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- 344. Dans une communication du 29 novembre 1990, la fédération des syndicats des fonctionnaires diplômés (Bandalag Haskolamenntadra Rikisstarfsmanna/BHMR) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de l'Islande. Cette fédération a fourni des informations complémentaires et l'appui de sa plainte dans une communication du 20 décembre 1990. Parallèlement, la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) a présenté une plainte au nom de son affilié, le Syndicat des enseignants islandais, le Hid islendska kennaraféleg (HIK) dans une communication du 14 décembre 1990.
- 345. Le gouvernement a envoyé ses observations sur ces allégations dans une communication du 26 avril 1991.
- 346. L'Islande a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants
- 347. Dans sa communication du 29 novembre 1990, la BHMR soutient que les conventions nos 87 et 98 ont été violées par la promulgation, le 3 août 1990, de la loi temporaire no 89/1990 sur les rémunérations (dont un exemplaire est joint à la plainte), qui prive ses membres de l'augmentation de traitement qui leur avait été accordée par un accord et restreint l'application d'autres clauses de cet accord conclu avec les pouvoirs publics le 18 mai 1989 et toujours en vigueur. Selon le plaignant, la loi temporaire met fin à l'application de l'accord à compter du 1er septembre 1991 - alors qu'il devait rester en vigueur jusqu'au 31 décembre 1994 - et suspend le droit de négociation de l'association.
- 348. La BHMR déclare être une fédération de syndicats regroupant les fonctionnaires diplômés employés par l'Etat islandais, les autorités locales et autres institutions financées par l'Etat. Elle comprend 23 syndicats réunissant 4.000 membres. La loi no 94/1986 reconnaissait le droit de négociation et de grève des syndicats membres de la BHMR et donnait pouvoir au ministre des Finances, représentant le Trésor, de négocier et d'appliquer avec ces associations les accords sur les traitements et les conditions de travail. Une première série de négociations avait abouti à la signature de conventions qui avaient expiré au 31 décembre 1988. Les syndicats membres de l'Alliance, à l'exception de deux d'entre eux seulement, avaient créé un comité de négociation conjoint - le groupe BHMR - chargé de négocier d'autres conventions; les négociations ayant échoué, 12 de ces syndicats avaient décidé de faire grève le 6 avril 1989.
- 349. A deux reprises au cours de ce différend du travail, le ministre des Finances avait invité la BHMR à conclure un accord analogue à ceux passés dans l'intervalle par les deux groupes de fonctionnaires qui avaient négocié séparément. Cependant, tout en continuant à négocier, la BHMR avait décliné ces invitations parce que ces accords n'abordaient pas l'un de ses objectifs, à savoir l'alignement des traitements des fonctionnaires sur les rémunérations des salariés diplômés du secteur privé. A la mi-mai 1989, un comité de négociation ministériel, présidé par le Premier ministre et regroupant des ministres de tous les partis politiques, avait adopté une attitude plus constructive. Cette attitude avait permis d'aboutir à la conclusion, le 18 mai d'un accord portant entre autres sur la question de l'alignement et de mettre fin du même coup à la grève qui durait depuis six semaines. Face à la défiance qui régnait entre le comité de négociation de la BHMR et le ministre des Finances, le Premier ministre lui-même avait dû donner l'assurance que l'ensemble du gouvernement adhérait à cet accord et il avait pris la décision inhabituelle de consigner l'accord dans un protocole additionnel. Cet accord devait rester en vigueur jusqu'au 31 décembre 1994. Il prévoyait de faibles augmentations de traitements pour la période du 1er mai 1989 au 30 juin 1990 (art. 2) et de nouvelles augmentations comparables au cas où les rémunérations d'autres catégories salariales feraient l'objet d'augmentations généralisées après le 30 novembre 1989 et atteindraient un certain niveau (art. 15); il prévoyait également des augmentations par étapes, à partir du 1er juillet 1990 et jusqu'au 1er juillet 1994, visant à amener les traitements au niveau des rémunérations des diplômés du secteur privé. L'accord pouvait être dénoncé à partir du 30 septembre 1990 moyennant un préavis d'un mois.
