertu de l’article 1-2(4), le Roi peut, par règlement, prévoir que certaines parties de l’administration publique sont totalement ou partiellement exemptées de la loi lorsque leurs fonctions sont d’une nature si particulière qu’il est difficile de les adapter au texte. Cette disposition constitue le fondement juridique de toutes les exceptions à l’application de la loi. L’article 10-12(9) dispose que, si le travail est d’une nature si particulière qu’il serait difficile de l’adapter aux dispositions du chapitre concerné, le ministère peut, par règlement, édicter des règles particulières prévoyant des dérogations à ces dispositions. Cette deuxième disposition permet l’adoption d’exceptions et de règles particulières autres que celles prévues au chapitre 10 de la loi.
  2. 747. Le gouvernement souligne que le critère essentiel qui sous-tend ces deux articles est que les fonctions en question doivent être d’une nature telle qu’il est difficile de les adapter aux dispositions du chapitre 10. En 1977 déjà, les autorités avaient adopté un règlement prévoyant des adaptations pour certains secteurs de l’administration publique, y compris les policiers, et notamment des dérogations au régime d’heures supplémentaires pour la police. Cette disposition subsiste dans un nouveau règlement (no 1567) adopté le 16 décembre 2005. Par conséquent, la police est depuis longtemps considérée comme une fonction particulière, qui justifie les exceptions aux dispositions générales sur la durée du travail.
  3. 748. Par ailleurs, le gouvernement soutient que l’expression «difficulté d’adaptation» mentionnée à l’article 10-12(9) peut être interprétée de manière plus souple que la disposition correspondante de la loi antérieure (1977), qui ne prévoyait la possibilité de dérogation que s’il était impossible d’adapter les fonctions aux dispositions générales sur la durée du travail.
  4. 749. Le gouvernement déclare que le rôle et les fonctions de la police norvégienne sont énoncés dans la loi et l’ordonnance sur la police (Politiinstruksen), d’où il ressort que ses principales tâches sont de maintenir la sécurité et l’ordre publics et de prévenir la criminalité et les autres formes de violence. La police a le droit et l’obligation d’intervenir, au besoin par la force, pour maintenir la loi et l’ordre publics, de poursuivre les infractions et de faire respecter et appliquer les jugements prononcés. Aucun autre organe ou agent public n’a de pouvoirs comparables en temps de paix: cela illustre le rôle exceptionnel de la police dans la société, qui doit protéger la vie et la santé des personnes et l’intégrité de leurs biens.
  5. 750. Le gouvernement indique également que les fonctions de la police dépendent en grande partie des incidents qui se produisent. Lorsque surviennent des événements sérieux ou dans la phase initiale des grandes affaires pénales, il est parfois impossible de prévoir un personnel suffisant pour respecter l’exigence minimale de 11 heures de repos (voire huit heures dans certains cas limités).
  6. 751. Tenant compte du caractère spécial de la fonction de la police, le gouvernement conclut que les dispositions de la loi sur les conditions de travail concernant les périodes de repos sont inadaptées en ce qui concerne une partie des tâches des policiers. Des dérogations s’imposent tant en ce qui concerne les dispositions relatives aux heures supplémentaires que celles relatives aux périodes de repos (art. 10-8 de la loi). Comme il a déjà été mentionné, des dérogations aux dispositions sur les heures supplémentaires existent depuis de nombreuses années en vertu d’une réglementation spéciale, qui demeure en vigueur. La nécessité de cette réglementation n’est pas contestée par les organisations de travailleurs. Le gouvernement est fermement convaincu que la réglementation concernant les périodes de repos des policiers est suffisamment motivée compte tenu de ses fondements juridiques.