- 350. La fédération plaignante explique qu'en février 1990, autrement dit bien après la signature de l'accord, des conventions-cadres avaient été conclues dans le secteur privé entre la Fédération islandaise du travail (ASI) et la Confédération des employeurs islandais (VSI). De nombreux syndicats membres de l'ASI avaient négocié des conventions sur les salaires et les conditions de travail sur la base de ces conventions-cadres. Les conventions ainsi conclues ne prévoyaient que de faibles augmentations de rémunérations, mais d'autres accords visant à réduire l'inflation avaient été signés parallèlement (par exemple avec les agriculteurs pour limiter l'augmentation des prix agricoles). L'ensemble de ces mesures constituait un programme dit de "Réconciliation nationale". Les représentants des employeurs du secteur privé s'étaient plaints au gouvernement de ce que l'accord conclu avec la BHMR prévoyait des augmentations supérieures à celles fixées dans les accords du Programme de Réconciliation nationale et l'avaient pressé d'engager des négociations avec la BHMR pour mettre un terme à cette anomalie.
- 351. Le 12 juin 1990, le Premier ministre par intérim avait envoyé à la BHMR une lettre pour lui faire part de la décision unilatérale du gouvernement de reporter l'application de la nouvelle grille des traitements qui avait été fixée, s'appuyant pour cela sur l'article 1 de l'accord, qui stipulait que les modifications de la grille ne devaient pas être de nature à perturber l'ensemble du système salarial du pays. Cette lettre, dont un exemplaire est joint à la plainte, expliquait que les augmentations en question étaient en contradiction avec le Programme de Réconciliation nationale, dont elles compromettraient le succès. La BHMR s'étant vigoureusement opposée à la suspension unilatérale et avait organisé de nombreuses réunions avec les autorités pour la faire annuler, mais en vain. Le 5 juillet, l'un de ses membres, le Syndicat des scientifiques islandais avait porté plainte devant le tribunal du travail pour lui demander d'ordonner dans un cas type le versement de l'augmentation convenue à partir du 1er juillet 1990. Le 23 du même mois, le tribunal avait estimé que le gouvernement avait excédé ses pouvoirs en suspendant l'accord, quels qu'aient pu être les effets des augmentations décidées. Le jugement, dont copie est jointe à la plainte, déclarait que, si le gouvernement estimait que l'augmentation due le 1er juillet risquait de perturber l'ensemble du système salarial du pays, il aurait dû chercher à s'entendre avec la BMHR pour régler le problème. Le tribunal avait ordonné le versement de l'augmentation au Syndicat des scientifiques islandais. Cette décision avait été appliquée.
- 352. Le gouvernement avait vivement réagi à ce jugement, en déclarant qu'il avait déclenché "un mécanisme infernal d'inflation galopante". Mais la fédération plaignante avait estimé que cette affirmation n'était pas corroborée par les études économiques relatives aux effets des augmentations de salaires sur l'inflation, et elle a joint deux études indépendantes sur la question à sa lettre de décembre 1990. Le gouvernement avait engagé des négociations avec la BHMR pour obtenir l'annulation de l'augmentation et de l'article 15 de l'accord. Comme la BHMR n'était pas mandatée pour renégocier l'augmentation salariale confirmée par le tribunal, elle avait accepté de limiter la discussion à la modification de l'article 15. Aucun accord n'avait pu être obtenu. La fédération plaignante considérait que, si le gouvernement avait accepté d'engager des discussions avec elle, c'était simplement pour sauver les apparences; en effet, onze jours après le jugement, le 3 août 1990, le Président de la République, faisant usage des pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution de prendre des mesures législatives temporaires en cas d'urgence lorsque le Parlement n'est pas en session, avait adopté la loi temporaire no 89/1990 sur les rémunérations.
- 353. L'article 2(1) de cette loi dispose que les augmentations de rémunérations seront les mêmes que celles fixées au titre des accords de réconcilation nationale; l'article 2(4) déclare que "si les rémunérations (...) ont augmenté entre le 30 juin et le 1er septembre 1990, cette augmentation sera annulée à dater du 1er septembre 1990 et remplacée par l'augmentation prévue au paragraphe 1". C'est ainsi que l'augmentation confirmée par le tribunal du travail a été annulée. L'article 4(1) de la loi annule les articles 5 et 15 de l'accord, tandis que l'article 4(2) proclame le maintien en vigueur jusqu'au 31 août 1991, moyennant de profondes modifications, des conventions conclues par les syndicats membres de la BHMR; après cette date, il y est mis fin sans préavis.
- 354. La fédération plaignante soutient que le gouvernement non seulement n'aurait pas dû céder aux pressions des employeurs et des syndicats qui n'étaient pas parties à l'accord, mais également qu'il est tenu de protéger la BHMR et l'accord qu'elle avait conclu contre les pressions. Un membre du Syndicat des scientifiques islandais a porté un cas type devant le tribunal civil de Reykjavik pour contester la constitutionnalité de la loi temporaire au motif qu'elle est contraire à la liberté syndicale et au droit de propriété, puisqu'elle réclame le remboursement de rémunérations déjà versées.
- 355. La fédération plaignante conclut: que, comme trop souvent depuis dix ans, le gouvernement a modifié unilatéralement les dispositions d'accords collectifs valides et a en même temps suspendu le droit de négociation des syndicats intéressés; 2) que, malgré sa formulation apparemment générale, la loi temporaire vise un groupe restreint de salariés; 3) que cette intervention législative annule une décision de justice rendue onze jours seulement auparavant et ne tient pas compte des observations du tribunal sur l'obligation d'honorer l'accord; 4) qu'il incombe au gouvernement de protéger la BHMR contre les pressions exercées par différents autres syndicats pour l'obliger à annuler la hausse salariale décidée par le tribunal du travail; 5) que cette mesure n'avait pas lieu d'être puisque l'augmentation n'avait qu'un effet inflationniste négligeable qui aurait disparu en quelques mois et que le gouvernement disposait d'autres moyens pour juguler l'inflation. La fédération plaignante estime par ailleurs que cette intervention gouvernementale porte atteinte à la liberté syndicale parce que les travailleurs sont moins portés à se syndiquer pour améliorer les rémunérations lorsque des droits négociés ou accordés par la justice peuvent être supprimés par une simple législation temporaire; de telles interventions peuvent aussi faire perdre son crédit à la négociation et "risque de mener à la violence ou à la conclusion d'accords individuels".
- 356. Enfin, la fédération plaignante observe que le gouvernement semble s'estimer parfaitement libre d'intervenir chaque fois qu'il le souhaite dans des accords déjà conclus; ainsi, malgré la plainte présentée par l'ASI au sujet d'une intervention semblable (voir le cas no 1458, examiné par le comité à sa session de février 1989), le gouvernement a adopté en 1988 deux nouvelles lois temporaires (nos 14/1988 et 74/1988) qui modifiaient le contenu d'accords valides.
- 357. Parallèlement, dans une lettre du 14 décembre 1990, la CMOPE, agissant au nom de son affilié le Syndicat des enseignants islandais, évoque la grève de six semaines qui a pris fin avec la signature de l'accord du 18 mai 1989, la lettre du gouvernement en date du 12 juin 1990 (qui vise à reporter l'introduction de la nouvelle grille des traitements) et la décision du tribunal du travail critiquant la mesure gouvernementale. La CMOPE affirme que l'adoption subséquente par le gouvernement de la loi temporaire no 89/1990 a annulé un accord librement négocié et a ainsi violé la convention no 98.