    La situation en juin 2009

  1. 752. En juin 2009, le gouvernement était confronté à une situation très difficile. Les négociations entre l’organisation plaignante et le FAD étaient parvenues à un point où il devenait raisonnable d’envisager un échec des négociations sur le nouvel ATB. Il apparaissait très clairement que les services de police ne seraient pas en mesure d’accomplir toutes les tâches que leur assigne la loi sur la police si leurs périodes de repos et l’aménagement de leur temps de travail étaient régis uniquement par le chapitre 10 de la loi sur les conditions de travail. Etant donné le risque appréhendé de violations de la loi sur la police, le gouvernement a adopté le règlement le 26 juin 2009, qui n’est cependant pas entré en vigueur avant l’expiration de l’Accord ATB à la fin du mois de juin. En outre, le règlement reprenait dans une très large mesure les dispositions de l’ATB sur les périodes de repos, c’est-à-dire un arrangement que les travailleurs concernés acceptaient depuis des années. Le gouvernement soutient que cela ne constitue pas une violation des conventions nos 98 et 154.
  2. 753. Le fait que les parties soient parvenues en 2009 à un accord sur la révision de l’ATB ne change rien à la situation. Selon le gouvernement, la société a besoin de prévisibilité et de continuité en ce qui concerne les services de police, ce qui suppose l’existence d’un règlement en vigueur sur ce sujet si les négociations devaient échouer par la suite. Si des raisons primordiales et évidentes exigent un cadre différent de celui du chapitre 10 de la loi en ce qui concerne les aménagements du temps de travail des policiers, ces besoins essentiels doivent être encadrés par un règlement plutôt que d’être laissés aux négociations et aux accords entre les organisations d’employeurs et de travailleurs et à leur pouvoir de négociation.
  3. 754. En conclusion, le gouvernement déclare que l’adoption du Règlement soustrayant les policiers, etc., aux dispositions de la loi sur les conditions de travail concernant la durée du travail ne saurait constituer une violation des conventions nos 98 et 154.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 755. Le comité note que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue l’ingérence du gouvernement dans la négociation collective dans les services de police.
  2. 756. Le comité note que, selon l’organisation plaignante:
    • i) Etant donné que la loi du 18 juillet 1958 sur les différends dans la fonction publique ne fait aucune distinction entre les employés des services de police et les autres fonctionnaires, la police norvégienne jouit intégralement de la liberté syndicale et des droits de négociation collective et bénéficie du droit de grève depuis 1995 en vertu de la loi sur la police, amendée par le décret royal no 8 du 3 février 1995.
    • ii) Les dispositions concernant la durée du travail des policiers sont établies depuis les années soixante-dix par des conventions collectives distinctes pour différents groupes de fonctionnaires, en tenant compte du fait que, lorsqu’une convention collective vient à échéance ou ne vise pas la durée du travail, les dispositions de la loi sur les conditions de travail s’appliquent (art. 10-8: au moins 11 heures de repos par périodes de 24 heures, durée pouvant être exceptionnellement ramenée à huit heures par voie de convention collective).
    • iii) Depuis 1999, un accord paritaire sur la durée du travail, à savoir l’ATB, a été conclu pour tous les groupes d’employés au sein des services de police et a été renégocié périodiquement.
    • iv) Depuis le 1er juin 2007, l’ATB comporte des écarts importants par rapport aux dispositions relatives sur les périodes de repos prévues par la loi (à savoir des périodes de repos inférieures à huit heures par période de 24 heures); il a été prorogé pour la première fois du 1er janvier au 30 juin 2008.
    • v) Lors de la renégociation de l’accord, les syndicats ont critiqué le fait que les exemptions concernant les périodes de repos abrégées (c’est-à-dire l’article 5(5) de l’accord) étaient invoquées assez fréquemment; les parties sont donc convenues de réexaminer ces exemptions avant le 1er janvier 2009 et de proroger l’ATB du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2009, étant entendu que les exemptions ne resteraient en vigueur que jusqu’au 30 juin 2009.