- 358. Dans sa lettre du 20 décembre 1990, la BHMR précise son allégation selon laquelle le gouvernement a cédé aux pressions d'autres groupes sur la question de l'intervention. Selon la fédération plaignante, le gouvernement s'est engagé auprès de l'ASI et de la VSI à ne pas se considérer lié par l'accord conclu avec la BHMR. Dans une interview télévisée, le président de la VSI avait déclaré en substance "qu'il s'agissait d'un gentleman agreement et que sa confédération avait insisté pour qu'il soit respecté".
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 359. Dans sa lettre du 26 avril 1991, le gouvernement explique longuement les questions relatives à la situation de l'économie et à l'emploi liées à la plainte, et il évoque les accords relatifs aux rémunérations et aux conditions de travail qui ont été conclus au cours des deux dernières années, ainsi que l'accord conclu entre le ministère des Finances et la BHMR en mai 1989, expliquant pourquoi il a demandé par la suite que certaines dispositions de cet accord soient modifiées pour tenir compte de l'évolution de la situation. Il rappelle que de très nombreuses rencontres ont eu lieu avec les représentants de la BHMR à ce sujet, malheureusement en vain. Enfin, le gouvernement indique que, s'il a dû adopter la loi temporaire no 89 du 3 août 1990, c'est pour éviter de compromettre les succès fondamentaux remportés dans la maîtrise de l'économie et pour assurer un développement coordonné des rémunérations sur le marché du travail islandais.
- 360. Le gouvernement rappelle tout d'abord l'importance de la pêche et du commerce extérieur dans la prospérité de l'Islande. Tant le volume des prises que les prix à l'exportation sont soumis à de larges fluctuations qui entraînent fréquemment une baisse du produit intérieur brut (non moins de huit fois depuis la création de la République en 1944). Bien que ces fluctuations s'atténuent, elles imposent encore des restrictions draconiennes à l'économie; c'est ainsi qu'il a fallu opérer des coupures dans les dépenses nationales, soit en dévaluant la monnaie, soit en agissant directement sur les coûts salariaux réels des entreprises. Le gouvernement ajoute que les conventions collectives ont toujours été conclues avec la participation des organisations nationales de travailleurs et d'employeurs, si bien que les syndicats peuvent tenir compte des facteurs économiques dans la formulation de leurs revendications en matière de rémunération et de conditions de travail; par ailleurs, cette tradition de négociation centralisée facilite pour le gouvernement l'inclusion dans les conventions nationales d'importantes questions comme les pensions, l'action sociale et la fiscalité.
- 361. Le gouvernement fait observer que l'inflation est un problème persistant en Islande. Il est lié selon certains économistes au fait que l'économie reposerait sur une seule ressource; en 1976, après l'adoption d'énergiques mesures anti-inflationnistes (dont la fixation d'une limite à l'indexation des rémunérations), elle atteignait 30 pour cent. Les conventions collectives négociées en 1977 ont alimenté l'inflation en prévoyant une augmentation générale de 25 pour cent assortie d'une indexation intégrale, à quoi s'ajoutaient diverses conventions distinctes prévoyant de substantielles majorations de l'augmentation générale. L'inflation a progressé de nouveau au début des années quatre-vingt, jusqu'à atteindre 50 à 60 pour cent, si bien qu'il a fallu prendre en 1983 des mesures comme la suppression pour deux ans de l'indexation salariale et la dévaluation de la monnaie. Les organisations syndicales nationales sont conscientes de ce problème, comme en témoignent la conclusion de l'accord consultatif de 1986 et le programme de Réconciliation nationale de février 1990. L'inflation est tombée à 20-25 pour cent de 1986 à 1989 et n'était plus que de 7,3 pour cent à la fin de 1990. En même temps, le gouvernement rappelle que des accords d'augmentation salariale ont été conclus dans certains secteurs en 1988, période où la demande de main-d'oeuvre était élevée, ce qui a déclenché des