    • vi) L’évaluation a révélé un certain nombre de violations de la loi et de l’ATB et a permis de constater que les exemptions avaient été largement utilisées et entraîné une détérioration des conditions de travail.
    • vii) Au cours de l’automne 2008 et du printemps 2009, il existait un climat généralisé d’insatisfaction et de frustration au sein de la police en raison de l’insuffisance des effectifs et du recours excessif aux dérogations aux dispositions sur la durée du travail, mais les syndicats ont pu prévenir toute action illégale.
    • viii) Le 26 janvier 2009, le gouvernement a annoncé son intention d’adopter un règlement reprenant le régime dérogatoire prévu par l’ATB.
    • ix) Le 29 janvier 2009, une grève politique légale d’une heure et demie a eu lieu pour protester contre le règlement annoncé.
    • x) Durant les renégociations entre l’organisation plaignante et le FAD en vue d’une convention collective sur la durée du travail pour les policiers, le gouvernement a adopté, le 26 juin 2009, le Règlement soustrayant les policiers, etc., aux dispositions sur la durée du travail contenues dans la loi sur les conditions de travail (entré en vigueur le 1er juillet 2009).
    • xi) Le règlement prévoit des dispositions relatives aux périodes de repos pour les employés des services de police (y compris les personnels civils) autorisant des périodes de repos inférieures à huit heures, question auparavant soumise à la négociation collective et énoncée dans l’Accord ATB.
    • xii) Le règlement pouvait théoriquement être modifié par voie de convention collective mais il a pesé en pratique sur les négociations en cours parce qu’il constituait une demande relativement non négociable, qui s’appliquerait si les parties ne réussissaient pas à s’entendre.
    • xiii) Etant donné l’affaiblissement du pouvoir de négociation du syndicat et l’obligation de paix sociale lors de la négociation d’accords distincts sur les questions non couvertes par la convention collective nationale, les négociations étaient illusoires et ont abouti à un résultat prédéterminé favorisant la position de l’employeur.
    • xiv) Face à cette situation, les syndicats ont dû accepter les principales dispositions du règlement, qui a été intégré à un nouvel accord global sur la durée du travail, conclu entre les confédérations et le FAD et valable du 1er octobre 2009 au 31 décembre 2012.
    • xv) Selon l’organisation plaignante, le gouvernement, qui est aussi l’employeur de la police et est partie aux négociations, s’est indûment ingéré dans la négociation collective en utilisant son pouvoir législatif pour adopter un règlement en vertu de la loi sur les conditions de travail afin d’orienter les négociations en cours à cet égard pour les policiers, violant ainsi les conventions nos 98 et 154.
    • xvi) A son avis, ces conventions s’appliquent intégralement à la police puisque, lors de la ratification de ces instruments, la Norvège n’a pas enregistré de réserves quant aux droits de négociation collective des policiers et que la loi norvégienne ne contient pas de dispositions restreignant clairement et sans équivoque leurs droits de négociation collective.
    • xvii) En outre, le règlement s’applique non seulement aux policiers, mais aussi aux personnels civils de la police.
    • xviii) Si les autorités norvégiennes estiment qu’il y a eu violation de la paix sociale, elles devraient répondre en imposant des sanctions mais non en limitant les droits de négociation collective.
    • xix) Enfin, l’organisation plaignante demande l’abrogation du règlement afin d’éviter que la même situation ne se reproduise à l’expiration de la convention collective actuelle.
  3. 757. Le comité note que, selon le gouvernement:
    • i) Le droit d’organisation et la négociation collective sont des aspects fondamentaux du système norvégien de justice et sont transposés dans la législation et les procédures de règlement des différends.
    • ii) La loi sur les conditions de travail (chap. 10) constitue le cadre principal des aménagements du temps de travail, auquel les entreprises (publiques et privées) peuvent déroger à certaines conditions, par voie de convention collective ou en vertu d’exemptions accordées par l’autorité de surveillance.
    • iii) Il existe une longue tradition de conventions collectives particulières concernant la rémunération et les conditions de travail des services de police, qui ne peuvent cependant engager des actions collectives lorsque des différends surviennent lors de la négociation de ces accords.
    • iv) L’ATB concerné comporte plusieurs dérogations aux dispositions concernant les périodes normales de travail et de repos. La plupart de ses dispositions étaient en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009, voire après cette date si l’accord n’était pas dénoncé par l’une des parties; toutefois, les dispositions relatives aux périodes de repos contenaient une clause stipulant qu’elles seraient abrogées à partir du 1er juillet 2009.
    • v) Le 20 mars 2009, le ministère du Travail a présenté un projet de règlement sur les périodes de repos des policiers en vue d’une audience publique. Le gouvernement se trouvait dans une impasse puisque les négociations sur le nouvel ATB étaient parvenues à un point où un échec était probable. Craignant que la police ne soit pas en mesure de s’acquitter de ses tâches à l’intérieur du cadre juridique prévu par la loi, le gouvernement a adopté le règlement le 26 juin, et il est entré en vigueur le 1er juillet 2009, après l’expiration des dispositions correspondantes dans l’ATB.
    • vi) Le règlement autorise, à certaines conditions, des périodes de repos inférieures à 11 heures, voire à huit heures dans certains cas limités, en liaison avec les heures supplémentaires. Il reprend, dans une très large mesure, les dispositions de l’ATB concernant les périodes de repos, à savoir un arrangement que les travailleurs acceptaient depuis des années.
    • vii) La Norvège n’a pas violé les conventions nos 98 et 154. Les conventions pertinentes s’appliquent aux services de police. Bien que la législation nationale ne prévoie pas d’exception légale générale pour les négociations collectives de la police, cela ne signifie pas pour autant que la liberté de négociation collective est absolue. Les organisations doivent l’exercer dans le cadre de la législation nationale, principe clairement exprimé à l’article 8, paragraphe 1, de la convention no 87.
    • viii) Les organisations ne sauraient soutenir que le gouvernement a renoncé définitivement à son pouvoir, légalement fondé, d’adopter de nouveaux règlements lors de la négociation d’une convention collective sur une question quelconque. Le règlement est fondé sur deux dispositions de la loi sur les conditions de travail: l’article 1-2(4) dispose que le Roi peut, par règlement, prévoir que certaines parties de l’administration publique sont totalement ou partiellement exemptées de la loi si les fonctions en cause sont de nature si particulière qu’il est difficile de les adapter aux dispositions législatives; l’article 10-12(9) dispose également que, si le travail est d’une nature si particulière qu’il serait difficile de l’adapter aux dispositions du chapitre 10, le ministère peut, par règlement, édicter des règles particulières dérogeant à ces dispositions.
    • ix) Le gouvernement souligne le critère essentiel de ces deux articles: les fonctions en cause doivent être d’une nature si particulière qu’il est difficile de les adapter aux dispositions pertinentes. Compte tenu de la situation exceptionnelle de la police dans la société, qui doit garantir la vie et la santé des personnes et assurer la sécurité de leurs biens, et étant donné que ses tâches dépendent dans une large mesure des incidents qui surviennent, il n’est pas toujours possible de respecter la période de repos d’au moins 11 heures et, dans certains cas limités, à huit heures. Des dérogations s’imposent donc, tant en ce qui concerne les dispositions sur les heures supplémentaires que celles relatives aux périodes de repos. De telles exceptions existent depuis 1977 en ce qui concerne les heures supplémentaires en vertu d’un règlement spécial.
    • x) La loi sur les conditions de travail constitue le cadre qui régit la durée du travail et prévoit des écarts possibles par voie de convention collective ou aux termes d’exemptions accordées par les autorités. Les règlements pris en vertu de la loi remplacent normalement les dispositions de cette dernière. Bien que le règlement de 2009 puisse affecter la position de négociation des employés, la liberté de négocier et de conclure des conventions collectives concernant la durée du travail existe toujours.