demandes d'augmentations équivalentes dans d'autres secteurs; face à cette surenchère, le gouvernement s'est vu contraint d'adopter la loi temporaire no 14/1988 sur les mesures économiques, qui interdisait les augmentations salariales particulières d'un montant supérieur à celles convenues avec la majorité des salariés. A l'expiration de cette loi, en février 1989, deux conventions générales sur les rémunérations et les conditions de travail, applicables à la majorité des salariés, ont été négociées; l'une a été conclue le 1er mai 1989 avec l'ASI, l'Association des employeurs coopératifs et la VSI; l'autre, conclue le 1er février 1990, prévoyait une augmentation modérée des rémunérations en fonction de l'évolution de certains indicateurs, comme l'indice du coût de la vie et le taux de change, étant entendu que l'évolution des rémunérations des autres travailleurs devait être identique à celle prévue par la convention. Des accords particuliers ont été également conclus à cette époque avec les banques et le Syndicat islandais des agriculteurs. Par ailleurs, d'autres syndicats, dont la Fédération des agents gouvernementaux et municipaux, ont conclu des accords très proches de l'accord général. Ainsi, le Programme de Réconciliation nationale a fini par s'appliquer à environ 90 pour cent des salariés. Selon le gouvernement, ce consensus est unique dans l'histoire des rémunérations et des conditions de travail en Islande.
- 362. Le gouvernement observe que, en vertu de l'article 1 de l'accord conclu en mai 1989 avec la BHMR:
- ... les fonctionnaires diplômés bénéficieront d'une rémunération et de conditions de travail similaires à celles des salariés qui occupent un poste similaire ou dont le niveau d'instruction est comparable et qui ne sont pas rémunérés selon la grille de rémunérations des fonctionnaires; on tiendra compte dans cette comparaison des avantages et des autres éléments qui ont une incidence sur les rémunérations et les conditions de travail. Les modifications visées seront effectuées de manière à ne pas perturber l'ensemble du système salarial. Il ne sera pas tenu compte à cet égard des fluctuations temporaires et des phénomènes particuliers qui affectent le marché du travail.
- La révision des grilles de rémunérations devait se fonder sur les résultats des travaux de comités spéciaux et être terminée dans les trois ans. Le gouvernement évoque les travaux du Comité chargé de comparer les rémunérations et les conditions de travail, qui n'a pas terminé sa tâche après 22 réunions, si bien qu'on ne sait toujours pas avec certitude s'il existe une différence de rémunération entre les diplômés de l'université de la fonction publique et ceux du secteur privé. En vertu de l'article 5 de l'accord, cette tâche devait être terminée le 1er juillet 1990, faute de quoi une avance devait être consentie sur l'augmentation prévue; cependant, les participants au Programme de Réconciliation nationale ont estimé que, si l'on accordait de telles avances alors que le comité n'avait pas terminé ses travaux, cela perturberait l'ensemble du système salarial du pays. Après l'échec des négociations avec la BHMR, le gouvernement a décidé de reporter l'application de l'accord en se fondant sur les dispositions de l'article 1 susmentionné.
- 363. Lorsque la BHMR a contesté cette décision, le gouvernement a demandé que, conformément à l'article 9 de l'accord, le différend soit soumis à l'arbitrage d'une commission composée de trois membres. Cette commission n'a jamais été désignée parce que la BHMR a demandé que l'objet du différend soit mieux défini et a en même temps porté la question du non-paiement de l'augmentation prévue à l'article 5 devant le tribunal du travail par l'intermédiaire du Syndicat des scientifiques islandais. Selon le gouvernement, cette démarche était suprenante puisque l'accord lui-même prévoyait explicitement dans son article 9 une procédure de règlement des différends. Après que le tribunal eut rendu son jugement, qui donnait tort au gouvernement, celui-ci a repris les négociations avec la BHMR pour modifier l'accord mais en vain.