    • xi) Cela est clairement illustré par le fait que les parties ont tenu des négociations à l’été 2009 et conclu un nouvel ATB, qui est entré en vigueur le 1er octobre 2009. La section de l’ATB comportant des dispositions sur les périodes de repos ne constitue d’ailleurs qu’une partie minime de l’accord (une disposition sur 17).
    • xii) L’ATB demeure valable et le règlement n’a donc jamais été invoqué à ce jour. Cependant, la société a besoin de prévisibilité et de continuité en ce qui concerne les services de police: il est donc impératif qu’un règlement soit en vigueur en la matière au cas où les négociations futures échoueraient. Si des raisons primordiales et évidentes exigent pour les aménagements du temps de travail des policiers d’autres dispositions que celles prévues par le chapitre 10 de la loi, ces besoins essentiels doivent être encadrés par un règlement.
  4. 758. Gardant à l’esprit que ce cas concerne des allégations d’ingérence dans le processus de négociation collective dans les services de police, le comité note que la Norvège a ratifié les conventions nos 98, 151 et 154. S’agissant de l’application de ces instruments aux forces de police, les conventions nos 98 et 151 contiennent une disposition qui se lit comme suit: «La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s’appliqueront aux forces armées et à la police sera déterminée par la législation nationale.» (art. 5, paragr. 1, convention no 98; art. 1, paragr. 3, convention no 151). La convention no 154 contient une disposition semblable: «La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s’appliquent aux forces armées et à la police peut être déterminée par la législation ou la pratique nationales.» (art. 1, paragr. 2, convention no 154). Le comité a précédemment considéré que la Conférence internationale du Travail souhaitait clairement laisser aux Etats Membres le soin de décider de la mesure dans laquelle ils voulaient accorder les droits prévus par la convention no 87 aux membres des forces armées et de la police. Le comité estime que les mêmes considérations valent pour les conventions nos 98, 151 et 154.
  5. 759. Néanmoins, le comité note avec intérêt que plusieurs Etats Membres ont reconnu le droit de se syndiquer et de négocier collectivement aux membres de la police et des forces armées, conformément aux principes de la liberté syndicale. Le comité note en particulier qu’en Norvège la police jouit de la liberté syndicale et du droit de négociation collective depuis plus de cinquante ans et bénéficie du droit de grève depuis plus de quinze ans. Le comité observe également que l’organisation plaignante et le gouvernement conviennent: i) que les conventions pertinentes sont applicables aux services de police et que la législation nationale ne contient aucune exception juridique générale concernant les droits de négociation collective de la police; et ii) qu’il existe une longue tradition de conventions collectives particulières concernant les conditions de travail des services de police, et notamment la durée du travail.
  6. 760. Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure déterminée par la législation, la réglementation et la pratique nationales en Norvège (art. 5, paragr. 1, convention no 98; art. 1, paragr. 3, convention no 151; et art. 1, paragr. 2, convention no 154), le comité convient avec le gouvernement que les principes fondamentaux qui sous-tendent ces conventions doivent être respectés pour toutes les catégories de travailleurs couverts par le règlement. Le comité observe que les allégations des organisations plaignantes soulèvent particulièrement un problème qui se pose quand la séparation entre le rôle du gouvernement en tant que législateur et en tant qu’employeur n’est pas suffisamment claire. Le comité invite donc le gouvernement, dans le cadre de la législation nationale existante, à conduire des négociations collectives de bonne foi dans les services de police en vue d’aboutir à un accord sur les conditions de travail, y compris la durée du travail.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 761. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité invite le gouvernement, dans le cadre de la législation nationale existante, à conduire des négociations collectives de bonne foi dans les services de police en vue d’aboutir à un accord sur les conditions de travail, y compris la durée du travail.
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