- 364. Selon le gouvernement, la BHMR a été invitée, lors d'une réunion tenue en janvier 1990 avec l'ASI, à participer au large débat qui a permis le consensus sur lequel s'est fondé le Programme de Réconciliation nationale, mais elle a été la seule fédération de salariés à refuser d'y participer. L'ASI a affirmé à maintes reprises qu'elle n'accepterait pas que ses membres se retrouvent dans une position moins favorable que celle des autres groupes de travailleurs, même si cela avait pour effet de perturber les éléments sur lesquels reposait l'accord général de février. Ainsi, après le jugement du tribunal du travail, l'ASI a demandé aux employeurs signataires de l'accord d'accorder à ses membres la même augmentation qu'à ceux de la BHMR. Dans leur réponse (dont copie est jointe), les employeurs ont noté que le consensus établi avait pour but d'accorder le même traitement à tous les salariés; ils admettaient donc que, si l'augmentation confirmée par le tribunal était appliquée, ils devraient garantir une évolution similaire des rémunérations. Le gouvernement a demandé à l'Institut économique national d'établir une estimation de l'effet qu'aurait sur les prix une augmentation générale des rémunérations du montant en question, soit 4,5 pour cent; malgré certaines réserves statistiques, le gouvernement a considéré que les trois scénarios présentés par l'institut auraient "de redoutables effets sur l'économie". A ce sujet, le gouvernement conteste les deux études communiquées par la fédération plaignante et cite d'autres déclarations d'organismes spécialisés au sujet des risques d'une augmentation sur les salaires et les prix. En conclusion, il déclare que, n'ayant pu convaincre la BHMR de modifier l'accord, il s'était vu contraint d'adopter la loi temporaire pour défendre les succès obtenus grâce à la convention générale de février 1990 conclue entre l'ASI et la VSI et éviter ainsi le chaos économique et le chômage.
- 365. Le gouvernement déclare que la loi temporaire ne vise pas seulement la BHMR. L'introduction de cette loi mentionne certes la rupture des négociations avec la BHMR, mais son article 1 dispose qu'elle régit les conventions existantes à la date de son entrée en vigueur; en fait, certaines dispositions d'autres conventions qui prévoyaient des augmentations salariales plus importantes - par exemple celles du Syndicat des marins-pêcheurs - n'ont pas été appliquées non plus.
- 366. S'agissant de la loi temporaire elle-même qui se fonde sur l'article 28 de la Constitution, le gouvernement explique que les lois de ce type doivent être soumises à la session suivante du Parlement pour confirmation, ce qui en l'espèce a été fait le 17 octobre 1990. La loi confirmant les pouvoirs spéciaux a été examinée à fond. Une majorité de députés a été favorable à son adoption pour éviter la formation d'une spirale prix-salaires en s'en remettant au texte même de l'accord concernant la BHMR, qui aborde la question des risques de perturbation de l'ensemble du système salarial du pays. La loi a été finalement adoptée par un vote des deux chambres, la Chambre basse et la Chambre haute, et est devenue la loi no 4 de 1991. En ce qui concerne la contestation de la légalité de cette loi par le Syndicat des scientifiques islandais, le gouvernement évoque les débats devant le tribunal civil de Reykjavik au cours desquels le ministre des Finances, défendeur, a soutenu que le Parlement pouvait modifier le droit en vigueur, tel que déterminé par la jurisprudence. Le tribunal civil a estimé dans son jugement du 13 mars 1991 que la loi temporaire ne violait pas les articles visés de la Constitution et a jugé, entre autres, que la loi était nécessaire pour empêcher la formation d'une spirale des salaires, qui aurait provoqué l'effondrement du Programme de Réconciliation nationale, et que la nécessité où se trouvait le gouvernement de disposer d'une marge de manoeuvre suffisante pour mener sa politique économique justifiait les mesures draconiennes adoptées. Ce jugement fait l'objet d'un recours devant la Cour suprême, qui devrait rendre son arrêt en 1992.
- 367. En conclusion, le gouvernement réfute l'assertion selon laquelle la loi violerait le droit de constituer des associations de travailleurs libres d'organiser leur gestion prévu par la convention no 87 et affirme que la liberté d'association est garantie par la Constitution et par les lois en vigueur en Islande. Selon lui, les craintes de la BHMR de voir les travailleurs se détacher des syndicats sont contredites par l'attitude positive que l'on constate vis-à-vis du syndicalisme en Islande où près de 50 pour cent des travailleurs syndiqués appartiennent à l'ASI, et seulement 3 pour cent à la BHMR. Le gouvernement déclare ne pouvoir accepter qu'un petit groupe compromette les accords conclus par l'ensemble des autres partenaires sociaux et les pouvoirs publics; pour lui, la loi temporaire est une mesure d'urgence visant à sauvegarder des intérêts essentiels aux dépens d'intérêts secondaires. Par ailleurs, il rejette toute allégation de violation de l'article 4 de la convention no 98 puisque l'adoption de la loi a été précédée de discussions approfondies et que cette loi ne constitue qu'une atteinte temporaire, justifiée par la situation économique nationale aux dispositions de conventions en vigueur.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 368. Le comité note que le présent cas porte sur la violation alléguée des conventions nos 87 et 98 par l'adoption, le 3 août 1990, de la loi temporaire no 89/1990 sur les rémunérations. Cette loi suspend certaines augmentations salariales dues au titre d'un accord collectif conclu entre la fédération plaignante - la BHMR - et les pouvoirs publics quelque 15 mois auparavant et confirmé par une décision rendue 11 jours plus tôt par le tribunal du travail.
- 369. Le comité observe que la version donnée par les plaignants des faits ayant entraîné l'adoption de la loi n'est pas en contradiction avec celle du gouvernement. Elle diffère cependant sur le point de savoir si l'intervention gouvernementale était nécessaire (particulièrement en ce qui concerne les effets inflationnistes allégués des augmentations salariales), et sur la conformité de cette mesure avec les conventions de l'OIT applicables en la matière, en particulier les conventions nos 87 et 98.
- 370. De leur côté, les plaignants mettent en avant les faits suivants: les difficultés (dont la grève) qui ont précédé la signature de l'accord collectif dont il est question; la manière arbitraire dont le gouvernement a décidé de la suspendre sous la pression des parties au Programme de Réconciliation nationale qui refusaient un traitement spécial en matière de rémunérations à de petits groupes; la décision du tribunal du travail confirmant le versement de l'augmentation; le fait que le gouvernement ait recours systématiquement à l'intervention législative lorsqu'il n'arrive pas à convaincre les parties aux conventions de modifier celles-ci. Les plaignants estiment que cette attitude dissuade les travailleurs de se syndiquer et compromet la négociation collective.
- 371. De son côté, le gouvernement fait valoir les points suivants: la loi était rendue nécessaire par le risque de voir se former une spirale des salaires qui aurait ruiné le Programme de Réconciliation nationale; il s'est efforcé d'atteindre son objectif par la négociation et de ne pas avoir à intervenir dans un accord déjà conclu; les mesures qu'il a prises ont été confirmées par les deux chambres du Parlement et la loi a été déclarée constitutionnelle par le tribunal civil de Reykjavik (sous réserve de l'issue du recours introduit devant la Cour suprême); en tout état de cause, la question de l'augmentation salariale n'aurait pas dû être portée devant le tribunal du travail puisque l'accord collectif prévoyait un mécanisme de règlement des différends par un conseil d'arbitrage tripartite. Le gouvernement considère que l'attitude positive de l'ensemble des travailleurs envers le syndicalisme prouve que les craintes de la fédération plaignante de voir le mouvement syndical pâtir de son intervention ne sont pas fondées; il considère également que, du fait de son caractère temporaire, la loi est conforme aux opinions des organes de contrôle de l'OIT en ce domaine.
- 372. Dans le présent cas, le comité note que le problème posé a trait principalement à l'application de l'article 4 de la convention no 98 qui fait obligation aux Etats l'ayant ratifiée d'encourager et de promouvoir (la) négociation volontaire de conventions collective (...) en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi. C'est sur la base de cette disposition que le comité, tout comme la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, a estimé que la négociation volontaire des conventions collectives, et donc l'autonomie des partenaires à la négociation, constitue un aspect fondamental des principes de la liberté syndicale.
- 373. Les organes de contrôle de l'OIT ont admis que si, pour des raisons impérieuses d'intérêt économique national et au nom d'une politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, toute restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 641.).
- 374. C'est en se fondant sur ces quatre critères que le comité a examiné les dispositions de la loi temporaire no 89/1990. Au vu des informations dont il est saisi, il lui est difficile de déterminer si la loi temporaire n'a été adoptée que pour le laps de temps nécessaire et si elle s'est limitée à l'indispensable, notamment en raison de la complexité des dispositions en question. Il apparaît en effet qu'aux termes de cette loi, adoptée le 3 août 1990, la fixation des rémunérations sera réglementée pour la plupart des conventions visées jusqu'en septembre 1991. Toutefois, certains aspects de l'accord conclu avec la BHMR sont suspendus jusqu'en août 1994.
- 375. En ce qui concerne les garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs, le comité note que des augmentations seront accordées en vertu de la convention générale signée entre l'ASI et la VSI, même si elles sont plus faibles que celles qui étaient prévues dans l'accord conclu avec la BHMR.
- 376. Le comité ne peut manquer d'observer que, au cours des dernières années, le gouvernement a eu plusieurs fois recours à des interventions dans la négociation collective. C'est ainsi que, dans un cas précédent relatif à l'Islande (voir 262e rapport, cas no 1458, paragr. 124 à 153, et en particulier paragr. 148), le comité avait constaté qu'il y avait eu intervention législative générale dans le processus de négociation pas moins de neuf fois au cours des dix années précédentes. Ces interventions révèlent incontestablement l'existence de difficultés dans le fonctionnement du système des relations professionnelles.
- 377. Le comité doit aussi observer que la loi no 89/1990 ne se borne pas à réglementer la fixation des rémunérations pour l'avenir mais modifie en outre un accord que le gouvernement avait lui-même conclu avec la GHMR quelque quinze mois auparavant, accord dont les augmentations de rémunération avaient été confirmées par le tribunal du travail.
- 378. Compte tenu de ces constatations, le comité estime que, pour éviter à l'avenir des conflits préjudiciables à toutes les parties, celles-ci devraient s'efforcer de privilégier la négociation collective comme moyen de régler les conditions de travail. Dans les circonstances du cas, le comité estime devoir lancer un appel aux parties concernées pour qu'elles négocient de bonne foi en s'efforçant d'arriver à un accord. Comme le comité l'a déjà souligné (voir Recueil, op.cit., paragr. 590), des relations professionnelles satisfaisantes dépendent essentiellement de l'attitude qu'adoptent les parties l'une à l'égard de l'autre et de leur confiance réciproque.
- 379. le comité observe que la décision du tribunal civil de Reykjavik concernant la constitutionnalité de la loi provisoire no 89/1990 fait l'objet d'un recours devant la Cour suprême. Il demande au gouvernement de le tenir informé de l'issue de ce recours.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 380. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Compte tenu de l'importance de la négociation collective volontaire et de l'autonomie des parties, le comité lance un appel à toutes les parties pour qu'elles s'efforcent de privilégier à l'avenir la négociation collective comme moyen de régler les conditions de travail.
- b) Le comité leur demande également de négocier de bonne foi en s'efforçant d'arriver à un accord.
- c) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'issue du recours introduit contre la décision du tribunal civil de Reykjavik concernant la constitutionnalité de la loi provisoire no 89/1990.